Livre de poche
Un livre de poche est un livre qui possède ces trois principales caractéristiques: une dimension réduite, un prix modéré et une production en nombre relativement important[1]. Destiné à un public élargi[1], le livre de poche est de qualité plus faible (couverture plus souple et collée, plutôt que reliée). Le plus souvent, il s'agit de réimpressions d'ouvrages ayant déjà connu un succès suffisant sous leur format d'origine. Les premiers livres de poche non officiels sont des narrations dans un genre érotique. Ce format permettait de cacher le livre tendancieux derrière une brique, pour que celui-ci ne soit découvert par personne -on pourrait parler d’un format de discrétion[2].
Pour la collection littéraire, voir Le Livre de poche.
Le mode de fonctionnement change[non neutre]
Le livre de poche est une invention qui remet tous les codes en question. La reliure n’est plus la même et la couverture est plus souple. Le papier utilisé est plus fin. Les pages ne sont pas préalablement regroupées en cahiers cousus entre eux, mais massicotées sur les quatre côtés et directement collées sur le dos de la reliure[3]. Ses caractéristiques physiques participent à la transformation du fonctionnement du monde l'édition. Lors de l'événement éditorial de 1953 en France, le livre de poche est présenté comme un instrument de démocratisation de la lecture, grâce à son prix bas et à son réseau de distribution hors des librairies traditionnelles[4]. Le livre de poche change les codes entre le libraire et l’acquéreur. La librairie était un lieu intime, on connaissait son libraire, il nous guidait : c’était un moment privilégié. Désormais, le livre de poche est le premier livre en "libre service". Ils sont présentés sur des tourniquets ou dans des bacs. Le libraire peut n’avoir ‘qu’une’ fonction de vendeur[5].
Le livre de poche va également modifier la manière de lire. Le livre est un objet précieux par son contenu et sa forme, il peut même s’exposer. Le livre est un symbole de grandeur. Il se manipule avec précaution. Pour les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer des livres, ils en empruntent à la bibliothèque et doivent donc garder leur aspect premier. On peut le « mettre dans la poche », c'est-à-dire le transporter partout. C'est devenu un objet dynamique : on peut se permettre d'écrire dessus, de le souligner, d’y laisser sa trace. Le livre est vivant et il vit au rythme de ses lecteurs.
Le livre de poche est peu onéreux et peut se multiplier très vite, c'est un marché de masse[6]. Sa production, voire sa sur-production, s'inscrit dans une société de consommation. Cela a suscité des critiques. Une certaine catégorie de personne a vu en cette démocratisation du livre - du lecteur - la perte de sa valeur. Certains prônent l’aristocratie des lecteurs.
Histoire
Le livre de poche avant le "poche"[1]
L'idée du livre peu encombrant et bon marché remonte au XVIIe siècle[7]. Au XVIIe et XVIIIe siècles, les livres de colportage (tels ceux de la Bibliothèque bleue en France, le chapbook anglais, le Volksbuch allemand, etc.) sont des ouvrages de littérature populaire qui, par leur format et dans une certaine mesure leur conception, rappellent le livre de poche actuel : prenant la forme de feuille pliée 2, 4 ou 8 fois, ces publications non reliées sont grossièrement imprimées et rarement cousues, elles sont à rapprocher en définitive du fascicule.
Dans les années 1830, certains éditeurs de Bruxelles, pour des raisons politiques et de censure, publient de petits livres (format in-8 et in-16). Ces opuscules inspirent Gervais Charpentier, libraire-éditeur français « père du livre de poche » (avec l'imprimeur Eugène Roulhac sur ses instructions) qui lance en 1838 sa collection de la « Bibliothèque Charpentier » au format 11,5 × 18,3 cm à moitié prix (3,50 francs) et publie en trois ans tous les classiques de l'époque (Balzac, Hugo, Musset, etc.) avec succès. Il sera suivi en 1853 par Louis Hachette avec sa « Bibliothèque des chemins de fer », et en 1856 par la maison d'édition Michel Lévy frères avec la « collection Michel Lévy » à un franc et en petit format.
