Benito Mussolini
Benito Mussolini (en français : /benito mysɔlini/[N 1] ; en italien : /beˈniːto mussoˈliːni/[N 2]), né le à Predappio et mort le à Giulino di Mezzegra, est un journaliste, idéologue et homme d'État italien.
« Mussolini » redirige ici. Pour les autres significations, voir Mussolini (homonymie).
Benito Mussolini | ||
Benito Mussolini. | ||
Fonctions | ||
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Duce de la République sociale italienne (Italie du Nord) | ||
– (1 an, 7 mois et 3 jours) |
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Prédécesseur | Fonction créée (scission du royaume d'Italie) | |
Successeur | Fonction supprimée (réunification du royaume d'Italie) | |
Président du Conseil des ministres d'Italie | ||
– (20 ans, 8 mois et 24 jours) |
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Monarque | Victor-Emmanuel III | |
Gouvernement | Mussolini | |
Législature | XXVIe, XXVIIe, XXVIIIe, XXIXe et XXXe | |
Prédécesseur | Luigi Facta | |
Successeur | Pietro Badoglio | |
Ministre des Affaires étrangères | ||
– (5 mois et 19 jours) |
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Président du Conseil | Lui-même | |
Prédécesseur | Galeazzo Ciano | |
Successeur | Raffaele Guariglia | |
– (3 ans, 10 mois et 20 jours) |
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Président du Conseil | Lui-même | |
Prédécesseur | Dino Grandi | |
Successeur | Galeazzo Ciano | |
– (6 ans, 10 mois et 13 jours) |
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Président du Conseil | Lui-même | |
Prédécesseur | Carlo Schanzer | |
Successeur | Dino Grandi | |
Ministre de l'Intérieur | ||
– (16 ans, 8 mois et 19 jours) |
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Président du Conseil | Lui-même | |
Prédécesseur | Luigi Federzoni | |
Successeur | Bruno Fornaciari | |
– (1 an, 7 mois et 17 jours) |
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Président du Conseil | Lui-même | |
Prédécesseur | Paolino Taddei | |
Successeur | Luigi Federzoni | |
Biographie | ||
Nom de naissance | Benito Amilcare Andrea Mussolini | |
Surnom | Duce | |
Date de naissance | ||
Lieu de naissance | Predappio (Italie) | |
Date de décès | (à 61 ans) | |
Lieu de décès | Giulino di Mezzegra (Italie) | |
Nature du décès | Exécution par arme à feu | |
Nationalité | Italien | |
Parti politique | PSI (1900-1914) PNF (1921-1943) PFR (1943-1945) |
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Conjoint | Rachele Guidi | |
Enfants | Edda Ciano Benito Albino Dalser Anna Maria Mussolini Vittorio Mussolini Bruno Mussolini Romano Mussolini |
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Entourage | Galeazzo Ciano (gendre) | |
Profession | Journaliste | |
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Présidents du Conseil des ministres d'Italie Ministres italiens des Affaires étrangères Ministres italiens de l'Intérieur |
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Fondateur du fascisme, il est président du Conseil du royaume d'Italie, du au , premier maréchal d'Empire du au , et chef de l'État de la République sociale italienne (RSI) de à . Il est couramment désigné par le terme « Duce », mot italien dérivé du latin Dux et signifiant « Chef » ou « Guide ».
Il est d'abord membre du Parti socialiste italien (PSI) et directeur du quotidien socialiste Avanti! à partir de 1912. Anti-interventionniste convaincu avant la Première Guerre mondiale, il change d'opinion en 1914, se déclarant favorable à l'entrée en guerre de l'Italie. Expulsé du PSI en novembre 1914, il crée son propre journal, Il Popolo d'Italia (Le peuple d'Italie) qui prend des positions nationalistes proches de celles de la petite bourgeoisie. Dans l'immédiate après-guerre, profitant du mécontentement de la « victoire mutilée », il crée le Parti national fasciste (PNF) en 1921 et se présente au pays avec un programme politique nationaliste, autoritaire, antisocialiste et antisyndical, ce qui lui vaut l'appui de la petite bourgeoisie et d'une partie des classes moyennes industrielles et agraires.
Dans le contexte de forte instabilité politique et sociale qui suit la Grande Guerre, il vise la prise du pouvoir en forçant la main aux institutions avec l'aide des paramilitaires squadristi et l'intimidation qui culminent le avec la marche sur Rome. Mussolini obtient la charge de constituer le gouvernement le . En 1924, après la victoire contestée des élections et l'assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti, Mussolini assume l'entière responsabilité de la situation. La série de lois fascistissimes lui attribue, à partir de 1925, des pouvoirs dictatoriaux et fait de l'Italie un régime fasciste à parti unique.
Après 1935, il se rapproche du régime nazi d'Adolf Hitler, avec qui il établit le pacte d'acier (1939). Convaincu d'un conflit à l'issue rapide, il entre dans la Seconde Guerre mondiale aux côtés de l'Allemagne nazie. Les défaites militaires de l'Italie et le débarquement des Alliés sur le sol italien entraînent sa mise en minorité par le Grand Conseil du fascisme le : il est alors destitué et arrêté par ordre du roi. Libéré par les Allemands, il instaure en Italie septentrionale la République sociale italienne. Le , alors qu'il tente de fuir pour la Valteline déguisé en soldat allemand, il est capturé par un groupe de partisans. Il est ensuite fusillé avec sa maîtresse Clara Petacci ; leurs corps sont livrés à une foule en colère et pendus par les pieds au carrefour du Piazzale Loreto, à Milan.
Biographie
Origines
Fils du forgeron Alessandro Mussolini et de l'institutrice Rosa Maltoni, Benito naît le à Varani dei Costa, un hameau de la commune de Dovia di Predappio (aujourd'hui Predappio) dans la province de Forlì-Césène en Émilie-Romagne.
Les prénoms Benito Amilcare Andrea lui sont donnés par son père[1], socialiste à la limite de l'anarchisme, désireux de rendre hommage à Benito Juárez, héros libéral et républicain face à l'intervention française et ex-président du Mexique, à Amilcare Cipriani, patriote italien et socialiste, et à Andrea Costa, premier député socialiste élu au parlement italien. Il a un frère, prénommé Arnaldo en hommage au moine révolutionnaire romagnol de Brescia[2],[3] et une sœur prénommée Edvige[2]. Alessandro Mussolini cherche à influencer son fils aîné par ses conversations avec lui, par les livres qu’il lui fait lire de bonne heure et par les textes que lui-même rédige pour les journaux socialistes locaux. Benito Mussolini dit à Yvon de Begnac : « Mon socialisme est né bakouniste, à l’école du socialisme de mon père, à l’école du socialisme libertaire de Blanqui[4]. » Alessandro Mussolini avait l’habitude de lire à ses enfants des passages du Capital de Karl Marx. Les enfants d'Alessandro Mussolini sont fiers de l’hospitalité que leur père offre depuis toujours aux militants socialistes recherchés par la police[5]. Le père est athée et anticlérical, la mère une catholique très pieuse : dans leur chambre, le portrait de Garibaldi côtoie une image de la Madone de Pompéi[6].
Études (1889-1902)
Le jeune Mussolini fréquente les deux premières classes élémentaires à Dovia, puis à Predappio (1889-1891). Il entre au collège des salésiens de Faenza (1892-1894)[7]. C'est un élève turbulent, voire violent : en 1893 il est renvoyé après avoir blessé un de ses camarades avec un couteau[8]. Il est surnommé "El matt" (le fou)[9].
