Projet Artichoke
ARTICHOKE est un projet secret de la CIA sur les techniques d'interrogatoire et de contrôle de l'esprit. Il est l'héritier de BLUEBIRD, dont le nom de code change le . ARTICHOKE devient un sous-projet de MK-ULTRA lorsque celui-ci débute, le 13 avril 1953[1],[2]. Une partie des activités clandestines liées à ces programmes sont révélées dans les années 1970, après les enquêtes demandées par le président Gerald Ford et le Sénat des États-Unis[3],[4],[5]. Bien que les archives de la CIA sur les efforts menés pour influencer le comportement aient été détruites en 1973, plusieurs fichiers classifiés ont été retrouvés en 1977[6],[7].
Origines
ARTICHOKE s'inscrit dans la lignée des recherches sur le contrôle de l'esprit entreprises au début des années 1940 par l'Office of Strategic Service[6],[8]. En 1947, la marine des États-Unis lance le projet CHATTER qui regroupe les efforts coordonnés de l'armée et des services secrets. Pour contrer les avancées réalisées par l'URSS et la Chine dans ce domaine, la CIA met également en place un projet similaire en 1949. Les expérimentations de BLUEBIRD sont focalisées sur les potentielles utilisations défensives du LSD, notamment la collecte d'informations. Au cours de la guerre de Corée, dès 1950, les officiers militaires américains sont confrontés à plusieurs incidents impliquant des soldats faits prisonniers, ce qui intensifie les soupçons sur les capacités communistes[1],[9],[10],[11].
Activités
Direction
Dans le continuité du projet BLUEBIRD, la supervision des activités est assurée par un comité de direction composé d'officiers appartenant à plusieurs branches de la CIA. Initialement sous la responsabilité administrative du Bureau de l'Intelligence Scientifique (OSI), cette partie est confiée en 1952 au Bureau Inspection et Sécurité (I&SO) dirigé par Paul F. Gaynor[11],[12]. Pour diriger la partie scientifique du projet, Allen Dulles choisit le Dr Sidney Gottlieb, recruté en 1951 pour intégrer la section chimie des services techniques de la CIA (TSS)[5],[13],[14]. Le centre des recherches et des données opérationnelles est situé à Fort Detrick, Maryland, et de nombreux sites aux États-Unis et à l'étranger abritent les expérimentations[10],[15].
Objectifs
Les objectifs du projet évoluent avec les avancées mises en évidence par les données obtenues durant les expérimentations. Faire parler un sujet et lui ôter toute capacité de contrôle de sa volonté devient un objectif parmi tant d’autres. Lors d'une réunion, le 9 juillet 1953, le colonel Sheffield Edwards rappelle les principaux objectifs liés à ARTICHOKE, parmi lesquels[16],[17] :
- Perfectionner les techniques utilisant les drogues existantes et l'hypnose pour obtenir des informations ;
- Fournir des équipes de terrain pour tester et affiner ces techniques sur les agents ennemis dans des conditions de terrain ;
- En coordination avec le TSS et le personnel médical, organiser la recherche et l'expérimentation pour le développement de moyens permettant de contrôler des individus, qu'ils soient volontaires ou non ;
- Explorer les moyens, par l'endoctrinement et la formation, d'empêcher l'ennemi de prendre le contrôle des activités et des capacités mentales des membres du personnel de l'Agence.
Il est précisé « qu'en raison de l'expansion du travail effectué dans tous les domaines du programme ARTICHOKE, de l'augmentation constante du nombre de contacts et de consultants et de la possibilité imminente d'entreprendre des travaux expérimentaux aux États-Unis et à l'étranger, il serait bon de redéfinir les intérêts et les activités spécifiques de tous ceux qui travaillent sur le projet ARTICHOKE »[16].
