Ouidah

Ouidah est une commune et une ville côtière du Bénin, située à 42 kilomètres à l’ouest de Cotonou. Le nom de Ouidah est la variante de Huéda, qui était le nom du royaume auquel cette ville appartenait à l’origine, mais qui fut également appliqué par les Européens à la ville côtière[n 1].

Ouidah
Administration
Pays Bénin
Département Atlantique
Démographie
Population 162 034 hab. (2013[1])
Géographie
Coordonnées 6° 22′ 00″ nord, 2° 05′ 00″ est
Divers
Langue(s) Français
Localisation
Géolocalisation sur la carte : Bénin
Ouidah
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Ouidah

    Ouidah a été au XVIIIe siècle l'un des principaux centres de vente et d'embarquement d'esclaves dans le cadre de la traite occidentale.

    Présentation

    La ville n’est pas à proprement parler un port puisqu’elle se trouve à 3,5 kilomètres de la côte. Elle est séparée de la mer par une lagune. En raison des vagues dangereuses qui déferlent le long de la côte et des bancs de sable qui la bordent, les navires de traite européens ne pouvaient pas approcher du rivage et devaient rester à deux ou trois kilomètres au large. De petites embarcations étaient utilisées pour convoyer les esclaves et les biens.

    La commune connut une certaine croissance au XIXe siècle, sa population atteignit 15 000 habitants. Au XXIe siècle, elle est devenue une grande cité qui lors du recensement de (RGPH-4), comptait 162 034 habitants[1].

    Histoire

    En 1727, le royaume de Huéda fut conquis par le royaume du Dahomey, situé à l’intérieur des terres. La ville de Ouidah resta assujettie au Dahomey jusqu’à l’intégration du royaume dans l’empire colonial français sous le nom de « Colonie du Dahomey » en 1894. Celle-ci devient indépendante en 1960 en tant que république du Dahomey[2].

    La traite à Ouidah

    La Grande-Bretagne, le Portugal et la France, les trois principales nations européennes avaient toutes des comptoirs fortifiés dans la ville pour se livrer au commerce des esclaves. Les esclaves achetés à Ouidah partaient principalement pour le Brésil, mais aussi pour les Antilles françaises notamment Saint-Domingue.

    Place Chacha ou place aux Enchères où les esclaves étaient vendus. Réhabilité en 1999
    Lagune traversée par la Route des esclaves menant de la place Chacha à la mer
    Le fort portugais de São João Baptista de Ajudá à Ouidah, Dahomey (1886) - vue fantasmée et peu réaliste du fort
    Le fort portugais de Ouidah en 1890.
    Musée d'histoire de Ouidah construit sur l'emplacement du vieux fort portugais de São João Baptista de Ajudá

    Sur les onze millions d'Africains déportés par la traite occidentale, près de deux millions sont partis de la baie du Bénin dont 60 % à partir des deux principaux ports à centraliser le trafic, Ouidah et Lagos[3].

    Les esclaves vendus à Ouidah n’en étaient pas originaires, mais y avaient été amenés depuis l’intérieur des terres. Ils étaient constitués soit de prisonniers de guerre capturés par les États (principalement le Dahomey après 1725) ou soit d’individus achetés plus loin à l’intérieur des terres et qui avaient pu être vendus plusieurs fois d’un marchand à l’autre avant d’atteindre Ouidah.

    Les esclaves étaient rassemblés sur une place pour y être vendus (voir photo c-contre). Ils étaient soumis à une inspection corporelle minutieuse par leurs acquéreurs européens qui souhaitaient ne pas acheter des personnes malades ou invalides. Au XVIIe et XVIIIe siècle, après la vente, les prisonniers étaient détenus dans des prisons construites dans les trois comptoirs fortifiés européens (de Grande Bretagne, du Portugal et de la France) ou bien étaient enfermés en plus petit nombre dans les maisons des marchands locaux où ils étaient tenus enchaînés[2]. Puis pour embarquer, ils devaient parcourir enchaînés les quelques kilomètres qui les séparaient de la plage. Enchaînés les uns aux autres, ils montaient dans des canots pour être entassés dans les cales des navires avant la longue traversée vers le Nouveau Monde.

