Tang Jingsong

Général et homme politique chinois, Tang Jingsong (chinois : 唐景崧 ; pinyin : Táng Jǐngsōng ; Wade : T'ang Ching-sung) (1841 - 1903) a commandé l’armée du Yunnan pendant la guerre franco-chinoise (). Il avait convaincu Liu Yongfu, le chef des Pavillons Noirs de collaborer avec lui contre les Français. Même s’il n’y fut pas vainqueur, il s’illustra au siège de Tuyên Quang (). Près de dix ans plus tard, il était nommé gouverneur de la province chinoise de Taiwan. À la suite de la cession de Taïwan au Japon à l’issue de la première guerre sino-japonaise (1894-1895), il devint président de l’éphémère République de Taïwan (mai-).

Tang Jingsong
Fonctions
Président de la république de Formose
Shujishi (d)
Biographie
Naissance
Décès
Prénoms sociaux
薇卿, 維卿
Noms de pinceau
得一山房, 居閒吟館, 五梅堂
Nationalités
Activité
Fratrie
Tang Jingchong (d)
Tang Jingfeng (d)
Autres informations
Religion
Grade militaire
Conflits

Mission de Tang Jingsong au Vietnam

Tang Jingsong avait été nommé jinshi (进士 / 進士, jìnshì, « Diplômé du palais »)[1] en 1865. En août 1882, alors qu’il était sur la « liste d’attente du poste de secrétaire du Bureau du Service Civil » et s’y ennuyait ferme, il soumit au gouvernement impérial chinois un mémorandum sur la menace que représentait l’agressivité des Français au Tonkin, la faiblesse de la cour d’Annam et la nécessité pour la Chine d’aider son vassal du sud plus efficacement. Pour lui, la solution était d’aider les Pavillons Noirs à combattre les Français. Il fallait envoyer au Tonkin quelqu’un capable de convaincre leur chef, Liu Yongfu, et il se portait volontaire[2]. Deux semaines plus tard, le yamen l’envoyait officiellement dans la province du Yunnan, où il devait se mettre sous l’autorité de Cen Yuying[3].

Tang quitta Pékin en octobre, passa un mois à Shanghai[4], et arriva fin novembre à Hong Kong. De là il se rendit à Canton exposer ses arguments au vice-roi du Guangdong et du Guangxi, Zeng Guoquan[5]. Au lieu d'aller au Yunnan, comme le prévoyait son ordre de mission, il décida de se rendre à Hué, où il n’arriva que début [6].

Dès le lendemain de son arrivée, il essayait de convaincre le ministre Nguyen Van Tuong[7] de ne pas céder aux français et de laisser les Pavillons Noirs occuper la partie supérieure du Fleuve Rouge jusqu’à la frontière chinoise. Déçu par le peu de combativité des vietnamiens et furieux de la proposition de Convention présentée par Frédéric Bourée, ministre plénipotentiaire en Chine à Li Hongzhang, il repartit à Canton revoir Zeng Guoquan. Puis il se rendit au Tonkin et arriva à Son Tay à la mi-. Il envoya une note à Liu Yongfu à Lao Cai expliquant le but de sa mission et lui demandant de venir à Son Tay. Liu y arriva au début d’avril[8].

Rencontre avec Liu Yongfu

Liu Yongfu

Tang Jingsong était, comme Liu Yongfu, un hakka originaire du Guangxi, ce qui facilitait leurs relations.

D’après les mémoires de Liu, Tang Jingsong considérait que l’empereur d’Annam était un incapable et la cour de Hué sans espoir, et que le pays était dans le chaos : Liu devrait massacrer tous les officiels vietnamiens et prendre le pouvoir au Vietnam[9]. Sur le refus de Liu, Tang aurait fait d’autres propositions moins brutales. Les notes de Tang[10] diffèrent quelque peu : celui-ci aurait expliqué que les Pavillons Noirs ne pouvaient faire confiance ni aux vietnamiens ni à l’empire Qing et seraient bientôt confrontés aux Français. La seule issue était de réunir les groupes de bandits chinois et les meilleures unités vietnamiennes et de fonder un royaume indépendant au Tonkin, vassal de la Chine. Une autre possibilité était pour Liu de prendre Hanoï, proposition qu’il accepta[11].

