Sanukitoïde
Les sanukitoïdes ou roches de la suite sanukitoïde sont des séries de roches plutoniques calco-alcalines méta-alumineuses, riches en magnésium, de chimie intermédiaire à felsique (pôle diorite à granite), donnant comme volcanites des adakites pauvres en silice — de type LSA (Low Silica Adakite) —, appelées localement au Japon "sanukites" ou "setouchites".
Ces sanukitoïdes dérivent :
- dans un contexte de sagduction à l'Archéen et Hadéen, de la fusion des komatiites (roches volcaniques ultramafiques issues du manteau primitif possédant une chimie particulière, différente de celle des roches mantelliques d'aujourd'hui), avec contamination crustale (de type "TTG").
- dans un contexte géodynamique de marge convergente :
- de la fusion partielle d'une croûte océanique subductée (origine mafique et ultramafique), avec contamination crustale ;
- lorsque plusieurs phases de fusion partielle se produisent, on obtient un type particulier, appauvri en éléments traces incompatibles. La volcanite issue de ce type est une variété d'adakite appelée boninite.
La plupart des sanukitoïdes se sont mises en place à la transition Archéen-Protérozoïque[1].
Définition et localité-type
En 1984, Shirey et Hanson ont décrit de nouveaux types de roches archéennes plutoniques (diorites et granodiorites) et volcaniques (trachyandésites et rhyodacites) à Rainy Lake, au Canada[2]. Ces roches n'étaient géochimiquement pas attribuables à leurs « voisins pétrologiques » (voisins dans le diagramme de Streckeisen[à vérifier]), les roches de la série "TTG", dont la composition en oxydes majeurs évoquait des sanukites (ou setouchites)[3] : des andésites magnésiennes de volcanisme d'arc, datant du Miocène, de la péninsule de Setouchi au sud du Japon[2].
Une sanukite est une andésite caractérisée par l'orthopyroxène comme minéral mafique, l'albite comme plagioclase et une matrice vitreuse. Les roches formées par des processus similaires à ceux de la sanukite peuvent avoir des compositions en dehors du champ sanukitoïde.
Ces roches sont appelés « sanukitoïdes » en raison de leur similitude dans la composition chimique générale se différenciant notamment par le caractère plutonique. Ce terme était à l'origine utilisé pour définir une variété de roches plutoniques archéennes, mais inclut désormais également des roches plus jeunes ayant des caractéristiques géochimiques similaires[4], [5],[6],[7].
Géochimie et typologies
Généralités géochimiques et classification
Le terme a été initialement défini par Stern et al. (1989)[6] pour désigner des roches plutoniques contenant entre 55 et 60 % en poids de SiO2, avec les caractéristiques géochimiques suivantes : Mg# > 0,6[note 1], Ni > 100 ppm, Cr > 200 ppm, K2O > 1 % pds, MgO > 6 % pds, Rb/Sr < 0,1 ; Ba > 500 ppm, Sr > 500 ppm[2], et un enrichissement en terres rares légères relativement aux terres rares lourdes[à vérifier], avec peu ou pas d'anomalie[8] en Eu. La suite sanukitoïde correspond donc à une série magmatique cogénétique de roches sanukitoïdes qui se sont enrichies en silice (jusqu’à 73 % pds SiO2) par cristallisation fractionnée[2]. Les sanukitoïdes et la suite sanukitoïde constituent la série sanukitoïde comprenant l'éventail complet des typologies[2] :
Élément
de classification |
Sanukitoïdes s.s. | Suite sanukitoïde | Série sanukitoïde |
---|---|---|---|
(Stern et al., 1989) | (Stern, 1989) | (Heilimo et al., 2010) | |
SiO2 | 55–60 % | 55–73 % | 50–70 % |
K2O | > 1 % | 1–4 % | 1.5–5 % |
MgO | > 6 % | 0.5–6 % | 1.5–9 % |
Mg# | > 0.6 | 0.4–0.6 | 0.45–0.65 |
Cr | > 200 ppm | 10–135 ppm | 20–400 ppm |
Ni | > 100 ppm | 5–80 ppm | 15–200 ppm |
Sr | > 500 ppm | > 500 ppm | Sr + Ba > 1 400 ppm |
Ba | > 500 ppm | > 500 ppm | |
Rb/Sr | > 0.1 | non spécifié |
Les sanukitoïdes reflètent le caractère hybride avec un mélange de magmas basiques (issus de la fusion d'une croûte océanique recyclée dans le manteau), ultrabasiques (issus de fusion "usuelle" de péridotites mantelliques), et felsiques (issus de l'assimilation différentielle de divers éléments ou minéraux dans les composants préexistants, par contamination voire fusion au contact de granites, méta-sédiments, et roches de la série "TTG"), avec des apports par métasomatose[1],[2].