Il poursuit ses études au collège Carducci de Forlimpopoli[7] où, sous l'influence de son père, il se rapproche du militantisme socialiste[10]. En 1900, Mussolini fréquente les cercles socialistes de Forlimpopoli et de Forlì. À l’école normale, il quitte l’internat pour assister à des réunions publiques et y prendre la parole. Plus tard, lors de ses entretiens avec Emil Ludwig, il évoque ainsi son adhésion aux idées socialistes nées de son indignation[11],[12] : « Ce qui domine, c’est l’indignation. J’avais sous les yeux les souffrances de mes parents ; à l’école normale, j’avais été humilié ; alors j’ai grandi comme révolutionnaire, avec les espoirs des déshérités. Qu’aurais-je pu devenir d’autre que socialiste à outrance, blanquiste, plutôt communiste au fond ? »
En 1901, il finit ses études, obtenant un diplôme d'enseignement[13]. Le , il est nommé maître suppléant à l'école élémentaire de Pieve Saliceto, hameau de Gualtieri[10].
Le , il termine l'année scolaire et, probablement pour fuir le service militaire[14], s'établit à Lausanne, après avoir séjourné dans deux autres villes suisses, Yverdon-les-Bains et Orbe.
Exil en Suisse et premières activités politiques (1902-1904)
De juin 1902 à novembre 1904, Mussolini vit en Suisse, se déplaçant de ville en ville et occupant des emplois occasionnels (maçon, manœuvre, etc.). Vivant misérablement[14], il est arrêté pour vagabondage par la police dans la matinée du sous les arches du Grand-Pont à Lausanne, où il avait passé la nuit. Dans ses poches sont trouvés son passeport, son diplôme de l'école normale et quinze centimes.
En août 1902, il s'inscrit auprès du syndicat des maçons et des manœuvriers et en devient le secrétaire[15]. Il publie son premier article dans L'avvenire del lavoratore (L'avenir du travailleur) dont il devint le rédacteur. Le syndicat italien des maçons et manœuvres exerçait une forte influence sur la colonie transalpine de Lausanne. Ces débuts modestes de militant obscur vont néanmoins lui permettre, en moins d’un an, de se faire connaître et apprécier du milieu socialiste italien et de ses dirigeants en exil[16]. Il affirme alors son rejet viscéral de la social-démocratie, du « socialisme de la chaire », du « socialisme de tagliatelles » ; par tempérament et culture politique, il incline à l’activisme révolutionnaire[17]. En Suisse, la fréquentation des ouvriers, le contact avec des animateurs du socialisme révolutionnaire, l’engagement dans une authentique action militante vont faire de lui, au moins pour la durée de son séjour, un agitateur et un professionnel de la révolution. Le , il est arrêté dans le canton de Berne comme agitateur socialiste pour avoir soutenu le projet d'une grève générale en ayant éventuellement recours à la violence[18]. Il est maintenu en prison douze jours puis expulsé vers l'Italie le 30 juin[19].
Jusqu'à l’automne 1903, Mussolini consacre la majeure partie de son temps à faire de l’agitation politique et à mobiliser ses compatriotes immigrés, sillonnant la Confédération suisse pour porter la parole socialiste ou soutenir des travailleurs en grève. Dans L'avvenire del lavoratore, il publie des correspondances syndicales, des poèmes (dont un sonnet à Babeuf), une quinzaine d’articles sur « le socialisme suisse », « la nécessité de la politique socialiste en Italie », « le massacre des Arméniens »... Il écrit aussi dans Proletario[20] ou L’Avanguardia socialista[21]. À cette époque, il se range dans l'aile révolutionnaire du Parti socialiste italien (PSI) dirigée par Arturo Labriola et envoie des articles au journal milanais l'Avangardia socialista. C'est au cours de cette période qu'il fait preuve de la plus grande affinité idéologique avec le syndicalisme révolutionnaire. Il fréquente deux mois la faculté des sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne, où il s'intéresse à la pensée de l'économiste Vilfredo Pareto, critique acerbe de la démocratie libérale et à l'un des cours de qui il assiste[20]. Il s'investit notamment dans les polémiques anticléricales par exemple au travers d'un débat avec le pasteur évangélique Alfredo Taglialatela sur le thème de l'existence de Dieu[N 3].
Le 30 décembre 1903, il se rapproche de l'avocat socialiste originaire de Sienne, Salvatore Donatini, avec qui il projette de fonder une revue, I Tiempi nuovi[22]. Celui-ci ayant été expulsé, Mussolini le suit en France mais le projet de revue n’aboutit pas faute de moyens financiers. On sait peu de chose sur ce séjour en France que Mussolini n'évoquait pas et au cours duquel il aurait travaillé comme charretier dans une carrière de sable[23]. Le 18 mars 1904, il rencontre l'activiste socialiste russe Angelica Balabanova[20] à Lausanne lors d’un meeting commémorant la Commune de Paris. En avril 1904, il est expulsé du canton de Genève pour avoir modifié la date de validité de son passeport. Il est libéré à Bellinzone grâce aux protestations des socialistes genevois et à l'aide du gouvernement tessinois. Il est emprisonné pendant sept jours à partir du [19]. Le 13 novembre 1904, il prononce une conférence sur le néo-marxisme dans laquelle il réaffirme la validité et l’actualité de la pensée de Marx[24], contre ceux qui appelaient à la révision de la pensée marxiste.
Retour en Italie et ascension dans la hiérarchie du PSI (1904-1910)
En novembre 1904, en raison de l'amnistie accordée lors de la naissance de l'héritier du royaume, Mussolini revient en Italie alors qu'il est sous le coup d'une condamnation pour refus du service militaire[25]. Il effectue son service militaire, est affecté le au dixième régiment bersaglier de Vérone où il obtient son certificat de bonne conduite. Entre-temps, le [25], sa mère meurt. Libéré au terme prévu, Mussolini rentre à Dovia di Predappio le où il devient maître suppléant à Tolmezzo du 15 novembre jusqu'à la fin de l'année scolaire ; mais son poste ne lui est pas renouvelé en raison de sa vie dissipée[26]. En novembre 1907, il obtient l'habilitation pour l'enseignement du français mais échoue à celle d'allemand. En mars 1908, il obtient la charge de professeur de français au collège d'Oneglia[27], où il enseigne aussi l'italien, l'histoire et la géographie. Il est donc polyglotte[28], maîtrisant le français[29], l'anglais et l'allemand.
À Oneglia, il dirige l'hebdomadaire socialiste La Lima sous le pseudonyme de « Vero Eretico » (vrai hérétique)[30]. L’été 1908 marque un changement avec son engagement direct dans l’agitation menée par les braccianti de Forlì[31],[N 4]. Le , il est arrêté pour menaces envers un dirigeant d'une organisation patronale. Jugé, il est condamné à trois mois de prison mais il est relaxé en appel[32]. En septembre, il est de nouveau incarcéré pendant dix jours pour avoir tenu à Meldola une réunion non autorisée. Ces arrestations lui confèrent un réel prestige auprès des braccianti et des socialistes de la région[33]. Il publie des articles dans la revue Pagine libere, la principale publication syndicaliste révolutionnaire dirigée par Oliviero Olivetti et dans Il Pensierio romagnolo du républicain Giuseppe Gaudenzi. C’est dans cette revue que parut en novembre et décembre 1908 en trois livraisons La Philosophie de la force[34], l’essai d’interprétation de la pensée de Nietzsche[35],[N 5].
En janvier 1909, la réputation acquise par Mussolini sur le terrain de l’action sociale et politique et du journalisme, ainsi que les liens d’amitié entretenus avec Serrati et Angelica Balabanoff concourent à décider les dirigeants de la chambre du travail de Trente à lui offrir le poste de secrétaire de cette organisation et la direction de l’hebdomadaire du parti socialiste tridentin L'avvenire del lavoratore (L'avenir du travailleur)[36]. Sous sa direction, le tirage de L’avvenire del lavoratore augmente de cinquante pour cent en six mois. Il entretient d’excellentes relations avec le socialiste irrédentiste Cesare Battisti qui lui confie également la direction de son journal Il Popolo (Le peuple). Entre février et septembre 1909, il signe cent articles, notes, recensions et essais historico-littéraires[37]. Le 7 mars, il tient une joute journalistique avec Alcide De Gasperi d'orientation catholique, directeur du périodique Il Trentino[38]. Mussolini réédite ce qu’il avait fait en Suisse à savoir dynamiser une organisation socialiste somnolente et apathique tout en ne rentrant pas en conflit avec la direction du parti. Le 10 septembre, il est emprisonné à Rovereto pour diffusion de journaux instigateurs de violences envers l'Empire d'Autriche et le 29 il est expulsé et retourne à Forlì[38]. Les huit mois passés dans le Trentin confortent Mussolini dans ses convictions syndicalistes révolutionnaires nourries dans la riche bibliothèque nationale de la ville où il passe une bonne partie de son temps : son goût et le culte de l’action, une philosophie pragmatiste, la nécessité de la volonté pour changer le monde et façonner sur le modèle nietzschéen un homme nouveau[39].
