Déportation

La déportation est l'action pour un pouvoir politique de contraindre une catégorie ou un groupe de personnes à quitter son habitat (territoire ou pays), soit pour l'obliger à s'installer ailleurs (déplacement forcé, regroupement forcé ou « purification ethnique »), soit pour le retenir dans des camps (travail forcé).

Déportation illégale (dite déportation de Bisbee (en)) de mineurs et d'une partie de la population, expulsés par un groupe de « vigilants » armés à Bisbee, en Arizona, le .

On a parlé de populicide, actuellement de génocide, lorsque la déportation n'a pas seulement pour objectif ou pour effet l'éviction d'une population d'un territoire, mais sa destruction physique et culturelle ; ainsi la Shoah avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.

Histoire

La déportation collective et forcée de populations civiles vaincues ou rebelles contre leur domination, est attestée dans l'Antiquité, comme le montrent la Bible avec l'exil à Babylone, les Commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César, ou La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe. Entre le Xe siècle av. J.-C. et le VIIIe siècle av. J.-C., on estime que 4,5 millions de personnes ont été déportées par le pouvoir assyrien, notamment vers la Haute-Mésopotamie[1].

Le bannissement, qui est une mesure individuelle, semble avoir été une peine fréquente dans différentes civilisations ou systèmes tribaux. La déportation politique, ou exil, en était la forme la plus arbitraire[2].

Dans l'Empire romain, le banni perdait les droits de cité et ses droits de famille[2]. Après la conquête de la Gaule, Jules César fait déporter de nombreux Gaulois[3]. Cette pratique fut souvent employée sous l'Empire romain (Suétone évoque 40 000 Sicambres déportés; déportation des Carpes, sous la Tétrarchie, etc.), parfois en association avec la constitution de troupes auxiliaires. Voir aussi lètes.

À la fin du VIIe siècle, l'empereur byzantin Justinien II fait déporter en Asie mineure un grand nombre de familles slaves capturées en Thrace (100 à 250 000 personnes selon les sources) et les installe en Bithynie.

Lors de la conquête de la Saxe (772–804), Charlemagne déporte massivement les rebelles saxons (ils sont dispersés en Gaule avec leurs femmes et leurs enfants) et les remplace par des Francs pour éviter de nouvelles révoltes.

En Russie, elle a été un temps substituée à la peine de mort (abolie en 1741, sauf de rares exceptions, sous le règne d'Élisabeth Ire)[2], avant de devenir un moyen massif de peupler la Sibérie et l'Asie centrale à l'époque soviétique.

La déportation de bagnards a été utilisée par plusieurs pays pour peupler ses colonies lointaines. En particulier, l'Empire britannique eut comme lieu de destination Botany Bay (près de Sydney) où un premier convoi arriva en 1788 avec la First Fleet Première flotte »)[2],[4].

En 1802 eut lieu la déportation de guadeloupéens et haïtiens en Corse.

La déportation en droit français

La déportation forcée et collective d'un ensemble de population civile apparaît, sans que le mot soit utilisé, dans la loi française avec le décret en 14 articles de la Convention nationale du 1er août 1793 ordonnant dans son article VIII de séparer par la force la population des habitants de la Vendée en deux groupes, d'un côté les femmes, les enfants et les vieillards et de les conduire vers l'intérieur, de saisir les récoltes et les bestiaux, de tuer les hommes, et de brûler les maisons et les forêts.

En France, il existe sous l'Ancien Régime une peine individuelle de bannissement, c'est-à-dire d'obligation de quitter le territoire du ressort d'une juridiction (ban), mais cette peine n'est pas appelée du nom de « déportation ». Il existe depuis longtemps d'autre cas de lois obligeant à quitter le territoire du royaume, soit des étrangers, en particulier avec les ordonnances révoquant le privilège de séjour des juifs, soit des sujets du roi refusant de quitter la « religion prétendument réformée » avec la Révocation de l'Édit de Nantes.

En France, la déportation s'est substituée, sous l'Ancien Régime, à la peine de mort pour les crimes contre la sûreté de l'État[réf. nécessaire].

Lors de la Révolution de 1789, elle a été introduite dans le Code pénal du 25 septembre 1791[5]. Elle ne figure plus dans le Code des délits et des peines du 3 brumaire An IV (23 octobre 1795) qui, dans son titre III, ne prévoit comme peines afflictives que la peine de mort et la réclusion.

