Ushi no toki mairi
Ushi no toki mairi (丑の時参り) ou ushi no koku mairi (丑刻参り). (« Visite du sanctuaire à l'heure du bœuf »)«[2] désigne un procédé de malédiction traditionnel au Japon, ainsi appelé parce qu'il est mené au cours de l'heure du bœuf (entre 1 et 3h). Le praticien - généralement une femme -[3],[4], tout de blanc vêtu et couronné d'un anneau de fer fixé avec trois bougies verticales allumées, enfonce des clous dans l'arbre sacré[5],[note 1] d'un sanctuaire shinto. Dans la pratique habituelle contemporaine, les clous sont enfoncés dans une effigie en paille[note 2] de la victime, empalée sur l'arbre situé derrière elle[4],[6]. Le rituel doit être répété sept jours de suite, après quoi il est admis que la malédiction a réussi, causant la mort de la victime[5]. Cependant, être témoin de la pratique est supposé annuler le sortilège[7]. Le Kibune-jinja à Kyoto est fortement associé au rituel[8].
La pratique est également appelée ushi no toki mōde (丑時詣), ushi mairi (丑参り), ushimitsu mairi (丑三参り)[9],[10].
Vue générale
Les sources indiquent que la méthode commune du rituel s'est développée au cours de l'époque d'Edo (1603-1868)[5]?
La femme pratiquant la malédiction est généralement dépeinte comme vêtue de blanc, les cheveux épars[4], portant une « couronne » de fer avec trois bougies allumées[3],[5] avec suspendu à son cou un miroir sur sa poitrine[1],[3],[9],[11] (qui reste caché[1]) et portant une paire de hauts geta[6],[note 3]. Elle cloue alors une poupée de paille représentant sa cible à un arbre sacré (神木, shimboku) au sanctuaire shinto[4].
La « couronne » de fer qu'elle porte est en fait un tripode (五徳, gotoku) (ou trépied[12], un support pour installer des marmites, etc. au-dessus d'une source de chaleur) qu'elle porte à l'envers[6]. Elle fait glisser l'anneau de fer au-dessus de sa tête et colle les bougies sur le trépied[4].
On croyait que l'endroit frappé sur la poupée de paille correspondait à la zone du corps où la cible commencerait à éprouver maladie ou blessure[4],[10]. Toutefois, cette poupée de paille ou autre forme d'effigie n'était pas une condition définitive dans le rituel, même relativement à la fin de l'époque d'Edo. Par exemple, le Konjaku Gazu Zoku Hyakki de Toriyama Sekien (1779, représenté en haut à droite) dépeint la femme tenant un marteau mais pas de poupée, et aucune poupée n'est mentionné dans la légende[1]. Dans ce cas, les clous sont enfoncés directement dans les branches de l'arbre sacré.
Les accessoires utilisés sont décrits un peu différemment en fonction de la source. Les clous d'une taille particulière appelés 五寸釘 (gosun kugi, « clous de cinq pieds ») sont prescrits selon certaines autorités[9],[13]. Elle peut tenir un peigne dans sa bouche[13] ou une « torche de bambou ou des racines de pins allumées à chaque extrémité »[4]. L'« heure fatidique appropriée » est, à proprement parler, l'Ushi pas mitsu doki 2 h~2.3 h[1].
Dans les estampes de Sekien ou Hokusai (ci-dessus), la femme qui effectue le rituel de malédiction est représentée avec un bœuf noir à côté d'elle. Un tel bœuf noir, couché, doit apparaître durant la septième nuit du rituel et il faut enjamber ou chevaucher l'animal pour achever la tâche avec succès[14] mais si l'on trahit sa peur à l'apparition de bœuf, la « puissance du charme est perdue »[4].