En Angleterre, la maison George Routledge & Co lance en 1853 une collection appelée Railway Library. En 1867, la maison allemande Reclam lance l'Universal-Bibliothek (environ 40 centimes le volume) en profitant aussi des gares. Un autre éditeur allemand, de Leipzig, Tauchnitz, lance dans la deuxième moitié du XIXe siècle une collection de rééditions d'auteurs, traduits en anglais et du monde entier, imprimées en format poche, vendues 2 francs pièce, ce qui reste cher.
Peu avant la révolution de 1848, les frères Barba installés à Paris, lancent de petits livres à 20 centimes ou « roman à 4 sous. » Dans les années 1870-1880, des éditeurs comme Jules Rouff se lancent dans le fascicule à diffusion périodique : de petit format, prenant la forme de cahiers agrafés, ils déclinent les œuvres d'écrivains célèbres comme Victor Hugo et se vendent 20 centimes l'unité.
Dans les premières années du XXe siècle, la collection Nelson publie des ouvrages de petit format, cartonnés, toilés et recouverts d'une jaquette illustrée vendu 1,25 franc. En 1905, Fayard lance le « Livre populaire », romans populaires à 65 centimes de petit format et en 1916 les éditions Jules Tallandier commercialisent une collection concurrente appelée « Livre de poche », des romans populaires encore moins chers (dont Hachette devra d'ailleurs racheter le nom, comme « Le Livre Plastic », collection créée en 1948 par Marabout[8]). À partir de 1919, les Éditions du Sagittaire (éd. Simon Kra) lancent la « Collection européenne » (1919-1951, formellement « Collection de la Revue européenne ») au format poche 13 × 18 cm.
Une formule apparue dans les années 1930
Le livre de poche, en tant que genre et tel que nous le connaissons maintenant, c'est-à-dire à un prix relativement bas, ne prend réellement son essor que dans les années 1930 :
- Une première expérience européenne, éphémère, est tentée par l'éditeur Kurt Enoch (en), en 1931-1932, en Allemagne à Hambourg, puis au Royaume-Uni (à Londres), sous le nom d'Albatross Books. La montée en puissance des nazis puis leur arrivée au pouvoir contraint Kurt Enoch de fermer sa maison d'édition et à s'exiler aux États-Unis[9] ;
- En 1936, au Royaume-Uni, fondation de la maison d'édition Penguin Books, à l'initiative d'Allen Lane qui, dès l'année précédente, avait tenté avec succès des rééditions bon marché chez The Bodley Head, maison d'édition fondée par son oncle John Lane ;
- L'éditeur américain Simon & Schuster (après diverses tentatives dont celle, dès 1917, de l'éditeur Boni & Liveright) lance en 1939 les Pocket Books (en)[10].
Le livre de poche en France
En France, entre 1833 et 1882, l'apparition d'une culture de masse suppose une alphabétisation plus généralisée[1]. Ceci est une condition essentielle à l'apparition du livre de poche à grand tirage. L'émergence de dépenses en loisir et l'existence d'un système éditorial capable d'anticiper la demande du public et de faire naître un besoin de divertissement[1]. L'homogénéisation des comportements de masse[1] se révèle déterminante pour l'histoire du livre de poche. Plusieurs dates caractérisent son histoire :
- Albert Pigasse, initialement conseiller littéraire chez Grasset, fonde en 1925 sa propre maison d'édition, la Librairie des Champs-Élysées et, au sein de celle-ci, lance en 1927 la collection « Le Masque », spécialisée dans le roman policier commercialisé dans un format réduit et bon marché[11]. Le premier ouvrage de cette collection est Le Meurtre de Roger Ackroyd, d'Agatha Christie, paru deux ans plus tôt au Royaume-Uni. La spécialisation de la collection « Le Masque » empêche cependant d'y voir le précurseur du genre en France, faute d'un catalogue ouvert à la littérature générale.
- En 1938, Calmann-Lévy lance la collection Pourpre pour concurrencer la collection Nelson.
- Les Presses universitaires de France lancent, en 1941, la collection « Que sais-je ? », destinée à rassembler, sous un format réduit et bon marché, une synthèse des connaissances essentielles sur un sujet donné. Cette collection à vocation encyclopédique existe, plus de soixante ans après sa création, en une quarantaine de langues.