Résistance contre les Français

Tang quitta Sontay pour rejoindre les troupes de l’armée du Guangxi qui occupaient Bac Ninh où il assura la liaison avec les forces de Liu[12]. Il prit le commandement du « Bataillon du Wu Wei »[13] qu’il créa à partir d’une centaine d’éléments de l’armée du Guangxi et d’environ 200 Pavillons Noirs[14].

Liu Yongfu fit d’abord mouvement avec des éléments de l’armée du Guangxi et de l’armée vietnamienne vers Phu Hoai, puis vers Hanoï ou il fit afficher le une proclamation célèbre préparée par Tang[15]. Il eut un accrochage avec les Français au Pont de Papier (Cầu Giấy) au cours duquel le commandant supérieur Henri Rivière fut tué ()[16].

À part deux bataillons de l’armée du Guangxi, et quelques munitions, Liu et le bataillon du Wuwei ne reçurent, malgré les efforts de Tang, que peu de soutien des autres forces chinoises[17], et subirent plusieurs revers (Phu Hoai, Pagode des Quatre Colonnes, Ba Giang, Phung), et durent se replier sur Son Tây en . Liu était furieux contre les chinois et Tang dut utiliser tous ses talents diplomatique pour le calmer et l’empêcher de se replier plus loin, à Lao Kây[18]. Tang Jingsong était de plus en plus amer et conseilla à nouveau à Liu, avec d’autres officiels chinois, de se proclamer roi[19]. Il essaya même, sans succès, de le convaincre d’attaquer à nouveau Hanoi[20].

Quand les Français attaquèrent et prirent Son Tay en , Tang Jingsong ne commandait qu’environ 500 hommes de l’armée du Guangxi. À part trois bataillons de l’armée du Yunnan, les autres troupes restaient prudemment à l’arrière[21]. Liu accusa même les maigres troupes de Tang d’avoir fui en panique, le laissant seul devant les Français[22], mais dut reconnaître que Tang était le seul commandant supérieur chinois à avoir participé à la campagne et à avoir fait preuve de loyauté envers lui, et il lui en sera longtemps reconnaissant. Après la défaite, Tang s’efforça de limiter les conflits entre Pavillons Noirs, Chinois et vietnamiens en déroute[23] et convainquit Liu d’aller renforcer Bac Ninh[24] que les Français prirent en .

Tang Jingsong et la guerre franco-chinoise

Troupes chinoises photographiées pendant la guerre franco-chinoise

Après la déclaration de la guerre franco-chinoise ( - )[25], Tang Jingsong fit descendre en l’armée du Yunnan cantonnée à Lao Kay, le long du Fleuve Rouge pour menacer la position française de Tuyen Quang. Liu Yongfu était sous ses ordres avec le grade de général. S’il n’arriva pas à prendre Tuyen Quang avec ses 9 000 hommes et les 3 000 Pavillons Noirs de Liu Yongfu, sa conduite du siège ( - ) impressionna tout autant les Français que ses collègues chinois, notamment Cen Yuying, le gouverneur-général du Yunnan et du Guizhou[26]. La 1re Brigade du colonel Laurent Giovanninelli rompit le siège lors de la bataille de Hoa Moc (2-) ; l'armée du Yunnan et les Pavillons Noirs devaient se retirer, prolongeant leur face-à-face avec les forces de Giovanninelli autour de Hung Hoa et de Tuyen Quang jusqu'à la fin de la guerre.

Conformément au deuxième traité franco-chinois de Tianjin du , Tang Jingsong et l'armée du Yunnan retournèrent au Yunnan. En , l'armée de Tang était dissoute.

