Tragédie d'Ustica

Le à 20 h 59, un Douglas DC-9-15 effectuant le vol Itavia 870 Bologne-Palerme s'abime en mer Tyrrhénienne, près de l'île d'Ustica (nord de la Sicile), probablement abattu par un missile, tuant les 81 personnes à bord. Cet accident est connu comme la tragédie d'Ustica (en italien, strage d'Ustica – « massacre d'Ustica »).

Vol 870 Aerolinee Itavia

Le DC-9 de la compagnie Itavia pris en photo en 1972.
Caractéristiques de l'accident
Date
TypeTir de missile accidentel par un chasseur de l'OTAN
CausesPénétration accidentelle dans une zone de combats aériens entre des chasseurs lybiens et de l'OTAN et fut abattu par erreur par un chasseur de l'OTAN après avoir été confondu avec un MIG lybien.
SiteEn mer Tyrrhénienne, près de l'île d'Ustica, Italie
Coordonnées 39° 43′ 00″ nord, 12° 55′ 00″ est
Caractéristiques de l'appareil
Type d'appareilMcDonnell Douglas DC-9
CompagnieAerolinee Itavia
No  d'identificationI-TIGI
PhaseCroisière
Passagers77
Équipage4
Morts81 (tous)

Géolocalisation sur la carte : Italie

Les causes de l'accident n'ont jamais été éclaircies. Rapidement écartée, la thèse de l'accident fait place à des soupçons d'attentats, d'autant plus crédibles étant donné le contexte de l'époque. Depuis 1999, l'enquête du magistrat italien Rosario Priore s'oriente vers la thèse d'un tir de missiles d'un avion de l'OTAN, qui aurait été français ou américain : celui-ci aurait abattu par erreur le DC-9 en pourchassant un MiG-23 libyen qui se serait dissimulé derrière (technique courante pour échapper à la détection radar). Cette thèse avait déjà été évoquée par la Commissione Stragi (it) établie en 1988. Il faut cependant préciser qu'en 1981, la France ne participe pas aux opérations militaires de l'OTAN et n’était plus membre du commandement intégré depuis 1966.

L'ex-président de la République Francesco Cossiga, et Rosario Priore ont évoqué une tentative d'assassinat de Kadhafi. Deux mois auparavant, le président du Tchad, Goukouni Oueddei, avait annoncé à Tripoli la fusion de son pays avec la Libye, ce qui avait suscité une forte réprobation de la France[1].

Thèses

Le musée pour la mémoire d'Ustica, ouvert le à Bologne. Une installation de Christian Boltanski y est présentée.

Plusieurs thèses se sont affrontées à ce sujet au cours des années. L'enquête administrative puis judiciaire a écarté tout défaut de construction de l'appareil, tandis que la possibilité qu'une bombe ait été posée dans les toilettes a été écartée. Néanmoins, en 1987, le ministre italien Giuliano Amato débloqua des fonds pour que l'institut français Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer) puisse récupérer le fuselage, immergé à 3 700 mètres sous l'eau. La société décela des traces d'explosifs sur la carcasse[2].

Étant donné le contexte de l'époque (années de plomb et la stratégie de la tension), la possibilité d'un attentat a souvent été évoquée, à tel point que la Commissione Stragi (it) établie en 1988 et chargée d'enquêter sur les attentats commis en Italie s'était auto-saisie du dossier. Dirigée par le sénateur communiste Giovanni Pellegrino, celle-ci qualifie l'accident d'« attentat d'Ustica » (strage di Ustica) et conclut dans son rapport :

«  L'incident du DC-9 eut lieu suite à une action d'interception militaire, le DC-9 fut abattu, la vie de 81 citoyens innocents détruite par une action qui a été de fait une action de guerre, une guerre réelle non-déclarée, une opération de police internationale secrète contre notre pays, dans laquelle ses frontières et ses droits ont été violés. »

N'ayant cependant pas réussi à identifier les responsables, elle archive le dossier.

L'enquête du magistrat R. Priore : le tir accidentel d’un avion de chasse.

Selon une enquête du magistrat italien Rosario Priore, l'avion aurait été la cible d'un missile tiré par erreur lors d'un combat aérien entre des avions de l'OTAN pourchassant des MiG libyens[2]. Deux MIG se sont en effet envolés ce jour-là de Yougoslavie pour retourner en Libye et la carcasse d'un MiG-23 est découverte vingt jours plus tard dans les montagnes de SilaCastelsilano, en Calabre)[2]. Annoncée dès 1999 par Priore[3], cette thèse continue à être à l'ordre du jour[2].

