Samory Touré
L'Almamy Samory Touré (ou Samori Touré), né vers 1830 à Miniambaladougou, dans l'actuelle Guinée, tombé à Guélémou, actuelle Côte d'Ivoire, et décédé le à Ndjolé, actuel Gabon, est le fondateur de l'empire Wassoulou, un empire éphémère qui s'étendait de Siguiri et des régions méridionales de l'actuel Mali jusqu'aux régions forestières de Moyenne Guinée, autour des deux de ses grandes capitales : Kankan et Bissandougou (Guinée actuelle)[1]. Celui-ci s'effondra en 1898[2].
Pour les articles homonymes, voir Touré.
Samory Touré | |
Samory Touré, le Coran entre les mains | |
Titre | |
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Empereur du Wassoulou | |
– | |
Biographie | |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Miniambaladougou (actuelle Guinée) |
Date de décès | |
Lieu de décès | Ndjolé (actuel Gabon, AEF) |
Nationalité | Wassoulou |
Père | Lanfia Touré |
Mère | Massona Camara |
Fratrie | Keme Brema, Lancei |
Enfants | Djaoulé Kramo, Sarankémory, etc.... |
Entourage | Morifindjan |
Profession | Almamy |
Religion | Islam |
Luttant militairement contre la pénétration française et britannique en Afrique occidentale pendant près de vingt ans, Samory Touré, quoique largement méconnu, est considéré comme le dernier grand chef noir indépendant de l'Afrique de l'Ouest[3] et l’un des plus grands résistants africains à la pénétration coloniale, à la fin du XIXe siècle[4]. Son arrestation marque l'achèvement de la conquête de l'Afrique de l'Ouest[3].
Premières années
Né vers 1830 à Miniambaladougou (actuellement au sud-est de la Guinée), ce fils de marchand dioula (Koniankés) grandit dans une Afrique de l’Ouest en pleine mutation du fait du nombre croissant de contacts avec les européens. Le commerce avec l’Europe avait rendu riches certains États africains, pendant qu’une utilisation croissante des armes à feu modifie la guerre traditionnelle. Ses parents avaient abjuré l’islam pour se convertir au paganisme.
En 1848, la mère de Samory, Sokhona Camara, est capturée au cours d'un raid mené par Sory Bourama[5], du clan Cissé, et réduite en esclavage. Ne disposant pas de l'argent nécessaire pour la racheter, il doit, pour obtenir la libération à terme de sa mère, se mettre au service des Cissé auprès desquels il apprend le maniement des armes. D'après la tradition, il reste à leur service « sept ans, sept mois, sept jours ».
Libéré aussi de son serment au roi Ibrahima, il ne rentre toutefois pas chez lui et devient le chef des armées d’un autre seigneur, le roi du Toron, Bitiké-Souané[5]. Il s'engage pour deux ans dans l'armée de Saransware-Mori, faama (dirigeant militaire) des Bérété, ennemis des Cissé, avant de rejoindre son propre peuple, les Camara. Nommé kélétigui (chef de guerre) à Dyala en 1861, Samory prononce le serment de protéger son peuple contre les Bérété et les Cissé. Il crée une armée professionnelle et nomme ses proches, notamment ses frères et des amis d'enfance, à des postes de commandement.
Construction d'un empire (avant 1881)
En 1864, El Hadj Umar Tall, le fondateur d'un empire en pleine expansion qui domine alors la région du Haut Niger, l'Empire toucouleur, meurt. Son empire se désagrège.
En 1867, Samory est un chef de guerre à part entière, possédant sa propre armée regroupée à Sanankoro dans les hautes-terres guinéennes, sur les bords du Haut-Milo, un affluent du fleuve Niger. C'est à cette époque qu'il se convertit à l'islam et prend entre 1873 et 1874 le titre d’almami, guide religieux[5]. Il décrit son État comme un « État guerrier et marchand » dont les marchandises sont souvent des esclaves des tribus conquises.