La peine de déportation est prévue en 1810 par la promulgation du nouveau Code pénal à l'article 7, et elle sera appliquée aux révolutionnaires de 1848[6]. Troisième peine « afflictive et infamante », souvent utilisée pour châtier les « délits politiques », la déportation arrivait en effet après la peine de mort et les travaux forcés à perpétuité, mais avant les travaux forcés à temps. Or, sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, l'État ne disposait de nul lieu prévu, outre-mer, pour la déportation. Cette peine était donc souvent commuée, de facto ou de jure, en détention (au Mont Saint-Michel ou à Doullens).

Mais l'abolition de la peine de mort pour les crimes politiques par la Constitution de 1848 conduisit les parlementaires à substituer celle-ci par la déportation, avec la loi du 8 juin 1850. Les îles Marquises furent le premier lieu utilisé, pour ceux condamnés par la Seconde République. Sous le Second Empire, d'autres furent déportés, mais en fonction de décrets et non de la loi de 1850.

La Troisième République déporta les Communards, ainsi que les Kabyles du Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, tandis que les bagnes de Guyane étaient davantage utilisés. Une loi du 31 mars 1931 remplaça définitivement la Nouvelle-Calédonie comme lieu de déportation par la Guyane, l’île Royale étant choisie pour la déportation simple, et l’île du Diable pour la déportation en enceinte fortifiée — il ne restait alors, en Nouvelle-Calédonie, qu'un tirailleur sénégalais, qui fut transféré en Guyane.

La déportation a été définitivement supprimée du droit français lors de la présidence du général de Gaulle, par une ordonnance du 4 juin 1960[7].

Exemples de déportations historiques

Même si le statut précis des faits (non exhaustifs) listés ici est sujet à discussions parmi les historiens et les juristes (les recherches et l'ouverture d'archives ne cessant d'apporter des éléments nouveaux, surtout depuis la mondialisation des moyens de communication), elles sont néanmoins perçues comme des « déportations historiques » par les descendants des survivants ou par les groupes qui s'en revendiquent culturellement[8] :

Déportations coloniales

Déporter des individus dans une colonie est un cas particulier qui n’est ni complètement interne ni externe. Une telle déportation a eu lieu dans l'histoire. Par exemple, après 1717, la Grande-Bretagne a déporté environ 40 000[13] objecteurs religieux et criminels en Amérique avant la cessation de la pratique en 1776[14]. Les criminels ont été vendus par des geôliers à des entrepreneurs maritimes, qui les ont ensuite vendus à des propriétaires de plantations. Le criminel a été contraint de travailler pour le propriétaire de la plantation pendant la durée de sa peine[13]. La perte de l'Amérique en tant que colonie, l'Australie est devenue la destination des criminels déportés dans les colonies britanniques. Plus de 160 000[13] criminels ont été transportés en Australie entre 1787 et 1855[15].

Déportation interne

La déportation peut également se produire dans un État, par exemple lorsqu'un individu ou un groupe de personnes est réinstallé de force dans une autre partie du pays. Ce fut par exemple le cas au Cambodge sous le régime sanguinaire des Khmers rouges, entre 1975 et 1979.

Si des groupes ethniques sont concernés, cela peut aussi être appelé transfert de population. La raison en est souvent que ces groupes pourraient assister l'ennemi dans une guerre ou une insurrection[16].

