Stanbrook

Le Stanbrook est un bateau à vapeur de la marine marchande britannique célèbre pour l'action héroïque de son capitaine, Archibald Dickson, qui décide de sauver des familles républicaines piégées dans le port d'Alicante le , à la fin de la guerre d'Espagne.

Stanbrook

Le Stanbrook (alors Lancer sur l'image) naviguant peu après 1909.
Autres noms Lancer
Stanhope
Polyfloisvios
Type Navire de commerce
Histoire
Lancement
Statut Torpillé le 19 novembre 1939.
Équipage
Équipage 24 personnes
Caractéristiques techniques
Déplacement 1383 t.
Tonnage 114 500 tonnes
Propulsion Vapeur
Puissance 75 600 kW soit 102 000 ch
Vitesse 11 nœuds
Carrière
Armateur Stanhope SS Co Ltd
Pavillon

Le navire sera torpillé six mois après cet épisode, en mer du Nord, par les nazis.

Contexte historique

En , à la fin de la guerre d'Espagne, un très grand nombre de républicains rejoignent Alicante dans l'espoir de s'exiler par la mer. Or, le blocus maritime, l'aviation nazie et le renfort des militaires italiens de la division Littorio interdisent à tout bateau humanitaire d'accoster : le port d'Alicante devient un piège pour des milliers de républicains. Ils sont arrêtés sur les quais et conduits par les soldats italiens de la Division Littorio, unité militaire venue en renfort des troupes franquistes, au camp de concentration de Los Almendros, puis à celui d'Albatera, où ils sont internés.

Le Stanbrook est alors à cette époque au service du gouvernement républicain Espagnol, au travers de la compagnie France-Navigation[1].

Le Stanbrook fut visé plusieurs fois par l'aviation nationaliste. Il fut touché par une bombe lors d’un raid aérien sur Barcelone le 30 avril 1938[2]. Il fut ensuite coulé après avoir été touché par des bombes larguées par des hydravions Savoia de l'aviation Italienne, le , au port de Vallcarca, près de Barcelone. Le navire sera réhabilité pour naviguer à nouveau[3],[4]. Le , le navire subira à nouveau de lourds dommage causés par l'aviation franquiste dans le port de Valence[5].

D'autres navires sont également partis du port d'Alicante, au mois de avant le Stanbrook. Le Ronwyn, le , avec 637 passagers[6], et l'African Trader, le , avec 859 personnes[7]. Enfin, le Maritime est parti le , avec seulement 32 personnes à bord qui étaient des responsables Républicains importants[8],[9]. Le Lézardrieux partira également le 29 mars du port de Valence à destination d'Oran.

De plus petites embarcations ont également rejoint l'Algérie ou le Maroc, comme notamment le chalutier La Guapa, parti de Santa Pola et arrivé à Ténès le 31 mars, avec 94 personnes[10],[11].

Sauvetage des réfugiés

Le , quatre jours avant la fin de la guerre, le navire de commerce Stanbrook est à quai, attendant des cargaisons de tabac, d'oranges et de safran. Son capitaine, le Gallois Archibald Dickson, aperçoit des milliers de réfugiés se massant sur le quai, au bureau des douanes. Les réfugiés sont composés de soldats et gradés de l'armée républicaine, de brigadistes internationaux, de fonctionnaires, de politiques, de militants[12]...

Selon une lettre écrite par Archibald Dickson datée du et envoyée au journal Britannique The Sunday Dispatch, les responsables du port lui demandent d'embarquer ces passagers et de les déposer à Oran. Il décide alors de les faire embarquer, à l'encontre des ordres de son armateur[13],[14]. L'écrivain, journaliste et ex vice-président du SPD du sous-district de Munich, Rolf Reventlow[15], mentionne également le gouverneur civil de l'époque, Manuel Rodríguez Martínez, qui aurait réussi à convaincre le capitaine[16].

Le Stanbrook quitte le port le au soir, aux alentours de 22 h 30, avec environ 3000 personnes à son bord. Le capitaine força le blocus nationaliste en naviguant sans lumières. Le Stanbrook fait alors route vers Oran. 10 à 15 minutes plus tard, l'aviation nationaliste bombardera le port[17],[18],[19].

Après 22 h de trajet, le Stanbrook atteint le port de Mers el-Kébir, près d'Oran[20],[21]. Le 30 mars, le navire sera ensuite amarré au quai du ravin-blanc, dans le port d'Oran[22].

