Crise portugaise de 1383-1385

La crise de 1383-1385, commencée avec la mort du roi Ferdinand Ier de Portugal, oppose les partisans de son éventuel[1],[2] successeur nominal, Jean Ier de Castille (comme roi consort marié à sa fille, l'héritière sous conditions de la couronne), lequel néanmoins et illégitimement[3] veut être pleinement souverain, à un demi-frère du roi Ferdinand, Jean, grand-maître de l'ordre d'Aviz. Ce qui ressemble bien à une crise dynastique, opposant deux candidats de la même famille, ou encore à une révolte portugaise contre l'annexion du royaume par la Castille, cache en réalité un conflit entre deux conceptions de la politique à suivre : la première, favorable à l'aristocratie foncière, la seconde à la bourgeoisie liée au commerce maritime alors en pleine expansion. C'est pourquoi on a pu parler d'une véritable révolte bourgeoise dont la victoire, après la bataille d'Aljubarrota, annonce la période des grandes découvertes lancées par la dynastie d'Aviz.

Prélude

En 1383, le roi Ferdinand Ier est mourant. De son mariage avec Éléonore Teles de Menezes, seule une fille, Béatrice, a survécu. Elle est alors âgée de 10 ans.

Le mariage de cette dernière est donc de première importance pour le futur du royaume. Les diverses factions politiques proposent des maris possibles, dont des princes anglais et français. Malgré le risque de voir le royaume annexé par la Castille, Ferdinand se décide finalement pour le premier choix d’Éléonore : le roi Jean Ier de Castille. Le mariage est célébré en .

Cette union n’est pas acceptée par la population portugaise : on peut considérer cela comme une réaction nationaliste face au risque d'annexion du royaume par la Castille. Il faut dire que les conflits entre les deux royaumes se sont multipliés et que le peuple portugais voue une haine profonde à son voisin.

Mais la crise est d'abord politique : la population des villes, dominée alors par la bourgeoisie marchande, craint une remise en cause de la politique portugaise jusque-là favorable au commerce maritime. Déjà échaudée par le règne de Ferdinand et les divers conflits qui ont été préjudiciables aux affaires, elle voit d'un mauvais œil le rôle joué par Éléonore, proche des Castillans ; par ailleurs, la reine a mauvaise réputation à cause de ses mœurs légères et de sa liaison avec un noble galicien, le comte Juan Fernandes d'Andeiro. De son côté, le roi de Castille est connu pour être un défenseur de l'aristocratie foncière[4].

Ferdinand meurt le . En accord avec le contrat de mariage de Béatrice et de Jean de Castille, la régence du royaume est confiée à sa veuve, Éléonore. Jean Ier se proclame roi. À partir de ce moment, il n’est plus possible de résoudre la question dynastique par voie diplomatique et la faction favorable à l’indépendance se révolte : la crise est ouverte. Des émeutes éclatent dans les grandes villes portugaises.

Les trois demi-frères de Ferdinand apparaissent alors comme des alternatives au roi de Castille :

  • Jean et Denis, fils du roi Pierre Ier de Portugal et d’Inês de Castro, qui vont jusqu'à prétendre, pour obtenir une légitimité, que leur père avait secrètement épousé Inês. Le premier vit en Castille.
  • Jean, grand-maître de l'Ordre d'Aviz, un autre bâtard de Pierre Ier particulièrement populaire dans la classe moyenne et dans l’aristocratie.

1383-1384

Le premier acte d’hostilité vient des partisans du grand-maître de l'Ordre d'Aviz. Le , Jean d'Aviz et un groupe de conspirateurs entrent dans Lisbonne et assassinent le comte d'Andeiro, l'amant et l'allié politique d’Éléonore Tellès de Menezes et un des principaux organisateurs du mariage de Béatrice avec le roi Jean de Castille. Éléonore prend la fuite.

Jean d’Aviz devient le chef de la faction séparatiste et appelle à ses côtés Nuno Álvares Pereira, un chef militaire reconnu. Ensemble, ils s’emparent des villes comme Lisbonne, Beja, Portalegre, Estremoz et Évora. En réponse, le roi Jean Ier de Castille entre au Portugal et occupe la ville stratégique de Santarém dans une tentative de garder le trône de son épouse. Lisbonne est assiégée une première fois, pendant une durée de quatre mois.

La première victime politique est Éléonore elle-même à cause de son incompétence. Le roi de Castille oblige sa belle-mère à abdiquer et l’exile dans un couvent.

Les partisans de l'indépendance et l’armée de Castille se rencontrent le à la bataille dos Atoleiros (bataille des bourbiers). Álvares Pereira remporte une victoire pour la faction d'Aviz mais le résultat n’est pas décisif : Jean Ier de Castille se retire vers Lisbonne et encercle de nouveau la capitale ; avec sa marine, il bloque le port et contrôle le Tage. Le siège est une sérieuse menace à la cause d'Aviz, qui ne peut espérer vaincre la Castille sans Lisbonne et ses ressources financières. D’un autre côté, Jean de Castille doit prendre de Lisbonne pour se faire couronner roi avec son épouse.

Confiant le commandement militaire à Álvares Pereira, Jean de Aviz tente de renforcer sa position internationale. En 1384, la guerre de Cent Ans bat son plein entre Français et Anglais. La Castille étant l’alliée traditionnelle des Français, le Portugal sollicite l’aide anglaise.