Trajectoire du MiG-23 retrouvé à Castelsilano selon l’armée italienne.

Pourtant, selon le journaliste et spécialiste aéronautique Tom Cooper et ses correspondants français se basant sur les témoignages de militaires libyens et les rapports de la commission d'enquête italo-libyenne de ce qui est appelé l'incident aérien de Castelsilano (it), le MiG-23MS, sans armement, bidons de carburant, matériel de reconnaissance ou de guerre électronique s'est écrasé accidentellement deux jours avant le drame selon le témoignage de l'ailier de la patrouille qui venait de la base aérienne de Benina en Libye. Le pilote, le lieutenant Ezedin Koal, de l'armée de l'air syrienne affecté à l'époque dans l'armée de l'air libyenne a souffert d'hypoxie. Il a obtenu un masque respiratoire flambant neuf avant son décollage qui s'est révélé trop grand. L'ailier a vu le pilote « sa tête tombée vers l'avant » au nord de Benghazi. L'avion était en mode semi-pilote automatique et a poursuivi son voyage en direction du nord jusqu'à ce qu'il manque de carburant et s'écrase en Italie[4],[5].

Les rapports des radars à l'époque, déclassifiés par l'OTAN en 1997, indiquent qu'il y avait dans la zone de vol une intense activité militaire, avec la présence d'aéronefs libyens, italiens, français et américains, ainsi que d'un porte-avions britannique[3]. Pas moins de six chasseurs ont été recensés dans la zone[2], bien que Paris ait toujours nié la présence de l'un de ses aéronefs militaires[2]. En 1999, Priore évoque même la possibilité que le tir ait été une tentative d'assassinat du président libyen Kadhafi qui aurait été le passager du MiG[3].

Priore affirme que douze décès suspects (suicides par pendaison, accidents de voiture, assassinat, etc.) sont recensés autour de l'affaire, concernant des contrôleurs aériens et des pilotes[6]. Le premier, concernant le colonel Pierangelo Teoldi, a lieu le (accident de voiture) ; le dernier, concernant le contrôleur aérien Franco Parisi, a lieu le (suicide par pendaison, ce qui avait déjà été la cause de décès officielle du contrôleur aérien Mario Alberto Dettori le ).

Les services secrets italiens (SISMI et « super-SISMI », un service secret clandestin à l'intérieur de celui-là dirigé par Francesco Pazienza, etc.) ont été à de nombreuses reprises accusés de couvrir l'affaire[7],[3]. Selon Priore, ils ont agi ainsi pour obéir à des directives de l'OTAN[3]. Quatre généraux italiens et cinq autres personnes sont ainsi inculpées pour obstruction à l'enquête, mais l'inculpation est soit abandonnée, soit rejetée par un acquittement, en raison de la durée de l'enquête, dépassant le délai de prescription, et de preuves insuffisantes[3]. Les généraux Corrado Melillo et Zeno Tascio sont acquittés le  ; les généraux Lamberto Bartolucci et Franco Ferri, condamnés pour haute trahison, ont fait appel et sont acquittés par la Cour de Cassation le .

En , Francesco Pazienza, interviewé par La Repubblica après avoir purgé treize ans de prison pour obstruction à la justice et association de malfaiteurs dans le cadre d'autres affaires, déclare que le DC-9 avait été abattu par la Libye[8] sans apporter des preuves ou indices qui pourrait appuyer cette accusation.

Les services secrets français sont également soupçonnés. Selon des documents du SISMI révélés par La Repubblica, l'IFREMER serait impliqué dans ces soupçons[7],[9].

L'enquête de Frank Taylor : une bombe dans les toilettes

En 2008, une enquête internationale dirigée par Frank Taylor, expert de l'AAIB déjà chargé de l'enquête sur l'attentat de Lockerbie, a permis d'établir que la perte du vol 870 Itavia résultait de l'explosion d'une bombe placée dans les toilettes de l'appareil[10] ; cette enquête est également revenue sur la thèse de l'implication d'un autre appareil, fondée sur les échos radars, en rappelant que "la conclusion finale était que si tous les échos radar pouvaient être expliqués par la chute de l'épave, la présence d'un autre avion à proximité ne pouvait pas être exclue" ; dit autrement, la probabilité qu'un autre appareil ait causé les retours radar observés est moindre que la probabilité que l'appareil lui même, se brisant en vol, ait causé ces échos. L'épisode Massacre au-dessus de la Méditerranée de la série Air Crash relate cette thèse, récusée par l'ancien grand reporter au Corriere della Sera Andrea Purgatori[9]. La justice italienne a toutefois préféré ignorer le rapport d'expertise officiel, qui ne fut nullement publié[réf. nécessaire].

