Saints de glace

Les saints de glace sont une période climatologique située, selon les observations populaires européennes du Haut Moyen Âge, autour des dates des fêtes de saint Mamert, saint Pancrace et saint Servais, traditionnellement célébrées les 11, 12 et 13 mai de chaque année.

Ne doit pas être confondu avec Les Seins de glace.

Ces saints étaient invoqués par les agriculteurs et jardiniers pour anticiper l'effet d'une baisse de la température sur les cultures, qui pouvait être observée en cette période et qui provoquait le gel (phénomène de la lune rousse). Une fois cette période passée, le gel ne devait plus être craint.

Statistiquement, le gel survient très rarement lors des saints de glace[1], les températures minimales lors de cette période sont contrastées d'une année sur l'autre. Par ailleurs, des gelées en plaine ne sont pas impossibles après les saints de glace[2]. Bien que pas toujours vérifiée, la tradition millénaire a pris le pas et certains jardiniers actuels attendent généralement la mi-mai pour planter en extérieur les plantes gélives (tomates, courgettes, etc.).

Cependant, ces dernières remarques doivent être nuancées, car il faut tenir compte de l'évolution du climat en Europe, qui a peut-être influencé les observations et coutumes populaires. Des périodes de froid intense durant le VIe siècle ont été identifiées en Europe et constatées aussi dans le reste du monde, sans qu'il soit possible de relier ce phénomène à l'apparition des dictons autour des saints de glace.

Liste des saints de glace

Les trois principaux saints de glace sont[3] :

À ces trois premiers saints, les régions plus froides (pour les zones les plus froides des Ardennes, de la Normandie intérieure, des Hauts de France, du Centre, de l'Allier, des gelées en plaine ont pu être observées jusqu'au début juin) ajoutent également :

  • Saint Boniface, traditionnellement célébré le 14 mai, cité dans le dicton : « Le bon saint Boniface entre en brisant la glace » (dans les régions méridionales, il remplace aussi saint Mamert, le premier des trois principaux saints de glace) ;
  • Sainte Sophie, martyre suppliciée à Rome vers 137, nommée Kalte Sophia la froide Sophie »), en Alsace, Moselle et en Allemagne, où elle est célébrée le 15 mai, et où les Eisheilige, les saints de glace sont au nombre de cinq, fêtés du au inclus ;
  • Saint Yves, célébré le 19 mai, considéré comme le dernier saint de glace en Bretagne, cité dans le dicton : « Craignez le petit Yvonnet. C'est le pire de tous quand il s'y met » ;
  • Saint Bernardin célébré le 20 mai, cité dans le dicton : « S’il gèle à la Saint-Bernardin, adieu le vin »[4] ;
  • Saint Urbain, autrefois célébré le 25 mai.

Dans certaines régions plus méridionales comme la Ligurie en Italie du Nord, les saints de glace sont San Pancrazio (saint Pancrace), San Servazio (saint Servais) et San Bonifazio (saint Boniface), célébrés les 12, 13 et [5].

La plupart des calendriers mentionnent actuellement d'autres saints à célébrer ou à invoquer les 11, 12 et  : Estelle, Achille et Rolande. Cependant, des dizaines de saints différents ont leur fête chaque jour : il faut bien que les calendriers fassent un choix, et ils éliminent en général les noms un peu désuets au profit de noms plus fréquents (les trois saints Estelle, Achille et Rolande correspondent à des prénoms populaires dans les années 1960).

Signification

Plutôt qu'une période de refroidissement, les saints de glace soulignent la dernière période de l'année où le refroidissement nocturne (souvent par nuit de rayonnement avec un ciel clair) est suffisant pour générer des gelées en plaine (ce qui est plus tardif en altitude).

Les saints de glace doivent se comprendre comme la dernière période où des gelées peuvent se produire, si les circonstances s'y prêtent, et non comme la période de l'année favorable aux situations donnant lieu aux dernières gelées[6]. La date des gelées les plus tardives, si elles arrivent, ne dépasse généralement pas cette période en plaine.

Saints cavaliers

Dans les régions plus méridionales, les dernières gelées printanières ont lieu en avril, d'où les dictons d'autres saints météorologiques appelés déjà par Rabelais « saints gresleurs, geleurs et gasteurs de bourgeons ».