Histoire
Dans les premiers temps, le terme renvoyait simplement à l'adoration dans le sanctuaire pendant les heures du bœuf et la connotation de malédiction s'est développée plus tard. Au Kibune-jinja de l'arrondissement Sakyō-ku de Kyoto, une tradition voulait que si l'on priait ici à l'« heure de buffle de la journée de buffle du mois du buffle de l'année du buffle » le souhait était susceptible d'être accordé car c'était pendant cet alignement de l'heure, du jour, du mois et de l'année que la divinité Kibune était supposée être descendue sur le sanctuaire. Cependant, le sanctuaire est devenu connu comme lieu de malédiction dans les développements ultérieurs[15].
Le sanctuaire Kibune est devenu fortement associé à la malédiction de l'heure du bœuf à la suite de la renommée de la légende médiévale de Hashihime d'Uji (« La princesse du pont d'Uji » (ja)). La légende est considérée comme la principale source de la conception ultérieure du Ushi no toki mairi comme malédiction de rituel[15],[16]. Selon la légende, Hashihime dans la vie mortelle était la fille d'un homme noble, mais consommée par la jalousie, fit vœu de devenir un kijin (démon oni) capable de détruire sa rivale en amour. Après sept jours passés au sanctuaire Kibune, elle a finalement reçu la révélation par la divinité résidente « de se baigner pendant trente sept jours dans les rapides de la Yodo-gawa »[17]. Notez que même si Kibune a plus tard été considérée comme une Mecque pour le rituel, Hashihime a appris la recette ici seulement et l'a mise en œuvre à des kilomètres de là (Kibune est dans le nord de Kyoto, la rivière Uji est au sud).
Le premier texte écrit de la légende se trouve dans une variante du texte (Yashirobon codex[18]) de la fin de l'époque de Kamakura du Heike monogatari sous le chapitre Tsurugi no maki (« Livre de l'épée »)[19]. Selon ce texte, Hashihime est à l'origine une mortelle durant le règne de l'empereur Saga (809 to 823)[17] mais après être devenu démon et tué sa rivale, les parents de son homme et indistinctement d'autres personnes innocentes, elle a vécu au-delà de la durée normale de la vie humaine, pour faire de sa proie le samouraï Watanabe no Tsuna au pont Ichijo Modoribashi (一条戻橋), pour finalement avoir son bras sectionné par l'épée Higekiri (髭切)[19]. Tsuna conserve le bras du démon dont la puissance est contenue par le maître Yinyang (陰陽師, onmyōji) Abe no Seimei en chantant le sūtra Ninnō-kyō[18]. Dans cette variante du « chapitre de l'épée », la cérémonie que la femme subit à la rivière Uji pour se métamorphoser en démon est ainsi décrite :
« Se retirant dans un endroit désert, elle divise ses longs cheveux en cinq grappes et les façonne en cornes. Elle se barbouille le visage avec du vermillon et son corps de cinabre et se met sur la tête un trépied de fer avec des marques de brûlure [*[note 4]], attachée à ses jambes et tient dans sa bouche un autre brandon brûlant aux deux extrémités. »
— De Tsurugi no Maki[12],[20],[21]
Ainsi dans le Tsurugi no maki, on peut observer des éléments tels que le port du trépied (appelé ici 鉄輪 (kanawa)) et l'étaiement de torches allumées (similaire à des bougies dans la tradition ultérieure), mais la femme a peint tout son visage et son corps rouge, plutôt que de rester en costume blanc pur.
Plus tard durant l'époque de Muromachi, cette légende est adaptée par Zeami[12] dans le drame nô Kanawa ou La couronne de fer[20]. La pièce nô hérite essentiellement de la même tenue pour la femme principale à laquelle l'oracle commande de se « barbouiller le visage de rouge et de porter des vêtements écarlates »[15],[20] et n'utilise ni une poupée de paille ni un marteau[15] mais fait créer par le maître yingyang Seimei « deux effigies de paille grandeur nature de l'homme et sa nouvelle épouse [avec] leurs noms [placés] à l'intérieur » pour accomplir les rites d'exorcisme du démon de Hashihime[20]. Par conséquent, la forme plus tardive du Ushi no to mairi se développe par le mariage de l'utilisation de poupées dans l'art ésotérique japonaise de l'onmyōdō avec le sanctuaire de visite à l'heure de bœuf.