Tang Jingsong et la République de Taiwan

Tang Jingsong fut nommé « Commissaire administratif provincial »[27] en 1891 et succéda à Shao Youlian (邵友濂) comme gouverneur général de Taiwan en 1894. Le traité de Shimonoseki ()[28], qui mettait fin à première guerre sino-japonaise, cédait au Japon à perpétuité les îles Pescadores et l’île de Taiwan. Le , le gouvernement Qing enjoignit par édit impérial à Tang Jingsong d'ordonner à tous les représentants civils et tous les officiers et hommes de troupe à quitter l’île. L'ordre était donné à Tang de se rendre à Pékin.

Entrée de l'armée japonaise à Taipei, 1895

Mais un certain nombre de notables de Taiwan conduits par Chiu Feng-chia (丘逢甲) refusèrent les termes du traité et proclamèrent, le la création d’une République de Taiwan[29] démocratique et nommait Tang Jingsong président le . L’armée de la jeune république était mise sous les ordres du généralissime Liu Yongfu, son ami et héros du Tonkin. Tang proclama une déclaration d’indépendance qui n’avait pas de connotation séparatiste : la séparation du continent n’était que temporaire et la République reconnaissait la suzeraineté de la Chine[30]. Tang avait d’ailleurs informé les autorités mandchoues qu’il avait été nommé contre sa volonté et s’enfuirait dès que possible[31]. Les élites locales espéraient que les puissances occidentales ne laisseraient pas le Japon envahir un pays indépendant. Tang Jingsong espérait que la marine française viendrait les aider à repousser le débarquement japonais[32] et la cour impériale avait fait croire à Liu Yongfu que la flotte russe viendrait à leur secours[33].

Les Japonais débarquèrent au nord de Taiwan le . Le , ils défirent l’armée de la République à Sui-hong (Juifang, 瑞芳) et prirent Chilung (Jilong, 雞籠) le lendemain. Le même jour, Li Ching-fang, fils adoptif de Li Hongzhang, dut transférer aux Japonais la souveraineté chinoise sur Taiwan[34]. Dans la nuit du 4 au , le tout nouveau président s’enfuit à Tamsui avec le général Chiu. Le , déguisé en vieille femme, il s’embarquait sur le vapeur allemand Arthur, qui ne put quitter le port vers Amoy (Xiamen) que le avec la plupart des officiers supérieurs[35]. Liu Yongfu lui succéda le lendemain. Avec la prise de Tainan en , la République disparut après cinq mois d’existence.

Tang mourut en 1903 à son domicile de Guilin, province du Guangxi, à l'âge de 63 ans.