Une liste des passagers sera dressée par la préfecture de police. Cette dernière est consultable aux Archives nationales d'Outre-Mer à Aix-en-Provence[23]. Cependant, certains passagers ne sont pas présents sur la liste officielle, probablement descendus grâce à un contact important[24],[25] ou tout simplement non comptabilisés, à la suite des débarquements successifs.

La liste dressée par les autorités françaises, comptabilise 2638 personnes (avec des doublons sur certains noms). De son côté, la Federación Socialista de Alicante fait état de 3016 personnes[26],[27]. Le politicien Espagnol Rodolfo Llopis, dans un article du 11 juin 1953 dans le journal El Socialista, mentionne le nombre de 3028 passagers[28].

Les malades, les blessés, les femmes et les enfants seront débarqués les premiers[29]. Le reste des milliers d'exilés ne seront totalement débarqués que le [30], après avoir passé pour certains près d'un mois sur le navire, dans la promiscuité et l'insalubrité. C'est surtout le risque de départ d'épidémie qui motiva les autorités françaises à débarquer totalement les exilés[31].

Le nombre exact de personnes est inconnu et de nombreuses erreurs semblent s'être glissées dans la liste rédigée par les autorités françaises[32],[33]. De plus, plusieurs personnalités (Julio MANGADA ROSENÖRN, Ricardo SERNA ALBA, Manuel VERDU GONZALEZ...) notamment liées au socialisme, communisme ou à la franc-maçonnerie semblent avoir bénéficié d'un débarquement précoce grâce à des contacts privilégiés sur place[34],[35].

Le 8 avril, le Stanbrook, l'African Trader et le Lézardrieux seront saisis sur ordre du préfet d'Oran[36]. Le Stanbrook repartira quant à lui le du port d'Oran, à destination de Casablanca[37],[38],[39].

Les journaux locaux d'Oran de l'époque couvriront assez précisément le déroulement des évènements. Le quotidien L'Écho d'Oran sera ouvertement hostile aux réfugiés, tandis que l'Oran républicain, organe de presse créé par des républicains de gauche, appelait à la solidarité des Oranais envers les réfugiés, et fustigeait les conditions de détentions des exilés. Du côté d'Alger, où se trouvaient plusieurs camps d'accueil, le quotidien Alger républicain a couvert les évènements liés aux camps et a relayé les demandes des réfugiés.

Personnalités notables à bord du Stanbrook

  • Passager no 753 : Antonio Gassó Fuentes, dit Gaskin, pilote au service de la République durant la guerre civile. Il fut formé en URSS, d'où il a tiré son surnom. Sa fille Laura Gassó, a publié son journal, sous le titre Diario de Gaskin : Un piloto de la República en los campos de concentración norteafricanos[40].
  • Passager no 1244 : José Muñoz Congost, journaliste, militant anarchosyndicaliste et co-responsable du journal Alicantin Liberación, organe de la CNT-FAI-FIJL, et écrivain du livre Por tierras de moros, œuvre fondamentale sur la documentation de la réalité des camps Algériens.[41]
  • Passager no 1560 : Germinal Ros i Martí, journaliste, écrivain et militant au Parti socialiste unifié de Catalogne[42].
  • Passager no 1950 : Antonio Mas Serna, syndicaliste, maire de Crevillent, localité proche d'Alicante et délégué au PSOE[43],[44],[45].
  • Passager no 1957 : Manuel Menargues Vicens, premier maire républicain de Crevillent, élu à la suite des élections municipales du . Il sera arrêté par la Gestapo à Tanger, puis rapatrié en Espagne où il sera incarcéré. Il sera condamné à mort par un tribunal de guerre franquiste et fusillé le [46],[45].
  • Passager no 2058 : José Escudero Bernícola, avocat et gouverneur civil successivement de Salamanca, Zamora puis Granada. Son petit-fils Francisco Escudero Galante rend hommage à sa mémoire dans le livre El pasajero 2058. La odisea del Stranbrook[47].
  • Passager no 2073 : Amado Granell, officier dans l'armée républicaine Espagnole et plus tard officier de La Nueve. Il participera à la libération de Paris le [48],[49].