Il revient à Predappio fin 1909, où il dirige la grève des journaliers agricoles. En novembre, il s'installe à Forlì où il vit avec son père qui crée avec sa compagne Anna Lombardi (veuve de Guidi, mère de la future épouse du duce) la taverne Il bersagliere[40]. Au cours de cette période, Mussolini écrit dans Pagine libere (Pages libres), revue du syndicalisme révolutionnaire éditée à Lugano et dirigée par Angelo Oliviero Olivetti, l'article La filosofia della forza (La philosophie de la force) où il fait référence à la pensée de Nietzsche.
Animateur de l'aile maximaliste du PSI (1910-1912)
À partir de , il est secrétaire de Forlì et il dirige le périodique officiel L'idea socialista (L'idée socialiste) rebaptisé par Mussolini Lotta di classe (Lutte des classes)[38]. Il y développe ses idées, tournant le dos au projet réformiste, rejetant l’idée d’une évolution gradualiste et pacifique qui serait le produit d’un déterminisme économique et lui oppose sa vision volontariste et brutale de changement social[41]. En un an de présence au secrétariat de cette fédération socialiste, il fait croître le tirage de Lotta di classe ainsi que le nombre de militants (passé de 1 400 à 1 800, répartis en 40 sections, 12 groupes de jeunes et une section féminine) et la fédération de Forlì devient une puissance dans le parti socialiste[42].
Il veut la constitution d’une formation de combat composée de noyaux de militants résolus auquel il incombera le moment venu de partir à l’assaut du pouvoir : c'est le modèle esquissé par Blanqui et auquel Lénine donne vie en créant le parti bolchévique ; il s’agit de sélectionner non une quantité croissante de militants mais des militants de qualité capables de s’emparer des postes de commande de l’État et de faire fonctionner celui-ci en attendant qu’une nouvelle société se développe sur les ruines de l’ancienne. Mussolini dénonce les pratiques sociales qui concourent à l’abrutissement des masses, « Le peuple se ramollit avec les bistrots, le bal, le bordel, et le sport[43]. » Il emprunte à Vilfredo Pareto l'idée d'une distinction à effectuer entre masses et élite ainsi que sa vision cyclique de l’histoire qui serait un cimetière d’élite : la lutte des classes ne modifie pas la dichotomie mais le but du socialisme doit être de donner au prolétariat une élite révolutionnaire qui parlera en son nom. Selon Mussolini, les masses ne sont pas animées par la seule raison mais par la force explosive du sentiment, par des mythes puissants comme celui de la révolution, seuls capables de mobiliser les hommes en vue de l'édification d'un monde nouveau[44].
Du 21 au 25 octobre 1910, lors du congrès de Milan, Mussolini paraît en tant que chef de file incontesté de ce courant maximaliste. Dans ses discours, il prend parti contre le recours au suffrage universel pour mener à bien les réformes sociales qui seraient le moyen de faire avancer le socialisme[45] et prône le recours à la révolution, exalte la violence et la brutalité révolutionnaire des anarchistes ; son charisme le fait remarquer et on le voit entouré d’un groupe de gardes du corps. Il prône la scission pour faire avancer la cause des intransigeants mais Costantino Lazzari finit par le convaincre, lui et ses amis, de préserver l’unité du mouvement socialiste.
Contestant toute participation des socialistes au gouvernement royal italien, Mussolini et son courant sont tentés par la scission : le , la section socialiste de Forlì emmenée par Mussolini vote l'autonomie du PSI[46]. Cependant, au printemps 1911, les dirigeants du parti lui font savoir qu’ils souhaitent l’unité et ne pas se séparer des socialistes romagnols.
En , il fait publier son essai Il Trentino veduto da un socialista (Le Trentin vu par un socialiste) dans le journal Quaderni della Voce. Jusqu’à l’automne 1911, la vie personnelle de Mussolini évolue peu, sa situation demeure très précaire ; il refuse l’augmentation que lui proposent quelques-uns de ses camarades et préfère glaner quelques piges ou accepter de traduire l'ouvrage sur la Révolution française de Kropotkine[47]. Il publie également son roman Claudia Particella, l'amante del cardinale Madruzzo, en 1910, dans le journal de Trente de Cesare Battisti Il popolo, avec qui il avait collaboré en 1910. L'œuvre contient une satire anti-cléricale[48],[49]. Le 17 janvier, il commence à vivre avec Rachele Guidi, sa future épouse[48].
Il axe alors ses discours et ses actes sur la dénonciation du militarisme et de la colonisation. Il est ainsi arrêté le 14 octobre 1911, jugé et condamné () à un an de réclusion pour avoir participé le , avec son ami républicain Pietro Nenni, à une manifestation contre la guerre de Libye qui se termine par de violents affrontements avec la police. Le préfet de Forlì fait arrêter Nenni et Mussolini[N 6]. La presse de gauche prend fait et cause pour Mussolini qui bénéficie d’un immense élan de solidarité : une souscription destinée à payer les frais de justice des deux emprisonnés et à assister leur famille est organisée avec un certain succès ; de même, on fait appel aux meilleurs avocats que les deux partis comptent dans la région[50]. Mussolini assume sa propre défense et le , la cour d'appel de Bologne réduit la peine à cinq mois et demi, laps de temps qu'il met à profit pour rédiger son autobiographie. Mussolini voit alors dans cette guerre de Libye un crime contre l'humanité[N 7],[51]. Mussolini définit l'aventure coloniale africaine du gouvernement de Giovanni Giolitti d'« acte de brigandage international ». C'est alors, à sa sortie de prison, que Mussolini est qualifié pour la première fois de Duce, un terme en usage dans la gauche italienne[52].
Directeur de l'Avanti! (1912-1914)
Le , au congrès socialiste de Reggio d'Émilie, il présente une motion d'expulsion contre les réformistes, qui sont favorables à une solution par étapes, Leonida Bissolati, Ivanoe Bonomi, Angiolo Cabrini et Guido Podrecca, qui est acceptée, les quatre exclus donnent vie au Parti socialiste réformiste et Mussolini entre donc dans la direction nationale du parti[53]. Il collabore à Folla (La foule), journal de Paolo Valera signant sous le pseudonyme de « L'homme qui cherche »[N 8].
Grâce au succès de sa motion, au dynamisme de sa fédération, à sa déjà importante expérience journalistique et militante, à sa qualité d'orateur, à ses relations dans le parti, Mussolini monte au sommet de la scène politique nationale : en novembre 1912, il devient le membre principal de l'aile maximaliste du socialisme italien et est nommé par la direction du Parti socialiste italien directeur de L'Avanti!, quotidien officiel du parti[54]. En novembre 1913, il crée la revue Utopia[54]. Il y développe sa vision du socialisme ; du marxisme, il reprend dans ses articles les thèmes du déterminisme économique, de la lutte des classes, de la paupérisation croissante et de la crise catastrophe devant aboutir à la fin du capitalisme ; il privilégie l’action du parti et rejette le primat du syndicalisme qui ne doivent pas être autonomes ; il se montre toujours blanquiste quant au processus de conquête et d’organisation de la société au cours de la phase de dictature qui suivra la victoire des forces prolétariennes[55]. Avant d’accepter la charge de directeur du principal organe de presse socialiste, Mussolini pose comme condition que Balanaboff lui soit associée avec le titre de rédactrice en chef du journal[56]. Il fait entrer dans le journal des syndicalistes révolutionnaires, des anarchistes comme Enrico Leone, Agostino Lanzillo, Sergio Panunzio, Arturo Labriola. Sous la houlette de son nouveau directeur, le journal passa en un plus d’un an de vingt mille à cent mille exemplaires ; son talent d’éditorialiste, style incisif, son aptitude à coller à l’événement, favorisent la montée en puissance du parti qui passe dans la même période de trente mille à cinquante mille adhérents et de quarante-et-un à cinquante-deux députés après les élections de 1913[57].