Relance de l'enquête

L'enquête italienne est relancée après que l'ancien président de la République italienne Francesco Cossiga, chef du gouvernement au moment de la tragédie, affirme en qu'un chasseur ou la base aérienne de Solenzara, l'armée française se serait dissimulé derrière le DC-9 pour poursuivre le MIG, et avait abattu celui-là par erreur[2]. Selon Cossiga, qui indiquait que lui et le ministre Amato avaient été informés de ceci par des agents des renseignements italiens, il se serait agi d'une tentative d'assassinat de Mouammar Kadhafi[11]. Paris nie avec constance avoir été impliqué dans l'affaire[2],[9]. Pour le président italien Giorgio Napolitano, « les procès n'ont pas fait toute la lumière sur Ustica » et il appelle de ses vœux en 2014 « un effort supplémentaire pour reconstituer les faits de manière exhaustive et dissiper les ombres[2]. »

En , le président du Conseil Matteo Renzi ordonne la déclassification de nombreuses archives, geste qu'il motive par « un devoir de mémoire envers les citoyens et les proches des victimes »[12].

En 2013, deux jugements en responsabilité civile de la Cour de cassation italienne ont attribué l’explosion à un missile air-air, sans identifier la nationalité de l’avion de chasse qui l’aurait lancé. L’État italien est condamné à verser 100 millions d’euros d’indemnités aux familles des victimes pour ne pas avoir correctement défendu son espace aérien. Selon les magistrats, le missile était très probablement destiné au dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, et ses « empreintes » impliqueraient la France[9]. Fin , la justice italienne adresse une quatorzième salve de commissions rogatoires à propos du crash, concernant les vols possibles d'avions français partis de la base de Solenzara en Corse[13] ou du porte-avions Foch. Le Quai d'Orsay affirme qu'il continuera à collaborer pleinement avec la justice italienne[2].

Médias

L'accident a fait l'objet d'un épisode dans la série télé Air Crash nommé « Massacre au-dessus de la Méditerranée » (saison 13 - épisode 7).

Le documentaire « Crash de l'Ustica : Une bavure française ? », réalisé par Emmanuel Ostian, a été diffusé sur Canal + le .

Notes et références

  1. Alain Fogué Tédom, Enjeux géostratégiques et conflits politiques en Afrique noire, éd. L'Harmattan, 2008, 418 p., p. 103-104
  2. Richard Heuzé, « La France à nouveau accusée dans la tragédie d'Ustica », lefigaro.fr, (consulté le ).
  3. (en) The mystery of flight 870 - Barbara McMahon,, The Guardian, 21 juillet 2006
  4. (en) Tom Cooper, Albert Grandolini et Arnaud Delalande, Libyan Air Wars: 1973-1985, Helion & Company, (ISBN 1-9099-8239-3), p. 80
  5. Arnaud Delandande, « Tragédie d'Ustica ou comment utiliser une théorie conspirationniste pour faire de l'audimat », sur AeroHisto, (consulté le ).
  6. (it) Le dieci morti misteriose del dopo Ustica - Daniele Protti et Sandro Provvisionato, L’Europeo, 28 février 1992 [PDF]
  7. (it) Ustica, il giudice priore indaga sul Supersismi - Franco Scottoni, La Repubblica, 6 octobre 1990
  8. (it) "Lo, Gelli e la strage di Bologna" Ecco le verità della super-spia - Milena Gabanelli, La Repubblica, 30 janvier 2009
  9. Andrea Purgatori, « Les mystères du crash d’Ustica : Tragédie aérienne ou bavure militaire ? », Le Monde diplomatique, (lire en ligne)
  10. Frank Taylor, A case history involving wreckage analysis: Lessons from the Ustica investigations, on aviation-safety.net [lire en ligne]
  11. Reuters, Italy reopens probe into 1980 plane crash-media, 22 juin 2008 [lire en ligne]
  12. Étienne Dubuis, « Les «années de plomb» sur la place publique », letemps.ch, (consulté le )
  13. Arnaud Vaulerin, Libération, « Italie : "Il y a eu la volonté forte d’empêcher l’émergence de la vérité sur le crash d'Ustica" », entretien avec l'historienne Cora Ranci, auteure de Ustica : Una ricostruzione storica, (Laterza, 2020)

Annexes

Articles connexes

Lien externe

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