La composition de l’ensemble des sanukitoïdes dans le monde a démontré que ces magmas peuvent être classés en deux groupes de différenciation distincts (selon les mécanismes d’hybridation)[1],[2] :
- les sanukitoïdes pauvres en TiO2 (monzodiorite et granodiorite) proviennent d’une hybridation en un seul stade (hybridation d'un magma crustal et mantellique) ;
- les sanukitoïdes riches en TiO2 (monzodiorite et granodiorite) proviennent d’une hybridation en deux stades (hybridation d'un magma crustal et mantellique et deuxième fusion partielle de l'ensemble), ce type est plus riche en Fe, HFSE, REE et plus pauvre en Mg et éléments de transition ;
- les sanukitoïdes marginales, hors critère géochimique de classification d'une sanukitoïde, bien que les critères généraux (riche en Mg et mise en place) correspondent à une sanukitoïde.
Fusion d'une croute océanique subductée (source mafique et ultramafique) avec contamination en contexte de subduction
Les sanukitoïdes sont similaires dans leur composition en éléments majeurs et éléments traces aux adakites (type LSA). On pense que les deux suites magmatiques se forment par la fusion d'un protolithe de roche ignée mafique qui a été métamorphisé en assemblages grenat-pyroxène (éclogite) ou grenat-amphibole[9], [10].
La source la plus courante de sanukitoïdes est probablement le manteau, qui a été auparavant métasomatisé par des silicates fondus dérivés de la fusion d'un slab chaud, jeune en subduction. Lorsque la croûte océanique est subductée et métamorphisée, elle est proche de son point de fusion et une légère augmentation de la température peut provoquer la fusion. Ces masses fondues sont initialement riches en silice à des fractions de fusion faibles qui diminuent au fur et à mesure de la fusion. Les matières fondues dérivées d'éclogite ou de roche à grenat-amphibole sont fortement enrichies en Sr (pas de plagioclase dans les résidus) et appauvries en terres rares lourdes et Y (grenat abondant en résidus). Cette masse fondue réagit avec le manteau pour créer les rapports caractéristiques Sr élevé ; Y faible et LREE / HREE élevé[11].
Certaines adakites (HSA : riche en silice) peuvent se former en faisant fondre les racines crustales épaisses des arcs insulaires, mais si celle-ci ne peuvent pas assimiler tous les composants du manteau, de sorte que les adakite de type LSA (typologie pauvre en silice) et les sanukitoïdes ne se formeront pas dans ce contexte. La forte présence de Mg, Ni et Cr, ainsi que les études de Srern et al. (1989) et Smithies et Champion (2009) montrent qu'il n'est pas possible de produire des sanukitoïdes avec un magma basique et une croute continentale seule, sans y inclure un apport mantellique ultramafique[1].
Les adakites se distinguent d'une autre variété d'andésite à haute teneur en Mg, appelée boninite. Les boninites ont des concentrations en éléments majeurs similaires à celles des sanukitoïdes, mais elles sont extrêmement appauvries en éléments traces incompatibles (par exemple, terres rares légères) malgré leur teneur en silice relativement élevée[12].
Magmatisme associé à la sagduction de komatiites à l'Archéen-Hadéen
À l'Hadéen et l'Archéen, l'enfoncement de komatiite par sagduction dans la croute peut conduire à sa fusion et sa contamination par un magma de TTG[13].
Ce magmatisme spécifique produit des sanukitoïdes (d'un pôle droit à un pôle granite), se présentant souvent sous forme de monzodiorite et granodiorite à phénocristaux de feldspath potassique[1]. Ces granites constituent 5 à 10 % des roches de l'Archéen[13].
Synthèse
Type
de manteau |
Contexte
géodynamique |
Mécanisme | Roche
plutonique |
Roche
volcanique |
Caractéristiques |
---|---|---|---|---|---|
Hadéen-Archéen | Rifting océanique | Fusion partielle du manteau primitif | Peridotite | Komatiites | |
Convergence de plaque | Fusion partielle de croute primitive | TTG | Adakite type HSA | Riche en silice | |
Sagduction | Komatiites + Contamination par des TTG | Sanukitoïdes pauvre en TiO2 | Adakite type LSA
(sanukites ou setouchites) |
Pauvre en silice | |
Toutes époques | Suduction | Fusion partielle de croute océanique subductée (avec roche mafique et ultramafique)
+ Contamination crustale ou par des TTG (Archéen) | |||
Fusion partielle de croute océanique subductée (avec roche mafique et ultramafique)
+ Contamination crustale ou par des TTG (Archéen) + Deuxième fusion partielle de l'ensemble |
Sanukitoïdes riche en TiO2 |
Notes et références
Notes
- « Mg# » est le rapport d'abondance Mg / [Mg + Fe2+].
Références
- Martin et Moyen 2011.
- Laurent 2012.
- Tatsumi et Ishizaka 1982.
- Shirey et Hanson 1984.
- Roger et al. 1985.
- Stern, Hanson et Shirey 1989.
- Kelemen, Yogodzinski et Scholl 2004.