    Ouidah constituant l'un des principaux ports d'exportation d'esclaves, plusieurs pays européens étaient présents sur place, disposant de forts spécifiques : fort français, fort anglais, fort danois, fort portugais, fort hollandais. Le roi et les élites du royaume pouvaient ainsi faire monter les enchères pour obtenir le meilleur prix pour la « marchandise » dont ils disposaient[4]. C'est de Ouidah qu'est parti le dernier navire négrier américain, le Clotilda, avec 110 esclaves à bord ()[5].

    La traite de Ouidah était soigneusement régulée par l’État du Dahomey mais elle ne fut jamais, comme on l’a parfois supposé, un monopole royal. Les rois du Dahomey vendaient leurs prisonniers de guerre via leurs propres agents postés en permanence à Ouidah. En parallèle, un groupe de marchands privés se fournissaient principalement en esclaves achetés plus loin à l’intérieur des terres.

    De l’interdiction de la traite au commerce légitime

    Ouidah demeura l’un des principaux fournisseurs d’esclaves même après l’interdiction légale de la traite par les nations européennes et américaines au début du XIXe siècle. Les exportations continuèrent cependant vers le Brésil et Cuba, bien qu’à cette époque Ouidah fut dépassé par Lagos, plus à l’est (dans l’actuel Nigeria), qui devint le principal port esclavagiste de la « Côte des Esclaves ».

    Guerrier de Juidah [Ouidah] (fin XVIIIe siècle) Jacques Grasset de Saint-Sauveur

    En 1852, le roi du Dahomey, sous la pression d’un blocus naval britannique, accepta un traité qui le contraignit à interdire l’exportation d’esclaves depuis ses territoires. Mais ce traité ne fut pas appliqué et la traite se poursuivit à Ouidah pendant quelques années après 1852 : le dernier départ d’esclaves à partir d’Ouidah eut lieu en 1863 à destination de Cuba.

    Finalement, l’interdiction de la traite transatlantique n’enraya pas, bien au contraire l’institution de l’esclavage et le commerce des esclaves à l’intérieur des sociétés africaines. Ouidah continua à approvisionner les marché locaux en esclaves jusqu’à ce que ce trafic fût interdit par les nouvelles autorités françaises installées en 1892[2].

    La côte des Esclaves connut aussi une forte immigration d’esclaves affranchis, pour la plupart nés en Afrique, qui avait obtenu leur liberté au Brésil ou dans une moindre mesure à Cuba. Ces retours s’amplifièrent après 1835, à la suite de la révolte des esclaves à Salvador de Bahia. Le mouvement se poursuivit durant tout le XIXe siècle. Les plus riches de ces migrants de retour possédaient souvent des esclaves, et quelques-uns d’entre eux devinrent même marchands d’esclaves. Ces anciens esclaves, associés aux descendants de marchands libres comme les de Souza, formèrent une communauté distincte qu’on appelait localement Agudà (Agouda) et qui, jusqu’à nos jours, a conservé une identité singulière. À Ouidah, les Agoudas vivent encore de nos jours, dans un quartier spécifique, à proximité de l’ancienne place du marché aux esclaves. Ils conservent certains traits de la culture « brésilienne » dans le domaine de la nourriture, de l’architecture, et de quelques éléments de langage etc. pour bien marquer leur différence avec les autochtones qu’ils considèrent avec un certain dédain[6].

    Esclave de Juidah [Ouidah] (fin XVIIIe siècle) Jacques Grasset de Saint-Sauveur

    Plusieurs marchands d’esclaves brésiliens s’installèrent à Ouidah pendant la période où la traite était illégale. C’est le cas de Francisco Félix de Souza (né à Bahia en 1754, mort à Ouidah en 1849) plus connu sous le nom de Chachá, qui devint l’agent commercial du roi dahoméen Ghézo (écrit aussi Guézo). Ce marchand d’esclaves obtint une reconnaissance spectaculaire au point d’être consacré vice-roi par le roi Guézo. Celui auquel on prête le mérite insigne d’avoir été « le plus grand trafiquant d’esclaves de tous les temps » s’éteindra paisiblement en 1849 – à l’âge de 94 ans – en sa bonne ville de Ouidah, honoré de tous, laissant une prospère descendance de quatre-vingts enfants mâles (on ne comptait pas les filles en ce temps !) et devenant l’objet d’une mémoire encore vénérée de nos jours. Sa famille, aujourd’hui encore, occupe une place prépondérante au sein de la société et de la classe politique de la République du Bénin[6]. Les Agoudas étaient principalement catholiques mais aussi pour une minorité musulmans. Ce sont ces derniers qui fondèrent la première mosquée de Ouidah.