Au congrès socialiste d'Ancône de 1914, il présente une motion, qui est acceptée, qui déclare incompatible la maçonnerie, définie comme bourgeoise et interclassiste, et le socialisme[58]. Battu à la députation dans la circonscription de Forlì lors des élections générales d'octobre 1913, quelques mois plus tard, conseiller municipal à Milan[59] et au cours de la Semaine rouge, il reste rivé à sa fonction de rédacteur (il participe à une manifestation) contrairement à Nenni et Malatesta[60].
Ralliement à l'interventionnisme et rupture avec le PSI
Au début de la Première Guerre mondiale, il s'aligne sur les positions de l'Internationale socialiste, se déclarant ouvertement opposé à l'intervention de l'Italie qui, d'après lui, ne servirait que l'intérêt de la bourgeoisie[60]. Cependant, se développe en 1914 un interventionnisme de gauche allant des républicains et des socialistes réformistes aux syndicalistes révolutionnaires : le , des représentants du syndicalisme révolutionnaire comme Libero Tancredi (pseudonyme de Massimo Rocca), Filippo Corridoni et Cesare Rossi signent l’appel du Faisceau révolutionnaire d’action interventionniste ; ce manifeste vise à constituer un mouvement informel pour rassembler les éléments de la gauche radicale favorable à l'entrée en guerre de l'Italie contre les Empires centraux[N 9]. Le mot faisceau appartient au vocabulaire politique de la gauche italienne qui trouve son origine dans les faisceaux de travailleurs siciliens[61]. Les signataires du manifeste souhaitent l'entrée en guerre par hostilité aux Empires centraux réactionnaires et cléricaux[62] et volonté, notamment chez les syndicalistes et socialistes révolutionnaires, de préparer techniquement le prolétariat au combat et de forger ainsi en son sein une élite révolutionnaire et combattante[63]. Benito Mussolini ne signe pas le manifeste mais ces idées rejoignent sa théorie de la nécessité du combat révolutionnaire et d'une élite socialiste combattante ; sa parution l'incite à faire connaître sa propre opposition à la neutralité car cette initiative était de nature à faire pièce à son influence au sein de l'ultragauche interventionniste[64]. Ce ralliement provoqua l'enthousiasme des journaux de la gauche antineutraliste comme L'Internazionale, Pagine Libere (syndicaliste révolutionnaire), La Voce, L'Iniziativa (républicaine), La Folla (anarchiste), Azione socialista (socialiste) et fut bien reçu des socialistes français et belges qui le soutinrent financièrement pendant la guerre[65].
Cependant, à la suite de cette prise de position contraire à la ligne du parti, il est forcé à la démission, le , de L'Avanti![66], puis exclu du PSI le , à la suite de la publication, le 18 octobre, de l'article Dalla neutralità assoluta alla neutralità attiva ed operante[67] (De la neutralité absolue à la neutralité active et agissante), qui qualifie la neutralité de réactionnaire et signe son ralliement à la campagne interventionniste entamée le 5 octobre par le manifeste des Faisceaux d'action internationaliste. Mussolini préconise désormais une politique militariste ainsi que l'entrée en guerre de l'Italie en 1915 aux côtés de l'Entente.
Fondation du Popolo d'Italia
Mussolini voulut fonder son propre quotidien dont il voulait faire l'organe de l'interventionnisme de gauche et entra en pourparler avec deux dirigeants syndicalistes révolutionnaires A.O. Olivetti et O. Dinale mais il préféra finalement fonder son propre journal, Il Popolo d'Italia, dont le premier numéro sortit le .
Dès son premier numéro et jusqu'en 1918, le journal comme son fondateur continua de se réclamer du socialisme révolutionnaire ; le journal portait sous le titre Il Popolo d'Italia la mention journal socialiste des ouvriers. Le journal a placé en exergue de son journal deux citations révolutionnaires : à gauche, une phrase d'Auguste Blanqui : « Qui a du fer a du pain » ; à droite, une citation de Napoléon Bonaparte : « La révolution est une idée qui a trouvé des baïonnettes ». Dans l'imaginaire politique de la gauche italienne, les références à la France révolutionnaire et à la Commune de Paris étaient très présentes et ces deux épisodes de l’histoire ont en commun de faire se rejoindre l’idée de guerre et celle de révolution. Parmi les collaborateurs réguliers ou épisodiques du journal, on retrouve des personnalités de toutes les tendances de la gauche démocratique ou radicale de Maria Rygier à Pietro Nenni, de Cesare Rossi à Sergio Panunzio, d'Agostino Lanzillo à Margherita Sarfatti. Mussolini a de fait joué un rôle dans l’entrée en guerre de son pays en tant que directeur et éditorialiste du principal organe de l’interventionnisme de gauche. Les nationalistes de droite de type corradiniens avec lesquels Mussolini polémiquaient ne participèrent pas au journal[68]. Lénine avait vu dans la guerre un puissant levier révolutionnaire qui entraînerait l’effondrement des sociétés capitalistes et une révolte des peuples à l’échelle internationale ; pour Mussolini, il n'y a rien à attendre de l’Internationale dont l'échec à concrétiser la solidarité des travailleurs prouve que pour faire triompher la révolution, passe par la solution des problèmes nationaux[69].
Son nouveau journal est financé par certains belligérants et par les socialistes français et belges, notamment par des échanges avec Marcel Cachin et Jules Guesde[65] ; ces financements étrangers ne servirent pas au financement initial du journal[70]. Il est également financé par des industriels italiens soucieux de diviser la gauche ou de pousser à la guerre et indirectement le gouvernement italien - ce qui marque un changement radical dans son refus de la coopération avec la bourgeoisie ou l'État[71].
En , il prend part à Milan à la création des Fasci d'azione rivoluzionaria[72], participant à leur premier congrès les 24 et [73].
Participation à la guerre
Après l'entrée en guerre de l'Italie à la suite du pacte de Londres (mai 1915), Mussolini est affecté en au 11e bersaglier puis envoyé sur le front alpin le 2 septembre 1915. Dans son journal de guerre, outre raconter la vie dans les tranchées, il s'imagine en héros charismatique dans une communauté nationale guerrière et obéissante. Nommé caporal le 1er mars 1916, ses supérieurs écrivent dans son fascicule militaire : « Activité exemplaire, qualité de combattant, esprit de sérénité, volontaire, zélé, régularité dans la réalisation de ses devoirs ». Blessé par l'explosion d'un mortier lors d'un exercice, le 23 février 1917, il est réformé. De retour du front, en décembre, il publie dans Il Popolo d'Italia l'article Trincerocrazia dans lequel il revendique, pour les futurs anciens combattants, le « droit » de gouverner l'Italie après la fin de la guerre. Dès l'automne 1917, il reçoit cent livres sterling par semaine du MI5 (l'équivalent, en 2009, de six mille livres) afin non seulement de faire de la propagande militariste, mais aussi de mener de violents assauts contre les manifestants pacifiques, notamment à Milan, afin d'éviter toute paralysie de l'industrie[74]. Après le retrait de la Russie révolutionnaire, Londres craint en effet que l'Italie ne se retire aussi du conflit[75]. Ces paiements, qui ont duré au moins un an, ont été autorisés par le député britannique et homme du MI5 en Italie Samuel Hoare, qui révéla leur existence dans ses Mémoires publiés en 1954[75].
