Vikramarjuna Vijaya

Vikramarjuna Vijaya, en kannada ವಿಕ್ರಮಾರ್ಜುನ ವಿಜಯ (Vikramārjunavijayam) (trad. Victoire du puissant Arjuna), également connue sous le nom de Pampa Bharata, est une œuvre du poète jaïn Pampa écrite en vieux kannada (en) au Xe siècle. Ce poème profane écrit dans le style champu recrée le Mahabharata de Vyasa en mettant l'accent sur Arjuna, décrit sous les traits du roi Arikesari II (en). Grâce à une langue brillante et malgré quelques incohérences, Vikramarjuna Vijaya a traversé le temps et constitue encore aujourd'hui un des grands classiques de la poésie de langue kannada.

Cette page contient des caractères d'alphasyllabaires indiens. En cas de problème, consultez Aide:Unicode.

Vikramarjuna Vijaya
Informations générales
Auteur
Langue
Lieu
Vemulavada (en) actuellement dans l'état de Telangana en Inde
Date de publication
vers 950
Type
Dédicataire
Arikesari II (en)
Contenu
Sujet
Transcréation du Mahabharata

Contexte

Vikramarjuna Vijaya, en kannada ವಿಕ್ರಮಾರ್ಜುನ ವಿಜಯ (Vikramārjunavijayam) (trad. Victoire du puissant Arjuna), également connue sous le nom de Pampa Bharata ou plus rarement de Samasta Bharata, est la seconde épopée du poète jaïn médiéval Pampa. Après Ādipurāṇa, un texte à vocation religieuse qu'il achève en 942, il s'attaque à recréer le Mahabharata de Vyasa sous une forme condensée. Il termine vers 950[note 1] cette œuvre profane bien plus ambitieuse[4]. Pampa n'est pas le premier à adapter le Mahabharata, mais il est le premier à avoir essayé d'en capturer l'entièreté. Vikramarjuna Vijaya en est par ailleurs la plus ancienne transcréation connue dans une langue indienne moderne[5],[note 2].

Pampa qui était un poète de cour, met en valeur son mécène Arikesari II (en), le souverain de la dynastie Chalukya du royaume de Vemulavada (en) recouvrant actuellement l'état de Telangana en Inde, sous les traits d'Arjuna devenu le personnage central de l'épopée. Il l'indique dans le dernier chant en précisant qu'il s'agit d'une œuvre de commande : « …il [Arikesari] voulait que sa renommée soit établie de par le monde et lui [Pampa] a demandé de composer un conte historique en ce sens »[8]. Mais quelle que soit la raison qui a poussé Pampa à composer Vikramarjuna Vijaya, le roi a probablement beaucoup apprécié d'être présenté sous les traits du héros pandava car il lui a offert des bijoux et un agrahara (en) en récompense[1],[5].

La beauté des images et la richesse du style et de la langue ont fait de Vikramarjuna Vijaya un des grands classiques de la poésie kannada[9]. Elle n'était cependant connue que sous la forme de manuscrits jusqu'à ce que l'orientaliste Lewis Rice (en), qui avait établi la première biographie de Pampa en 1882[10], la publie en 1898[11].

Composition

Vikramarjuna Vijaya est écrite en vieux kannada (en), aussi appelé halegannada, dans le style champu[11]. Organisée en 14 chants et comprenant 1 609 vers intercalés de passages en prose constitués de 3 410 lignes[11], cette épopée est une transcréation du Mahabharata dont elle reprend et réarrange les éléments les plus significatifs[12]. Il s'agit donc d'une version considérablement abrégée par rapport à celle attribuée à Vyasa[note 3]. Pour alléger ainsi le texte, Pampa a fait le choix d’omettre et de simplifier de nombreux passages dont ceux à vocation métaphysique[14] tels que la Bhagavad-Gita qui se trouve par exemple réduite a un seul vers encadré de quelques phrases de prose[15]. Malgré ces simplifications, il s'attache a supporter dans son épopée les contraintes poétiques de son temps comme les dix-huit descriptions, les neuf rasa ou les séquences mythologiques[16]. Il s'éloigne néanmoins de la poésie sanskrite en jetant les bases d'une littérature propre à la langue kannada se situant dans la continuité du Kavirajamarga (en), un traité de rhétorique, poésie et grammaire écrit vers 875 par Srivijaya[17].

