Vlad III l'Empaleur

Le voïvode Vlad III Basarab, surnommé « l'Empaleur » (en roumain Țepeș, prononcé [ˈt͡sepeʃ]), né entre 1431 et 1436 probablement à Târgoviște en Valachie (mais, selon la légende moderne, à Sighișoara en Transylvanie) et mort en près de Bucarest, est prince de Valachie en 1448, puis de 1456 à 1462 et en 1476.

Pour les articles homonymes, voir Basarab et Vladislav III.

Vlad Țepeș

Portrait de Vlad Țepeș datant du XVe siècle.
Exposé au château d'Ambras (Autriche).
Titre
Prince de Valachie
Prédécesseur Vladislav II
Successeur Vladislav II
Prédécesseur Vladislav II
Successeur Radu III
Prédécesseur Basarab III
Successeur Basarab III
Biographie
Dynastie Drăculea
Nom de naissance Vlad Basarab
Date de naissance
Lieu de naissance Târgoviște (probable) ou Sighișoara (légendaire)
Date de décès (à 45 ans)
Lieu de décès Bucarest
Père Vlad II le Dragon (Vlad Dracul)
Mère Vasilisa Cneajna Muşat, princesse de Moldavia
Conjoint (1) ép. Ileana de Hunedoara-Nelipic, cousine de Matthias Corvin
(2) illég. fille de l'armas Dracea de Mănești
Enfants Mihnea Ier cel Rău


Prince de Valachie

Un autre surnom de Vlad III, Drăculea (signifiant « fils du dragon » en roumain médiéval), fut repris par Bram Stoker pour nommer le personnage littéraire du comte vampire Dracula.

Famille

Ascendants

Descendance

Vlad, après avoir contracté vers 1452/1456 une première union avec une inconnue originaire de Transylvanie dont il eut deux fils, Mihail présent au château de Buda en 1486[N 1] et Vlad († 1485), épouse pendant sa captivité en Hongrie une cousine de Matthias Corvin parfois identifiée avec Ileana de Hunedoara-Nelipic[2]. Sa descendance est issue de cette union. Elle est mieux connue et a régné sur la Valachie[3] :

Son arrière-petit fils Pierre le Boiteux eut deux épouses successives : Maria Amiralis, une Grecque de Rhodes, avec qui il eut un fils : Vlad, puis Irène « la Tzigane » qui lui donne Ștefaniță[4]. Il aurait peut-être eu avec une certaine Maria Aroisali une fille Maria Basarab, dont la filiation est incertaine, épouse de Peter Bornemisza de Kapolna. Ils auraient à leur tour eu une fille, Zsuzsanna (Suzanne) Bornemisza de Kapolna qui, avec son mari Gaspar Kendeffy de Malomviz (ou Malmoliz), pourraient être parmi les ascendants de la famille royale de Windsor[N 2]. Les incertitudes généalogiques sont telles, et la « dilution génétique » si grande en 25 à 30 générations, que quiconque prétendrait aujourd'hui descendre en droite ligne de Vlad Țepeș se situerait ainsi hors du champ scientifique et historique..., ce qui n'empêche pas de nombreuses personnes d'émettre de telles prétentions[5].

Biographie

Contexte

Le contexte de la première moitié du XVe siècle est mouvementé : le Saint-Empire romain germanique et les pays chrétiens d'Europe de l'Est, en particulier l'Autriche et les royaumes de Hongrie et de Pologne, sont sérieusement menacés par la poussée de l'Empire ottoman, lequel a déjà conquis les Balkans et encerclé Constantinople (la capitale ottomane est à Andrinople jusqu'en 1453). Réduit à sa capitale, à quelques îles de l'Égée, à Mistra et à Trébizonde, l'Empire byzantin vit ses dernières années avant sa chute le . Les régions qui se situent entre les deux empires constituent le dernier rempart de la chrétienté (catholique et orthodoxe) contre les musulmans et sont le théâtre de batailles acharnées. Les sultans consolident leur contrôle sur les Balkans, balayant un à un les États chrétiens (Serbie, Bulgarie, Despotat d'Épire, Despotat de Dobroudja) et ne s'arrêtent qu'aux portes de la Hongrie.

