Albert Oustric
Albert Antoine Oustric, né à Carcassonne le et décédé à Toulouse le [1], est un banquier français.
Il a fondé une banque en 1919 et a fait de la spéculation boursière sa spécialité. Il est resté célèbre par la faillite frauduleuse de sa banque en 1930 qui entraîna la chute de plusieurs hommes politiques de l'époque éclaboussés par le scandale.
Origines
Albert Oustric est le fils d'un cafetier de Carcassonne, propriétaire de L'Ambigu. En 1910, il hérite de son père une chute d'eau, située à Gripp-sur-l'Adour. Il s'associe en 1917 avec un avocat et entrepreneur dans le textile, Henri Manuel, et un certain Haardt, propriétaire de la société L'Electro-Métal.
Tous les trois cherchent à mettre en valeur cette chute d'eau et à lever des fonds en créant la société Force et Lumière des Pyrénées. Le placement des titres se fait par l'intermédiaire de la banque Richard Klehe & Cie, de Toulouse, la Société générale et la banque Clarac frères de Pamiers[2]. En juin 1919, Oustric « monte » à Paris et ouvre avec ses deux associés une banque située 5 rue Scribe au nom de Oustric & Cie et au capital de 1 million de francs, une somme relativement modeste[3]. Force et Lumière des Pyrénées est revendue au groupe Reille en 1923.
En 1920 il se maria à Madeleine de Rigny, une commentatrice de mode ayant passé une partie de sa jeunesse en Argentine et qui travaillait alors comme correspondante de mode. Elle mourut quelques mois avant le scandale[4],[5].
« L'empire Oustric »
Méthodes
Après s'être fait un nom sur la place de Paris en arbitrant quelques échanges boursiers, Albert Oustric fonde, via sa banque, deux sociétés de portefeuilles par actions : ces « holdings » permettent de recycler l'argent que des épargnants lui confient dans des dizaines de sociétés qu'il cotait en bourse. Il est l'un des ancêtres des fonds d'investissement en capital-développement[6]. Il suffisait à Oustric de prendre une minorité de blocage dans chacune de ces sociétés ayant besoin de trésorerie, qu'il renflouait, pour en devenir virtuellement le président ou l'administrateur direct.
En 1925, il rencontre Riccardo Gualino, le fondateur de la SNIA Viscosa, l'une des plus grosses entreprises italiennes[7] et sans doute le plus important producteur de soie artificielle en Europe. Les deux hommes rêvent de bâtir à eux deux une sorte de conglomérat industriel franco-italien, reposant sur l'industrie textile et ses dérivés. En , Oustric intercède auprès de Raoul Péret, ministre des Finances, pour obtenir le droit de faire entrer au premier marché de la bourse de Paris la société SNIA Viscosa : une première. Le droit est enfin accordé et la capitalisation est un succès, puisque 500 000 actions trouvent preneurs. Henri Manuel est alors président du conseil d'administration de la banque Oustric : son témoignage en 1931 sera capital.
Étendue
En 1928, le petit empire industriel Gualino-Oustric est à son apogée : il comprend 17 sociétés dans le textile et l'habillement (Salpa, Ehrlich frères, Athos, Maréchal, Sarlino, Blanchisseries de Thaon, Filatures Valentin-Bloch), des maisons de haute couture (Doeuillet-Doucet, Germaine Patat) dont il prend le contrôle via Georges Aubert, ou industriel et foncier comme les mines d'argent de la Compania Huanchaca de Bolivia[8], ou les Ciments de Couzon. Il pousse alors à l'extrême l'idée de spéculation, et ce, sur le modèle américain. Mais la perle de son montage financier reste la Banque Adam dont il prend le contrôle cette même année. Au cours de l'année 1929, il devient membre du conseil d'administration de Peugeot et le principal banquier de la marque automobile, toujours épaulé par Gualino.
Le capital de la banque Oustric totalisait alors 127 millions de francs, soit plus de 127 fois son capital de départ. Mais la banque Oustric n'est rien : au-dessus, on trouve une compagnie financière franco-italienne, la Holding française, via laquelle Gaulino et Oustric, entre 1928 et , contrôlent de grosses sociétés, par un montage au sein duquel intervient également la Banque Bauer, Marchal et Cie[9]. Le chiffre d'affaires global consolidé dépasse le milliard de francs !
L'affaire Oustric-Péret
Découverte
Pour faciliter son développement, Oustric tisse depuis le début des années 1920 des liens dans le monde de la politique. En , la banque Oustric & Cie, très affectée par le krach d'octobre, est déclarée en faillite, laquelle s'avère frauduleuse.
Une commission d'enquête est alors diligentée en novembre 1929. Raoul Péret, devenu entre-temps garde des Sceaux, est mis en cause dans cette affaire, car on découvre qu'il a été l'avocat-conseil d'Oustric après 1926 et qu'il avait appuyé l'introduction de la SNIA Viscosa à la bourse de Paris, alors qu'il était aux Finances. D'autre part, alors même qu'il était à la Justice, il continuait à percevoir des émoluments (plus de 100 000 francs par an), tout en ralentissant le travail des enquêteurs.
À l'Assemblée, un député lance : « Quand on a parlé des immenses écuries à nettoyer, il m'a semblé que beaucoup de chevaux applaudissaient ». Tandis que les chansonniers se signent « au nom du Péret, du fisc et du Saint-Oustric »[10].