    Depuis les années 1830, Ouidah participait à ce qu’on appelait le commerce « légitime », par opposition au commerce illégal des esclaves. Il concernait les produits issus de la culture du palmier à huile (Elaeis guineensis)[7]: noyaux et huile de palme (extraite de la pulpe du fruit), utilisés en Europe dans la fabrication du savon. Le palmier à huile était l’arbre le plus répandu du Bas-Dahomey qui se trouve dans l'aire d'origine de l'arbre. La valeur de ce nouveau commerce dépassa celle de la traite des esclaves dès les années 1850. Ouidah participa à ce commerce mais subit la concurrence de Cotonou (à 35 km à l’est) qui bénéficiait d’une situation plus avantageuse du fait des cours d’eau qui la reliaient à l’intérieur des terres. Cette prééminence de Cotonou s’accéléra sous la domination coloniale française, avec la construction d’infrastructures portuaires modernes dans les années 1890.

    Le fort portugais de Ouidah, enclave de un hectare, était rattaché au Dahomey[8]. Dans le Bénin actuel, le souvenir de ces traites négrières orchestrées par le royaume d'Abomey (autre dénomination du Dahomey) n'est pas sans créer périodiquement des tensions entre les Fons et les ethnies situées plus au nord, qui ont eu à subir les razzias annuelles menées à cette époque et ont vu nombre d'entre eux condamner à l'esclavage au-delà de l'océan Atlantique. Aujourd’hui encore, plusieurs familles importantes de Ouidah descendent de ces marchands d’esclaves africains des XVIIIe et XIXe siècle[2].

    En 2002 a été créé à Ouidah le CPADD (Centre de Perfectionnement aux Actions post-conflictuelles de Déminage et Dépollution). Des formations en français et en anglais y ont lieu pour former les Africains aux techniques de déminage et de dépollution des sols après les conflits armés.

    L’esclavage interne

    À l’instar des autres entrepôts côtiers d’Afrique de l’Ouest, Ouidah en plus d’exporter des esclaves, les employait aussi dans son économie locale. Les forts européens, les marchands locaux et les administrateurs employaient tous de nombreux esclaves. En fait, la majorité des habitants de la ville était des esclaves ou descendants d’esclaves. Ils effectuaient la manutention de marchandises et les travaux agricoles notamment dans les palmeraies, tandis que les femmes esclaves devenaient les épouses des femmes libres[2].

    Les esclaves qui vivaient en ville avaient la possibilité de gagner de l’argent en tant que journaliers ou petits commerçants, tout en versant une partie de leurs gains à leur propriétaire. Ils pouvaient ainsi économiser suffisamment d’argent pour acheter leur propre liberté, au prix généralement de deux esclaves. Mais les esclaves qui devenaient libres restaient généralement liés par des obligations de services à la famille de leur ancien maître en tant que client. De nos jours, les descendants d’esclaves tendent encore à entretenir un rapport d’identification avec les familles de leur ancien maître.

    De manière ironique, cet esclave local ne fit que croître avec la transition vers le commerce légitime de l’huile de palme, parce que la masse importante de marchandises à transporter nécessité davantage de main-d’œuvre[2].

    Culture

    Vodoun Egoun goun

    L'ancien fort portugais, datant de 1721, est en très bon état de conservation. Il abrite le musée d'histoire de Ouidah[9]. Les emplacements du fort français, du fort danois et l'enclos des esclaves du comptoir anglais sont encore visibles. Tous ces lieux apparaissent dans le film documentaire La Côte des Esclaves réalisé en 1993 par le cinéaste français Elio Suhamy pour la chaîne franco-allemande Arte. Le film décortique l'organisation de la traite négrière au temps du royaume d'Abomey.

    Ouidah abrite d'autres monuments :


    Depuis 1998, le 10 janvier à Ouidah marque la traditionnelle fête du Vodoun (Vaudou)[12].

    On compte dans la ville l'ensemble artistique Les Tambours du Bénin et le Festival Kaléta et des Arts Agouda.

    Administration

    Arrondissements

    La commune de Ouidah, comme toutes les autres communes du Bénin, est essentiellement divisée en arrondissements. Elle compte en 2020 dix arrondissements :

    Villages et quartiers de ville

    Les arrondissements de Ouidah sont eux-mêmes composés de soixante-dix-sept villages et quartiers de ville.