Durant cette période, la Valachie est une principauté qui résiste encore à la pression ottomane. Ses relations avec l'empire turc oscillent entre guerres et périodes de vassalité envers le Sultan ottoman, qui offre la paix moyennant le paiement d'un tribut[N 3]. Le voïvode étant élu, le trône était disputé, à l'époque de Vlad Țepeș, entre les familles cousines Basarab des Basarab-Dǎnescu et des Basarab-Drǎculescu. Alors que les Drǎculea négociaient la paix avec les Turcs, les Dǎnescu appelèrent les Hongrois pour les aider à combattre le Sultan.

En 1447, le père de Vlad, Vlad II Dracul le Dragon », surnom dû au fait qu'il était membre de l'Ordre du Dragon), conclut une paix avec les Ottomans. Étant en guerre contre les Turcs, Jean Hunyadi, voïvode de Transylvanie et gouverneur de Hongrie depuis 1446, entreprend en novembre de la même année, en partant de Brașov, une expédition punitive contre Vlad II, considéré comme traître à l'ordre du Dragon. Ce dernier est capturé et tué à Bǎlteni, avec son premier fils Mircea II le Jeune. Parvenu à Târgoviște, Jean Hunyadi se proclame le « voïvode des régions transalpines » (c'est-à-dire, pour lui, « au-delà des Alpes de Transylvanie », en Valachie). Ce titre lui permet de faire élire au trône de la Valachie un des Dǎnești, le fils de Dan II, Vladislav II. Les Drǎculești sont alors évincés du pouvoir.

Son vrai nom

Vlad est un boyard et prince Basarab, à l'origine du toponyme Bessarabie (qui désigna initialement la Valachie avant de désigner une partie de la Moldavie). Le premier représentant connu de cette dynastie est Basarab Ier qui délivra le pays de la vassalité hongroise. Selon les historiens Mihnea Berindei et Matei Cazacu, ce nom pourrait être couman (signifiant « père sévère »). Selon l'historien Pierre Năsturel, ce Besserem-Bem des chroniques turques pourrait être une déformation de Bessarion-Ban (Ban étant un titre hongrois de vassalité désignant un commandant militaire d'une marche-frontière et ayant donné le nom du Banat).

Jeunesse

Immeuble présenté comme la « maison natale de Dracula » à Sighișoara.

Issu de la dynastie princière valaque des Basarab, Vlad Țepeș, né entre 1431 et 1436, a pu voir le jour à Târgoviște alors capitale de la Principauté, à Curtea de Argeș, autre ville princière, ou encore à Bucarest comme l'affirment toutes les sources anciennes[6]. Mais, depuis 1990, le mythe de Dracula lancé par Bram Stoker étant parvenu en Roumanie où il est commercialement exploité, une légende popularisée par l'historien roumano-américain Radu Florescu[7] situe, sans preuve, sa naissance à Sighișoara, ville de Transylvanie où son père exilé est censé avoir séjourné et où l'on montre depuis lors sa « maison natale »[8],[9].

Quoi qu'il en soit, en 1442, Vlad Țepeș est envoyé comme otage auprès du sultan Mourad II, avec son jeune frère Radu III le Beau. Le jeune Vlad est retenu à Andrinople (alors capitale de l'Empire ottoman, qui n'avait pas encore pris Constantinople) jusqu'en 1448, et son frère Radu jusqu'en 1462. Cette période de captivité dorée chez les Turcs a joué un rôle important dans la montée au pouvoir de Vlad. Probablement s'est-il fait durant cette période des relations utiles à son ambition, et à son désir de revanche contre les Dǎnești. En sa qualité d'otage princier, il avait certains privilèges tel que celui de pouvoir étudier, correspondre, disposer de pages et de serviteurs[10].

Lutte pour le trône

Représentation de Vlad Țepeș dans un tableau dépeignant le calvaire du Christ (détail), Vienne, église Notre-Dame-du-Rivage, 1460.