En , Jean envoie une ambassade au roi Richard II d'Angleterre, un garçon de 17 ans, dirigé par le régent Jean de Gand, duc de Lancastre. Le duc se montre initialement réticent à répondre favorablement à la demande d’aide, mais accepte finalement d’envoyer des troupes au Portugal pour fragiliser Jean de Castille, dont il vise le trône au nom de son épouse Constance de Castille, la fille de Pierre le Cruel.

Cependant, la population lisboète commence à souffrir de la faim et de la peste. Bloquée par terre et par le fleuve, la ville espère peu de l’armée de Jean d'Aviz, trop petite pour se risquer dans un affrontement direct avec les Castillans et occupée à défendre d’autres villes. Le , une escadre commandée par le capitaine Rui Perreira rompt le blocus et parvient à fournir un chargement de nourriture à Lisbonne. L’opération est un succès, mais avec un coût élevé : la quasi-totalité des bâtiments portugais sont coulés et Rui Pereira meurt lui-même au combat.

Quelques semaines après, Almada se rend aux Castillans. La situation devient particulièrement difficile pour les habitants de la ville mais le siège est également lourd à supporter pour la Castille qui connaît des problèmes d’approvisionnement provoqués par l'action d'Álvares Pereira sur ses lignes de ravitaillement. À la fin de l’été, une épidémie de peste noire frappe l’armée castillane, forçant Jean Ier à se retirer vers la Castille le . Quelques semaines après, la flotte castillane abandonne le Tage et Lisbonne peut respirer.

La guerre de succession du Portugal de 1383-1385

1385

À la fin de 1384 et au début de 1385, Nuno Álvares Pereira reprend la majorité des villes portugaises qui avaient déclaré leur appui à la princesse Béatrice et à son mari Jean de Castille. À Pâques, les troupes anglaises envoyées à la demande de Jean d'Aviz arrivent au Portugal. Bien que peu nombreuses, environ 600 hommes, ce sont des troupes de vétérans de la guerre de Cent ans, bien entraînés dans les tactiques victorieuses de l’infanterie anglaise. Au sein du contingent anglais, on compte en effet des divisions d’archers qui ont prouvé leur valeur contre les charges de cavalerie. Fort de ce soutien, Jean d'Aviz convoque les Cortes à Coimbra, rassemblant toutes les personnalités importantes du royaume. Le , il est proclamé Jean Ier, roi de Portugal, premier de la Dynastie d'Aviz ; cette proclamation est une provocation et un casus belli contre les prétentions castillanes.

Par un de ses premiers édits, Jean Ier nomme Álvares Pereira, connétable de Portugal et protecteur du royaume. Peu après, le roi et le connétable partent pour le nord, pour en finir avec les derniers foyers de résistance. En Castille, Jean Ier prépare une réponse au défi et envoie une expédition punitive au Portugal. Le résultat est la bataille de Trancoso en mai, où les troupes de Jean Ier d’Aviz obtiennent une importante victoire.

Avec cette défaite, le roi de Castille comprend que seule une énorme armée peut mettre fin à ce qu’il considère une rébellion. Durant la seconde semaine de juin, la majorité de l’armée de Castille, commandée par le roi en personne et accompagnée d’un contingent de cavalerie française entre au nord du Portugal. Cette fois, l’avantage numérique est du côté de la Castille. L'armée de Jean Ier de Castille compte 30 000 hommes contre les 6 000 dont dispose Jean Ier de Portugal. Les Castillans se dirigent immédiatement vers le sud, dans la direction de Lisbonne et de Santarém, les principales villes du royaume.

Entre-temps, Jean Ier et son connétable se retrouvent à Tomar et, afin d’éviter un nouveau siège de Lisbonne, décident d'attendre l’ennemi dans les environs de Leiria, à proximité du bourg d'Aljubarrota. Le , l’armée de Castille, très lente car lourdement équipée, rencontre enfin les Portugais renforcés par le détachement anglais. C'est la bataille d'Aljubarrota, livrée dans le style des batailles de Crécy et d’Azincourt où la tactique utilisée a permis à de petites armées de résister à de grands contingents et à des charges de cavalerie. L’utilisation d’archers sur les flancs et des obstacles pour empêcher la progression des chevaux en constituent les principaux éléments. L’armée de Castille est vaincue et totalement anéantie. Les pertes de la bataille de Aljubarrota sont telles que la Castille ne peut plus tenter de nouvelles invasions durant des années.

Avec cette victoire, Jean Ier est reconnu comme roi de Portugal, mettant fin à l’interrègne et à l’anarchie de la crise de 1383-1385. La Castille ne reconnaît le Portugal qu’en 1411, lors de la signature du traité d'Ayllón. L’alliance luso-britannique est renouvelée à l'occasion du traité de Windsor en 1386 et renforcée avec le mariage de Jean Ier avec Philippa de Lancastre (fille de Jean de Gand). Ce traité, encore en vigueur, est un pacte d’aide mutuelle entre l’Angleterre et le Portugal.

Articles connexes

Références

  1. Fernão Lopes, Chronique du Roi Ferdinand, chapitre CLVIII, p. 136 et suivantes (po), à propos du contrat de mariage, le dénommé traité de Salvaterra de Magos
  2. António Caetano de Sousa, Preuves de l'Histoire Généalogique de la Maison Royale Portugaise, tome I, p. 296 et suivantes. Cahier castillan du Traité de Salvaterra (es)
  3. Pero López de Ayala, Chroniques de Rois de Castilla, Tome II, ps. 176 à 181 (es)
  4. Henri le navigateur, un découvreur au XVe siècle de Michel Vergé-Franceschi; ed. du Félin; p. 47
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