Taux normal d'extinction
Le taux normal d'extinction, ou taux naturel d'extinction (en anglais background extinction rate, taux d'extinction de fond) est la proportion d'espèces qui disparaît en l'absence de facteurs humains et hors période de catastrophe. Il est utilisé pour comparer les taux d'extinction actuels et ceux qui ont prévalu avant l'apparition des hommes dans les intervalles calmes entre les cinq extinctions de masse qu'a connues l'histoire géologique de la Terre[1]. Le but est de déterminer si de nos jours la fréquence des extinctions est plus élevée que celle attendue. Certains scientifiques ayant avancé l'hypothèse d'une sixième extinction de masse déjà commencée, le calcul du taux moyen pré-anthropique est utilisé également dans le cadre de cette controverse.
La notion d'espérance de vie des espèces
Les extinctions font partie du processus évolutif. Entre les cinq extinctions de masse, les espèces ont continué à s'éteindre, mais à un rythme modéré. La durée de vie moyenne des espèces est estimée à cinq millions d'années[2],[3], avec des variations en fonction des spécificités et des effectifs de chacune.
Les paléontologues se fondent sur les archives fossiles pour estimer d'abord le nombre d'espèces vivantes à une époque et dans un espace donnés, puis pour identifier celles qui ont disparu[4].
Calcul global
Les scientifiques estiment le taux d'extinction normal en utilisant l'unité million d'espèces-années (MSY, million species year) [5]
- Selon une étude publiée dans Science Advances par Gerardo Ceballos et ses collègues en 2015, le taux « habituel » est compris entre 0,1 et 1 espèce éteinte par million d'espèces et par an ; cela signifie qu'on devrait avoir 1 extinction pour dix mille espèces en un siècle[6].
Ces scientifiques considèrent que le taux d'extinction actuel est 8 à 100 fois supérieur au taux habituel. Dans des conditions normales, il aurait dû y avoir 9 extinctions d'espèces de vertébrés depuis 1900 ; or d'après les estimations basses de l'UICN, il y en a eu 468 pendant cette période[6]. Les causes de ce rythme accéléré d'extinctions seraient « la surpopulation humaine, liée à une croissance continue de la population, et la surconsommation[7] ».
- Selon Frédérik Saltré et Corey J. A. Bradshaw, professeurs en écologie, le taux actuel d'extinction est 10 à 10 000 fois supérieur au taux normal, et pour que s'éteignent les espèces qui ont disparu au XXe siècle, il aurait fallu, en l'absence d'impact humain, entre 800 et 10 000 ans[8]. Ces deux scientifiques se fondent sur un taux moyen attendu d'1 extinction par million d’espèces pour un million d’années, autrement dit « s’il y avait cent millions d’espèces sur Terre, il en disparaitrait une chaque année ; inversement s’il n’y avait qu’une seule espèce sur Terre, elle disparaitrait en 100 millions d’années »[8].
Calcul par espèces
Certaines estimations de la durée de vie des espèces par taxonomie sont données ci-dessous (Lawton et )[9].
Taxonomie | Source d'estimation | Espérance de vie moyenne (en millions d'années) |
---|---|---|
Tous les invertébrés | Raup (1978) | 11 |
Invertébrés marins | Valentin (1970) | 5–10 |
Animaux marins | Raup (1991) | 4 |
Animaux marins | Sepkoski (1992) | 5 |
Tous les groupes de fossiles | Simpson (1952) | 0,5–5 |
Les mammifères | Martin (1993) | 1 |
Mammifères cénozoïques | Raup et Stanley (1978) | 1–2 |
Les diatomées | Van Valen | 8 |
Dinoflagelates | Van Valen (1973) | 13 |
Foraminifères planctoniques | Van Valen (1973) | 7 |
Bivalves cénozoïques | Raup et Stanley (1978) | dix |
Échinodermes | Durham (1970) | 6 |
Graptolites siluriennes | Rickards (1977) | 2 |
Spécificités de l'extinction actuelle
Lors de l’extinction de masse la plus grave, qui s'est produite à la fin du Permien il y a 250 millions d’années, entre 90 et 95 % des espèces connues avaient alors disparu. L'extinction actuelle ne se situe pas à la même échelle. Elle présente deux autres caractères nouveaux : d'une part elle est plus rapide, d'autre part à la différence des précédentes elle n'est pas due à des phénomènes géologiques (la dérive des continents, des éruptions volcaniques) ou à des catastrophes naturelles (changements climatiques, chute d’une météorite) mais pour une grande part à l'activité humaine[10],[8].