En 1448, profitant de l'absence de Vladislav, éloigné de Târgoviște par les combats de la seconde bataille de Kosovo contre les Turcs, Vlad III Țepeș rentre d'Andrinople avec une troupe de cavalerie turque et un contingent de troupes prêtées par le pacha Mustafa Hassan pour s'emparer du trône. Mais Vladislav le chasse dès son retour, deux mois plus tard (octobre-), et Vlad doit s'exiler en Moldavie où règne Bogdan II Mușat. Là, il se lie d'amitié avec le futur Étienne III de Moldavie.

La chute de Constantinople aux mains des Turcs en 1453 change la donne : les chrétiens doivent faire feu de tout bois et Jean Hunyadi, qui part défendre Belgrade contre les assauts ottomans, confie à Vlad Țepeș une armée pour défendre la Valachie et la Transylvanie. Mais Vlad en profite, avec l'aide de boyards valaques, pour reprendre le trône de Valachie : il écrase et tue Vladislav II au combat en août 1456. Il règne ensuite pendant six ans, consolidant son pouvoir en centralisant l'autorité, de la même façon que Matthias Corvin en Hongrie ou Louis XI en France. Il achète ou bien élimine tous les boyards qui tentaient de le déstabiliser.

Guerre contre les Ottomans

Début 1462, Vlad se sent plus fort, et la participation que lui promet Matthias Corvin en personne à une expédition contre les Turcs l'enhardit jusqu'à briser son alliance avec les Ottomans. Il lance alors une campagne contre ces derniers sur le Danube, tuant plus de 30 000 hommes. Vlad perd alors l'allégeance de son frère Radu cel Frumos (Radu le Beau) et provoque la colère du sultan Mehmed II, fils de Mourad, lorsqu'il refuse d'accéder à la demande des émissaires ottomans, le turc Hamza Bey et le phanariote Thomas Katavolinos, de payer le tribut à l'Empire ottoman, sous peine d'être envahi et de voir la Valachie transformée en province turque.

Toujours est-il que c'est Radu cel Frumos, frère de Vlad et candidat des Turcs pour le trône de Valachie, qui, à la tête de la puissante armée turque et d'une partie de l'« oastea domnească » qu'il convainc de rejoindre son camp, poursuit son frère jusqu'à la forteresse de Poenari. Vlad se retira à Târgoviște non sans se livrer à des actions de guérilla contre les Turcs, dont la plus célèbre est l'attaque de nuit à Târgoviște du [11]. D'après la légende, la femme de Vlad, qui voulut s'échapper, trouva la mort en tombant du haut de la falaise au pied de la forteresse de Poenari (une scène exploitée par Francis Ford Coppola dans son film Dracula). Vlad, lui, réussit à s'échapper du siège de Poenari en passant à travers la montagne et, selon la légende, en ferrant ses chevaux dans le mauvais sens pour s'échapper de nuit : ses ennemis, le lendemain, voyant des traces de sabots allant vers la forteresse, en déduisent que des cavaliers ont pénétré dans Poenari alors que Vlad en était sorti. Il est très difficile de démêler le mythe de la réalité dans cette historiographie déjà romancée du vivant de Vlad. En tout cas, Radu le Beau monte sur le trône de Valachie le .

Prisonnier en Hongrie

Vlad Țepeș retourne alors en Transylvanie pour rencontrer Matthias Corvin qui, pense-t-il, arrive à Brașov pour se porter à son secours. Mais ses excès lui ont déjà aliéné ses alliances, et les autorités locales de Brașov qui reconnaissent Radu comme souverain depuis deux mois, achèvent de convaincre Matthias Corvin d'arrêter Vlad (arrestation effectuée par un chef hussite connu, Jan Jiskra, en ). Vlad est maintenu prisonnier à Buda, capitale de la Hongrie (aujourd'hui une partie de Budapest) pendant douze ans ; une fois libéré, il retourne en Valachie et s'installe à Bucarest qui, à l'époque, n'était qu'une petite bourgade parmi d'autres. Selon de nombreuses sources, c'est l'arrivée de Vlad et son troisième règne qui auraient fait prospérer la ville. Selon ces mêmes sources, Vlad lui-même aurait fait de Bucarest la capitale de la principauté.