Dans le Midi de la France, on invoque les « saints cavaliers[7] » ou « saints chevaliers » : saint Georges (23 avril), saint Marc (25 avril), saint Eutrope (30 avril), saint Philippe ou fête de la Sainte Croix (3 mai) et saint Jean Porte latine (6 mai). Leurs noms ont des diminutifs en langue d'Oc : Jorget, Marquet, Tropet, Philippet, Crozet et Joanet. Le dicton « Marquet, Georget et Philippet sont trois casseurs de gobelets » signifie que la grêle ces jours-là est néfaste pour la vigne, donc aux gobelets de vin. Gobelets se rapporterait plutôt ici à une façon de tailler les pieds de vigne. À Béziers, on craint plus particulièrement saint Georges (23 avril), saint Marc (25 avril) et saint Aphrodise (28 avril). Un dicton concerne deux d'entre eux : « Saint Georges et saint Marc sont réputés saints grêleurs ou saints vendangeurs ». Dans les Landes, Marc, Vital (28 avril) et la Sainte Croix sont appelés « les trois marchands de vin » car leurs fêtes correspondent à une période critique pour la vigne. Dans le Gard, les quatre cavaliers (correspondant au dicton dialectal « Jorget, Marquet, Croset e Tropet son de maissants garçonets ») sont souvent confondus avec les saints de glace.

La période des saints cavaliers s'étend généralement du 23 avril au 6 mai, alors que la lune rousse se produit généralement du 5 avril au 6 mai.

Décalage du calendrier

Le passage, en 1582, du calendrier julien au calendrier grégorien a provoqué un décalage de dix jours. Or, la légende des saints de glace remontant probablement au début du deuxième millénaire, voire à la fin du premier, les 11, 12 et du calendrier julien correspondraient à une saisonnalité placée aux 21, 22 et de notre calendrier grégorien. En France, lors du passage au calendrier grégorien, en se couchant le les gens se sont ensuite réveillés le .

Croyances populaires et astronomie

Une explication populaire[réf. souhaitée] tente de justifier la tradition des saints de glace par un phénomène astronomique coïncidant à cette période de l'année soit les 12 et . Les tenants de cette explication argüent du fait que l'orbite de la Terre serait amenée à traverser un nuage de poussières extrêmement diffuses dans le système solaire, nuage formé aussi bien par des « particules piégées » que par des « résidus provenant de la formation des planètes à l'aube de leur existence ». Pendant quelques heures, la poussière ferait très légèrement obstacle au rayonnement solaire. La diminution de l'intensité de celui-ci serait inobservable sans instruments de mesure extrêmement sensibles, mais suffisante pour influer sur les délicats mécanismes de la météorologie de notre globe. La Terre traverserait à nouveau un nuage de poussière six mois plus tard, le , avec l'effet inverse. Une diffusion du rayonnement solaire sur la Terre en plus du rayonnement direct entraînerait « l’été de la Saint-Denis » (9 octobre) ou « été de la Saint-Martin » (11 novembre), appelé aussi l'été indien sur le continent américain.

Cette explication est infirmée par le fait que les astronomes ne confirment l'existence d'aucun nuage de poussière de ce type sur la trajectoire de la Terre. De plus, s'il en existait un, il ne serait pas détectable, et ce même avec des instruments très sensibles. Seuls des miroirs de télescopes spatiaux (et les instruments de la station spatiale internationale) seraient pollués par ces poussières, ce qui n'est pas non plus le cas. Même le reliquat de queue d'une ancienne comète ayant autrefois croisé la trajectoire de la Terre[Note 1] serait insuffisant pour faire baisser la température de l'atmosphère[Note 2]. Cela invalide donc totalement cette supposition, de même que l'absence de pollution des miroirs des instruments spatiaux cités ci-dessus. Par ailleurs, une planète (en l'occurrence la Terre) ne pourrait pas traverser un tel nuage deux fois par an, à plus à six mois d'intervalle, avec des effets contraires de surcroît.

Enfin, un phénomène astronomique se produisant sur l'orbite terrestre serait un phénomène mondial, alors que les dictons (voir ci-après) ont une existence très locale.

Explication météorologique

Le mois de mai correspond, dans les latitudes moyennes de l'hémisphère nord et notamment en Europe de l'Ouest (où les turbulences sont importantes en raison du courant de l'Atlantique Nord et des déplacements plus ou moins erratiques de l'anticyclone des Açores), à la fin de la circulation rapide des systèmes météorologiques d'hiver. Le passage de fronts froids, amenant de l'air du nord, se produit donc encore de temps à autre. Quand le ciel se dégage ensuite sous l'effet d'un anticyclone, la perte de chaleur est encore importante, surtout la nuit. Il est donc normal d'avoir des périodes froides à cette époque même si la tendance est à la hausse des températures.

Ce phénomène est à rapprocher de celui de la lune rousse.

Les archives de Météo-France entre 2006 et 2020 montrent que le gel aux saints de glace ne s'est produit que rarement[8].

Le sujet des saints de glace a tout de même quelque utilité pour les jardiniers et agriculteurs : cette seconde quinzaine de mai, où se produisent les dernières nuits froides de la fin d'hiver, reste un point de repère pour se rappeler quand se termine[9] la période climatologique de gel.

