White flight
Le white flight (en français, la « fuite des blancs ») est la migration des personnes d'origine européenne hors des zones urbaines à fort taux d'immigrés. Le terme est né aux États-Unis, où le phénomène, qui a commencé dans les années 1960, a été précisément décrit, mais il est également visible dans la plupart des pays d'immigration.
Histoire du concept
Durant les années 1970, un certain nombre de démographes et sociologues mettent en évidence le départ des populations blanches des centres-villes pour s’installer dans les banlieues ou même au-delà des aires métropolitaines[1]. Dans le même temps, et en s’appuyant sur ce constat, Thomas Schelling introduit une nouvelle conception de la ségrégation comme conséquence d’un ensemble de « comportements individuels discriminatoires[2],[3] ». Il explique que l’arrivée d’immigrés dans le centre des villes a favorisé la migration des populations intégrées à l’extérieur des villes. L’une des explications avancées parmi les chercheurs est celle d’une fuite des blancs (white flight), parfois appelé évitement ethnique (cultural avoidance)[4]. Cette théorie, dont les expressions empiriques ont confirmé sa validité[5] suppose l’existence d’un « seuil de tolérance raciale » dans la population majoritaire[3]. Lorsque ce seuil est franchi, ces derniers quittent leur quartier pour s’installer dans un endroit où la proportion de personnes racialisées est plus faible. De même, lorsqu’il s’agit de choisir un lieu de résidence, les Blancs applique implicitement à leurs choix un niveau de tolérance racial qui favorise mécaniquement la concentration des populations. À ce titre, plus de 70% des Blancs déménageraient si un grand nombre de Noirs venaient à s’installer dans leur quartier[6]. Par l’agrégation de ces décisions individuelles, le white flight contribue donc à alimenter la ségrégation.
Le white flight s'explique également par la volonté des populations blanches de fuir les quartiers pauvres avec un fort taux de criminalité[7].
Aux États-Unis
Le phénomène a commencé aux États-Unis dans un contexte suivant l'abolition de la ségrégation raciale lorsque bien des Noirs ont quitté les États du Sud pour s'installer dans des grandes agglomérations comme New York, Chicago et Los Angeles. Cela a entraîné un exode des populations blanches américaines, des quartiers populaires des grands agglomérations, vers des zones plus reculées où la composition ethnique était la plus blanche possible.
En France
En France, les quartiers à forte concentration allogène étant traditionnellement situés hors des centres historiques ou dans des zonages urbains bien définis, le phénomène semble avoir épargné le centre des grandes agglomérations.
Toutefois on peut dresser un parallèle avec La France périphérique : pour certaines grandes villes, notamment Paris et sa petite couronne, les populations modestes blanches sont parties s'installer en lointaine banlieue voire dans la campagne, alimentant le phénomène de périurbanisation, tandis qu'elles ont été remplacées par des populations précaires d'origine immigrée ou par des populations plus riches. Parfois - c'est le cas notamment du quartier parisien de Belleville[8] ou encore de celui de Barbès[9] - la population d'origine, des classes moyennes blanches, est d'abord remplacée par des populations précaires d'origine immigrée, qui sont ensuite chassées vers la banlieue par la hausse des prix engendrée par la gentrification.
En France, en dépit des difficultés liées à de telles études dues au fait que les données sur l’ascendance (pays et nationalité de naissance des parents) ne sont collectées que dans les grandes enquêtes de l’Insee et ce uniquement depuis une dizaine d’années[Quand ?] et non dans les recensements, on observe une augmentation des concentrations ethniques depuis la fin des années 1960. Alors que la « proportion de jeunes d’origine étrangère est restée relativement stable, en moyenne, dans les communes de moins de 10 000 habitants, elle s’est considérablement accrue dans les communes d’au moins 30 000 habitants où elle approche ou dépasse 35 %, en moyenne, en 2011. »[10] Elle est loin de ne toucher que les plus grandes métropoles. Ainsi, la ville de Blois voit sa proportion de jeunes d’origine étrangère passer de 5 % en 1968 à 40 % en 2011[10].
À l'intérieur d'une même ville, la ségrégation peut être plus ou moins marquée selon les quartiers où les populations d’origine étrangère sont anormalement concentrées ou non dans certains quartiers. À Mantes-la-Jolie, la proportion de jeunes d’origine non européenne est de 61 % mais dépasse 85 % dans certains iris (unité territoriale de base du recensement) et reste inférieure ou égale à 30 % dans d’autres[10]. La commune de Clichy-sous-Bois, est celle où la concentration ethnique est la plus élevée[10].
Toutefois, certains auteurs, comme Eric Charmes, nuancent ce rapprochement fait entre le white flight à l'américaine, où la question raciale est très présente, et la situation en France. Il lui semble important de rappeler que le phénomène de périurbanisation, et l'exclusion des classes les plus pauvres qu'il peut engendrer, relève d'autres préoccupations plus économiques que simplement ethnicistes[11].