1918 et 1919 : échec des alliances et du positionnement à gauche
Aidé financièrement par les Alliés, il craint en 1918, lors des armistices, de se retrouver seul, sans soutien et sans argent. Le 10 novembre, il participe à Milan au Cortège de la victoire, harangue les Arditi présents et se constitue une garde personnelle[76]. Dans le même temps, il soutient dans son journal l'ensemble des mouvements italiens de grève ou de protestation : les postiers, les cheminots, les métallurgistes, les émeutiers de mai-juin 1919, contre la cherté de la vie[77]. Quatre ans après la fondation du journal, dans un article[78], Benito Mussolini rompt avec le socialisme italien qui n’a pas été capable d’accompagner les masses lors des journées insurrectionnelles de juin 1914 et n'a pas su, comme il le jugeait souhaitable, trouver dans la guerre un vecteur de la révolution sociale ; il accuse le parti d'avoir eu une attitude ambiguë et de n'en être sorti que pour s’engager dans la voie de la trahison en poussant à la démobilisation du peuple en arme et le rend responsable ; de là résultait le désastre de Caporetto, et de cet événement on ne pouvait que conclure, selon lui, au caractère nuisible de l’organisation dont il avait été l’étoile montante[79]. Cet abandon de la référence au socialisme se concrétise en 1918 par le changement de la mention sous le titre du journal Il Popolo d'Italia, qui devient le Journal des combattants et des entrepreneurs[80].
Toutefois, en 1919, Mussolini ne souhaite pas passer d'alliance politique avec les partis de droite ; il fonde un mouvement politique, les Faisceaux de combat, futur noyau de son Parti national fasciste, le à Milan, dans une salle prêtée par le Cercle des intérêts industriels et commerciaux. Le programme des faisceaux italiens de combat présente une forte orientation de gauche et Mussolini veut s'allier avec les partis de la gauche non socialiste. Son mouvement est un amalgame d'ex-syndicalistes révolutionnaires (tel Michele Bianchi) dont Benito Mussolini était lui-même proche, de futuristes déçus par la non-satisfaction de certaines revendications territoriales à la fin de la guerre et de futuristes tels Mario Carli et Marinetti mais il n'inclut pas encore la droitière Association nationaliste italienne. Le programme mêle revendications sociales et nationalistes, se déclare en faveur de la Société des Nations (SDN), critique l'impérialisme et exige la dissolution des sociétés anonymes et la suppression de toute spéculation boursière. Le programme hérisse un peu les nationalistes et les patrons du Cercle des intérêts industriels et commerciaux, mais il les rassure en leur disant qu'il ne soutiendra la SDN que lorsque les revendications sur Fiume seront satisfaites, ce qui contredit nettement le programme lui-même[81]. Au printemps 1919, lors de mouvements sociaux « contre la vie chère », Il Popolo d'Italia appelle à s'en prendre aux personnes et pas seulement aux biens[82]. Il appuie alors les grèves, dont celle de la Fiat contre le changement d'heure (forme d'interventionnisme étatique), ainsi que les occupations d'usines de l'été 1920[82]. Mussolini promet de soutenir la Fédération des Employés de la Métallurgie (it) (Federazione Impiegati Operai Metallurgici) de Bruno Buozzi[82]. Au même moment, tout en soutenant dans Il Popolo d'Italia les masses, les fascistes s'attaquent à leurs rivaux socialistes dont ils contestent l'hégémonie auprès des masses. Lors d'une grève générale lancée à Milan par le PSI et la CGL, en avril 1919, ils incendient le siège de l'Avanti! : c'est « la bataille de la via dei mercanti », « première grande date historique du fascisme » (Milza et Berstein)[82]. Le futuriste Marinetti réclame alors l'expulsion du pape et la « dévaticanisation » de l'Italie[83].
Début 1919, Mussolini entre en pourparlers dans le but de constituer un bloc des partis et groupes se réclamant de l’interventionnisme de gauche : parti républicain, union socialiste italienne, syndicalistes révolutionnaires de l’UIL, futuristes. Ils ont été à plusieurs reprises sur le point d’aboutir, notamment en juin et juillet 1919, lors de l’agitation contre la vie chère et l’on a même ébauché un programme commun minimal portant sur la révision constitutionnelle dans un sens républicain. Cependant, la constitution d'un bloc de gauche interventionniste échoue à cause de l'opposition de la direction du parti républicain qui jugerait excessif le programme social des faisceaux d'une part, à cause de l'opposition des éléments les plus radicaux du futurisme et du fascisme hostile à la collaboration avec les vieux partis parlementaristes d'autre part[84].
Le , devant le siège du Popolo d'Italia, Mussolini appuie une souscription en faveur de l'entreprise de Fiume de Gabriele D'Annunzio après avoir rencontré ce dernier pour la première fois à Rome en juin. Le 7 octobre, il est à Fiume où il discute avec D'Annunzio, les rapports sont extrêmement fugaces en raison d'une méfiance réciproque, voire de rivalité. Malgré cette agitation révolutionnaire, au Congrès de Florence d'octobre 1919, il n'y a encore que 56 faisceaux, groupant 17 000 militants[83].
En novembre 1919, Mussolini présente une liste fasciste aux élections, à Milan, qui rassemble Marinetti, le chef d'orchestre Toscanini, ainsi que des anticléricaux et des arditi[83]. La liste fasciste n'obtient que 4 795 voix, contre 170 000 pour le PSI et 74 000 pour le Parti populaire (catholique) de Luigi Sturzo[83]. Tandis que les socialistes fêtent leur victoire, des arditi lancent deux bombes sur le cortège, le 17 novembre 1919, faisant neuf blessés[82]. Mussolini est arrêté à la suite d'une perquisition au siège d'Il Popolo, mais libéré au bout de quarante-huit heures sur l'intervention du sénateur Albertini, directeur du Corriere della Sera[82]. En décembre 1919, lors de l'ouverture de la session du Parlement, les fascistes s'affrontent encore dans la rue, à Rome, avec les socialistes[82]. L'année 1919 marque l'échec de la tentative du fascisme de s'imposer à gauche, ce qui conduira à une nouvelle orientation clairement droitière en 1920.
1920 : alliance avec la droite
Le fascisme demeure un groupe d'agitateurs armés, isolé et sans soutien populaire, jusqu'à la fin de l'été 1920[82]. En juillet 1920, il y a cent huit faisceaux et trente mille membres[83]. Mussolini va réorienter son mouvement en se rapprochant des partis de droite, conservateurs, libéraux, nationalistes et monarchistes. L’année 1920 est marquée par le virage à droite des faisceaux : les premiers faisceaux ont puisé dans l’interventionnisme de gauche mais ceux qui se développent à partir de 1920 voient affluer dans leurs rangs une clientèle se rattachant à la petite et moyenne bourgeoisie. Le mouvement des faisceaux subit alors une mutation ; selon Pierre Milza, ce qui est nouveau et caractéristique de la fin du positionnement de gauche et de la nouvelle orientation de droite, ce n’est pas le refus du marxisme, le principe de la collaboration de classe, la désignation des socialistes comme ennemis principaux mais c’est l’acceptation d’une alliance avec la droite dans le but de briser le processus révolutionnaire. Pour Mussolini et les siens, le processus révolutionnaire ne pourrait faire que le jeu de l’étranger et à ce titre il doit être écrasé[85], quitte à une alliance avec la droite. La course aux subsides, la fréquentation de la bourgeoisie, l'échec de la tentative d'union des forces de la gauche interventionniste autour du fascisme naissant jouent un rôle déterminant dans ce basculement à droite[86].
