Schisme orthodoxe (2018)

L'expression schisme orthodoxe[1], schisme ukrainien[2] ou schisme Kiev-Moscou[3] désigne le conflit commencé le 15 octobre 2018 entre deux Églises orthodoxes autocéphales, le patriarcat œcuménique de Constantinople et celui de Moscou, lorsque le Patriarcat de Moscou rompit sa communion avec celui de Constantinople, en réaction à la déclaration du Patriarche de Constantinople quatre jours plus tôt, qui promettait d'accorder dans le futur l'autocéphalie (indépendance religieuse) aux orthodoxes d'Ukraine s'ils la demandaient[4].

Pour les articles homonymes, voir Schisme orthodoxe (homonymie).

Cet article concerne rupture de pleine communion en cours entre le patriarcat orthodoxe de Moscou et celui de Constantinople. Pour la scission de 1666 au sein de l'Église russe, voir Raskol.

Ce schisme religieux s'inscrit dans un conflit international plus global généré depuis 2004 par l'émancipation progressive de l'Ukraine par rapport à la sphère d'influence russe[5] y compris sur le plan religieux lorsque, le 15 décembre 2018, plusieurs Églises orthodoxes ukrainiennes non-affiliées au patriarcat de Moscou se réunirent en un concile d'unification (en) pour fusionner en une seule Église orthodoxe d'Ukraine[6] dont le patriarcat œcuménique de Constantinople reconnut l'autocéphalie le 5 janvier 2019, au grand dépit de celui de Moscou[7].

Dénominations

La dénomination fait référence aux schismes de l'histoire du christianisme. Bien qu'il concerne des Églises, le différend n'est pas doctrinal, théologique, mais territorial, et il est considéré par les deux parties comme partie intégrante du conflit russo-ukrainien[8],[9]. En russe (православный раскол - pravoslavny raskol[10]) et en ukrainien (православний розкол - prevoslavny rozkol[11]), on parle de « schisme orthodoxe ».

Contexte

L'Église de Kiev et de toute la Rus', reconnue par Constantinople en 991, a existé bien avant le Patriarcat de Moscou (ce dernier fut fondé en 1448 et Constantinople lui octroya l'autocéphalie en 1589). La juridiction canonique du Patriarcat de Moscou se limitait initialement au Tsarat de Russie[12] et c'est à la suite de l'expansion territoriale de l'Empire russe au détriment de la Pologne, puis de l'URSS à la faveur du pacte germano-soviétique et des accords de Yalta, qu'il a progressivement étendu sa juridiction, reconnue par Constantinople, sur les orthodoxes vivant à l'Ouest et au Sud-Ouest de la Russie proprement-dite, en Biélorussie, Ukraine et Bessarabie[13]. Une Église orthodoxe ukrainienne non-canonique a néanmoins existé entre 1919 et 1937 : ses fidèles, pourchassés par le NKVD, ont pour la plupart été exterminés ou déportés au Goulag[14].

Au début du XXIe siècle, les trois principales Églises orthodoxes en Ukraine étaient : l'Église orthodoxe ukrainienne - Patriarcat de Kiev (autocéphale, non reconnue par les autres Églises orthodoxes), l'Église orthodoxe autocéphale ukrainienne (en) (autocéphale, non reconnue par les autres Églises orthodoxes), et l'Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou (dépendante de l'Église orthodoxe russe et reconnue par les autres Églises orthodoxes).