Une fin tragique

En 1476, Vlad est à nouveau élu prince de Valachie, mais il ne jouit que peu de temps de son troisième règne car il est assassiné à la fin du mois de à Bucarest, dans des circonstances aussi nébuleuses que sa naissance[N 4]. Vlad Țepeș est décapité et sa tête envoyée au sultan qui l'expose sur un pieu comme preuve de sa mort.

Sépulture

La réalité des faits est loin de la fiction du roman Dracula ou de nombreux films et spectacles y faisant référence, mettant tous en scène un cercueil dans une crypte gothique entourée de ténébreuses montagnes.

Le « tombeau » de Vlad Țepeș est censé se situer au monastère de Snagov, sur une île située dans un lac à une vingtaine de kilomètres au nord de la capitale roumaine. Selon l'historien Constantin Rezachevici, son tombeau pourrait être en fait situé au monastère de Comana[12] qu'il avait fondé au milieu du XVe siècle dans le Județ de Giurgiu au sud-ouest de Bucarest.

Des études récentes ont montré que le tombeau de Snagov ne contient que quelques ossements de chevaux sauvages fossiles, des tarpans datés du Néolithique : rien de commun avec les restes d'un prince valaque. D'après le livre de Radu Florescu et Raymond McNally À la Recherche de Dracula, il y a deux autres tombes à Snagov : la première à l'entrée de la chapelle du monastère et la seconde au pied de l'autel. On s'accorde généralement à dire que c'est la seconde qui devrait contenir le corps (décapité) de Vlad. En 1932, une mission archéologique roumaine ouvrit cette tombe et n'y trouva que des fragments d'ossements humains, mâchonnés par des bêtes. L'autre tombe, celle de l'entrée, fut également ouverte : elle contenait un squelette d'homme très friable, comprenant l'arrière de son crâne mais pas son visage. Sa tête était recouverte d'un tissu de soie, et la tombe contenait une épée très oxydée, une médaille de l'Ordre du Dragon, une couronne, les restes d'une cape pourpre et une bague de femme, cousue à l'intérieur de ce qui fut autrefois la manche d'un vêtement (tradition d'amour courtois très répandue en Europe à la fin du Moyen Âge). Le Musée d'Histoire et d'Archéologie de Bucarest en fit un inventaire, mais actuellement seules des photos en témoignent, car entre-temps, le Musée et ses réserves ont déménagé plusieurs fois, subi des bombardements et des incendies, et la malle contenant les restes de Snagov reste à ce jour introuvable. De toute manière rien ne permet d'attribuer ces restes à Vlad, en dépit des affirmations issues de la « Draculomanie » sévissant en Roumanie[13].

Le monastère de Snagov est orthodoxe, or Vlad avait abjuré sa foi orthodoxe et s'était converti au catholicisme pour pouvoir bénéficier du soutien de Mathias Corvin afin de remonter sur le trône. Il était donc considéré comme un « hérétique » par les moines orthodoxes, qui n'auraient pas mis son corps en terre dans cette tombe. Un « hérétique », mais baptisé orthodoxe et de sang princier : on aurait pu lui accorder de reposer dans la chapelle, mais à l'entrée, les fidèles et les moines marchant alors sur sa tombe chaque jour en signe de contrition pour lui.

Avec l'avènement de la génétique, on s'intéressa de nouveau au corps trouvé à l'entrée de la chapelle en 1932 pour tenter de l'authentifier en comparant son ADN à celui des descendants de Vlad III encore en vie. Mais le nombre de candidats à ce titre fut si élevé que le projet fut abandonné.

