Boustrophédon

Le boustrophédon désigne une écriture dont le sens de lecture alterne d'une ligne à l'autre, à la manière du bœuf marquant les sillons dans un champ, allant de droite à gauche puis de gauche à droite. Le terme vient de l'adverbe grec ancien βουστροφηδόν boustrophêdón, de βοῦς boũs « bœuf » et στροφή strophế « action de tourner ». Souvent, le ductus des lettres est également inversé en changeant de sens ; par exemple, la lettre Є tracée de gauche à droite deviendrait Э de droite à gauche.

Illustration qui explique le principe d'un boustrophédon.

Le boustrophédon a été principalement utilisé à des stades anciens d'écritures avant que celles-ci ne se fixent dans un sens précis : le grec, par exemple, s'est d'abord écrit de droite à gauche[1].

Histoire

Dans la Grèce ancienne

Inscription de Sigée, vers 550-540 avant l'ère chrétienne (British Museum[2] :

Inscription en boustrophédon Texte normalisé Interprétation
ΦΑΝΟΔΙΚΟ

³ΕΜΙΤΟΡΜΟΚ
ΡΑΤΕΟΣΤΟ
ΠΡΟΚΟΝΝΗ
ΣΙΟΚΡΗΤΗΡ
ΑΔΕ:ΚΑΙΥΠΟΚ
ΡΗΤΗΡΙΟΝ:Κ
ΑΙΗΘΜΟΝ:ΕΣΠ
ΡΥΤΑΝΗΙΟΝ
ΕΔΩΚΕΝ:ΣΥΚΕ
ΕΥΣΙΝ

Φανοδίκο

ἐμὶ τὀρμοκ-
ράτεος το͂
Προκοννη-
σίο κρητῆρ-
α δὲ καὶ ὐποκ-
ρητήριον κ-
αὶ ἠθμὸν ἐς π-
ρυτανήιον
ἔδωκεν Συκε-
εῦσιν.

Une inscription en boustrophédon du Ve siècle av. J.-C. : le code de Gortyne, Crète.
Inscription en latin et en boustrophédon inverse sur le Lapis Niger.

Remarque : l'inscription se présente en deux alphabets et dialectes : ionien puis attique (avec l'alphabet épichorique local) ; l'exemple donné ne reprend que le texte écrit en dialecte ionien (d'où l'utilisation de η là où l'attique serait ᾱ), avec les lettres actuelles et non celles du document originel. En effet, celui-ci datant d'avant la réforme de -403 (adoption d'un alphabet officiel légèrement différent des usages locaux), il ne suit pas non plus l'orthographe classique : ο, par exemple, sert à noter la voyelle /ọ̄/ (long et fermé), qui sera ensuite transcrite ου (Φανοδίκο = Φανοδίκου, etc.).

Le texte signifie : « Je suis [la stèle] de Phanodikos, [fils] d'Hermokratês, [fils] de Prokonnêsos, et il a donné aux Sigéens un vase pour le vin avec son support, ainsi qu'une passoire, [déposés] dans le prytanée ».

Le code de Gortyne est un autre exemple bien conservé d'une très longue inscription en boustrophédon rédigée dans la première moitié du Ve siècle av. J.-C.

L'écriture « boustrophédon » était notamment utilisée dans les κατάδεσμοί / katádesmoí tablettes de défixion »), qui étaient des tablettes de magie dans la Grèce antique. Ces sorts étaient rédigés (ou plutôt « fixés ») dans la matière, c'est-à-dire sur des tablettes de terre, de cire ou de plomb. Ils étaient jetés à l'encontre d'un adversaire dans le but de le diminuer ou de contrarier sa victoire, pour empêcher une conquête amoureuse ou encore s'assurer une victoire sportive ; des κατάδεσμοί ont en effet été trouvés sur le site des Jeux olympiques, implorant les divinités d'accorder la victoire à leur auteur[3].

Dès le VIe siècle av. J.-C., on décèle des « tentatives pour ramener l'écriture à des normes communes[4] ». L'écriture boustrophédon, « qui ne présentait aucune commodité[4] » est abandonnée peu à peu. En -403, l'archonte Archinos prend un arrêté qui fixe le sens de l'écriture de gauche à droite.

Dans le reste du monde

L'étrusque fonctionne parfois en boustrophédon.

Les anciens textes en guèze, langue liturgique de l'Église éthiopienne orthodoxe, de l'Église érythréenne orthodoxe et de la communauté Beta Israël, étaient en boustrophédon. L'écriture safaïtique l'était originellement.

