Pyrrhon d'Élis
Pyrrhon d'Élis (en grec ancien Πύρρων / Pýrrhôn) (vers 365–275 av. J.-C.) est un philosophe sceptique originaire d'Élis, ville provinciale du nord-ouest du Péloponnèse. Son activité philosophique se situe vers 320 av. J.-C., avec, pour disciples, Onésicrite, Philon d'Athènes et Timon de Phlionte (à ne pas confondre avec Timon d'Athènes), un brillant poète-philosophe qui vécut dans sa familiarité pendant vingt ans. Il est considéré par les sceptiques anciens comme le fondateur de ce que l'on a appelé le pyrrhonisme.
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Biographie
Sa vie est fort méconnue et les renseignements dont nous disposons ne s'accordent pas. Il est le fils de Plistarque[1] et fut élève de Bryson, fils de Stilpon. Vivant dans la pauvreté, il reçut une formation de peintre, mais il était un artiste médiocre[réf. souhaitée]. Il fut l'élève d'Euclide de Mégare, puis d'Anaxarque qu'il suivit en Inde dans la campagne d'Asie d'Alexandre le Grand, en 334 av. J.-C. Il y étudia avec les gymnosophistes (probablement des ascètes jaïns, qui respectent une doctrine de nécessaire pluralité de points de vue nommée « Anekantavada » qui a pu inspirer le scepticisme à venir, ou des ascètes shivaïtes, ces ordres religieux pratiquant une nudité liée au vœu de non-possession/aparigraha) ; et en Perse, où il fut instruit par les Mages. Ces informations ont longtemps été considérées comme douteuses et reflétant plutôt la formation « idéale » d'un philosophe, mais une étude récente a montré en comparant les textes l'identité des conceptions de sa philosophie avec celles du premier bouddhisme de l'époque de Gandhara [2].
À son retour à Élis, il mena une vie simple et régulière, indifférent et serein, avec sa sœur Philista en vendant des cochons de lait. Il aimait rester seul pour méditer. D'après Diogène Laërce, son égalité d'âme ne fut prise en défaut que deux fois : il s'enfuit devant un chien, et se mit en colère contre sa sœur.
On suppose qu'il était devenu agnostique et s'abstenait de donner son opinion sur tout sujet. Il niait qu'une chose fût bonne ou mauvaise, vraie ou fausse en soi. Il doutait de l'existence de toute chose, disait que nos actions étaient dictées par les habitudes et les conventions et n'admettait pas qu'une chose soit, en elle-même, plutôt ceci que cela. Son attitude semblait ainsi résignée et pessimiste ; il répétait souvent le vers d'Homère : « Les hommes sont semblables aux feuilles des arbres. »[réf. souhaitée]
Il est à ce titre considéré comme le créateur du scepticisme (ou plus exactement du pyrrhonisme), mais il ne semble pas avoir eu l'intention de créer un courant de pensée philosophique.
Pyrrhon n'a rien écrit, mais son disciple Timon de Phlionte, les sceptiques tardifs comme Énésidème, et surtout Sextus Empiricus, nous ont laissé des textes dans lesquels ils discutaient de la méthode pour parvenir à l'état d'incompréhension (acatalepsie) et au bonheur de ne savoir absolument rien, c'est-à-dire de n'avoir aucune certitude sur sa propre existence, celle d'autre chose, ou encore la possibilité d'une existence.
Enseignement supposé
Aristoclès, philosophe aristotélicien du IIe siècle, formule en ces termes la doctrine de Pyrrhon : « Pyrrhon d'Elis n'a laissé aucun écrit, mais Timon, son disciple, dit que celui qui veut être heureux doit considérer ces trois points. Premièrement, quelle est la véritable nature des choses (ou que sont les choses en elles-mêmes) ? Deuxièmement, quelle doit être notre disposition d'âme relativement à elles ? Enfin, que résultera-t-il pour nous de ces dispositions ? Les choses sont toutes sans différence entre elles, également incertaines et indiscernables. Aussi nos sensations et nos jugements ne nous apprennent-ils ni le vrai ni le faux. Par suite, nous ne devons nous fier ni aux sens ni à la raison, mais demeurer sans opinion, sans incliner ni d'un côté ni de l'autre, impassibles. Quelle que soit la chose dont il s'agisse, nous dirons qu'il faut l'affirmer et la nier à la fois, ou bien qu'il ne faut ni l'affirmer ni la nier. Si nous sommes dans ces dispositions, dit Timon, nous atteindrons d'abord l'aphasie - c'est-à-dire que nous n'affirmerons rien - puis l'ataraxie (c'est-à-dire que nous ne connaîtrons aucun trouble[3]. » L'enseignement de Pyrrhon suscita de nombreuses perplexités qui donnèrent lieu à des développements d'ordre méthodologique, résumés en plusieurs tropes(?) . Pyrrhon ne les connaissait peut-être pas : les sources ne permettent pas de décider sur ce point. Il en existe plusieurs séries ; deux séries de respectivement dix et huit tropes sur la relativité sont attribuées à Énésidème, et une série de cinq autres sur la certitude à Agrippa.
La notion de suspension du jugement (épochê) vient, semble-t-il, moins de Pyrrhon que de l'académicien Arcésilas de Pitane. Mais cette opinion de Victor Brochard en 1887 ne fait pas l'unanimité. Quant à savoir si la notion d'équipollence, égalité des opinions, vient de Pyrrhon, Photios[4] écrit : « Quant à celui qui philosophe selon Pyrrhon, il connaît entre autres félicités la sagesse de savoir avant tout qu'il n'est en possession d'aucune certitude ; et, pour ce qu'il connaîtrait, il n'est pas homme à le sanctionner par l'affirmation plutôt que par la négation. » On utilise l’adjectif “éphectique” pour désigner ce qui est relatif aux disciples de Pyrrhon, notamment la suspension du jugement.