Samory Touré noue des partenariats commerciaux qui lui permettent d'obtenir des fusils en nombre suffisants et des chevaux, lui donnant un avantage déterminant sur les petits royaumes voisins[5]. En 1876, Samory importe ainsi des fusils à chargement par la culasse par l'intermédiaire de la colonie britannique de la Sierra Leone. À la tête de son armée, composée essentiellement de fantassins armés d'un sabre, d'un poignard et d'un fusil, il s'empare du district de Buré dans la région de Siguiri, riche en or (actuellement à cheval sur la frontière entre la Guinée et le Mali), en vue de renforcer ses finances. En 1878, il est assez puissant pour s'autoproclamer faama (« dirigeant militaire ») de son propre empire Wassoulou. Il fait de Bissandougou sa capitale et entame des échanges commerciaux et diplomatiques avec l'empire toucouleur voisin et déclinant.
En 1881, Samory est capable de sécuriser son emprise sur Kankan (actuelle Guinée), ville clé du commerce dioula, située au bord du Haut-Milo. Kankan est alors un centre du commerce de la noix de kola, stratégiquement positionné pour contrôler les routes de commerce avoisinantes. Le Wassoulou s'étend en Guinée et au Mali, depuis l'actuel Sierra Leone jusqu'au nord de la Côte d'Ivoire et Bobo-Dioulasso au Burkina Faso.
Pendant que Samory conquiert les nombreux petits États tribaux qui l'entourent, il manœuvre aussi sur le plan diplomatique. Il engage des relations régulières avec les Britanniques en Sierra Leone et tisse des liens prometteurs avec l'imamat du Fouta-Djalon.
L’armée de Samory Touré est remarquable car, au cours de la deuxième moitié du Modèle:S-XIX, elle passe d'un modèle féodal à un modèle moderne s'inspirant des standards européens sous l'impulsion de son chef[5].
Résistance à la colonisation française (1881-1893)
À la fin des années 1870, les Français commencent leur expansion en Afrique de l'Ouest, à partir de l'est du Sénégal, avec pour but d'atteindre le haut Nil dans le Soudan actuel. Ils cherchent aussi à progresser vers le sud-est pour atteindre leurs bases en Côte d'Ivoire. Ces mouvements les conduisent à un affrontement direct avec Samory Touré, mais aussi car les populations animistes de Côte d'Ivoire refusent les quotas de captifs et l'Islam imposé par Samory.
En , une expédition française attaque une des armées de Samory qui assiège Keniera. Samory réussit à repousser les Français.
Samory essaye de neutraliser les Français par plusieurs moyens. Premièrement, il étend sa domination vers le sud pour sécuriser une ligne de communication avec le Liberia. Quand une expédition menée par le gouverneur colonial français du Soudan, Antoine Combes, tente en 1885 de prendre possession des mines d'or de Buré, Samory contre-attaque. Divisant son armée en trois colonnes mobiles, il réussit à menacer gravement les lignes de communication françaises obligeant ses adversaires à se replier.
Cependant, le combat avec l'armée française tournant à son désavantage, Samory préfère négocier. Le , il signe avec les Français un traité de paix et de commerce qui reconnaît, sur la rive gauche du Niger, une importante zone d'influence française.
Reprise de la guerre
En 1887, Samory Touré peut compter sur une armée disciplinée comprenant de 30 000 à 35 000 fantassins, organisés sur le modèle européen en pelotons et compagnies, et 3 000 cavaliers, répartis en escadrons de cinquante hommes chacun. Cependant, les Français sont déterminés à ne pas laisser Samory consolider ses positions. En exploitant la rébellion de plusieurs tribus animistes soumises par Samory[réf. nécessaire], ils continuent de s'étendre aux dépens des régions ouest de l'Empire, forçant Samory à signer des traités par lesquels il leur cède ces territoires entre 1886 et 1889 (traité de Bissandougou, traité de Niakha).