Dans le dernier chant, Pampa décrit son poème comme étant laukika, adjectif kannada ಲೌಕಿಕ (laukika) qui peut se traduire par profane ou temporel[18]. Il indique ainsi s'éloigner des interprétations religieuses jaïns du Mahabharata déjà connues à l'époque et peut dès lors représenter Arikesari II, qui était hindou, sous la forme d'Arjuna, le guerrier flamboyant[19]. Mais il ne parvient pas à se départir de certaines modifications jaïns comme celle qui rejette la polyandrie de Draupadi vue comme un grave péché. La Draupadi de Pampa n'est donc mariée qu'au seul Arjuna[note 4]. Cette simple altération a des conséquences importantes sur la cohérence de son épopée car elle rend de nombreux passages illogiques. Le moment par exemple où Bhima jure de venger Draupadi insultée par Dushasana (en) alors qu'Arjuna, pourtant son mari, reste en retrait perd beaucoup en crédibilité[20]. L'influence jaïn apparaît aussi dans le final de Vikramarjuna VijayaYudhishthira ne monte pas au ciel avec ses frères mais se retire dans l'ascèse, ce qui permet à Pampa de terminer sur une note hagiographique en couronnant son valeureux Arjuna/Arikesari avec sa reine Subhadra (en)[note 5],[21]. Cette fin particulière qui omet les sept derniers chapitres du Mahabharata, renforce l'aspect profane de l'œuvre en se concentrant sur la victoire terrestre[7].

En composant un épitomé du Mahabharata, Pampa a pris soin de représenter les personnages principaux du Mahabharata sous leurs aspects les plus marquants. S'il suit généralement Vyasa, il prend aussi parfois quelques libertés. Il fait ainsi presque abstraction de Krishna[note 6] et modifie légèrement Karna et Duryodhana. Les malheurs du premier le touchent au point de rendre sa chute face à Arjuna très émouvante. Il fait également de l'aîné des Kaurava un ami noble et sincère de Karna[9], peut-être comme une métaphore de sa propre relation avec Arikesari[12].

Mais Pampa ne se contente pas de faire l'éloge de son mécène, son œuvre peut également se lire comme une évocation du royaume de Vemulavada (en) : Arjuna est parfois nommé « Hariga » ou « Ariga », des diminutifs d'Arikesari[12], le dieu Indra figure peut-être Indra III (en), son oncle maternel, et la description d'Hastinapur se confond avec la ville de Vemulavada. Alors qu'elle n'est pas composée spécifiquement en shlesha, Vikramarjuna Vijaya rappelle cette poésie du double-entendre qui a marqué la littérature indienne pendant des siècles[22].

Notes et références

Notes

  1. La date et les circonstances exactes de la rédaction de Vikramarjuna Vijaya ne sont pas connues. Les historiens supposent qu'elle s'est achevée vers 950 car elle se situe entre Ādipurāṇa datée dans le texte de 942, et Yaiastilaka de Somadeva, un autre poète de cour, datée de 859[1]. De plus, Arisekari II à qui l'œuvre est dédiée est mort en 955[2]. D'autres tels que N. Venkataramanayya pensent le texte un peu antérieur et le datent indirectement d'avant 945[3].
  2. Sheldon Pollock (en) comme Alf Hiltebeitel évoquent aussi Paratavenpa écrit en tamoul par Peruntevanar vers 850, soit environ un siècle avant le Vikramarjuna Vijaya de Pampa. Mais cette œuvre qui n'est parvenue jusqu'à nous que dans une version très fragmentaire, n'a peut être pas été terminée[6],[7].
  3. Samasta Bharata, tel qu'appelle lui-même Pampa son œuvre à la fin du 14e et dernier chant, peut être traduite par Histoire complète des Bharata. Le terme kannada ಸಮಸ್ತ (samasta) désigne en effet la totalité[13], mais il est aussi possible de l'interpréter dans le contexte comme un résumé qui ambitionnerait de ne rien sacrifier de l'original[14]. Le sanskriste Sheldon Pollock (en) comprend aussi le mot samasta dans le sens d'une composition de plusieurs éléments narratifs, décrivant ainsi la combinaison allégorique entre l'épopée attribuée à Vyasa et les personnages et lieux réels[8].
  4. Le Mahabharata raconte que seul Arjuna a gagné la main de Draupadi au cours de son svayamvara mais qu'elle est ensuite mariée aux cinq frères pandava à la demande de leur mère Kunti. S'il est impensable pour Pampa de représenter une femme polyandre, Arjuna est, comme dans la version attribuée à Vyasa, polygame marié à la fois à Draupadi et à Subhadra (en).
  5. Il « oublie » au passage Draupadi, pourtant un des personnages centraux du Mahabharata.
  6. La mise en retrait de Krishna et la presque omission de la Bhagavad-Gita ont pu irriter certains lecteurs hindous, mais d'autres ont argumenté qu'elles permettent au contraire de renforcer le réalisme de l'action qui constitue le cœur du poème héroïque[15].