- En 1949, Marabout, maison créée en Belgique (Verviers, Bruxelles), (d'abord avec son Livre Plastic) pour rééditer ensuite de grands succès anciens et des classiques à petit prix, puis une encyclopédie (Marabout Université) (1962), Marabout Junior avec des œuvres originales (les aventures de Bob Morane de Henri Vernes) et des livres sur l'art et un Panorama des littératures (Léon Thoorens), Marabout Géant qui se hausse à un niveau international avec des textes de Robert Bloch, Jean Ray, mais aussi de petits livres dans un format carré inusité consacrés à des sujets pratiques (bricolage, maison, cuisine, santé, etc.) Le succès de Marabout entraînera son entrée dans les Editions Hachette[12]
- Les Éditions du Seuil, en 1951, créaient la collection « Microcosme »[13].
- Mais c'est surtout la Librairie générale française, créatrice en février 1953 de la collection « Le Livre de poche », qui lance réellement le format en France, en s'ouvrant à la littérature générale et en agrégeant les fonds de dizaines de maisons d'édition. D'autres éditeurs vont suivre le mouvement en lançant leur propres collections :
- 1958 : J'ai lu
- 1962 : 10/18, collection de Plon
- 1962 : Presses Pocket, maison d'édition créée par les Presses de la Cité
- 1964 : GF, collection créée par les Éditions Garnier Frères
- 1970 : Points, collection des Éditions du Seuil
- 1972 : Folio, collection de Gallimard.
- Depuis les années 90, le livre de poche est publié un an et demi après le grand format. Il offre une seconde vie au livre, en le proposant à un prix de l’ordre du tiers de la parution initiale[14].
En 2013, le livre au format poche représente un tiers du marché du livre français, et un livre sur 4 acheté en librairie l’est dans ce format, contre 1 sur 5 en 2003[15]. - L’introduction du livre de poche en France a rencontré quelques oppositions, du fait d’une crainte de la banalisation et de la vulgarisation de la littérature : Le livre de poche et le mépris, 21 septembre 1964. Julien Gracq est aussi l’un des fervents détracteurs du livre de poche.
Le livre de poche aux États-Unis
Dès le XIXe siècle, les États-Unis connaissent une succession d’initiatives qui investissent le format poche, mais ces tentatives ne s’inscrivent pas dans la durée[16]. L'histoire du livre de poche aux États-Unis tels qu'elle apparait aujourd'hui: les conditions de son développement, son impact économique, ses modes d'articulation avec l'édition traditionnelle se rapportent à la société américaine de 1930-1950[17]. C'est en 1939 que commence l'ère du "paperback" (livre de poche) aux États-Unis. La collection "Pocket Book" lancée par Robert de Graaf et la firme "Simon & Schuster" connaît un succès immédiat[18]. Les "Pocket Book" se vendent 25 cents principalement dans les kiosques à journaux et connaissent des ventes records[18]. Ces petits livres brochés avec leurs couvertures en plastiques stratifiés prirent d'assaut New York, puis le reste du pays[17]. Pour aider à la vente, ils portent tous la mention "complete and Unabridged" (œuvres complètes)[17]. Dans les années qui ont suivi, de nombreuses entreprises sont devenues des joueurs dans le domaine de l'édition de poche, notamment Ace, Dell, Bantam, Avon et des dizaines d'autres éditeurs[19].
Durant la guerre, de nombreux soldats lisaient des livres de poche. De 1943 à 1946, le programme "Armed Services Editions", né d’une coopération entre l’armée et le monde de l’édition, adapte le livre de poche aux uniformes des soldats, qui peuvent l’emmener avec eux facilement[16].
Au sortir de la guerre, une culture de masse se fait sentir dans l'édition du livre de poche. Les maisons d’édition intègrent des publicités dans leurs ouvrages, augmentent les prix, lancent des revues au format poche et accordent une large place dans leurs sélections aux genres populaires[16]. Les couvertures deviennent de plus en plus sensationnalistes, avec des slogans accrocheurs et des illustrations suggestives[16]. En 1950, 200 millions d’exemplaires en format poche sont écoulés aux États-Unis[16]. Dans les années 80, l'édition de poche représente le tiers des volumes produits dans le milieu de l'édition aux États-Unis[20].À cette époque, le livre de poche se retrouve dans environ 100 000 points de vente, dans les librairies et les supermarchés, les kiosques à journaux et les magasins de variétés[21].