Schisme

Le 11 octobre 2018, le Patriarcat de Constantinople a évoqué officiellement une future reconnaissance de sa part de l'autocéphalie de l'Église orthodoxe de l'Ukraine, jusqu'alors de facto sous la juridiction canonique du patriarcat de Moscou[15]. L'Église orthodoxe russe déclare le 15 octobre que « le Patriarcat de Constantinople empiète sur son territoire canonique »[16] et qu'il est impossible pour elle « de demeurer en communion eucharistique avec [l]es hiérarques [du Patriarcat de Constantinople], son clergé et ses laïcs. Désormais, et jusqu’à ce que le Patriarcat de Constantinople désavoue ses décisions anticanoniques, il est impossible à tous les ministres de l’Église orthodoxe russe de concélébrer avec les clercs de l’Église constantinopolitaine, et aux laïcs de participer aux sacrements célébrés dans leurs églises »[17]. [note 1] Précédemment, le 14 septembre 2018, l'EOR avait décrété qu'elle était « forcé[e] de suspendre la commémoration liturgique du patriarche Bartholomée de Constantinople, et a le profond regret de suspendre également toute concélébration avec les hiérarques du Patriarcat de Constantinople, ainsi que d’interrompre la participation de l’Église orthodoxe russe aux Assemblées épiscopales, aux dialogues théologiques, aux commissions multilatérales et à toutes les autres structures dans lesquelles président ou co-président des représentants du Patriarcat de Constantinople.[18] »[note 2]

Mais le Patriarche de Constantinople ne désavoua pas ses intentions et, le 5 janvier 2019, reconnut l'autocéphalie de l'Église orthodoxe d'Ukraine[19],[20].