- L'anomalie en europium, Eu, se caractérise par une concentration normalisée en europium significativement différente de la moyenne des concentrations normalisées en samarium, Sm, et en gadolinium, Gd, les deux terres rares qui entourent l'europium. Elle se quantifie par le rapport, noté Eu/Eu*, t calculé par , où l'indice signifie la normalisées des concentrations. Enfin, cette normalisation des concentrations en terres rares dénote en fait le rapport de la concentration vraie, pondérale, à la concentration de la même terre rare dans un matériau de référence ; elle est appelée normalisation de Coryell-Masudadu[réf. nécessaire], du nom de ses inventeurs ; le matériau de référence est en général celui d'une chondrite CI, Orgueil le plus souvent, car elle donne la composition du Système solaire. En effet, du fait des lois physiques de la nucléosynthèse, les atomes de numéro atomique (Z) impair sont systématiquement moins abondants que ceux de numéro atomique (Z) pair. On corrige cet effet par ce simple rapport, ce qui met alors en évidence la continuité générale des propriétés physico-chimiques des 14 terres rares (avec quelques rares exceptions, comme les valences multiples dans certaines conditions de l'europium (Eu) et du cérium (Ce))[à vérifier], et notamment des propriétés géochimiques, comme les divers coefficients de partage minéral/liquide, bien sûr aux exceptions près (Eu avec le plagioclase, notamment).
- Rapp, Watson et Miller 1991.
- Thorkelson et Breitsprecher 2005.
- Drummond et Defant 1990.
- Martin et al. 2005.
- Hervé Martin, « www.exobiologie.fr - L'environnement-de-la-terre-primitive-l'archeen-et-l'hadeen », sur www.exobiologie.fr
Voir aussi
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- Barager, W.R.A and T.N. Irvine. (1971) "A Guide to the Chemical classification of the Common Volcanic Rocks." Canadian Journal of Earth Sciences, Vol. 8, p. 523–548.
- (en) Drummond M. S. et Defant M. J., « A model for trondhjemite-tonalite-dacite genesis and crustal growth via slab melting: Archean to modern comparisons », Journal of Geophysical Research, vol. 95, no B13, , p. 21503-21521.
- (en) Kelemen P. B., Yogodzinski G. M. et Scholl D. W. (in Eiler J., Inside the Subduction Factory), « Along-strike Variation in Lavas of the Aleutian Island Arc: Genesis of High Mg# Andesite and Implications for Continental Crust », Geophysical Monograph Series, Washington DC, American Geophyical Union, vol. 138, .
- Martin H. et Moyen J.-F., « Suites « Trondhjémites – Tonalites – Granodiorite » et sanukitoïdes archéens », Géochronique, BRGM SGF « Granites et granitoïdes », no 120, , p. 31-38 (ISSN 0292-8477).
- (en) Martin H., Smithies R. H., Rapp R., Moyen J.-F. et Champion D., « An overview of adakite, tonalite-trondhjemite-granodiorite (TTG), and sanukitoid: relationships and some implications for crustal evolution », Lithos, vol. 79, nos 1-2, , p. 1-24.
- (en) Martin Hervé, Moyen Jean-François et Rapp Robert, « The sanukitoid séries : magmatism at the Archean-Proterozoïc transition », Earth and Environmental Sciences Transactions of the Royal Society of Edinburgh, vol. 100, , p. 15-33 (DOI 10.1017/S1755691009016120, lire en ligne, consulté le )
- Laurent Oscar, Les changements géodynamiques à la transition Archéen-Protérozoïque: étude des granitoïdes de la marge Nord du craton du Kaapvaal (Afrique du Sud) (Thèse), Sciences de la Terre. Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, , 513 p. (présentation en ligne, lire en ligne).
- (en) Rapp R. P., Watson E. B. et Miller C. F., « Partial melting of amphibolite/eclogite and the origin of Archean trondhjemites and tonalites », Precambrian Research, vol. 51, nos 1-4, , p. 1-25.
- (en) Rogers G., Saunders A. D., Terrell D. J., Verma S. P. et Marriner G. F., « Geochemistry of Holocene volcanic rocks associated with ridge subduction in Baja California, Mexico », Nature, vol. 315, no 6018, , p. 389-392.
- (en) Shirey S. B. et Hanson G. N., « Mantle-derived Archaean monzodiorites and trachyandesites », Nature, vol. 310, no 5974, , p. 222-224.
- (en) Stern R., Hanson G. N. et Shirey S.B., « Petrogenisis of Mantle derived LILE-enriched Archaean Monzodiorite, Trackyandesites (Sanukitoids) in southern Superior Province. », Canadian Journal of Earth Sciences, vol. 26, , p. 1688–1712.
- (en) Tatsumi Y. et Ishizaka K., « Origin of high-magnesian andesites in the Setouchi volcanic belt, southwest Japan - Petrographical and chemical characteristics », Earth and Planetary Science Letters, vol. 60, no 2, , p. 293-304.
- (en) Thorkelson D. J. et Breitsprecher K., « Partial melting of slab window margins: genesis of adakitic and non-adakitic magmas », Lithos, vol. 79, nos 1-2, , p. 25-41.
Articles connexes
- Andesite magnésienne
- Adakite
- Boninite
- Komatiite
- Sagduction
- Le percussionniste Stomu Yamashta utilise également, au temple de Daitoku-JI, de Kyoto, des pierres de sanukite (Sanukitoïde)
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