Les Salons
Depuis quelques années, des salons du livre se sont spécialisés sur le format poche :
Notes et références
- Mollier, Jean-Yves, 1947- Trunel, Lucile. Garcia, Joëlle., Du "poche" aux collections de poche : histoire et mutations d'un genre : actes des ateliers du livre Bibliothèque nationale de France, 2002 et 2003, CEFAL, (ISBN 978-2-87130-293-3 et 2-87130-293-6, OCLC 778278811, lire en ligne), p. 45-46
- « Historique du Livre de Poche », sur Le Livre de Poche (consulté le )
- Parinet, Elisabeth., Une histoire de l'édition à l'époque contemporaine : XIXe-XXe siècle, Seuil, (ISBN 2-02-041576-3 et 978-2-02-041576-7, OCLC 300399593, lire en ligne), p. 406
- Parinet, Elisabeth., Une histoire de l'édition à l'époque contemporaine : XIXe-XXe siècle, Seuil, (ISBN 2-02-041576-3 et 978-2-02-041576-7, OCLC 300399593, lire en ligne), p. 404
- « L'invention du livre de poche, entre démocratisation de la lecture et réactions épidermiques », France Culture, (lire en ligne, consulté le )
- Éric Marti, « Les Enjeux du livre au format de poche, The place and future of paperbacks », Culture études, no 4, , p. 1–8 (ISSN 1959-691X, lire en ligne, consulté le )
- Lise Andriès, La Bibliothèque bleue au dix-huitième siècle : une tradition éditoriale, Voltaire Foundation, , p. 18
- Ellen Constans, Ouvrières des lettres, Presses universitaires de Limoges, , p. 27
- Source : article « The Third Paperback Revolution », Robert Fair de Graff et Pocket Books, sur le site paperbarn.www1.50megs.com (Hyde Park Books).
- Roger Chartier, Jacques Revel, Histoire de la France. Choix culturels et mémoire, Éditions du Seuil, , p. 205
- Source : article « Le Masque », 10 février 2004, sur le site À l'ombre du Polar.
- Ellen Constans, Ouvrière des Lettres, Presses universitaires de Limoges, 2007, p.27
- Page « Notre histoire », sur le site officiel du Seuil.
- Benoît Le Blanc, « La révolution du livre de poche », Hermès, vol. no 70, no 3, , p. 61 (ISSN 0767-9513 et 1963-1006, DOI 10.3917/herm.070.0061, lire en ligne, consulté le )
- Denis Lefebvre, « Le 9 février 1953 : lancement du Livre de Poche », sur Historia,
- Louis Wiart, « Comment le livre de poche a démocratisé la lecture », sur larevuedesmedias.ina.fr, (consulté le )
- Kenneth C. Davis (préf. Bertrand Legendre), Une culture à deux balles : la révolution du livre de poche aux États-Unis, Lyon, Presses de l'ENSSIB, , 496 p. (ISBN 9791091281058), p. 11-44
- Guillemette de Saurigné, L'aventure du Livre de Poche, Paris, Librairie Générale Française, , 124 p. (ISSN 0248-3653), p. 16
- Kenneth C. Davis, Une culture à deux balles : la révolution de poche aux États-Unis, ENNSIB, , 496 p. (ISBN 9791091281058)
- Guillemette de Sairigné, L'Aventure du Livre de poche : l'enfant de Gutenberg et du XXe siècle, Paris, Librairie générale française,, , 124 p. (ISSN 0248-3653), p. 123
- (en-US) Edwin McDowell, « THE PAPERBACK EVOLUTION », The New York Times, (ISSN 0362-4331, lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
- Yvonne Johannot (1978). Quand le livre devient poche, Presses universitaires de Grenoble (PUG), collection Actualités-Recherches/Sociologie : 199 p. (ISBN 978-2-7061-0121-2)
Articles connexes
- Brochage
- Le livre de poche
- Reliure
- Pulp fiction
- Penguin Books, maison d’édition britannique fondée en 1936 à Londres.
- Collection Nelson, ancêtre des éditions de poche.
- Boni & Liveright
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