Passagers ne se trouvant pas dans la liste officielle

Epilogue

  • La majeure partie des réfugiés du Stanbrook ayant combattu a été par la suite notamment conduite par les autorités françaises à Camp Morand, à Boghari, au Sahara, où leur exil continuera dans des conditions effroyables, les camps d'accueil étant en réalité des camps de travail forcé[51]. D'autres réfugiés ont également été conduits au camp de Relizane.
  • Les civils, ont eux logé pour la plupart dans des centres d'hébergement à Oran et ses environs[52].
  • Six mois après le sauvetage héroïque d'Alicante, le Stanbrook est torpillé le à 2h13 en mer du Nord, sur la route entre Anvers et Blyth, par le sous-marin allemand U-57. L'ensemble des 20 membres d'équipage périront, dont le capitaine Archibald Dickson[53],[54],[55]. Selon le journaliste et militant communiste catalan Germinal Ros, une minute de silence sera observée dans les camps d'Algérie lorsque les exilés l'apprendront[7].
  • Certains des exilés, comme Amado Granell, s'engageront dans La Nueve, et participeront à la libération de Paris le .

Monuments commémoratifs

  • L'équipage et son capitaine sont présents sur le mémorial de Tower Hill à Londres.[56]
  • Un monolithe a été inauguré le à Oran, à l'esplanade Sidi M’HAMED, en hommage aux passagers du navire et au peuple algérien pour l'accueil fait aux réfugiés. L'hommage est écrit en Français, Espagnol, Catalan et Arabe[57].
  • Un buste commémoratif du capitaine Archibald Dickson a été inauguré en 2014 au port d'Alicante[58].
  • La ville d'Alicante a dédié une rue en souvenir du navire.
  • La ville de Cardiff a prévu de mettre en place un mémorial sur l'action héroïque du capitaine Archibald Dickson[59].

Culture populaire

De nombreuses références au Stanbrook existent dans la culture populaire, comme notamment :

  • Un groupe d'Heavy Métal d'Alicante porte le nom du navire, en hommage à ce dernier et à l'équipage[60]
  • Un court métrage, Stanbrook, sorti en 2020 et réalisé par Óscar Bernàcer[61]
  • Un film documentaire, Aurore, sorti en 2007 de Christian Caroz[62]
  • La bande dessinée La Nueve : les républicains espagnols qui ont libéré Paris, par Paco Roca, consacre un passage au navire, au travers du personnage fictif de Miguel Ruiz, passager du Stanbrook.

Bibliographie

  • Begoña Lobo, Vicente Ferrer Azcoiti et José María Azkárraga, La guerra ha terminado : Alicante 1939, 2019 (ISBN 978-84-947764-5-8)
  • Andrée Bachoud et Bernard Sicot, Sables d’exil. Les républicains espagnols dans les camps d’internement au Maghreb (1939-1945), 2009 (ISBN 978-2-908476-72-9)
  • Paul Preston, Last Days of the Spanish Republic, 2017 (ISBN 978-0008163419)
  • Isabel Beltrán Alcaraz, Helia González Beltrán, Stanbrook. Vivencias de un exilio, 2016 (ISBN 978-8415180487)
  • Gassó García Laura, Coronado Verdeguer David, Maria Pilar Bonet Rosado et Rafael Vicent Arnal Torres, Operación Stanbrook: Homenaje a la memoria republicana, 2016 (ISBN 978-8415180548)
  • José Muñoz Congost, Por tierras de moros : el exilio Español en el Magreb, 1989 (ISBN 978-8487169069)
  • Robert Llopis i Sendra, José Miguel et Santacreu Soler, Una Presó amb vistes al mar : el drama del port d'Alacant, març 1939, 2008 (ISBN 9788475028002)

Références

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  3. « More British steamers bombed off Spanish coast », Londonderry Sentinel, , p. 4 (lire en ligne)
  4. (en) « British ship bombed and sunk », Belfast News-Letter, , p. 7 (lire en ligne)
  5. (en) « Devon port cruiser at Minorca », Western Morning News, no 24683, (lire en ligne)
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  7. (es) Juan Martínez Leal, « El Stanbrook: un barco mítico en la memoria de los exiliados republicanos », Pasado y Memoria. Revista de Historia Contemporánea, no 4, , p. 65-81 (lire en ligne)
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  11. « Un chalutier Espagnol arrive près de Ténès », L'Echo d'Alger, , p. 5 (lire en ligne)
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  62. « Aurore », sur www.aurore-lefilm-documentaire.com (consulté le )

Liens externes

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