De 1951 à 1953 : avant le projet MK-ULTRA
Lors des expérimentations qui ont lieu entre 1951 et 1953, plusieurs méthodes sont testées : l'induction de la dépendance aux opiacés puis le sevrage forcé, le recours à l'hypnose et à différentes combinaisons de drogues pouvant induire une amnésie, des hallucinations ou d'autres états seconds exploitables. En parallèle, des produits comme la mescaline, l'héroïne, les amphétamines et la cocaïne sont étudiés. Des agents sont envoyés dans différents régions du monde pour recueillir et analyser toute plante présentant un profil intéressant[10],[11],[17]. Ils sont influencés par les travaux de R. Gordon Wasson, un banquier new-yorkais passionné de mycologie dont le recrutement est proposé en 1951. Les propriétés d'un champignon hallucinogène, à partir duquel Albert Hoffman synthétisera la psilocybine, intéressent fortement les chimistes du TSS[18],[19].
Outre l'utilisation d'agents chimiques, la lobotomie et les électrochocs sont aussi envisagés. En 1952, l'OSI propose de consacrer 100 000 $ au développement de « techniques neurochirurgicales » dans le but d'obtenir des informations pertinentes[6],[10],[20],[21]. Des équipes d'interrogatoire sont envoyées à l'étranger pour y mener des expérimentations sur des prisonniers ou des agents soupçonnés de collusion avec l'ennemi. En 1952, au moins quatre équipes sont déployées en Allemagne, en France, au Japon et en Corée du Sud[11],[22].
Programmation d'un assassin
Un agent en particulier, Morse Allen, milite pour utiliser davantage l'hypnose et approfondir l'étude des amnésies. Selon lui, de tels phénomènes multiplient les possibilités et les potentielles finalités, aussi bien pour la CIA que pour l'ennemi. En 1954, Allen pousse les expérimentations jusqu'au conditionnement de l'esprit d'une personne afin qu'elle commette un meurtre[23],[24],[25].
Le 19 février 1954, Allen se lance dans une tentative simulée en hypnotisant une secrétaire, parvenant à la convaincre de la nécessité de tirer sur sa collègue pour la réveiller. Malgré sa peur des armes à feu, la secrétaire finit par tirer avec une arme déchargée. Mais Allen et son équipe concluent à l'existence de plusieurs failles opérationnelles. La question de l'élimination du sujet une fois l'assassinat perpétré apparaît comme une préoccupation majeure. Celle des possibles fuites entre la personnalité de la cible et celle induite par la transe hypnotique inquiète aussi les chercheurs[24],[25].
Fin du projet
Le 13 avril 1953, ARTICHOKE devient un sous-projet de MK-ULTRA, gardant son appellation d'origine[1],[2]. L'ensemble de ces programmes sont arrêtés au début des années 1970. Le directeur de l'agence depuis 1966, Richard Helms, ordonne la destruction de toutes les archives en lien avec le contrôle de l'esprit et du comportement. Ainsi, il est difficile de connaître dans le détail l'ensemble des activités menées[26],[27].
Références
- Commission Church 1976, p. 385-392.
- (en) Jan Goldman, The Central Intelligence Agency : An Encyclopedia of Covert Ops, Intelligence Gathering, and Spies, ABC-CLIO, , 911 p. (ISBN 1610690915), p. 26
- (en) « Rapport de la commission Rockefeller sur les activités de la CIA aux États-Unis » [PDF], sur archive.org,
- (en) « Rapport de la commission Church sur les opérations des agences gouvernementales de renseignement », sur aarclibrary.org, U.S. Government Printing Office,
- (en) United State Senate, Ninety-Fifth Congress, First Session, Project MKUltra, The CIA's Program of Research in Behavioral Modification : Joint Hearing before the Select Committee on Intelligence and the Subcommittee on Health and Scientific Research of Committee on Human Resources, U.S. Government Printing Office, , 178 p. (OCLC 608991132, lire en ligne)
- (en) « Rapport sur le matériel BLUEBIRD/ARTICHOKE », CIA-RDP81-00261R000300050005-3 [PDF], sur cia.gov, déclassifié le 1er mai 2002
- (en) Bill Richards, John Jacobs, « CIA Conducted Mine-Control Tests Up to '72, New Data Show », The Washington Post, (lire en ligne)
- (en) John M. Crewdson, Jo Thomas, « Files Show Tests For Truth Drug Began in O.S.S. », The New York Times, (lire en ligne)
- (en) Alfred W. McCoy, « Science in Dachau's shadow : Hebb, Beecher, and the development of CIA psychological torture and modern medical ethics », Journal of the History of the Behavioral Sciences, vol. 43(4), , p. 401-417 (lire en ligne)
- Lee et Shlain 1985, p. 13-19.
