Ranz des vaches

Le Ranz des vaches ou Lyoba ou Kühreihen est un chant traditionnel a cappella des armaillis en Suisse.

Costume de l'armailli tel que le portait Roger Cochard pour chanter la Lyoba (le Ranz des vaches) à la Fête des Vignerons en 1955[1], exposé au musée de la Confrérie des vignerons de Vevey. Le costume de Bernard Romanens en 1977 était bleu avec des liserés et des bas rouges.

Tradition

Chant traditionnel a cappella des armaillis, le Ranz des vaches est connu dans la partie francophone de la Suisse, surtout dans le canton de Fribourg, ainsi que dans la partie germanophone depuis au moins le début du 18e siècle. Le terme lyoba, autre appellation du chant, vient d'une racine trouvée dans le mot patois gruérien alyôbâ (appeler le bétail) mais aussi dans l'expression Loobeli (vache) dans le patois alémanique en Suisse centrale. Il fait partie des traditions vivantes de Suisse.

L'histoire racontée se passe sur un alpage appelé Les Colombettes, dans le sud du canton de Fribourg. Le Ranz des vaches est habituellement chanté durant la montée (poya) des troupeaux à l'alpage et le retour dans les étables à la fin de l'été. Il est en trois parties : l'appel des vaches (le mot lyoba répété), puis l'énumération des noms des vaches et enfin un chant improvisé en vers.

Le mal du pays

Les mercenaires suisses au service des rois de France désertaient des champs de bataille pour aller rejoindre leur famille quand ils entendaient cette « ode » qui leur rappelait trop leur Suisse natale[2]. Le soldat qui jouait ou chantait ce chant était passible de la peine de mort [3],[4].

Jean-Jacques Rousseau l'évoque ainsi à la page 317 de son Dictionnaire de la musique [5] :

« J’ai ajouté dans la même Planche le célèbre Rans-des-Vaches, cet Air si chéri des Suisses qu’il fut défendu sous peine de mort de le jouer dans leurs Troupes, parce qu’il faisoit fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l’entendoient, tant il excitoit en eux l’ardent desir de revoir leur pays. On chercheroit en vain dans cet Air les accens énergiques capables de produire de si étonnans effets. Ces effets, qui n’ont aucun lieu sur les étrangers, ne viennent que de l’habitude, des souvenirs, de mille circonstances qui, retracées par cet Air à ceux qui l’entendent, & leur rappellant leur pays, leurs anciens plaisirs, leur jeunesse & toutes leurs façons de vivre, excitent en eux une doute amere d’avoir perdu tout cela. La Musique alors n’agit point précisément comme Musique, mais comme signe mémoratif. Cet Air, quoique toujours le même, ne produit. plus aujourd’hui les mêmes effets qu’il produisoit ci-devant sur les Suisses ; parce qu’ayant perdu le goût de leur premiere simplicité, ils ne la regrettent plus quand on la leur rappelle. Tant il est vrai que ce n’est pas dans leur action physique qu’il faut chercher les plus grands effets des Sons sur le cœur humain »

Interprétations et adaptations

La plus ancienne version notée du Ranz des Vaches. Publiée dans un ouvrage médical à Bâle en 1710 par Théodore Zwinger.
Le Ranz des vaches par Gustave Roux (1868), page titre

La musique notée d'une version du Ranz des vaches, Cantilena Helvetica, a été publiée en 1710 à Bâle par Théodore Zwinger dans un ouvrage médical : elle y figure en raison de ses effets sur la mélancolie, cités en 1688 dans une thèse de Johannes Hofer [3],[4],[6].

En 1813 deux publications distinctes sont éditées, à Lausanne et à Paris. Le pasteur Philippe Bridel [7] publie Le Conservatoire suisse ou Recueil complet des Etrennes Helvétiques à Lausanne. Un chapitre est consacré au Ranz des Vaches (pages 425 à 437). Il présente une partition notée et une version du texte en dix-neuf couplets, en patois et en français. A Paris, Georges Tarenne [8] publie Recherches sur les Ranz des Vaches ou sur les Chansons Pastorales des Bergers de la Suisse. Il y cite le Pasteur Bridel et édite la même version du Ranz des Vaches. Il cite aussi la version Hoffer/Zwinger comme étant la plus ancienne version imprimée.