Au Royaume-Uni
Le phénomène a été également bien étudié au Royaume-Uni. Pour la démographe Michèle Tribalat, l'une des explications est que « les processus de concentration et de ségrégation sont très anxiogènes pour les autochtones lorsqu’ils deviennent minoritaires et voient se transformer leur environnement. »[10]. En 2016, Blackburn a des quartiers dont 95 % des habitants sont originaires de minorités ethniques. À Slough, la population « blanche » est passée de 58,3 % en 2001 à 34,5 % en 2011. Dans le quartier de Savile Town de Dewsbury, le dernier recensement a dénombré que seules 48 des 4 033 personnes vivant dans la commune étaient des Blancs britanniques[12]. Plus généralement si ont observe la capitale Londres, les blancs britanniques de souche représentaient 58 % de la population au début des années 2000, ils représentent 43% en 2011.
Bibliographie
- (en) Avila, Eric, Popular Culture in the Age of White Flight : Fear and Fantasy in Suburban Los Angeles, Berkeley, University of California Press, , 308 p., poche (ISBN 978-0-520-24811-3, LCCN 2003019072, lire en ligne)
- (en) Finney, Nissa and Simpson, Ludi (2009) 'Sleepwalking to segregation'? Challenging myths about race and migration, Bristol: Policy Press.
- (en) Gamm, Gerald (1999). Urban Exodus: Why the Jews Left Boston and the Catholics Stayed Harvard University Press.
- (en) Kruse, Kevin M. (2005), White Flight: Atlanta and the Making of Modern Conservatism. Princeton: Princeton University Press.
- (en) Lupton, R. and Power, A. (2004) 'Minority Ethnic Groups in Britain'. CASE-Brookings Census Brief No.2, London: LSE.
- (en) Schneider, Jack (2008), Escape from Los Angeles: White Flight from Los Angeles and Its Schools, 1960-1980
- (en) Seligman, Amanda I. (2005), Block by Block: Neighborhoods and Public Policy on Chicago's West Side Chicago: University of Chicago Press.
- (en) Sugrue, Thomas J., The Origins of the Urban Crisis : Race and Inequality in Postwar Detroit, Princeton, Princeton University Press, , 1re éd., 375 p., poche (ISBN 978-0-691-12186-4, LCCN 2005047695)
- (en) Wiese, Andrew. (2006) "African American Suburban Development in Atlanta" Southern Spaces.
Notes et références
- (en) David Ley, « Countervailing Immigration and Domestic Migration in Gateway Cities: Australian and Canadian Variations on an American Theme », Economic Geography, vol. 83, no 3, , p. 231–254 (ISSN 1944-8287, DOI 10.1111/j.1944-8287.2007.tb00353.x, lire en ligne, consulté le )
- Thomas C. Schelling, « Models of Segregation », The American Economic Review, vol. 59, no 2, , p. 488–493 (ISSN 0002-8282, lire en ligne, consulté le )
- Thomas C Schelling, La tyrannie des petites décisions, Presses universitaires de France, , 247 p. (ISBN 978-2-13-036499-3, OCLC 8871060, lire en ligne)
- Roland Rathelot, Mirna Safi (2013). « Measuring the Effect of the Local Ethnic Composition on Natives’ and Immigrants’ Geographic Mobility in France. Evidence from Panel Data (1982-1999) », Notes & Documents, 2013-02, Paris, OSC, Sciences Po/CNRS.
- Kyle Crowder et Scott J. South, « Spatial and temporal dimensions of neighborhood effects on high school graduation », Social Science Research, vol. 40, no 1, , p. 87–106 (ISSN 0049-089X, DOI 10.1016/j.ssresearch.2010.04.013, lire en ligne, consulté le )
- (en) National Research Council et Commission on Behavioral and Social Sciences and Education, America Becoming : Racial Trends and Their Consequences :, National Academies Press, (ISBN 978-0-309-06840-6, lire en ligne)
- « White flight / Black flight — Géoconfluences », sur geoconfluences.ens-lyon.fr (consulté le )
- À Belleville, la gentrification aura-t-elle raison de la prostitution ?, lesinrocks.com, 15 août 2015
- Comment la Brasserie Barbès a ouvert le procès de la gentrification parisienne, slate.fr, 1er juin 2015
- White flight : ces Blancs qui abandonnent massivement certains quartiers britanniques. Et en France ? Les statistiques n'existent pas..., entretien avec Michèle Tribalat, atlantico.fr, 3 novembre 2016
- Éric Charmes, « Les périurbains sont-ils anti-urbains ? Les effets de la fragmentation communale », Les Annales de la Recherche Urbaine, vol. 102, no 1, , p. 7–17 (DOI 10.3406/aru.2007.2689, lire en ligne, consulté le )
- 'Go away, you shouldn't be here. Don't come back': The corner of Yorkshire that has almost no white residents, dailymail.co.uk, 2 novembre 2016
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