Conséquences
La banque Oustric entraîna dans sa chute la Banque Adam, qui fut mise en liquidation le . Albert Oustric est arrêté le . Le , le Journal des Finances dénonce l'homme en ces termes : « Il a séché les comptes courants de la Banque Adam », puis le scandale entraîne la chute du gouvernement d'André Tardieu le suivant.
Mis en accusation par la chambre des Députés le , Péret est alors arrêté le puis emprisonné. Il est acquitté le , ainsi que René Besnard et les anciens sous-secrétaires d'État Gaston Vidal et Ernest Albert-Favre, sur décision rendue par la Haute Cour. Dans le numéro 112 de l’Action française () on pouvait lire en première page : « Le blason de Léon Blum, S.F.I.O, doit se déchiffrer ainsi : Sait Faire Intervenir Oustric.»
Oustric est condamné le à 18 mois de prison et 3000 F d'amende pour les irrégularités des opérations effectuées sur les titres de la Société générale des chaussures françaises[11]. Entre-temps, son associé italien, Riccardo Gualino, est lui aussi arrêté pour fraude aggravée et sur ordre de Mussolini, jeté en prison.
La banque Oustric & Cie et ses filiales laissèrent un passif cumulé d'1,5 milliard de francs qui mit plusieurs décennies à être apuré.
Dans un contexte protectionniste de contrôle des changes et d'un impôt de bourse élevé, qui dissuadent les opérateurs étrangers, Oustric avait mis à profit les conditions permissives offertes par une bourse française isolée, coupée des courants financiers internationaux et des autres places boursières. Elle était ainsi offerte aux manipulations des cours par une spéculation locale qui s'en donne les moyens, et la prend en otage, compte tenu de sa petite taille. Cette spéculation serait impossible maintenant puisque des interventions en sens inverse venues de l'extérieur contreraient les moyens mis en œuvre par un Oustric.
La position du Canard enchaîné
En , le Canard enchaîné rapporta et commenta longuement cette affaire, alimentant sa méfiance instinctive envers les pouvoirs politique et économique et leur malsaine complicité. Il fit paraître de faux entretiens des personnalités concernées, des pastiches de la presse, des contes ayant pour thème les liaisons dangereuses, des comptes rendus de livres sur les affaires (ainsi sur Oustric et Cie de Maurice Privat, Jules Rivet concluait par « un scandale qui ne scandalise même plus. On a l'habitude », sans oublier de nombreux dessins, et même un jeu de l'oie du Canard et du Financier.
Suite de sa vie
En 1965, Oustric fut inculpé de nouveau dans l'affaire dite de la Société de distribution automatique (S.D.A.)[12],[13]. Il fut condamné en 1971 à trois ans avec sursis[14].
Bibliographie
- Hubert Bonin, « Oustric, un financier prédateur ? (1914-1930) », Revue historique, Paris, Presses Universitaires de France, no 598, , p. 429-448 (lire en ligne).
- Hubert Bonin, « Les banques françaises devant l'opinion (des années 1840 aux années 1950) », dans Alya Aglan, Olivier Feiertag et Yannick Marec (dir.), Les Français et l'argent, XIXe – XXIe siècle : entre fantasmes et réalité, Paris, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 352 p. (ISBN 978-2-7535-1336-5, présentation en ligne, lire en ligne), p. 281-302.
- Jean-Noël Jeanneney, L'argent caché : milieux d'affaires et pouvoirs politiques dans la France du XXe siècle, Paris, Seuil, coll. « Points. Histoire » (no 70), , 2e éd. (1re éd. 1981, Fayard), 306 p. (ISBN 2-02-006728-5).
- Maurice Privat, Oustric et Cie, éditions Les documents secrets, Paris-Neuilly, 1931.
Articles connexes
Notes et références
- Hubert Bonin, « Oustric, Albert » in Jean Claude Daumas (dir.), Alain Chatriot et al., Dictionnaire historique des patrons français, Paris, Flammarion, (ISBN 978-2-081-22834-4), pp. 514-515.
- L'Express du Midi, 3 juillet 1920, p. 2.
- Charles-Albert Lucas & Pierre Pascaillon, Albert Buisson, un destin au XXe siècle (1881-1861), L'Harmattan, 2012, p. 158-159.
- Léon Bailby, Pour quoi je me suis battu, Plon, , « Déception sentimentale », p. 128-136
- Maurice Privat, Oustric & cie, Neuilly, (lire en ligne), p. 56
- Dictionnaire historique des patrons français, op. cit.
- Elle est la première en 1925 à dépasser le milliard de lires de chiffre d'affaires.
- Action Compania Huanchaca de Bolivia (1928).,sur le site delcampe.fr, consulté le 22 décembre 2013
- (it)Liste des sociétés cofondées par Gualino, en ligne.
- Le temps des scandales Hanau, Oustric et Staviskysur le site archives.investir.fr, consulté le 22 décembre 2013
- Société générale des chaussures françaises, sur le site scriponet.com, consulté le 22 décembre 2013
- « M. ALBERT OUSTRIC A ÉTÉ INCULPÉ DANS L'AFFAIRE DE LA S.D.A. », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « On n'apprivoise pas les coffres-forts... », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- « M. Annet-Badel a été condamné à cinq ans de prison et 36 000 francs d'amende », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
Lien externe
- [PDF]« Responsabilité politique et pénale des Ministres de 1789 à 1958, par Daniel Amson (Le procès de Raoul Péret pages 25 à 30) », sur le site revue-pouvoirs.fr, consulté le
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