C'est également le cas de l'écriture de Rapa Nui. Les tablettes rongo-rongo de l'île de Pâques sont écrites en boustrophédon inversé : on lit la première ligne de la gauche vers la droite, puis on fait tourner la tablette de 180°, on lit également la deuxième ligne de la gauche vers la droite, et ainsi de suite.

Petit bronze grec d'un attelage en boustrophédon, du deuxième âge du fer, conservé au musée des Merveilles de Tende.

Écritures sémitiques

L'écriture phénicienne avait adopté l'orientation de droite à gauche vers l'an -1000[5], entraînant par la suite l'orientation de l'ensemble des écritures sémitiques : hébreu, araméen, arabe, etc.

Usages actuels

En informatique

Le terme de boustrophédon désigne une manière de fonctionner des têtes d'impression d'une imprimante, lorsqu'elles sont capables d'imprimer dans les deux sens de déplacement du chariot.

En robotique

En robotique, une trajectoire en boustrophédon s'emploie pour désigner un parcours où les lignes vont alternativement de gauche à droite et de droite à gauche, comme le tracé des sillons creusés dans les champs par les allers et retours d'une charrue. Par exemple ce terme est employé en robotique navale, où des drones sous-marins peuvent effectuer des relevés sonar suivant ce type de trajectoire, ou encore en robotique terrestre où par exemple des drones agricoles peuvent épandre un désherbant dans un champ suivant ce parcours.

En mathématiques

Il existe en mathématiques une méthode, dite du boustrophédon[6], qui permet de calculer le développement limité de la fonction tangente en 0 ainsi que de la fonction sécante.

En art

Le terme s'emploie pour la réalisation de certains vitraux médiévaux. Par exemple, la verrière de la Passion de la cathédrale Notre-Dame de Chartres doit être lue en boustrophédon[7],[8].

Chez l'enfant

Lorsqu'un enfant ne perçoit pas assez tôt et assez fort « l'impératif d'écrire selon le choix d'Archinos », de gauche à droite pour les langues issues du grec (ou de droite à gauche pour les langues sémitiques, par exemple), il explore l'écriture « en miroir » ; il écrit parfois même spontanément en mode boustrophédon[9].

Chez les plus âgés

On observe chez certaines personnes très âgées ou chez des personnes atteintes de troubles de la pensée un « retour » à l'écriture « naturelle » en mode boustrophédon[réf. nécessaire].

Citation

  • Michel Serres : « Écrivain, je vivais comme l'archaïque paysan du boustrophédon, vieux mot qui signifiait que le bœuf tirant la charrue se retourne au bout du sillon pour attaquer celui qui suit, en ligne parallèle mais en sens inverse » (in Variations sur le corps, Paris, Le Pommier, 2002, p. 8).
  • Alexandre Postel : « North, égal à lui-même, imprimait à sa tondeuse la trajectoire régulière du boustrophédon » (in Un homme effacé, Gallimard, coll. « Blanche », 2013, p. 201).

Notes et références

  1. Threatte, The Grammar of Attic Inscriptions, Berlin/New York, W. de Gruyter, , 737 p. (ISBN 3-11-007344-7).
  2. numéro d'inventaire BM GR 1816.6-10.107)
  3. Pascal Charvet, Les Tablettes de malédiction et d'envoûtement : les defixiones, Ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, 17-02-2021.
  4. Alphonse Dain, « L'écriture grecque », in M. Cohen et J. Peignot, Histoire et art de l'écriture, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2005, p. 623.
  5. BnF, L'aventure des écritures, « Écriture phénicienne », consulté le 22 juillet 2019.
  6. Cunsheng Ding, Tor Helleseth, Sequences and Their Applications, Springer, 1999, p.122 The Boustrophedon transform
  7. Florens Deuchler, Le sens de la lecture. À propos du boustrophédon, dans Études d'art médiéval offertes à Louis Grodecki, éditions Ophrys, Paris, 1981 (ISBN 978-2-70800485-6)
  8. Hervé Cabezas, Études d'archéologie du vitrail français du XIXe siècle - III-Le sens de lecture des vitraux à séries de scènes, p. 65-76, dans Revue d' Archéologie Moderne et d'Archéologie générale, no 7
  9. Véronique Klaubert, « Boustrophédon », Encyclopædia Universalis : « Mode d'écriture archaïque (on l'observe chez l'enfant ainsi que chez certains malades mentaux) ».

Annexes

Articles connexes

Lien externe

  • Boustrophédon sur le site du Centre national des ressources textuelles et lexicales (CNRTL)
  • Portail de l’écriture
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