En juin 1920, il se range aux côtés de Giolitti, qu'il rencontre en octobre, pour la résolution de la question de Fiume. Le 12 novembre, avec l'article Rapallo, il commente assez favorablement le traité italo-yougoslave signé par Giolitti qui permet à Fiume de devenir une ville libre. Le , il défile avec les squadristi en chemise noire à l'occasion des funérailles des victimes[N 10] de l'attentat[N 11] anarchiste du théâtre Diana qui visait le commissaire de police Gasti. En témoignage du rapprochement entre Giolitti et Mussolini, ce dernier se présente comme allié du parti d'État à Mondovì aux élections du 15 mai 1921 sur la liste « blocs nationaux » anti-socialistes. Il obtient trente-cinq sièges et il est élu député. L'alliance avec la droite se révèle électoralement payante.[87]
1921 : création du PNF et squadrisme
À partir de ce succès, les chemises noires se rendent coupables de nombreux épisodes de violences et d'agressions physiques et verbales contre les adversaires politiques du fascisme, surtout contre les socialistes, les communistes et les syndicalistes qui organisent les grèves. Ils se font ainsi connaître et apprécier des milieux d'affaires et du patronat (Confindustria et Confagricoltura). Ce phénomène prend le nom de squadrisme (de squadre, escouades). Les squadristi se constituent en milices et ils sont issus en grande partie des rangs des arditi, venant des troupes d'élite démobilisées en 1918, dont l'uniforme est la chemise noire — qui deviendra un des symboles du fascisme.
De 1919 à 1922, l'Italie est secouée par une grave crise sociale et économique.
Le , Mussolini invite les socialistes, dans un article du Il Popolo d'Italia, à un pacte de pacification pour la cessation des violences squadristes, signé le 21 août grâce à la médiation du président de la Chambre Enrico De Nicola. La violence ne cesse pas parce que l'exécution de l'accord est laissée à la discrétion des ras[N 12] locaux. Mussolini est tenté par l'idée d'une normalisation et par le jeu parlementaire. Cependant, ce projet suscite la révolte des ras, les chefs locaux du squadrisme, qui le contraignent à durcir sa position et jouent alors un rôle décisif dans l'établissement de la dictature[88]. À propos de l'autonomie dont bénéficient les groupes squadristi, Renzo De Felice rapporte que le futur duce entre en désaccord avec certains membres qui mettent en doute son rôle de guide du mouvement et qui n'acceptent pas la volonté mussolinienne de présenter celui-ci comme « normalisateur » de l'ordre public. Emblématique de ce point de vue, selon De Felice, lorsque Mussolini écrit : « Le fascisme peut faire sans moi ? Mais moi aussi, je peux faire sans le fascisme ». Indépendamment de la répression de ses opposants, le squadrisme contribua à la mise en place du régime fasciste aux niveaux syndical et politique :
- Partout où les squadristes détruisaient une bourse du travail ou une organisation syndicale, fut mis en place à partir de juin 1921 un syndicat fasciste sous la houlette d'Italo Balbo et des anciens socialistes Dino Grandi et Edmondo Rossoni ; ce dernier définit le syndicalisme fasciste comme un syndicalisme national, renonçant à la lutte des classes et admettant en son sein des « producteurs » venus de toutes les couches de la société[89]. Ces idées étaient celles qu'avaient défendues Mussolini mais les squadristes lui imposèrent de les reprendre à son compte car il souhaitait travailler avec la Confédération générale italienne du travail[89].
- Désapprouvant les menées des squadristes qu'ils ne contrôlait pas, Benito Mussolini conçut alors la nécessité de créer un parti discipliné doté d'un programme précis et capable de contrôler le mouvement squadriste[90]. Le parti fut créé en novembre 1921 et Mussolini finit par recentrer sur lui l'attention publique et réduire le pouvoir des chefs locaux du fascisme qui étaient en train de prendre la main.
Les divergences sont surmontées et le 7 novembre 1921 se tient à Rome le troisième congrès des faisceaux de combat qui sont transformés en Parti national fasciste avec Michele Bianchi comme premier secrétaire. Ce n'est qu'après le congrès de Vérone de novembre 1921 qui permit la transformation du mouvement en parti que Mussolini est reconnu comme Duce du fascisme, même si ce titre n'implique pas l'autorité dictatoriale qu'obtient cette même année Hitler au sein du parti national-socialiste. En effet, avant ce congrès, Mussolini a dû faire face à une révolte des principaux chefs squadristes contre sa prétention à être reconnu comme fondateur et Duce du fascisme[52]. Le , Mussolini crée le mensuel Gerarchia, auquel collabore sa maîtresse Margherita Sarfatti, intellectuelle qu'il a connue au parti socialiste et qui donnera au fascisme certains de ses traits spécifiques.
1922 : marche sur Rome
Dans les premiers mois de 1922, Mussolini cherche à se forger une stature internationale. En janvier 1922, il va à Cannes pour suivre en tant que journaliste les travaux de la conférence internationale pour discuter des problèmes du commerce international[91]. De là, il va à Paris pour voir le café du Croissant où Jaurès fut assassiné, lieu qui dira-t-il l’a « plus ému que le mur des Fédérés vers lequel était toujours allée mon adolescence de rebelle[92],[93]. » En août 1922, la gauche lance une grève contre les violences des chemises noires qui interviennent provoquant l'échec du mouvement. Entre-temps, entre le 3 août et le 5 septembre, les squadristes fascistes occupent les mairies d'Ancône, Milan, Gênes, Livourne, Parme, Bolzano, Trente, après de violents combats armés. Certaines villes résistent comme Parme. Il s'agit du début de la « révolution fasciste » avec lequel Mussolini tente un ambitieux coup de main pour prendre possession du pouvoir. Le 24 octobre 1922 défilent à Naples quarante mille Chemises noires affirmant le droit du fascisme à gouverner l'Italie.
Entre les 27 et , la révolution fasciste atteint son apogée avec la marche sur Rome, opération des groupes de chemises noires provenant de différentes régions d'Italie et commandés par un quadriumvirat (Italo Balbo, Cesare Maria De Vecchi, Emilio De Bono et Michele Bianchi). Le nombre de personnes n'a jamais été établi avec précision, il oscille entre trente mille et cent mille.
Mussolini ne prend pas part directement à la marche. En effet, il craint que le gouvernement ne lui oppose l'armée, ce qui provoquerait l'échec de l'opération. Il reste à Milan en attendant le développement de l'opération et ne se rend à Rome que plus tard, une fois connu le bilan de ce déploiement de force. À Milan, le soir du 26 octobre, il affiche sa tranquillité auprès de l'opinion publique en assistant au Cygne de Molnàr au théâtre Manzoni. Au cours de ces jours décisifs, il traite directement avec le gouvernement de Rome sur les concessions que celui-ci est prêt à faire aux fascistes et le futur Duce nourrit des inquiétudes sur le résultat de ce qu'il sait être un coup de bluff et qui échouera lamentablement si l'armée reçoit l'ordre d'arrêter ses troupes et s'en donne les moyens.
Victor-Emmanuel III refuse de signer l'état de siège proposé par le président du conseil Luigi Facta. Pourquoi ? Parce qu'il estime que Facta a déjà commencé à l'appliquer sans son aval. Il est blessé dans son honneur et ses prérogatives de souverain.[réf. nécessaire] Privé des moyens de faire face à la situation, Facta démissionne (28 octobre) et le roi offre à Mussolini la charge de former un nouveau gouvernement de coalition (29 octobre).
Mussolini bénéficie par ailleurs du soutien des officiers supérieurs et des industriels, traditionnels soutiens de la maison de Savoie, qui voient en lui l'homme fort susceptible de ramener l'ordre dans le pays et de « normaliser » la situation sociale italienne.
1922-1925 : présidence du Conseil des ministres
Le 16 novembre Mussolini présente son programme politique à la Chambre dans lequel il déclare : « Je me suis refusé de remporter une victoire éclatante, et je pouvais remporter une victoire éclatante. Je me suis imposé des limites. Je me suis dit que la meilleure sagesse est celle qui ne s'abandonne pas après la victoire. Avec trois cent mille jeunes armés, décidés à tout et presque mystiquement prêts à un de mes ordres, moi, je pouvais punir tous ceux qui ont diffamé ou tenté de salir le fascisme. Je pouvais faire de cette salle sourde et grise un bivouac de pantins : je pouvais barrer le Parlement et constituer un gouvernement exclusivement de fascistes. Je pouvais : mais je n'ai pas, au moins dans ce premier temps, voulu. » Il obtient la confiance avec 316 voix en sa faveur, 116 contre et seulement 7 abstentions et, de ce fait, est investi pleinement de ses fonctions.