En mars 1891, une expédition française sous le commandement du colonel Archinard lance une attaque directe sur Kankan. Sachant que les fortifications de la ville ne pourraient pas résister à l'artillerie française, Samory engage une guerre de mouvement. En dépit des victoires qu'il remporte contre des colonnes françaises isolées (Dabadougou en septembre 1891, Samory échoue à chasser les Français du cœur de son royaume.
En juin 1892, le successeur du colonel Archinard, le colonel Humbert, menant une petite force bien équipée de soldats triés sur le volet, capture Bissandougou, la capitale du Wassoulou. Un autre coup dur pour Samory Touré est l'arrêt des ventes d'armes par les Britanniques, soucieux de respecter la convention de Bruxelles de 1890, la restriction des ventes d'armes étant, selon cette convention, nécessaire à l'éradication de l'esclavage des populations africaines.
Années de sursis et défaite
Évitant un combat qui lui aurait été fatal, il mène une politique de la terre brûlée, dévastant chaque parcelle de terrain qu'il évacue. Bien que cette tactique le coupe de sa nouvelle source d'approvisionnement en armes, le Liberia, il réussit tout de même à retarder la poursuite française.
Devant la supériorité matérielle de ses ennemis, Samory s'éloigne dans l'hinterland de la Côte d'Ivoire et se replie vers l'est, vers les fleuves Bandama puis Comoé[6]. Dès lors, sa présence est ignorée par l'armée française, dans la mesure où le nouvel établissement de Samory ne constitue plus un objectif stratégique de la politique coloniale française.
L'affrontement est relancé par l'attaque opérée par un des fils de Samory Touré contre un bataillon français, qui est anéanti. Cette action déclenche une campagne française de représailles au printemps/été 1898. Il est capturé au petit matin du à Guélémou (actuelle Côte d'Ivoire) par surprise, sans un coup de feu, par la petite colonne de deux cent tirailleurs placée sous le commandement du capitaine Gouraud[3] qui surgit dans son camp. Ses principaux fils et toute sa maison sont faits prisonniers. Les chefs, marabouts et les quelque 1 800 sofas (guerriers) qui constituent les restes de son armée déposent leurs armes[7].
Exilé au Gabon. Samory Touré y meurt en captivité le des suites d'une pneumonie.
Postérité
Le premier président de la Guinée, Ahmed Sékou Touré, se prétendra petit-fils de Samory pour appuyer son programme anti-colonial[1]. Samory Touré deviendra ainsi une figure du panafricanisme contre la menace (néo)coloniale occidentale[1].
De façon générale, Samory Touré fut sans doute l'adversaire le plus redoutable que les Français eurent à affronter en Afrique de l'Ouest. C'est pourquoi il apparaît, dans l'historiographie nationaliste post-coloniale, en figure de héros de la résistance africaine à l'expansion coloniale.
Œuvres
- Sidi Ahmed Cheik Ndao, Le fils de l’Almamy, collection "Théâtre africain", n°20, P.J. Oswald, 1973[9].
- Bernard Zadi Zaourou, Les Sofas, collection "Théâtre africain", n°26, P. J. Oswald, 1975.
- La pièce de théâtre de Massa Makan Diabaté Une hyène à jeun (1988) est inspirée de la signature du traité de Kéniéba-Koura par Samory Touré en 1886, qui cédait la rive gauche du Niger à la France.
- La pièce du dramaturge burkinabè Lampolo Koné, Soma Oulé, traite de Samory Touré[10].
- Le peintre français Pierre Castagnez, établi à Dakar, a réalisé un portrait de lui, conservé au musée des Arts d'Afrique et d'Océanie à Paris (au Musée du quai Branly depuis 2003.)
- Le groupe guinéen Bembeya Jazz National commémora Samory Touré dans l'album Regard sur le passé sorti en 1969. L'album loue la résistance anti-coloniale de Touré et ce début de construction nationale pour la Guinée.
- Le chanteur ivoirien de reggae Alpha Blondy composa le titre Bory Samory (publié en 1984 sur Cocody Rock) en mémoire de Samory Touré.
Notes et références
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Samori Ture » (voir la liste des auteurs).