Références

  1. Sītārāmayya 1967, p. 16-17.
  2. Suryanarayana 1986, p. 15.
  3. Venkataramanayya 1974, p. 28.
  4. Datta 1987, p. 619.
  5. Das 2005, p. 141-142.
  6. Pollock 2006, p. 384.
  7. Hiltebeitel 2016, p. 147-149.
  8. Pollock 2006, p. 359-360.
  9. Mugali 1975, p. 29.
  10. Rice 1882, p. 19-23.
  11. Rao 1972, p. IX-X.
  12. Datta 1992, p. 4574-4575.
  13. SHABDKOSH English Kannada Dictionary (samasta) 2019.
  14. Acharya 2016, p. 136-138.
  15. Sumitra Bai et Zydenbos 2007, p. 264-265.
  16. Bhatt et Bhargava 2006, p. 209.
  17. Pollock 2006, p. 357-358.
  18. SHABDKOSH English Kannada Dictionary (laukika) 2019.
  19. Acharya 2016, p. 132.
  20. Mugali 1975, p. 25.
  21. Acharya 2016, p. 266-267.
  22. Pollock 2006, p. 361-362.

Documentation

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (en) Sisir Kumar Das, A History of Indian Literature, 500-1399 : From Courtly to the Popular, New Delhi, Sahitya Akademi, , 302 p. (ISBN 978-81-260-2171-0, OCLC 71714691, lire en ligne). 
  • (en) Vi Sītārāmayya, Mahakavi Pampa, Bombay, Popular Prakashan, (OCLC 832988228, lire en ligne)
  • (en) Amaresh Datta, Encyclopaedia of Indian Literature : Sasay to Zorgot, New Delhi, Sahitya Akademi, (OCLC 60445451, lire en ligne). 
  • (en) Amaresh Datta, Encyclopaedia of Indian Literature : A-Devo, New Delhi, Sahitya Akademi, , 987 p. (ISBN 978-81-260-1803-1, lire en ligne). 
  • (en) B.N. Sumitra Bai et Robert J. Zydenbos, « The Jaina Mahābharā », dans Arvind Sharma, Essays on the Mahābhārata, New Delhi, Motilal Banarsidass, (ISBN 978-8-120-82738-7, OCLC 80163615, lire en ligne). 
  • (en) Kambalur Venkatesa Acharya, Mahabharata and Variations Perundevanar Pampa and Nannayya a Comparative Study, Dharwad, Karnatak University, (lire en ligne). 
  • (en) Kolluru Suryanarayana, History of the Minor Chāḷukya Families in Medieval Āndhradēśa, New Delhi, B.R. Publishing Corporation, , 435 p. (ISBN 978-81-7018-330-3, OCLC 879230448, lire en ligne). 
  • (en) SHABDKOSH English Kannada Dictionary (samasta), « samasta - meaning in English », sur shabdkosh.com, (consulté le )
  • (en) SHABDKOSH English Kannada Dictionary (laukika), « laukika - meaning in English », sur shabdkosh.com, (consulté le )
  • (en) R.S. Mugali, History Of Kannada Literature, New Delhi, Sahitya Akademi, (OCLC 878687840, lire en ligne). 
  • (en) B. Ramachandra Rao, A Descriptive Grammar of Pampa Bhārata, Prasārānga, University of Mysore, (lire en ligne). 
  • (en) Lewis Rice, « The Poet Pampa », Journal of the Royal Asiatic Society, vol. 14, no 1, , p. 19–23 (ISSN 2051-2066 et 0035-869X, DOI 10.1017/S0035869X00018074, lire en ligne, consulté le ). 
  • (en) S. C. Bhatt et Gopal K. Bhargava, Land and people of Indian states and union territories : (in 36 volumes). 13. Karnataka, New Delhi, Kalpaz Publications, (ISBN 81-7835-369-5, OCLC 255105940, lire en ligne). 
  • (en) Sheldon Pollock, The Language of the Gods in the World of Men : Sanskrit, Culture, and Power in Premodern India, Berkely, University of California Press, , 684 p. (ISBN 978-0-520-24500-6, OCLC 760449755, lire en ligne). 
  • (en) N. Venkataramanayya, « The Kurkiyala Inscription of Jinavallabha », dans N. Venkataramanayya, P. V. Parabrahma Sastry et Abdul Waheed Khan, Epigraphia Andhrica vol. II, Hyderabad, Government of Andhra Pradesh, (OCLC 610428184, lire en ligne). 
  • (en) Alf Hiltebeitel, Nonviolence in the Mahabharata : Siva’s Summa on Rishidharma and the Gleaners of Kurukshetra, Londres et New York, Routledge, , 187 p. (ISBN 978-1-317-23876-8, OCLC 1097145499, lire en ligne). 

Voir aussi

  • Portail du monde indien
  • Portail de la poésie
  • Portail de la littérature
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.