Le , il obtient les pleins pouvoirs en matière économique et administrative jusqu'au 31 décembre 1923 afin de rétablir l'ordre. Le 15 décembre 1922, le Grand Conseil du fascisme se réunit pour la première fois. Le 14 janvier 1923, les chemises noires sont institutionnalisées par la création de la Milice volontaire pour la sécurité nationale (MVSN). Le 9 juin, il présente la nouvelle loi Acerbo en matière électorale, approuvée le 21 juillet. Toujours en juillet, grâce à l'appui britannique, à la conférence de Lausanne, la présence italienne en Dodécanèse, occupée depuis 1912 est reconnue.
Le , une commission de la Société des Nations dirigée par le général italien Enrico Tellini, dont l'objectif est de définir la frontière entre la Grèce et l'Albanie, est massacrée à Ioannina. Mussolini envoie un ultimatum à la Grèce pour demander réparation et à la suite du refus du gouvernement grec, la marine italienne reçoit l'ordre d'occuper Corfou. Avec cette action le nouveau président du Conseil démontre vouloir poursuivre une politique extérieure forte et il obtient, grâce à la Société des Nations les réparations demandées après l'abandon de l'île occupée.
Le 19 décembre, il préside à la signature de l'accord entre la Confindustria et la Confédération des Corporations fascistes. Le décret royal du 30 décembre 1923 numéro 284 établit la création des agences communales d'assistance (ECA) avec pour objectif la « coordination de toutes les activités, publiques et privées, destinées au secours des indigents, et promouvant l'éducation, l'instruction et l'accès aux métiers et aux arts». Ceux-ci seront unifiés dans deux agences territoriales au sein de l'assistance sanitaire et matérielle des pauvres et de l'enfance abandonnée par le décret royal du 31 mars 1933 numéro 383.
Le , le traité de Rome entre l'Italie et la Yougoslavie est signé dans lequel celle-ci reconnaît l’« italianité » de Fiume annexé le 16 février. Le Roi confère à Mussolini le collier de l’ordre suprême de la très Sainte Annunziata. À partir du 7 février, le gouvernement italien établit des rapports diplomatiques avec l'URSS. Un accord avec le Royaume-Uni permet à l'Italie d'acquérir l'autre rive du fleuve Jubba, région qui est annexée à la Somalie italienne.
Lors d'un discours du 2 avril 1924, Mussolini reprend une citation du philosophe Friedrich Nietzsche : « vivre dangereusement », citation qui doit être la règle pour le fascisme ; Mussolini déclare ainsi :
« Vivre dangereusement : je voudrais que ce fut là le mot d'ordre du fascisme italien. Vivre dangereusement, cela veut dire être prêt à tout, à quelque sacrifice, à quelque danger possible, à quelque action que ce soit, quand il s'agit de défendre sa patrie. La vie telle que le conçoit le fasciste est grave, austère et religieuse : elle est vécue tout entière dans un monde porté par les forces responsables et morales de l'esprit. Le fasciste doit mépriser la vie commode. Son credo est l'héroïsme tandis que celui du bourgeois est l'égoïsme. Le fascisme est enfin une conception religieuse qui considère l'Homme dans son rapport sublime avec une loi et une volonté qui dépasse l'individu. Pour le fascisme, le monde n'est pas ce monde matériel qui apparaît à la surface, où l'homme est un individu isolé de tous les autres, existant en soi, et gouverné par une loi qui le mène à ne vivre qu'une vie de plaisir égoïste et momentanée. Le fascisme est né d'une réaction contre le siècle présent et contre le matérialisme dégénéré et agnostique[95]. »
Aux élections du 6 avril 1924, la liste nationale (désignée comme « Listone ») obtient 60,1 % des voix et 356 députés et à ceux-ci s'ajoutent 4,8 % de voix et 19 sièges correspondant à la « liste bis ». Les deux listes gouvernementales recueillent au total 64,9 % des votes élisant 375 parlementaires dont 275 inscrits au parti national fasciste. Dans le « Listone » est entrée la majorité des membres libéraux et démocrates parmi lesquels Vittorio Emanuele Orlando, Antonio Salandra et Enrico De Nicola qui retire sa candidature peu avant les élections, et de nombreuses personnalités de la droite italienne.
Les consultations se déroulent dans un climat de violence et d'intimidation, et les abus perpétrés par les fascistes sont dénoncés le 10 mai par le député socialiste Giacomo Matteotti qui par un discours virulent à la chambre demande d'annuler les résultats des élections. Le 11 juin 1924, Matteotti est enlevé et assassiné par des squadristes fascistes. L'événement provoque la « sécession sur l'Aventin », c'est-à-dire le départ des députés d'opposition du parlement pour protester contre l'assassinat. Tout cela n'affecte pas le pouvoir de Mussolini car il n'est suivi d'aucune action politique concrète. Fort de l'indécision des opposants, le , le Duce tient un discours au parlement dans lequel l'équilibre effectif des forces présentes dans le pays devient manifeste : afin de démontrer sa propre force, il déclare assumer « toutes les responsabilités historiques, politiques et morales » de l'assassinat. Le discours du 3 janvier 1925 est considéré comme le début du régime fasciste dictatorial.
Série d’attentats contre Mussolini
Après être devenu chef du gouvernement, Mussolini est l’objet d’une série d’attentats. Le premier est conçu, le , par le député socialiste et adhérent à la chambre maçonnique Tito Zaniboni, mais l'OVRA[N 13] écarte la menace.
Le , Violet Gibson, une Irlandaise présentée comme déséquilibrée, tire un coup de feu en direction de Mussolini, le manquant de peu.
Le 11 septembre 1926, l'anarchiste Gino Lucetti lance un engin explosif vers la voiture du président du Conseil. La bombe rebondit sur la portière de la voiture et explose dans la rue, blessant huit personnes.
Le soir du 31 octobre 1926, à Bologne, pendant la commémoration de la marche sur Rome, Anteo Zamboni, âgé de quinze ans, tire un coup de pistolet vers le chef du gouvernement, lui effleurant la poitrine. Identifié par les fascistes, il est lynché sur place par les chemises noires de Leandro Arpinati. Selon certaines recherches récentes, l’attentat aurait été le résultat d’une conspiration des fascistes opposés à la « normalisation » mise en œuvre par Mussolini, hostile aux excès révolutionnaires et au pouvoir des formations squadristi.
Mussolini échappe à d’autres attentats en 1931 et en 1932, respectivement de la part des anarchistes Michele Schirru et Angelo Pellegrino Sbardellotto, qui sont condamnés à la peine de mort pour avoir comploté contre le chef du gouvernement.
Le fonctionnement du régime fasciste
Avec la loi du n. 473 sont établies les nouvelles normes d’hygiène pour les entreprises et l’obligation de pourvoir au service sanitaire dans l’établissement, de ne pas faire porter des poids excessifs par les femmes et les enfants et signaler et surveiller les substances nocives. Les conventions collectives du travail ont force de loi et les « patrons » peuvent utiliser des contrats individuels différents des conventions collectives seulement si les conditions sont meilleures pour les travailleurs. L’application de ces règles est surveillée par un inspecteur corporatiste.
Par le décret royal du 1er mai n. 582 naît l'Œuvre nationale du temps libre (Opera Nazionale Dopolavoro - OND) avec l’objectif de « promouvoir le sain et profitable emploi du temps libre des travailleurs intellectuels et manuels pour développer leur capacité physique, intellectuelle et morale ». L'organisme promeut, au côté des autres organismes concernés, la lutte contre l’alcoolisme et la « bataille contre la malaria », il organise des concerts publics, des représentations théâtrales populaires et des colonies de vacances à la mer et à la montagne pour les enfants de familles nécessiteuses.