Malédiction utilisant des poupées dans l'antiquité
L'utilisation de poupées dans le rituel de malédiction était pratiquée depuis l'antiquité, avec une référence dans la chronique Nihon Shoki sous le règne de l'empereur Yomei, qui rapporte qu'en l'année 587, Nakatomi no Katsumi no Muraji a préparé des représentions du prince impérial Oshisaka no Hikohito no Ōe (ja) et leur a [jeté un sort] « mais cela n'a pas fonctionné »[22]. Cependant, ce document ne précise pas si les poupées ont été piquées par des instruments tranchants.
Il existe des reliques archéologiques déterrées en forme de poupées humaines soupçonnées d'avoir été utilisées dans des malédictions. Appelées figurines purificatrices (木製人形代, mokusei hitogatashiro), certaines ont des visages dessinés de manière réaliste à l'encre et d'autres avec des clous de fer enfoncés dans le sein. Un exemplaire du VIIIe siècle est conservé par l'Institut national de recherches de Nara sur les biens culturels[23],[24]. Il existe une autre relique en provenance du site de Tatechō à Matsue dans la préfecture de Shimane, étiquette en bois représentant une figure féminine, apparemment une femme noble peut-on en déduire de ses vêtements, et cette poupée a trois chevilles ou des clous enfoncés dans ce bois, en direction de ses seins et de son cœur[25].
Notes et références
Notes
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Ushi no toki mairi » (voir la liste des auteurs).
- arbre sacré (御神木|神木, shinboku)
- poupée de paille (藁人形, wara ningyō)
- 三橋 2011, p. 264–5 déclare qu'elle porte de grands sabots avec un seul panneau de support (「一本歯の高下駄」, même si l'illustration d'accompagnement sur une impression de Utagawa Toyohiro montre clairement deux supports
- ou « à chacune de ses jambes, une torche faite de bois de pin est attachée et mise à feu » dans Kusano 1962, p. 30
Références
- Sekien (1779), cite : 「丑時まいりハ、胸に一ツの鏡をかくし、頭に三つの燭〔ともしび〕を點じ、 丑みつの比神社にまうでゝ杉の梢に釘うつとかや。 はかなき女の嫉妬より起りて、人を失ひ身をうしなふ。 人を呪咀〔のろわ〕ば穴二つほれとは、よき近き譬ならん」 Traduction : Dans l'ushi doki mairi, [une femme] recèle un miroir en son sein, allume trois bougies autour de la tête, visite le sanctuaire pendant l'heure Mitsu Ushi (troisième partie de l'heure du bœuf, 2 h ~ 2.3 h, et enfonce des clous dans un arbre sugi. Les jalousies fugaces d'une femme apportent la ruine à la personne et au corps. Il dit bien le proverbe « maudit quelqu'un, creuse une deuxième fosse [pour toi] »
- »« »Nelson 1996, p. 143 donne « Visite du sanctuaire à l'heure de la vache »
- Joly 1912, p. 41-
- Pfoundes 1875, p. 19–20, cité dans Hildburgh 1915, 65. Notes.. Magical Methods for Injuring Persons, p. 118
- Nelson 1996, p. 143–4, citant Susumu (小野進) Ono, 古語辞典,
- Griffis 1876, p. 474
- Elisonas 1997, p. 290 et note 72
- (en) Ian Reader et George Joji Tanabe, Practically religious : worldly benefits and the common religion of Japan, Honolulu, University of Hawaii Press, , 303 p. (ISBN 0-8248-2090-8, lire en ligne), p. 140