    Liste des maires

    Liste des maires successifs depuis 2003
    Période Identité Étiquette Qualité

    Jumelage

    Personnalités liées

    Dans la culture

    Bandes dessinées

    Annexes

    Bibliographie

    • Casimir Agbo dit Alidji, Histoire de Ouidah du XVIe au XXe siècle, Presses de la Maison Aubanel Père, Avignon, 1959, 307 p.
    • Yénakpondji J. Capo-Chichi, Monographie de la commune de Ouidah, Afrique Conseil, avril 2006, 44 p.
    • Anne Hoisnard, Les Néerlandais à Ouidah de 1670 à 1726, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, 2001, 2 vol. (mémoire de maîtrise)
    • Ouidah et son patrimoine, ORSTOM, SERHAU, Paris, Cotonou, 1991, 413 p.
    • Paul Lando, Territoires du vodoun en milieu urbain : le cas de Ouidah en République du Bénin, L'Harmattan, Paris, 2016, 275 p. (ISBN 978-2-343-10474-4)
    • (en) Robin Law, Ouidah : the social history of a West African slaving 'port', 1727-1892, Ohio University Press, Athens ; James Currey, Oxford, 2004, 308 p.
    • Ouidah : petite anthologie historique, Fit édition, Cotonou, 1993, 102 p.
    • Alain Sinou, Le comptoir de Ouidah : une ville africaine singulière, Éd. Karthala, Paris, 1995, 191 p. (ISBN 2-86537-566-8)
    • Bruce Chatwin, The Viceroy of Ouidah (1980), Pubié en français sous le titre Le Vice-roi de Ouidah (en), traduit par Jacques Chabert, Paris, Grasset, 1982
    • Werner Herzog, cobra Verde, 1987, libre adaptation cinématographique du livre de Chatwin, cité ci-dessus.

    Articles connexes

    Liens externes

    Notes et références

    Notes

    1. La ville été nommée Ajuda en portugais. Il est courant de voir la ville désignée par des ouvrages occidentaux sous le nom de « Gléhoué » (ou « Gléhué »), mais c'est une erreur car le terme Gléhoué est un terme récent qui signifie « la maison des champs » pour dire le concept moderne de campagne, province. Glehoué encore aujourd'hui au Bénin se dit quand on est en ville et qu'on se rend en campagne (au village), peu importe le village. Glehoué n'est pas le nom d'une ville, c'est un mot très récent qui signifie « campagne », « village » par opposition à la zone urbanisée, la ville

    Références

    1. INSAE, Effectifs de la population des villages et quartiers de ville du Bénin, (RGPH-4, 2013), février 2016, p. 19
    2. Robin Law, « Entre mer et lagune, un port sur la côte des Esclaves, Ouidah, XVIIe-XIXe siècle », dans (direction) Paulin Ismard, (coordination) Benedatta Rossi & Cécile Vidal, Les Mondes de l’esclavage, Une histoire comparée, Seuil,
    3. Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières, essai d'histoire globale, éd. Gallimard,
    4. Marcel Dorigny et Bernard Gainot, Atlas des esclavages, Éditions Autrement, 2006, p. 31.
    5. «Le Clotilda, dernier navire négrier arrivé aux États-Unis, refait surface en Alabama», Le Monde, 31 janvier 2018
    6. Francis Dupuy, « Milton Guran, Agoudas. Les « Brésiliens » du Bénin », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], vol. 115, (lire en ligne)
    7. Dominique Juhé-Beaulaton, « La palmeraie du Sud Bénin avant la colonisation : essai d’analyse historique », dans Monique Chastanet, Plantes et paysages d’Afrique, une histoire à explorer, Karthala, (La palmeraie du Sud Bénin avant la colonisation: essai d'analyse historique (archives-ouvertes.fr))
    8. « Le premier anniversaire de l'indépendance du Dahomey », Le Monde, (lire en ligne)
    9. « Le Musée », sur museeouidah.org (consulté le )
    10. « Ouidah, le chemin du souvenir », sur lesmemoiresdesesclavages.com (consulté le )
    11. « Visiter Ouidah », sur museeouidah.org (consulté le )
    12. « Ouidah (Bénin) : une histoire », sur benin-voyage.com (consulté le )
    13. « Bénin : mémoire vive à Ouidah - JeuneAfrique.com », JeuneAfrique.com, (lire en ligne, consulté le )
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