Marge d'erreur des mesures scientifiques
Le fait que le nombre total d'espèces, passées et présentes, soit actuellement inconnu, rend très difficile la mesure précise des taux d'extinction en l'absence de toute influence humaine. Pour calculer un taux, il est essentiel de connaître non seulement le nombre d'extinctions, mais aussi le nombre de non-extinctions. Environ 10 % seulement des espèces ont été décrites ; parmi les animaux, les moins bien connus sont les insectes (un million d'espèces identifiées, sur 8 à 15 millions), les mieux connus sont les vertébrés (95% des espèces de vertébrées sont décrites)[11].
Bibliographie
- Julien Delord, L’extinction d'espèce : Histoire d'un concept & enjeux éthiques, Paris, Publications scientifiques du Muséum, 2010, lire en ligne (généré le 07 ). (ISBN 9782856538630). DOI:https://doi.org/10.4000/books.mnhn.2500
- Anne Teyssèdre, « Vers une sixième crise d’extinction », in R. Barbault et B. Chevassus-au-Louis (dir.), Biodiversité et changements globaux, Ministère des affaires étrangères, Adpf, Paris, 2004, p. 24-49, lire en ligne.
- Delbert Wiens et Michèle R. Slaton, « The mechanism of background extinction », Biological Journal of the Linnean Society, vol. 105, no 2, , p. 255–268 (ISSN 0024-4066, DOI 10.1111/j.1095-8312.2011.01819.x, lire en ligne, consulté le )
- Jurriaan M. De Vos, Lucas N. Joppa, John L. Gittleman et Patrick R. Stephens, « Estimating the normal background rate of species extinction », Conservation Biology, vol. 29, no 2, , p. 452–462 (ISSN 1523-1739, DOI 10.1111/cobi.12380, lire en ligne, consulté le )
- J.H. Lawton, R.M. May, Extinction rates, Oxford University Press, Oxford, 2005.
- Andrew E. Snyder-Beattie, Toby Ord et Michael B. Bonsall, « An upper bound for the background rate of human extinction », Scientific Reports, vol. 9, no 1, , p. 11054 (ISSN 2045-2322, DOI 10.1038/s41598-019-47540-7, lire en ligne, consulté le )
- Malcolm L. McCallum, « Amphibian Decline or Extinction? Current Declines Dwarf Background Extinction Rate », Journal of Herpetology, vol. 41, no 3, , p. 483–491 (ISSN 0022-1511 et 1937-2418, DOI 10.1670/0022-1511(2007)41[483:ADOECD]2.0.CO;2, lire en ligne, consulté le )
- Norman L. Gilinsky, « Volatility and the Phanerozoic Decline of Background Extinction Intensity », Paleobiology, vol. 20, no 4, , p. 445–458 (ISSN 0094-8373, lire en ligne, consulté le )
- Megan Lamkin et Arnold I. Miller, « On the Challenge of Comparing Contemporary and Deep-Time Biological-Extinction Rates », BioScience, vol. 66, no 9, , p. 785–789 (ISSN 0006-3568, DOI 10.1093/biosci/biw088, lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
Liens externes
- Jean-Luc Goudet, « Vivons-nous le début d'une extinction de masse ? », sur Futura, (consulté le )
- Discussion of extinction events, with description of Background extinction rates
Références
- E.g. Julia Whitty, « Animal Extinction - the greatest threat to mankind: By the end of the century half of all species will be extinct. Does that matter? » [archive du ], The Independent, (consulté le ) : « By the most conservative measure - based on the last century's recorded extinctions - the current rate of extinction is 100 times the background rate. »
- Science-et-vie.com, « Biodiversité : sommes-nous à l'aube d'une 6e extinction ? - Science & Vie », sur www.science-et-vie.com, (consulté le )
- Robert Barbault, « Biodiversité, écologie et sociétés », Ecologie & politique, vol. N°30, no 1, , p. 27 (ISSN 1166-3030 et 2118-3147, DOI 10.3917/ecopo.030.0027, lire en ligne, consulté le )
- (en-US) Kate et erson | December 11, « What is Background Extinction Rate and How is it Calculated? », sur Population Education, (consulté le )
- Pimm, S.: “The Extinction Puzzle”, Project Syndicate, 2007. http://www.project-syndicate.org/commentary/pimm1
- Jean-Luc Goudet, « Vivons-nous le début d'une extinction de masse ? », sur Futura, (consulté le )
- « La sixième extinction de masse des animaux s’accélère », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Marcus Dupont-Besnard, « Vivons-nous vraiment la sixième extinction de masse ? », sur Numerama, (consulté le )
- (en) John H. Lawton et Robert McCredie May, Extinction Rates, Oxford University Press, , 233 p. (ISBN 978-0-19-854829-4, lire en ligne)
- DELORD, Julien. L’extinction d'espèce : Histoire d'un concept & enjeux éthiques en ligne. Paris : Publications scientifiques du Muséum, 2010 (généré le 07 mai 2020). (ISBN 9782856538630). DOI:10.4000/books.mnhn.2500
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