- Vincent Hiribarren, « Samori : de l'histoire au mythe », sur Libération, (consulté le ).
- Paul E. Lovejoy, « Les empires djihadistes de l’Ouest africain aux XVIIIe-XIXe siècles », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 128, (lire en ligne, consulté le ).
- D'Andurain Julie, La xapture de Samory (1898), SOTECA, .
- Vincent Hiribarren, « Samori : de l'histoire au mythe », sur Libération, (consulté le ).
- « Quand les empires se faisaient et se défaisaient en Afrique de l’Ouest : Le cas Samory Touré. », sur La Revue d'Histoire Militaire, (consulté le ).
- Jean-Pierre Bat, « Une révolution Dyula : Person, historien de Samori », sur Libération, (consulté le ).
- Dominique Guillemin, « Julie d’Andurain, La capture de Samory (1898).L’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest. Éditions SOTECA, 2012, 209 pages », Revue historique des armées, no 271, , p. 134 (ISSN 0035-3299, lire en ligne, consulté le ).
- Alhassane Bah, « Camp Samory: le service de santé des armées reçoit d’importants matériels médicaux », sur Guinéenews©, (consulté le ).
- Georges Perpes, « Le fils de l'Almamy de Sidi Ahmed Cheik Ndao », sur Pierre-Jean Oswald, éditeur de théâtre (1967-1977)
- Sissao, Alain, « Sanou, Salaka. – La littérature burkinabè : l’histoire, les hommes,... », sur revues.org, Cahiers d’études africaines, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, (ISBN 978-2-7132-1810-1, ISSN 0008-0055, consulté le ), p. 685–690.
Annexes
Bibliographie
- J. F. A. Ajayi (dir.), L’Afrique au XIXe siècle jusque vers les années 1880, vol. VI de Histoire générale de l'Afrique, UNESCO, Paris, 2011 (rééd.) (ISBN 978-92-3-201712-3)
- A. A. Boahen (dir.), L'Afrique sous domination coloniale 1880-1935, vol. VII de Histoire générale de l'Afrique, UNESCO, Paris, 2011 (rééd.) (ISBN 978-92-3-201713-0)
- (en) A. Adu Boahen, African perspectives on colonialism, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1989 (1987), 133 p. (ISBN 0801839319)
- Julie d'Andurain, La capture de Samory, 1898 : l'achèvement de la conquête de l'Afrique de l'Ouest, Soteca, Saint-Cloud, 2012, 208 p. (ISBN 978-2-9163-8545-7)
- Ibrahima Khalil Fofana, L'almami Samori Touré, empereur : récit historique, Présence africaine, Paris, Dakar, 1998, 133 p. (ISBN 2-7087-0678-0)
- (en) L.H. Gann and Peter Duignan (dir.), Colonialism in Africa, 1870-1960, vol. 1, The history and politics of colonialism, 1870-1914, Cambridge University Press, Cambridge, 1969, 532 p. (ISBN 0521073731)
- (en) Bethwell Allan Ogot (dir.), Africa from the sixteenth to the eighteenth century, UNESCO, Paris ; J. Currey, Oxford, 1999, 491 p. (ISBN 0852550952)
- (en) Roland Oliver et G. N. Anderson (dir.), The Cambridge History of Africa, vol. 6, From 1870 to 1905, Cambridge University Press, Cambridge, 1985, 956 p. (ISBN 0521228034)
- Yves Person, Samori : une révolution dyula, Université de Paris, 1970, 1271 p., thèse de lettres publiée en 3 volumes par l'Institut fondamental d'Afrique noire, Dakar, 1968, et complétée par un 4e volume, Cartes historiques de l'Afrique Manding (Fin du XIXe siècle), Centre de recherches africaines, Paris, 1990
- Jean Suret-Canale, « L'almamy Samory Touré », in Recherches africaines – Études guinéennes, 1959, nos 1-4, p. 18-22
- Andurain J. (d’), La capture de Samory, 1898 : l’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest, Soteca, Saint-Cloud, 2012, 208 pages
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