Vlad Țepeș dans la culture

Légendes sanglantes

Les récits qui, comme la chronique de Brodoc, ont représenté Vlad Țepeș, au moyen de gravures sur bois et de libelles reproduits à des centaines d'exemplaires, en « vampire sanguinaire se repaissant de chair humaine et buvant du sang, attablé devant une forêt de pals », affirment aussi qu'il aurait systématiquement fait écorcher, bouillir, décapiter, aveugler, étrangler, pendre, brûler, frire, clouer, enterrer vivants, mutiler atrocement et bien sûr empaler tous ses contradicteurs. La connexion avec le mythe gothique du vampire date seulement du XIXe siècle, lorsque de tels récits ont pu arriver à la connaissance de Johann Christian von Engel (en), mais aussi d'Ármin Vámbéry de l'Université de Budapest que Bram Stoker cite nommément (Arminius Vambery) dans son roman Dracula comme « ami et source de renseignements » du personnage d'Abraham Van Helsing[14],[15],[16].

La légende « du pal » (Țepeș) remonte, selon plusieurs sources[17], à 1457, lorsque les marchands saxons de Transylvanie de Sibiu essaient de remplacer Vlad Țepeș par un « prêtre des Roumains », identifié comme étant le futur souverain Vlad IV Călugărul (Vlad IV le Moine), qui leur promet des avantages douaniers. De leur côté les marchands de Brașov soutiennent un autre prétendant, Dan III Dănicu, frère de Vladislav II. Vlad franchit alors les Carpates et, une fois à Brașov et Sibiu, punit ses ennemis, non du pal, mais en leur extorquant de l'argent, jusqu'au moment où Matthias Corvin, fils de Jean Hunyadi, intervient en négociant un accord, ce qui montre les limites de l'indépendance du pouvoir de Vlad Țepeș face au pouvoir hongrois.

Dan III, soutenu par Matthias, passe les Carpates depuis Brașov vers la Valachie, où il est pris et exécuté par Vlad le , toujours sans mention de pal à ce stade. Mais les rétorsions financières de Vlad envers les marchands saxons de Transylvanie établis en Valachie sont alors sévères, et, bien qu'aucun n'ait été empalé, Vlad Țepeș acquiert ainsi sa réputation de monstre auprès des Occidentaux. Plus tard, cette mauvaise réputation sera diffusée à travers les Histoires de la Moldavie et de la Valachie de Johann Christian von Engel, publiées au début du XIXe siècle et sera déclinée selon plusieurs variantes, jusqu'à celle établie par le régime communiste de Roumanie.

Représentation tirée des chroniques de Brodoc montrant Vlad Țepeș dînant devant une « forêt de pals ».

Selon von Engel, lorsqu'il séjournait à Constantinople, Vlad aurait assisté à ses premiers empalements, un des supplices dans l'Empire ottoman puis, lorsqu'il fut lui-même en guerre contre les Ottomans, il aurait empalé ses propres soldats blessés dans le dos (donc ayant fui devant l'ennemi) ou aurait ordonné d’empaler un soldat sur douze parmi ceux qui refusaient d’aller au combat. Le bourreau refusant, Vlad l'aurait transpercé sur le champ[18].

Toujours selon von Engel, en 1462, lorsque les émissaires ottomans Hamza Bey et Thomas Katavolinos lui demandent de se soumettre et refusent d'ôter leurs turbans face à lui, Vlad les leur aurait fait clouer sur le crâne avant de les empaler. En fait, il semble qu'Hamza Bey ait eu l'ordre de tuer ou de capturer Vlad s'il refusait, et que ce dernier ait pris les devants en exécutant les deux émissaires du sultan, qui envoya alors son armée. Selon von Engel, lorsque le sultan arriva devant Târgoviște, il aurait trouvé des officiers turcs empalés par centaines : une scène terrifiante nommée « la Forêt des Pals » qui a frappé les imaginations et lui a valu son surnom de Țepeș (l'empaleur). Toutefois Engel ne fait que reprendre une histoire déjà diffusée par les marchands saxons de Transylvanie sous forme de gravures.