En 1868 paraît à Vevey une édition des paroles, en patois et traduites en français, et de la musique notée du Ranz des vaches et de la Chanson des vignerons, accompagnées d'une notice rédigée par Louis Favrat. L'ouvrage est titré Armaillis et Vagnolans et illustré par Gustave Roux. Les gravures représentent la vie des armaillis sur l'alpage des Colombettes en Gruyère et du travail des vignerons sur les hauts de Vevey[9].

Le Ranz des vaches le plus connu aujourd'hui doit une grande part du renouveau de sa popularité aux différentes harmonisations de l'abbé Joseph Bovet, le compositeur du Vieux Chalet [10],[11]. Charles Jauquier, ténor suisse, a donné une interprétation du Ranz des vaches qui a fait l'objet de plusieurs enregistrements[12]. Une autre interprétation souvent citée est celle de Bernard Romanens, soliste de la Fête des Vignerons de 1977[13]. La Fête des Vignerons de Vevey qui accueille traditionnellement les armaillis et leur troupeau contribue à la célébration de ce chant très prisé du public. Outre l'interprétation de Bernard Romanens en 1977, on peut citer aussi Roger Cochard en 1955[1], Robert Colliard en 1927. Lors de la fête de 1999 les auteurs, François Rochaix (conception et mise en scène), François Debluë (livret) et Jost Meier (musique de l'automne) ont présenté la version complète de la chanson  interprétée cette année-ci en alternance par Pierre Brodard, Patrick Menoud et Vincent Brodard[14],[16],[15]  avec 19 couplets et choisi de jouer l'histoire du torrent, du curé, de la jolie servante et du fromage dans l'arène veveysanne.

Lors des fêtes traditionnelles, le Ranz des vaches est souvent interprété au cor des Alpes, rassemblant ainsi deux symboles de la Suisse [17].

Musique romantique

Le Ranz des Vaches entendu par Giovanni Battista Viotti et transcrit pour violon.
  • Le Ranz des vaches de la troisième partie de l'ouverture du Guillaume Tell de Gioachino Rossini : le cor anglais répète un doux ranz des vaches qu'enlacent les arabesques de la flûte. Le tempo ralentissant, le ranz semble tourner sur lui-même vers la fin quand un appel de trompettes interrompt brusquement la rêverie du cor anglais, annonçant la charge de la cavalerie légère [18].
  • Paraphrases sur le Ranz des vaches, livre III de l’Album d'un voyageur de Franz Liszt [22].
  • Frédéric Chopin s'est aussi essayé à l'exercice, à la demande du marquis de Custine : « Je lui avais donné pour thème le Ranz des vaches et la Marseillaise. Vous dire le parti qu'il a tiré de cette épopée musicale, est impossible. On voyait le peuple de pasteurs fuir devant le peuple conquérant. C'était sublime »[24].

Hymne cantonal fribourgeois

Le canton de Fribourg ne possède pas d'hymne cantonal. Deux députés UDC ont proposé, en , d'inscrire le Ranz des vaches comme hymne cantonal fribourgeois. Les députés ont finalement retiré leur motion, à la suite de l'avis négatif du Conseil d'État, qui estimait qu'un hymne en patois ne représenterait pas bien un canton bilingue français-allemand, et que vouloir revendiquer le Ranz des vaches pour hymne cantonal « pourrait froisser les Suisses qui se reconnaissent dans ses valeurs et sa mélodie »[25],[26],[27],[28].