- 出 (Niimura, Izuru) 新村, 広辞苑 (Kojien, 岩波書店, , 第4版 éd., 2880 p. (ISBN 978-4-00-080101-0), « うしのときまいり »
- « 日本国語大辞典 (Nihon kokugo daijiten) », 小学館, , p. 567
- Mitford 1870, p. 139–140
- Eisaburō Kusano, « Stories behind noh and kabuki plays », Tokyo News Service, , p. 30
- 小松和彦(Komatsu, Kazuhiko)「いでたちは白い着物を着て、髮を乱し、顔に白粉、歯には鉄漿、口紅を濃くつくる、頭には鉄輪をかぶり、その三つの足にろうそくを立ててともす。胸に鏡を掛け、口に櫛をくわえる。履き物は歯の高い足駄である」 cité dans :吉昭 松井, « 多賀社参詣曼陀羅を読む » [snippet], 時と文化: 日本史攷究の視座 : 岡田芳朗先生古稀記念論集, 歴研], (ISBN 4947769025), p. 173
- 一敏 関 et 和夫 大塚, 宗教人類学入門, 弘文堂, , p. 149
- 三橋 2011, p. 264–5
- Stephen E. Marvin, Heaven has a face, so does hell : the art of the Noh mask, vol. 1, Floating World Editions, , 664 p. (ISBN 978-1-891640-32-2 et 1-891640-32-1, lire en ligne), p. 278
- Eileen Kato, « The Iron Crown (Kanawa) », Twenty Plays of the Nō Theatre, Columbia University Press, , p. 193–194ff
- Vyjayanthi R. Selinger, « Writing Margins: The Textual Construction of Gender in Heian and Kamakura Japan », BRILL, (ISBN 9004255338), p. 130
- Terry Kawashima, « Writing Margins: The Textual Construction of Gender in Heian and Kamakura Japan », Harvard Univ Asia Center, (ISBN 0674005163), p. 272-
- Kato 1970
- Kato, cité dans Murguia 2013
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- 潔 (Umeya, Kiyoshi) 梅屋, « のろい (noroi) » [PDF] (consulté le )
- 昭 勝部 (川原和人, 宮澤明久, 柳浦俊一, 大谷祐司, 長峰康典), « タテチョウ遺跡発掘調査報告書III », 島根県教育委員会, , p. 375, 377註2 « 本編(2).pdf »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
Voir aussi
Bibliographie
- Jurgis Elisonas, « Edo and Paris: Urban Life and the State in the Early Modern Era », Cornell University Press, (ISBN 080148183X), p. 290
- William Elliot Griffis, The Mikado's Empire, Harper & Brothers, (lire en ligne), p. 474
- W. L. Hildburgh, « 65. Notes on Some Japanese Magical Methods for Injuring Persons », Man, Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, vol. 15, , p. 116–121 (DOI 10.2307/2787870, lire en ligne)
- Hernri L. Joly, « Bakemono », Transactions and Proceedings of the Japan Society, London, vol. 9, (lire en ligne)
- A. B. Mitford, « Tales of Old Japan : No. II The Loves of Gompachi and Komurasaki », The Fortnightly, vol. 8, (lire en ligne)
- Salvador Jimenez Murguia, « The Cursing Kit of Ushi no Koku Mairi », Preternature: Critical and Historical Studies on the Preternatural, vol. 2, no 1, (DOI 10.5325/preternature.2.1.0073, lire en ligne)
- John K. Nelson, « Freedom of Expression : The Very Modern Practice of Visiting a Shinto Shrine », Japanese Journal of Religious Studies, vol. 23, , p. 143–144 (lire en ligne [PDF])
- John K. Nelson, Enduring Identities : The Guise of Shinto in Contemporary Japan, Presses de l'université de Hawaï, , 336 p. (ISBN 0-8248-2259-5, lire en ligne), p. 47
- C. Pfoundes, Fu-so Mimo Bukuro : A Budget of Japanese Notes, Japan Mail, , 19–20 p. (lire en ligne)
- 健 三橋, 決定版知れば知るほど面白い! 神道の本, 西東社, , 264–5 p. (ISBN 978-4-7916-1816-3 et 4-7916-1816-5, lire en ligne)
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