À l'encontre de ces légendes, d'après les autres sources contemporaines de Vlad, il semble en revanche acquis que Vlad a bien dirigé son courroux et sa vengeance contre les boyards responsables de la mort de son père et de son frère Mircea. Le dimanche de Pâques 1457, il invite ces familles de boyards à faire la fête à la cour princière, les fait arrêter et après avoir supplicié quelques chefs des grandes familles (on n'a pas de détails sur lesdits supplices), il force les autres à marcher une centaine de kilomètres, jusqu'à la citadelle de Poenari sur l'Argeș, qu'il les oblige à reconstruire sous les ordres de ses maîtres maçons. Le chantier dure des mois et beaucoup de boyards meurent, inhabitués au travail manuel (une humiliation pour eux). De plus Vlad crée une nouvelle noblesse d'armes parmi ses paysans libres.

Vlad Țepeș et les ambassadeurs turcs par Theodor Aman (1862-1863).

De ces faits découlent deux autres variantes du mythe de Vlad. La première est la légende communiste, qui en fait un souverain juste et proche du petit peuple qui aurait combattu l'aristocratie de telle façon que tous le redoutent et le craignent : la plus petite infraction, du mensonge jusqu'au crime, pouvait être punie de mort (le mythe dit « du pal », mais toutes les forêts du pays n'y auraient pas suffi). Il aurait combattu la corruption et l'intrigue en s'appuyant sur l'« oastea domnească », l'armée princière, recrutée parmi les paysans libres. Sûr de l'efficacité de son système, Vlad aurait un jour placé une coupe en or à la fontaine de la place centrale de Târgoviște. Les voyageurs assoiffés pouvaient se servir de la coupe pour boire, mais elle devait rester en place. La coupe ne fut jamais dérobée, et resta à sa place tout le temps du règne de Vlad. La seconde est celle qui substitue la ville de Sighișoara comme lieu de naissance et le château de Bran (en Transylvanie) aux villes princières valaques et à la citadelle de Poenari (en Valachie), substitutions qui n'ont d'autre but que de rapprocher Vlad de son avatar romanesque Dracula ; en fait les fondations de Bran sont bien antérieures au règne de Vlad (elles datent de l'Ordre Teutonique, cantonné là entre 1211 et 1242), et les murailles actuelles sont bien postérieures, datant des Habsbourg.

Ces récits hostiles, compilés par von Engel au début du XIXe siècle, expriment le ressentiment de ses adversaires, les marchands saxons de Transylvanie et les boyards de Valachie, qui ont toujours lutté pour conserver leurs privilèges dans ces régions. La diffusion en Europe centrale au XVe siècle d'écrits inspirés par cette version a été encouragée par Matthias Corvin qui cherchait à justifier son changement d'alliance : après avoir soutenu Vlad dans ses actions contre les Turcs, il soutint son frère Radu III le Beau (Radu cel Frumos), candidat des Ottomans, alors que Vlad était vaincu et demandait de l'aide, seul à Brașov. Il était alors fort opportun que Vlad Țepeș passe pour un monstre incontrôlable.

Les historiens modernes remettent en cause ces légendes, considérant que :

  • un lieu de naissance hors de la sécurité (relative) des villes princières de Valachie, est très peu vraisemblable ;
  • les seuls monuments historiques que l'on peut rapporter avec certitude au règne de Vlad, sont la tour de Chindia à Târgoviște et, selon l'historien Lucian Boia, une aile de l'ancienne citadelle de Bucarest (Curtea Veche : son buste marque d'ailleurs l'endroit) ;
  • le supplice à Târgoviște (non précisé, mais humiliant et mortel) des boyards hostiles, que Vlad tenait pour les assassins de son père, n'a touché que quelques familles rivales, notamment les Dǎnescu ;
  • l'exécution en 1461 de l'ambassadeur turc Hamza Bey et son chambellan Thomas Katavolinos, qui avaient tenté de s'emparer de Vlad par la ruse (ou de l'empoisonner, selon les sources) est certaine, mais les modalités inconnues.