Annexes

Notes et références

  1. jìnshì : candidat ayant réussi l'examen le plus élevé du service civil impérial.
  2. Tang Jingsong (...) ; McAleavy (1968) p. 193; Wong (1972) pp. 83-84.
  3. Cen Yuying a été gouverneur du Yunnan de mars 1868 à avril 1876, gouverneur général à partir de 1873 et sera plus tard vice-roi du Yunnan et Guizhou (Atwill (2005) p.171).
  4. Tang Jingsong justifie son séjour par la nécessité d’y obtenir des fonds ; pour McAleavy (1968) pp.194-195 le séjour était plutôt dû aux « plaisirs irrésistibles de Shanghai »
  5. Zeng Guoquan (曾國荃 / 曾国荃) était le frère cadet de Zeng Guofan.
  6. McAleavy (1968) p. 195 ; Wong (1972) p.84.
  7. McAleavy (1968) pp. 195-196; Wong (1972) p.85. Nguyen Van Tuong (Nguyễn Văn Tường ;Hán tự: 阮文祥; 1824-1886) deviendra plus tard régent et se distinguera en contribuant à la mise sur le trône et à la destitution de trois empereurs; Dục Đức, Hiệp Hoà et Kiến Phúc.
  8. McAleavy (1968) p. 198 ; Wong (1972) pp.85-86.
  9. Luo Xianglin (1957) pp. 167-169. Li Jian’er (1940). pp.134-136. Dans ses mémoires, Liu Yongfu utilise systématiquement le terme « Vietnam » et non « Tonkin », que Tang Jingsong avait probablement utilisé. Liu Yongfu avait en effet souvent tendance à exagérer sa propre importance.
  10. Tang Jingsong (...) pp. 72-75. Liu Yongfu avait dicté ses mémoires longtemps après les faits, alors que Tang Jingsong notait les évènements presque quotidiennement. Sa relation est donc probablement plus exacte, bien qu’il ait exagéré son importance çà et là. De plus, Liu avait été en conflit avec Tang à Taiwan dans les années mi-1890 et tendait à présenter Tang sous un mauvais jour. Voir Wong (1972) p. 183, n.76.
  11. McAleavy (1968) pp.201-202 ; Wong (1972) pp. 86-91, 97
  12. McAleavy (1968) p.202
  13. Chinois : 武煒, pinyin : wǔwěi.
  14. Wong (1972) pp.100-101, 104 ; Tang Jingsong ().
  15. McAleavy (1968) pp.202-203
  16. Wong (1972) pp.91-96, etc.
  17. Wong (1972) pp. 104-105. Ils reçurent aussi un soutien des troupes vietnamiennes.
  18. McAleavy (1968) pp.217 ; Wong (1972) pp.106-107.
  19. Tang Jingsong () pp.92-93 ; Wong (1871) pp. 107-108.
  20. Tang Jingsong () ; Wong (1871) p. 109.
  21. McAleavy (1968) pp.224 ; Wong (1972) p.115
  22. McAleavy (1968) p.229.
  23. Wong (1972) p.119
  24. Wong (1972) p.121
  25. Thomazi (1931) pp.55–58 ; Thomazi (1934) pp.152–157.
  26. De Lonlay, pp. 363–437 ; Grisot et Coulombon, pp. 448–452 ; Harmant, pp. 159–64 ; Lecomte (1893) ; Thomazi (1931) pp. 102–103 et 107–108; Thomazi (1934) pp. 237–241 et 246–248.
  27. En chinois : 布政使司 (pinyin : bùzhèngshǐsī"), abréviation de 承宣布政使司 (pinyin : chéngxuānbùzhèngshǐsī), qui signifie mot-à-mot "Bureau (司) du Commissaire (使) chargé (承) de la promulgation (宣) [des ordres impériaux] et de la dissémination (布) des politiques de l’État (政). Bùzhèngshǐsī peut aussi être traduit par "Vice-gouverneur" au sens où il ne dépendait que du Gouverneur (et du Gouverneur-général, quand il y en avait un). Voir How to translate buzhengshi 布政使?."
  28. Voir le texte du traité en anglais[lire en ligne]
  29. En chinois 台灣民主國 - mot à mot « Pays démocratique de Taiwan » ou « Démocratie de Taiwan ».
  30. McAleavy (1968) p.282 ; Takekoshi (1907) pp. 81-84.
  31. McAleavy (1968) p. 282
  32. Les navires français se dirigeaient en fait vers Madagascar, pour mater une rébellion.
  33. McAleavy (1968) p. 282 ; Tsai Pai-chuan & Ng Chi-ming (2003)
  34. Davidson pp. 292-299 ; McAleavy (1968) p. 281 ; Takekoshi (1907) pp. 84-86.
  35. Davidson () pp.299-313 ; Takekoshi (1907) p.87.

Bibliographie

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  • Shao Hsun-cheng et al. (1957) [Sino-French War] 7 volumes, Shanghai, 1957.
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  • Tang Jingsong (...) [Mémoires d'un volontaire] in Shao Hsun-cheng et al. (1957), vol.2.
  • Thomazi, Auguste (1931) Histoire militaire de l’Indochine française Hanoi, 1931.
  • Thomazi, Auguste (1934) La conquête de l'Indochine Payot, Paris, 1934, 291 pp.
  • Tsai Pai-chuan(蔡百銓)et Ng Chi-ming (黃奇銘)(2003) Taiwan Struggling for Independence: A Historical Perspective/台灣獨立奮鬥史, 27 nov. 2003.
  • Wong Chi Keung (1972) The Black Flags: A Study of their Emergence and their confrontation with the French in Tonkin, 1865-1885 Thesis, Department of History, Faculty of Arts, University of Hong Kong, Oct. 1972, xi + 205 pp.

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