Notes

Références

  1. « Pendant que vous dormiez. Affaire Khashoggi, otage à Cologne et schisme orthodoxe : les informations de la nuit », Courrier international, (lire en ligne, consulté le )
  2. Anis Issa, « Un an après le schisme ukrainien, le monde orthodoxe n’en finit pas de se diviser », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  3. « Une Pâque orthodoxe sur fond de schisme entre Kiev et Moscou: le récit de l’envoyé spécial du Figaro », sur LEFIGARO, (consulté le )
  4. « Religion : un schisme chez les orthodoxes », euronews, (lire en ligne, consulté le )
  5. Jean-Sylvestre Mongrenier, Le monde vu de Moscou : Dictionnaire géopolitique de la Russie et de l'Eurasie postsoviétiques, Presses Universitaires de France, , 676 p. (ISBN 978-2130825159).
  6. « L’Ukraine possède une nouvelle Église orthodoxe », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  7. Céline Marangé, « L'Église autocéphale d'Ukraine », sur esprit.presse.fr, Esprit,
  8. (en) Max Seddon et Roman Olearchyk, « Putin suffers Crimea blowback with Orthodox Church schism » Crimée : Le schisme de l'Église orthodoxe fait chavirer Poutine »], Financial Times, (lire en ligne, consulté le )
  9. (en) Volodomyr Shuvayev, AFP, « How Geopolitics Are Driving the Biggest Eastern Orthodox Schism in a Millennium » Comment la géopolitique alimente le plus grand schisme orthodoxe depuis un millénaire »], Stratfor, (lire en ligne, consulté le )
  10. (ru) Nikos Konstandaras (trad. inoSMI), « Православный раскол и духовные границы политики » Le schisme orthodoxe et les limites spirituelles de la politique »], The New York Times, (lire en ligne, consulté le )
  11. (uk) Vitaliy Kulik, « Православний розкол » Le schisme orthodoxe »], UNIAN, (lire en ligne, consulté le )
  12. Georges Florovsky (trad. J.C. Roberti), Les voies de la théologie russe, Paris, Desclée de Brouwer, (1re éd. 1937), 314 p. (ISBN 2-220-03179-9 et 978-2-220-03179-8, OCLC 769561944, lire en ligne)
  13. Jean-Claude Roberti, Histoire de l'Église russe, éd. Nouvelle Cité (coll. Historiques), Paris 1995 (ISBN 2-85313-187-4)
  14. Thomas Bremer, (de) « Die orthodoxen Kirchen mit nicht-kanonischem Status (Ukraine) » in : Thomas Bremer, Hacik Rafi Gazer, Christian Lange (dir.) Die orthodoxen Kirchen der byzantinischen Tradition. Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt 2013, (ISBN 978-3-534-23816-3), pp. 115–120.
  15. « Announcement (11/10/2018). - Annonces - The Ecumenical Patriarchate », sur www.patriarchate.org (consulté le )
  16. « Déclaration du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe à la suite des empiétements du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Église russe | Eglise orthodoxe russe », sur mospat.ru, (consulté le )
  17. « Déclaration du Saint-Synode de l’Église orthodoxe russe à la suite des empiétements du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Église russe | Eglise orthodoxe russe », sur mospat.ru, (consulté le ) : « L’accueil dans la communion de schismatiques et d’une personne frappée d’anathème par une autre Église locale avec tous les « évêques » et les « clercs » qu’elle a ordonnés, l’empiétement sur des territoires canoniques étrangers, la tentative de renier ses propres décisions historiques et ses obligations, tout cela place le Patriarcat de Constantinople hors de l’espace canonique et, à notre grand regret, fait qu’il nous est impossible de demeurer en communion eucharistique avec ses hiérarques, son clergé et ses laïcs. Désormais, et jusqu’à ce que le Patriarcat de Constantinople désavoue ses décisions anticanoniques, il est impossible à tous les ministres de l’Église orthodoxe russe de concélébrer avec les clercs de l’Église constantinopolitaine, et aux laïcs de participer aux sacrements célébrés dans leurs églises. »
  18. « Déclaration du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe à la suite de l’intrusion illégale du Patriarcat de Constantinople sur le territoire canonique de l’Eglise orthodoxe russe | Eglise orthodoxe russe », sur mospat.ru, (consulté le )
  19. (en) « History is made: Bartholomew signs tomos of autocephaly for Orthodox Church of Ukraine », sur www.unian.info (consulté le )
  20. De facto en Ukraine les deux églises, celle d'obédience russe et celle redevenue autocéphale, coexistent et sont représentées, parfois côte-à-côte, dans beaucoup de paroisses : l'Église orthodoxe d'Ukraine rattachée au Patriarcat de Moscou comptait (en 2016) 12 334 églises officiellement enregistrées et environ 200 monastères, soit bien plus que toute autre branche religieuse en Ukraine, tandis que les autres Églises ukrainiennes orthodoxes comptaient 4 921 communautés enregistrées et environ 60 monastères : voir Religion Information Service of Ukraine - Релігійні організації в Україні (станом на 1 січня 2016 р.) — State-recognised religious organizations as of 2016.
    Même si le Patriarcat de Constantinople a des prérogatives œcuméniques liées à sa prééminence honorifique sur les autres Églises orthodoxes, les deux Patriarcats de Constantinople et de Moscou sont canoniquement égaux : le premier n'a aucune obligation de continuer à reconnaître la primauté de Moscou sur Kiev, pas plus que Moscou n'a aucune obligation de reconnaître l'autocéphalie de Kiev.
    Il n'est pas impossible que le conflit puisse être résolu par une reconnaissance croisée des deux obédiences, comme en Moldavie où depuis 2002, selon une décision de la Cour européenne des droits de l'homme, deux obédiences coexistent après dix ans de conflit territorial entre l'église roumaine de Moldavie (dépendant du Patriarcat de Bucarest) et l'église russe de Moldavie (dépendant du Patriarcat de Moscou) : jusqu'en 2002, chacune revendiquait seule la légitimité canonique, les « pro-roumains » arguant de l'obédience historique du moyen-âge jusqu'en 1836 aux Métropoles moldaves de Suceava puis de Iași, et de 1918 à 1944 au Patriarcat de Roumanie et les « pro-russes » arguant de l'obédience au Patriarcat de Moscou de 1836 à 1918 et depuis 1944 : voir Jean-Arnault Dérens : Orthodoxie en Moldavie: les défis identitaires d’un petit pays malmené par l’histoire, « Religioscope », 9 avril 2005 sur .

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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