Quoi qu'il en soit, les deux graves atteintes de Vlad à la condition nobiliaire (les aristocrates ne pouvaient être exécutés qu'après jugement, sans être suppliciés, ni astreints à travailler) et à l'immunité diplomatique, n'ont pu que marquer les imaginations en ce temps, sans pour autant faire de Vlad Țepeș un « ami du peuple, ennemi juré de tous les aristocrates », ni un « vampire empaleur »[19].

Littérature

Un Vlad Țepeș mythifié apparaît aussi en tant que personnage central :

  • dans le roman La Croisade des Carpates des auteures Vanessa et Diana Callico (premier tome de la trilogie « Les sept portes de l'Apocalypse », éditions Le Héron d'Argent) ;
  • dans le polar de l'écrivain roumain à succès Igor Bergler : La Bible perdue (éditions Fleuve Noir, 2020)
  • dans la bande dessinée Sur les traces de Dracula de Herman (dessinateur) et Yves (scénario) : premier tome de la série « Vlad l'Empaleur », éditions Casterman).
  • dans le comic book en trois parties Dracula : Vlad the Impaler par Roy Thomas (scénario) et Esteban Maroto (dessin), éditions Topps Comics, 1993

Vlad Țepeș en tant que personnage secondaire ou tertiaire apparaît par exemple :

  • dans la série de romans Chasseuse de la nuit de Jeaniene Frost, Édition Bragelonne Milady

(Il y est un ami du maître du héros et devient l'ami de l'héroïne) ;

  • dans la série de romans Le Prince des ténèbres de Jeaniene Frost, Édition Bragelonne Milady

(Il y est le compagnon de l'héroïne et les intrigues tournent autour de son passé humain, essentiellement).

Cinéma

Série

  • 2001 : Hellsing. Il apparaît très rapidement à la fin du dernier épisode, quand le visage d'Alucard s'éclaire dans l'obscurité au moment où surgit un éclair, laissant apparaître à moitié le visage du portrait historique de Vlad Țepeș.
  • 2013 : Da Vinci's Demons de David S. Goyer avec Paul Rhys.
  • 2017 : Fate/Apocrypha. La série montre que le mythe de Dracula n'est qu'un mensonge qui cache tout ce que le personnage a essayé de sauver de son vivant.
  • 2020 : "Nouvelles Aventures de Sabrina Roberto Aguirre-Sacasa

Documentaire

  • 2002 : Historical Look at the Life of Vlad the Impaler, Widely Known as Dracula de George Angelescu.
  • 2010 : Toute la vérité sur Dracula de Stanislaw Mucha.
  • 2018 : Guerriers légendaires, saison 1, épisode 8 : La véritable histoire du prince Vlad Dracula.

Jeu vidéo

Notes et références

Notes

  1. qui serait le fils ainé donné en otage à la Sublime Porte au cours de son premier règne
  2. En fait seulement deux épouses de Pierre le Boîeux sont attestées : une Grecque, Maria Amiralis, et Irina Botezata, une Tzigane mère de son fils unique Ștefaniță mort sans descendant.
  3. Cela durera jusqu'au milieu du XIXe siècle et la Valachie ne sera jamais une province turque, comme la représentent par erreur la plupart des ouvrages historiques modernes, mais restera une principauté autonome, gouvernée par un voïvode élu par la noblesse (plus tard hospodar) assisté d'un sfat domnesc (conseil princier, plus tard divan domnesc). Elle avait une législation (pravila), une armée (oastea), une flotte sur le Danube (bolozanele) et un corps diplomatique (clucerii, spǎtarii, logofeții).
  4. On parle aussi de selon certaines sources ; l'hypothèse d'un assassinat politique est envisagée.