- Marks 1979, p. 23-33.
- (en) Colonel Sheffield Edwards, « Note du projet ARTICHOKE - 21 novembre 1952 », CIA-RDP83-01042R000800010010-3 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 27 août 2003
- Stephen Kinzer, « The Secret History of Fort Detrick, the CIA’s Base for Mind Control Experiments », Politico Magazine, (lire en ligne)
- Jean-Christophe Piot, « Sidney Gottlieb, chimiste empoisonneur, mandaté par la CIA pour manipuler les cerveaux », Ouest-France, (lire en ligne )
- (en) Jo Thomas, « Extent of University Work for C.I.A. Is Hard to Pin Down », The New York Times, (lire en ligne)
- (en) Colonel Sheffield Edwards, « Note du projet ARTICHOKE - 16 juillet 1953 », CIA-RDP83-01042R000800010010-3 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 27 août 2003
- McCoy 2006, p. 26-28.
- (en) « Note du Psychological Strategy Board de la CIA - 7 mai 1951 », CIA-RDP80-01446R000100140040-8 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 24 septembre 1998
- Marks 1979, p. 80-88.
- Marks 1979, p. 18-22.
- (en) Bill Richards, « CIA Project Eyed Lobotomy, Electric. Shock Techniques », The Washington Post, (lire en ligne [PDF])
- (en) Hank P. Albarelli Jr., A Terrible Mistake : The Murder of Frank Olson and the CIA's Secret Cold War, Trine Day LLC, , 912 p. (ISBN 978-09777953-7-6), p. 424
- (en) « Note du projet ARTICHOKE - 22 janvier 1954 », DOC_0000140399 [PDF], sur cia.gov, déclassifiée le 1er septembre 1999
- Marks 1979, p. 137-139.
- (en) Nicolas M. Horrock, « C.I.A. Documents Tell of 1954 Project to Create Involuntary Assassins », The New York Times, (lire en ligne)
- Sénat des États-Unis 1977, p. 8-13.
- Lee et Shlain 1985, p. 218-219.
- (anglais) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Project ARTICHOKE » (voir la liste des auteurs).
Annexes
Bibliographie
- (en) Commission Rockefeller, Report to the President by the Commission On CIA Activities Within The United States, Gerald R. Ford Presidential Library, , 82 p. (lire en ligne [PDF])
- (en) Commission Church - Sénat des États-Unis, Ninety-Fourth Congress, Second Session, Book I : Foreign and Military Intelligence, Washington, U.S. Government Printing Office, , 659 p. (lire en ligne).
- (en) Sénat des États-Unis, Ninety-Fifth Congress, First Session, Project MKUltra, The CIA's Program of Research in Behavioral Modification : Joint Hearing before the Select Committee on Intelligence and the Subcommittee on Health and Scientific Research of Committee on Human Resources, U.S. Government Printing Office, , 178 p. (OCLC 608991132, lire en ligne [PDF]).
- (en) John D. Marks, The Search for the Manchurian Candidate : The CIA and Mind Control, Times Books, , 162 p. (ISBN 0-8129-0773-6).
- (en) Martin A. Lee, Bruce Shlain, Acid Dreams : The Complete Social History of LSD: The CIA, The Sixties, and Beyond, Grove Press, , 268 p. (ISBN 0-802-13062-3).
- (en) Alfred W. McCoy, A Question of Torture : CIA Interrogation, from the Cold War to the War on Terror, Metropolitan Books, , 290 p. (ISBN 0805080414).
Articles connexes
Liens externes
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