Notes et références

  1. Bertrand Lafont, Aline Tenu, Philippe Clancier et Francis Joannès, Mésopotamie : De Gilgamesh à Artaban (3300-120 av. J.-C.), Paris, Belin, coll. « Mondes anciens », , 1040 p. (ISBN 978-2-7011-6490-8), chap. 16 (« La redéfinition de l'espace assyrien »), p. 669-670.
  2. Encyclopédie des gens du monde, Répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, (1833-1844)
  3. Christian Delacampagne, Histoire de l'esclavage. De l'Antiquité à nos jours, Paris, Le livre de poche, , 3e éd., 319 p. (ISBN 978-2-253-90593-6), p. 73
  4. Australia Day
  5. « Les peines qui seront prononcées contre les accusés trouvés coupables par le juré, sont la peine de mort, les fers, la réclusion dans la maison de force, la gêne, la détention, la déportation, la dégradation civique, le carcan. » Titre I, art. 1er.
  6. Louis-José Barbançon, La loi de déportation politique du 8 juin 1850 : des débats parlementaires aux Marquises. 1/3, Revue Criminocorpus, dossier no 2
  7. Louis-José Barbançon, Chronologie relative à la déportation, transportation et relégation française, Criminocorpus.
  8. Israël W. Charny : Le Livre noir de l'Humanité, encyclopédie mondiale des génocides (préfaces de Simon Wiesenthal et Desmond Tutu), Privat, (ISBN 2708956078 et 9782708956070)
  9. Jean-Louis Van Belle : La déportation des ouvriers belges en Allemagne (1914-1918). D’après le journal de Léon Frérot (Biesme), Safran (éditions), Bruxelles, 2013, (ISBN 978-2-87457-067-4)
  10. Nicolas Werth, Histoire de l'Union Soviétique : de l'Empire russe à la Communauté des États indépendants, 1900-1991, Presses Universitaires de France, Paris 1990, (ISBN 2130514774).
  11. Déportation d'Europe de l'Est vers les camps de la mort, Mémorial de Yad Vashem
  12. Database of deportations during the Holocaust - The International Institute for Holocaust Research, Mémorial de Yad Vashem (en)
  13. Hill, David (2010), 1788 the brutal truth of the first fleet, , 392 p. (ISBN 978-1-74166-800-1)
  14. Daniels, Coming to America : A History of Immigration and Ethnicity in American Life
  15. McCaffray et Melancon, P. 171
  16. Dillman, The Roswell Mills and A Civil War Tragedy : Excerpts from Days Gone by in Alpharetta and Roswell, Georgia, 1996

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Nathalie Heinich, Sortir des camps, Sortir du silence, éd. Les Impressions nouvelles, coll. « Réflexions faites », 2011, 224 p.
  • Christian Bernadac, Déportation 1 (tome rassemblant Les Médecins maudits, Les Médecins de l'impossible, Les Sorciers du ciel), éditions France-Empire, Paris. 752 pages. (ISBN 2-7048-0706-X)
  • Christian Bernadac, Déportation 2 (tome rassemblant Les Mannequins nus, Le Camp des femmes, Kommandos de femmes), éditions France-Empire, Paris. 696 pages. (ISBN 2-7048-0709-4)
  • Christian Bernadac, Déportation 3 (tome rassemblant Les 186 marches, Le Neuvième cercle, Des jours sans fin), éditions France-Empire, Paris. 880 pages. (ISBN 2-7048-0716-7)
  • Christian Bernadac, Déportation 4 (tome rassemblant Le Train de la mort, L'Holocauste oublié, Le Rouge-Gorge), éditions France-Empire, Paris. 832 pages. (ISBN 2-7048-0719-1)
  • Christian Bernadac, La Libération des camps, éditions France-Empire, Paris. 588 pages. (ISBN 2-7048-0995-X)
  • Israël W. Charny : Le Livre noir de l'Humanité, encyclopédie mondiale des génocides (préfaces de Simon Wiesenthal et Desmond Tutu), Privat, (ISBN 2708956078) et (ISBN 9782708956070)
  • Stéphane Courtois (dir.), Le Livre noir du communisme : crimes, terreur, répression, Robert Laffont, Paris, 1998, p. 8.
  • Henri Michel (historien), Tragédie de la déportation, 1954.
  • Raul Hilberg, La destruction des Juifs d'Europe, rééd. Gallimard, 2006, 3 vol.
  • Philippe de Ladebat, Seuls les morts ne reviennent jamais : les pionniers de la guillotine sèche en Guyane française sous le Directoire, éd. Amalthée, Nantes, 2008 . (ISBN 978-2-35027-894-0)
  • Jean-Jacques Marie, Peuples déportés d'Union Soviétiques, Bruxelles, Complexe, 1995.
  • Nicolas Werth, L'île des Cannibales, 2005.
  • David Rousset, L’Univers concentrationnaire
  • David Rousset, Les Jours de notre mort, 1947
  • Alexandre Soljénitsyne (trad. Geneviève Johannet), L'Archipel du Goulag 1918-1956 : essai d'investigation littéraire Архипелаг гулаг »], t. I, Paris, Fayard, (1re éd. 1973), 565 p. (ISBN 978-2-213-02412-7), 1 & 2
  • Université de Strasbourg, Des universités aux camps de concentration - témoignages strasbourgeois (ISBN 2-86820-714-6),
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