Références

  1. Références généalogiques
  2. (de) Europäische Stammtafeln Vittorio Klostermann, Gmbh, Francfort-sur-le-Main, 2004 (ISBN 3465032926), Basarab (Bassaraba, Basaraba), Voievoden der Walachei II Volume III Tafel 194.
  3. Matei Cazacu, Dracula, Tallandier, Paris 2004 (ISBN 2847341439) p. 229
  4. Europäische Stammtafeln, ed. Vittorio Klostermann, Francfort-sur-le-Main 2004 (ISBN 3465032926) : article « Basarab (Bassaraba, Basaraba), Voievoden der Walachei », Volume III Tafel 194.
  5. Denis Buican, Les Métamorphoses de Dracula, l'histoire et la légende, ed. Le Félin, Paris 1993 ; Matei Cazacu, Histoire du prince Dracula en Europe centrale et orientale (XVe siècle), ed. Droz, Genève 1988, coll. « Hautes études médiévales et modernes » no 61, 217 pp., (ISBN 9782847348019), en ligne et Dracula, Tallandier, Paris 2004, (ISBN 2847341439).
  6. Nicolae Iorga, Istoria românilor, Ediția I, 1936-1939, Constantin C. și Dinu Giurescu, Istoria Românilor din cele mai vechi timpuri și pînă astăzi, Editura Albatros, Bucarest 1971, Academia Română, Istoria românilor, 4 vol., Editura Enciclopedică, Bucarest 2001 et Cazacu 2004, p. 30.
  7. Radu Florescu et Raymond T. McNally, The complete Dracula, opley Pub. Group, Acton, Massachusetts 1992, (ISBN 0-87411-595-7).
  8. Cazacu 2004, p. 29
  9. Mircea Goga La Roumanie. Culture et civilisation P.U.P.S (Paris 2007) p. 223.
  10. (it) Paolo Chinazzi, Gli ordini cavallereschi. Storie di confraternite militari, Edizioni Universitarie Romane, , p. 196
  11. (en) Radu Florescu et Raymond T. McNally, Dracula : Prince of many faces : His life and his times, Little, Brown and Company, , 261 p. (ISBN 978-0-316-28656-5), p. 145-147
  12. (ro) Constantin Rezachevici, « Unde a fost mormântul lui Vlad Țepeș? », Magazin Istoric, no 3, , p. 41.
  13. Octavian Paler (en) : De ce mă deranjează Draculomania Pourquoi la Draculomanie me dérange ») sur  ; Ţara lui Dracula : o uriașă gogoașă turistică Le pays de Dracula : une escroquerie touristique grand format ») sur
  14. Denis Buican, Les métamorphoses de Dracula, Bucarest, Scripta,
  15. (ro) Neagu Djuvara (ill. Radu Oltean), De la Vlad Țepeș la Dracula vampirul, București, Humanitas, coll. « Istorie & legendă », , 95 p. (ISBN 978-973-50-0438-5 et 978-9-735-00582-5)
  16. (en) Marinella Lörinczi, « Transylvania and the Balkans as Multiethnic regions in the Works of Bram Stoker », dans Europaea, Université de Cagliari, (ISSN 1124-5425), p. 121-137.
  17. (ro) Constantin C. et Dinu Giurescu, Istoria Românilor din cele mai vechi timpuri și pînă astăzi, Bucarest, Albatros, .
  18. Jacques Berlioz, « Dracula, mon vampire bien-aimé », L'Histoire, no 290, , p. 26
  19. Florin Constantiniu, Une histoire sincère du peuple roumain, éd. Univers Enciclopedic, Bucarest 2008.

Annexes

Bibliographie

  • Academia Română (Académie Roumaine), Istoria Românilor vol.IV (Histoire des Roumains), Bucarest, Editura Enciclopedicǎ, 2001.
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Sur l'assimilation de Vlad III à la figure mythique de Dracula

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  • Denis Buican, Les Métamorphoses de Dracula. L'histoire et la légende, Paris, Le Félin, 1993.
  • Laurence Harf-Lancner, « Dracula : les métamorphoses d'un prince roumain », L'Histoire, no 131, , p. 34-41.
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  • (en) Lisette Lopez Szwydky, « Vlad III Dracula », dans Lister M. Matheson (dir.), Icons of the Middle Ages : Rulers, Writers, Rebels, and Saints, vol. 2, Westport (Connecticut) / Londres, Greenwood Press, , XVIII-705 p. (ISBN 978-0-313-34080-2), p. 547-580.

Représentations culturelles

Articles connexes

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