Disciples
- Onésicrite
- Timon de Phlionte
- Euryloque
- Philon d'Athènes
- Hécatée d'Abdère
- Nausiphane de Téos
- Numénios d'Apamée (douteux, peut-être contemporain d'Énésidème)
Soutiens et détracteurs
Le philosophe Épicure, qui l'admirait de loin, était toujours curieux de connaître ce que Pyrrhon venait de dire ou de faire. Quant aux Éléens, ils étaient tellement fiers de Pyrrhon qu'ils le couvraient d'honneurs. Il était très estimé de ses concitoyens et fut nommé grand prêtre. Il fut aussi fait citoyen d'honneur d'Athènes.
Sa doctrine eut cependant des opposants. La légende, peut-être une caricature forgée par ses détracteurs, le décrit de la façon suivante : « Sa conduite était d’accord avec sa doctrine : il ne se détournait, ne se dérangeait pour rien ; il suivait sa route quelque chose qui se rencontrât, chariots, précipices, chiens, etc. ; car il n’accordait aucune confiance aux sens. Heureusement, dit Antigonus de Caryste, ses amis l’accompagnaient partout et l’arrachaient au danger[5],[6]. » Se référant à ce passage, Victor Brochard rapporte ainsi la façon dont on voit le plus souvent Pyrrhon dans l'imaginaire collectif : « Pyrrhon lui-même a souvent été présenté comme une sorte de sophiste, par exemple dans la légende qui nous le montre si incertain de l’existence des choses sensibles qu’il s’en va se heurter contre les arbres et les rochers, et que ses amis sont obligés de l’accompagner pour veiller sur lui[7]. » Énésidème nie cette légende[8], sans qu'il soit possible de trancher d'un point de vue historique.
Bibliographie
- Chapitre sur Pyrrhon, Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres
- Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres [détail des éditions] (lire en ligne) (livre IX)
- Jean-Paul Dumont, Les Sceptiques grecs, Textes choisis, PUF, 3e éd., 1996.
- Anthony A. Long et David N. Sedley, Les Philosophes hellénistiques (1986), t. I : Pyrrhon, l'épicurisme, trad., Garnier-Flammarion, 1997.
- Richard Bett, Pyrrho, His Antecedents and his Legacy, Oxford University Press, 2003.
- Victor Brochard, Les Sceptiques grecs, Livre de Poche, 2002.
- Marcel Conche, Pyrrhon ou l'apparence, PUF, 1994.
- Christopher I. Beckwith, Greek Buddha, Pyrrho's Encounter with Early Buddhism in Central Asia, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2015 (ISBN 978-0-691-16644-5)
- Jean-Paul Dumont, Le scepticisme et le phénomène, Essai sur la signification et les origines du pyrrhonisme, Vrin, 2e éd. 1985.
- Léon Robin, Pyrrhon et le scepticisme grec, Paris, PUF, , 258 p. (lire en ligne)
- Patrick Carré, "Pyrrhon : Abolir tous les étants", Magazine Littéraire no 394 - janvier 2001, p. 25-27.
Œuvres de fiction
Le roman Yavana (Phébus, 1991) de Patrick Carré, qui prend pour trame le périple de Pyrrhon en Asie avec l'armée d'Alexandre, et son retour dans sa patrie d'Élis, est une fresque historique et philosophique imaginant l'une des premières rencontres entre la pensée grecque et les spiritualités d'Inde (bouddhisme, hindouisme) ou d'Asie centrale (zoroastrisme).
Dans Nous n'irons plus au Luxembourg de Gabriel Matzneff (1972), le protagoniste Alphonse Dulaurier est un professeur de lettres retraité qui se définit comme pyrrhonien.
Dans Le Mariage forcé (1664), Molière présente le portrait burlesque d'un philosophe pyrrhonien (scène 5).
Notes et références
- Ou, selon Pausanias (IV, 24, 4), de Pistocrate.
- Christopher I. Beckwith, Greek Buddha, Pyrrho's Encounter with Early Buddhism in Central Asia, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2015.
- Marcel Conche, Pyrrhon ou l'apparence, Presses Universitaires de France, , 328 p.
- Bibliothèque, 116, 169 b 27
- Diogène Laërce, IX, 11, trad. Charles Zévort, Paris, Charpentier, 1847, Tome 2, p. 222.
- Diogene de Laerte Livre IX, chapitre XI Pyrrhon
- Les Sceptiques grecs, I, 3, Paris, Impr. nationale, 1887, p. 65.
- D'après Diogène Laërce, immédiatement après qu'il a mentionné l'anecdote.
Liens externes
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- WorldCat
- [PDF] Georgios T. Halkias, "When the Greeks Converted the Buddha: Asymmetrical Transfers of Knowledge", in: Indo-Greek Cultures Religions and Trade: Religious Formation, Transformation and Cross-Cultural Exchange between East and West, 2014.
- τον Μέγα Αλέξανδρο στον Βούδα - ασύμμετρες επιδράσεις Βουδισμού και Ελληνικού Πολιτισμού στην Κεντρική Ασία Georgios T. Halkias, "D'Alexandre le Grand au Bouddha, relations asymétriques entre le bouddhisme et l'hellénisme en Asie centrale".
Voir aussi
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