Écriture spéculaire

L'écriture spéculaire, appelée plus communément « écriture en miroir », dont l'étymologie révèle « regarde, reproduction fidèle, image », est une forme d'écriture où les mots de la langue du transcripteur s'écrivent dans l'ordre inverse du mode de lecture normal associé à une inversion graphique latérale des lettres. Comme son nom l'indique, elle donne l'impression que les phrases transcrites sont reflétées par un miroir. C'est d'ailleurs à l'aide d'un miroir apposé contre la surface d'écriture que l'on déchiffre un texte rédigé en écriture spéculaire, à défaut d'être entraîné à la lire comme telle.

Un exemple connu d'écriture spéculaire, les notes encadrant l'Homme de Vitruve de Léonard de Vinci.


Neurophysiologie

écriture en miroir d'un enfant de 4 ans : à gauche son graphisme spontané; à droite inversion par symétrie spéculaire de son graphisme

Il est classique de remarquer que l'écriture en miroir est l'écriture normale de la main gauche : l'hémisphère cérébral chargé de gérer cette main est en effet grossièrement symétrique par rapport à celui qui gère la main droite. Mais il s'agit là d'une simplification outrancière. Retenons pourtant que le sujet peut faire usage de la symétrie cérébrale pour inverser au niveau visuel et graphomoteur ce qu'il produit, par rapport à un modèle donné. Ainsi le professeur de Rougemont, chirurgien grenoblois, était capable de dessiner sur un tableau noir des figures d'une symétrie parfaite en utilisant une craie dans chaque main.

Léonard de Vinci a rédigé ses notes en toscan selon ce procédé. La raison peut avoir été davantage un besoin pratique, pour être plus rapide, que pour des raisons de chiffrement afin d'échapper à la censure de son temps ou de garder ses notes de travail secrètes, comme cela est souvent suggéré (thèse du mathématicien Luca Pacioli dès le XVe siècle, réfutée car cette écriture se lit facilement à l'aide d'un miroir, par ailleurs Léonard truffe ses notes d'abréviations et c'est plutôt cette caractéristique qui en rend la lecture plus difficile).

L'échappement à la censure, et là c'est également une hypothèse, peut être plus complexe que ce qu'il paraît : en cas de lecture, l’œuvre était alors transmise, révélée par une lumière réfractée issue d'un miroir, ce qui en ces temps constituait un signe de Bien illustrant le divin. On peut considérer également que la quête de l'infini était recherchée intrinsèquement dans ce procédé de création artistique.

Comme Léonard écrivait avec sa main gauche, il devait être plus facile pour lui d'écrire de droite à gauche. En effet la main fournit moins d'effort et cette technique évite de laisser des traînées ou effacer l'encre humide en passant dessus la main qui tient la plume d'oie. Néanmoins, il rédige occasionnellement de gauche à droite, ce qui montre qu'il maîtrise aussi cette technique[1].

Léonard malgré son génie, et c'est là fort probable, pouvait très bien écrire également en spéculaire directement devant un miroir.

Imaginons plus précisément une scène possible : il se tenait debout, regardait son œuvre, se regardait de temps en temps au passage également, dessinait, écrivait, le tout devant un chevalet et un miroir, placé selon un angle précis. Le spéculaire ici pouvait se retrouver également dans l'approche de son être : à savoir quand il se regardait dans le miroir et pas uniquement au niveau de l’œuvre. Expliquons-nous : il est possible de se voir de l'autre côté du miroir quand on se place devant un miroir : la vision n'est pas naturelle mais possible ; dans ce cas, on considère que l'on se regarde depuis le miroir et que la personne regardée n'est potentiellement pas nous et peut être quiconque. C'est un mode de pensée particulier. Reprenons notre scène possible, extrapolons son état d'esprit possible lors de la création d'une œuvre, quand il se regardait : "ce n'est pas moi, je suis toi, dis moi". On touche là au divin propre au spéculaire "Dieu guide ma main", "je reproduis fidèlement", de manière consciente ou inconsciente d'ailleurs, et le pied de nez possible à l'époque "l’œuvre n'est pas la main du mal, la lumière vous la fournit !" (nécessaire à ce propos au regard de tout ce qu'entreprenait Léonard au niveau anatomique..) Cela va également dans le sens des références de l'époque dans la messure où l’œuvre première de la Création, de quelque nature qu'elle soit, était l'homme : la création de Dieu ; ensuite, venait la Création Artistique, où le divin, le summum, était recherché. Léonard plaçait donc son œuvre quelque part, et dès sa création, au même niveau que sa personne : elle était donc plus aisément divine (bien entendu, cela allait dans le sens d'une quête de perfection artistique, pas d'une mythomanie), il se regardait, il se regardait de l'autre côté du miroir, cela l'inspirait, le stabilisait éventuellement (se regarder comme cela "repoussait le mal", il créait peut-être dans le chaos : du chaos au génie, du chaos à la lumière), il regardait son œuvre et produisait.

C'est là, bien entendu, un ensemble d'hypothèses non certaines mais il est évident que, quoi qu'il en soit, artistiquement, De Vinci jonglait avec des notions propres à un esprit de son époque, visionnaire et malin, non conformiste, quelque peu fantasque et provocateur.

Aspect médical

D'un point de vue médical, l'écriture spéculaire est une des manifestations possibles de l'apraxie, que l'on rencontre notamment chez certains gauchers apraxiques. Le fait d'être gaucher ne prédispose cependant pas à cette pratique.

Aujourd'hui l'expression « écriture spéculaire » est surtout employée au sens figuré, dans le cadre d'analyses littéraires, pour évoquer les jeux de mises en abyme des auteurs dans leurs textes.

On retrouve souvent la notion d'écriture spéculaire en spiritisme, où, comme l'écriture automatique, elle est considérée comme une marque de manifestation de l'au-delà par le biais du médium qui la pratique pendant une transe.

Utilisations pratiques

On trouve une utilisation pratique de l'écriture spéculaire de nos jours sur certains véhicules d'urgence notamment, où le mot « AMBULANCE » apparaît en très larges caractères et en écriture spéculaire, afin de pouvoir être lu directement par les automobilistes dans leurs rétroviseurs, pour la « POLICE » en Suisse et pour « AMBULANCE » et « POLICE » au Québec, en France et en Belgique.

Notes et références

  1. Dominique Le Nen et Jacky Laulan, La main de Léonard de Vinci, Springer Science & Business Media, , p. 96

Voir aussi

Bibliographie

  • Joseph Morlaas, « Écriture en miroir et bilatéralisme humain » in Encéphale, XXXIV. 2, 1939-40/41, p. 493-516.
  • Joseph Morlaas, Connaissance et mouvement. Considération à partir de l'écriture en miroir, Revue neurologique, 1963, 627.

Article connexe

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