Notes et références

  1. Le spectacle haut en couleur de 1955, CAS Paris, Radio télévision suisse, Les archives de la RTS, (lire en ligne [vidéo]), « Fête des vignerons : Vevey 1955 »
    Musique et direction musicale : Carlo Hemmerling ; poème : Géo H. Blanc ; direction artistique : Maurice Lehmann ; mise en scène : Oscar Eberlé ; assistant : Jean-Luc Balmer ; costumes et décorations : Henri F. Fost ; chorégraphie : Nicolas Zwefeff ; ballets folkloriques : Charles Weber ; musique de la Garde républicaine dirigée par le capitaine Brun ; Ranz des vaches chanté par Roger Cochard ; solistes de la danse : Nina Vyroubova, Michel Renault et Max Bozzoni, premiers danseurs étoiles de l’Opéra de Paris ; adaptation cinématographique et réalisation : Jean Gehret ; images : Pierre Ancrenaz, Georges Leclerc, assistés de Pierre Fournier ; directeur de production : Louis Gueguen ; montage : Jean Dudrumet
  2. Jeanne Bovet, La musique dans la joie : Les merveilleux rêves d'Augustin. Secrets du langage musical, des origines à la chanson populaire, Berne, Éditions Les cahiers de la joie, .
  3. (la) Johannes Hofer, Dissertatio curiosa-medica, de nostalgia, vulgo : Heimwehe oder Heimsehnsucht, Bâle, Pertschii J., (lire en ligne).
  4. Article Ranz des vaches dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne..
  5. Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de musique, Paris, Vve Duchesne, (lire en ligne), p. 317.
  6. Guy S. Mettraux, Le Ranz des Vaches : du chant de bergers à l'hymne patriotique, Lausanne, Editions 24 Heures, .
  7. Le Conservatoire suisse ou Recueil complet des Etrennes Helvétiques, Lausanne, Librairie Louis Knab, (lire en ligne).
  8. Recherches sur les Ranz des Vaches : ou Sur les chansons pastorales des bergers de la Suisse; avec musique, Paris, F. Louis, (lire en ligne).
  9. Le Ranz des vaches de Gruyère et la Chanson du vigneron, Berne, Librairie J. Dalp, , 2e éd. (lire en ligne).
  10. « Catalogue des partitions de l'abbé Joseph Bovet », sur fr.ch, Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg (consulté le ).
  11. Le Ranz des vaches par le Chœur des Armaillis de la Gruyère dans l'adaptation pour chœur d'hommes de Joseph Bovet [audio].
  12. [vidéo] Le Ranz des vaches (Liauba / Lyoba) sur YouTube - Interprété par Charles Jauquier et La Chanson de Fribourg.
  13. Le Ranz des vaches de Bernard Romanens à la Fête des vignerons de 1977 [audio].
  14. Louis-Marc Crausaz, « Pour en finir avec le « Ranz des vaches » ! », La Liberté « Les trois solistes de la Fête des vignerons : Pierre Brodard, Patrick Menoud, Vincent Brodard », (lire en ligne)
  15. « Portrait du paysan et 2e soliste de la Fête des vignerons 1999 : Pierre Brodard », Tout en région, Radio télévision suisse, (lire en ligne [vidéo])
  16. Le chant des Armaillis, Radio télévision suisse, (lire en ligne [vidéo]), « Fête des vignerons »
    Les prémices du Lyoba transparaissent à partir du minutage15:07, puis le chant en lui-même débute à partir du minutage 16:56. Dans cette vidéo, contrairement à ce qu'affirme le commentaire, le chant est interprété ici non pas par Pierre Brodard[15], mais par Vincent Brodard[14].
  17. Le Ranz des vaches de la foire d'automne et bourse aux sonnailles de Romainmotier 2010 [audio].
  18. Le Ranz des vaches de l'ouverture du Guillaume Tell de Rossini [audio].
  19. Le Ranz des vaches de la Scène aux champs de la Symphonie fantastique de Berlioz : IIIa) et IIIb) [audio].
  20. Félix Huet, Étude sur les différentes écoles de violon depuis Corelli jusqu'à Baillot, Châlons-sur-Marne, F. Thouille, (BNF 30624241), p. 97
  21. Le Ranz des vaches du Triomphe de la République de Gossec [audio].
  22. Le Ranz des vaches de l’Album d'un voyageur de Franz Liszt [audio].
  23. « Le Ranz des vaches, mélodie de Meyerbeer »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) voir aussi : (en) Robert Ignatius Letellier et Richard Arsenty, Giacomo Meyerbeer : The Non-Operatic Texts, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, , 363 p. (ISBN 978-1-84718-287-6 et 1-84718-287-9).
  24. Extrait d'une lettre du marquis à Sophie Gay de juin 1837 : Jean-Jacques Eigeldinger, Frédéric Chopin, Fayard, , 165 p. (ISBN 978-2-213-61731-2), p. 38.
  25. « Le Ranz des vaches pourrait devenir l'hymne officiel du canton de Fribourg », sur rts.ch, (consulté le )
  26. « Le Ranz des vaches: hymne cantonal fribourgeois ? », Le Matin, (ISSN 1018-3736, lire en ligne, consulté le )
  27. « Le Ranz des vaches pour hymne officiel », sur www.laliberte.ch (consulté le )
  28. « Le Ranz des vaches ne sera pas l'hymne cantonal », VQH, (ISSN 1424-4039, lire en ligne, consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

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