Dictons

La popularité de ces saints de glace est encore vivace, comme l’ attestent les nombreux dictons qui leur sont consacrés.

  • « Saints Mamert, Pancrace et Servais sont toujours des saints de glace » ;
  • « Les trois saints au sang de navet, Pancrace, Mamert et Servais, sont bien nommés les saints de glace, Mamert, Servais et Pancrace » ;
  • « Attention, le premier des saints de glace, souvent tu en gardes la trace » ;
  • « Saints Pancrace, Servais et Boniface apportent souvent la glace » ;
  • « Avant Saint-Servais, point d'été ; après Saint-Servais, plus de gelée » ;
  • « Quand il pleut à la Saint-Servais, pour le blé, signe mauvais » ;
  • « Saint-Servais quand il est beau, tire Saint-Médard (8 juin) de l'eau » ;
  • « Quand la Saint-Urbain est passée, le vigneron est rassuré »[10],[Note 3] ;
  • « À la Saint-Urbain, la fleur au grain »
  • « Gelée le soir de Saint-Urbain, anéantit fruits, pain, vin »[11] ;
  • « Le soleil de saint Urbain amène une année de grand bien »[11] ;
  • « À la Saint-Urbain s'il fait beau, on le porte en procession. S'il gèle, les vignerons fâchés le jettent le cul dans les orties »[12] ;
  • « Erbinet (ou Urbinet), le pire de tous quand il s'y met, car il casse le robinet »
  • « S'il pleut à la Saint-Urbain, c'est quarante jours de pluie en chemin »[11] ;
  • « Mamert, Pancrace, Servais sont les trois saints de Glace, mais Saint-Urbain les tient tous dans sa main »[11] ;
  • « À la Saint-Georges sème ton orge, à la Saint-Marc c'est trop tard » ;
  • « Saint-Servais, Saint-Pancrace et Saint-Mamert font à trois un petit hiver »[13] ;
  • « Marquet, Georget et Philippet sont trois casseurs de gobelets »
  • « Geourgeot, Marquot, Philippot, Crousot et Jeannot sont cinq malins gaichenots [garçonnets] qui cassent souvent nos goubelots [gobelets] » ;
  • « Aux Saints Glace, celui qui porte la barbe ne la rase pas pendant trois jours » ;
  • « Méfie-toi des saints de glace ! »[14].

Notes et références

Notes
  1. Précision utile parce que justement c'est le cas à quelques jours près, la toute petite comète 209P/Linear (en) ayant entre 1803 et 1924 croisé la trajectoire de la Terre au point correspondant au 24 mai de l'actuel calendrier grégorien, ce qui ne peut manquer de nourrir les certitudes de l'homme de la rue.
  2. Il faudrait pour cela qu'une telle queue de comète soit extrêmement dense au point d'obscurcir de façon substantielle le rayonnement solaire reçu par la Terre, ce qui ne pourrait éventuellement se produire que lors du passage de ladite comète, donc une seule fois et non chaque année.
  3. Auparavant fêté le 5 mai, il est aujourd'hui fêté le 19 décembre.
Références
  1. Vidéo de la chaîne météo : Les saints de glace.
  2. « Fraîcheur aux Saints de glace ? », sur meteofrance.fr, .
  3. Émile Littré (1801-1881), Dictionnaire de la langue française, t. 4, Paris, Lib. Hachette, , 2628 p., grand in-4° (BNF 12250808, présentation en ligne, lire en ligne), p. 1804.
  4. Anne-Christine Beauviala, Météo et dictons régionaux, Éd. Christine Bonneton, 2010.
  5. Il Bugiardino 2013, lunario rurale e popolare delle terre liguri - Gencelebrér.
  6. « Les Saints de Glace ? Légende ou réalité ? », sur meteobelgique.be (consulté le ).
  7. Charles Galtier, Météorologie populaire dans la France ancienne, Editions Horvath, , 238 p. (ISBN 2-7171-0305-8, présentation en ligne), p. 114.
  8. « De la fraîcheur aux Saints de glace … pas toujours ! », sur meteofrance.fr (consulté le )
  9. Stéphane Marie, émission Silence, ça pousse !, 14 mai 2011.
  10. Saints et dictons du jour.
  11. Gabrielle Cosson, Dictionnaire des dictons des terroirs de France, Paris, Larousse, , 380 p. (ISBN 978-2-03-585301-1, présentation en ligne), p. 219 et 354.
  12. Société d'archéologie lorraine et du Musée historique lorrain, Le Pays lorrain, Volume 18, 1926, p. 158.
  13. « Qui sont les Saints de glace ? », sur Météo France.
  14. « Les Saints de Glace », sur JeRetiens.

Voir aussi

Articles connexes

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