Le , le Président du Conseil annonce la bataille du grain[96]. La campagne a pour objectif d'atteindre l’autosuffisance de l’Italie envers l’étranger en ce qui concerne la production des produits agricoles et particulièrement du blé dont l’importation est à l’origine à 50 % du déficit de la balance des paiements. Le programme qui se termine en 1931 n’a pas le succès escompté, l’objectif n’étant pas atteint. Le projet est réalisé surtout grâce à la bonification, entre 1928 et 1932 des terres paludéennes présentes dans la péninsule italienne parmi lesquelles les marais Pontins[97]. La bonification permet la mise en œuvre d’un programme sanitaire qui permet de vaincre la malaria ainsi que l’obtention de résultats significatifs contre la tuberculose, la variole et la rage. De nouvelles communes naissent, souvent appelées d'après la destination économique qui justifie leur création, par exemple Carbonia pour l’exploitation des gisements de charbon.
Le a lieu le quatrième et dernier congrès du PNF. Mussolini invite les chemises noires à abandonner définitivement la violence. Par la réforme du système policier renforçant ainsi le pouvoir exécutif, à la fin de l’année 1925, les éléments squadristi sont rendus inopérants[réf. nécessaire]. Le 18 juillet, l’Italie et la Yougoslavie signent le traité de Nettuno qui définit les frontières respectives de la zone dalmate.
Le 30 août, l’arme de l’aéronautique est créée.
Le 20 octobre Mussolini nomme Cesare Mori préfet de Palerme, avec des pouvoirs extraordinaires et des compétences étendues à toute la Sicile, afin de freiner le phénomène mafieux dans l’île. Le « préfet de fer » obtient des résultats significatifs et son action continue pendant les années 1926-1927. Rapidement, les enquêtes montrent des rapports entre la mafia et des hommes d’État. Ainsi Mori est rappelé à Rome par Mussolini et nommé sénateur le , alors que la propagande déclare orgueilleusement que la mafia a été vaincue.
Entre 1925 et 1926, les lois fascistissimes inspirées par le juriste Alfredo Rocco sont approuvées.
La loi du , n. 2029, oblige les organismes collectifs œuvrant en Italie, associations, instituts, sur demande de l’autorité publique de sécurité (autorità di pubblica sicurezza), à déclarer leurs statuts, leurs actes collectifs, leurs règlements intérieurs et la liste des associés et des dirigeants sous peine, en cas de déclaration omise ou incorrecte, de dissolution, de sanctions pénales avec emprisonnement d’une durée indéterminée et de sanctions financières de 2 000 à 30 000 lires. De cette manière, le gouvernement dispose d’une cartographie du type et du nombre d’associations non gouvernementales présentes sur le sol italien.
La loi du , n. 2300, établit que tous les fonctionnaires qui refusent de jurer fidélité à l’État italien seront destitués.
La loi du 24 décembre 1925, n. 2263, prévoit que le titre « président du conseil » est transformé en « chef du gouvernement, Premier ministre et secrétaire d’État » ; le «chef du gouvernement » est nommé et révoqué seulement par le roi et il n’est responsable qu’envers lui. Les ministres deviennent responsables aussi bien envers le roi qu’envers Mussolini.
La loi sur la presse du 31 décembre 1925 indique que les journaux ne peuvent être dirigés, écrits et imprimés que s'ils ont un responsable accrédité par le préfet et donc indirectement par Mussolini.
La loi du , n. 100, attribue à Mussolini, en sa qualité de chef du gouvernement, la possibilité de promulguer des règles juridiques.
Avec la loi du 4 février, n. 237, les conseillers municipaux et les maires sont supprimés et remplacés par des podestà nommé par décret royal, qui exercent les fonctions de maire et du conseil municipal.
Le 3 avril 1926, le droit de grève est supprimé et il est établi que les conventions collectives ne peuvent être négociées que par les syndicats légalement reconnus par l’État ; pour cela, le 8 juillet 1926, le ministère des corporations est créé et Mussolini en assume la direction.
Dans le même temps, Mussolini impose à l’Albanie de Ahmet Zogu une forme non officielle de protectorat. De plus, l'Italie adhère au pacte de Locarno qui garantit les frontières et la sécurité. En avril 1926, dans un discours à Tripoli, Mussolini avance l’idée d’une mer mare nostrum, avec une thalassocratie italienne sur la Méditerranée, et oppose pour la première fois fascisme et démocratie. Toujours en 1926, les frontières de la Libye italienne sont redéfinies en faveur de l’Italie qui acquiert ainsi le Fezzan.
Toujours le 3 avril, l’Opera Nazionale Balilla (ONB) est créé, avec l’objectif de « réorganiser la jeunesse d’un point de vue moral et physique », ainsi qu’à l’éducation spirituelle et culturelle et à l’instruction pré-militaire, des jeunes Italiens de 8 à 18 ans. En 1927, toutes les autres organisations sont dissoutes par décret à l’exception de la jeunesse italienne catholique (Gioventù Italiana Cattolica). En 1937, l’ONB sera remplacé par la Gioventù Italiana del Littorio (GIL).
Le 18 août, le duce tient à Pesaro un discours dans lequel il proclame que pour combattre la dévaluation, le taux de change lire-sterling est fixé à la fatidique « cote 90 », objectif qui sera atteint avec de grandes difficultés.
Le 8 octobre, le Grand Conseil du fascisme promulgue un nouveau statut du PNF par lequel sont abolies les élections internes des membres du parti. Le 12 octobre Mussolini assume la direction de la MVSN.
Le 5 novembre 1926, tous les partis hors du PNF sont dissous et la presse est placée sous le contrôle de la censure. La peine de mort[N 14] et le confinement policier sont introduits[N 15] pour les attentats perpétrés ou organisés à l’encontre des principaux personnages de l’État[N 16] et le tribunal spécial pour la sécurité de l’État (Tribunale Speciale per la sicurezza dello Stato) est créé.
Le 30 décembre, le fascio est déclaré symbole de l’État.
Le , Winston Churchill, alors chancelier de l'Échiquier, est reçu à Rome par Mussolini. Entre-temps, Mussolini lance la campagne de soutien de la croissance démographique : les célibataires doivent payer une taxe spéciale et à l’occasion des mariages, l’État offre une prime de mariage aux époux et s’ils prévoient des prêts, des facilités économiques leur sont accordées ainsi que des exemptions de taxes pour les familles nombreuses. Les Groupements universitaires fascistes ou GUF sont créés, pour la formation de la future classe dirigeante.
Toujours en 1927, le Comité olympique national italien (CONI) est créé avec l’objectif d’améliorer la compétitivité. Précédemment la gestion de l’activité sportive était confiée à l’initiative privée.
Le 21 avril, le Grand Conseil crée la carte du travail. Le 5 juin, s'adressant au sénat, Mussolini affirme la ligne du révisionnisme en matière de politique étrangère, déclarant que les traités signés après la Première Guerre mondiale sont valides mais qu’ils ne sont pas considérés éternels et immuables.
Avec la loi du 9 décembre, n. 2693, le Grand Conseil du fascisme est institutionnalisé comme l’organisme principal du PNF, présidé en personne par le duce qui est reconnu comme organisme constitutionnel suprême de l’État.
Le , l’Agence italienne des diffusions radiophoniques (Ente Italiano Audizioni Radiofoniche - EIA) est créée et est seule compétente pour la gestion publique du service radiophonique sur le territoire national. En 1944, elle sera rebaptisée RAI (Radio Audizioni Italiane).
Le 14 mars, Mussolini présente à la chambre un projet de loi de réforme qui sera approuvé, dans lequel il propose la réduction à 400 du nombre des députés, lesquels seront élus dans un unique collège national ; la confédération nationale des syndicats fascistes et les associations culturelles habilitées ont la charge de présenter les candidatures.
Le 11 février 1929, Mussolini propose de mettre fin à la question romaine en signant avec le cardinal Pietro Gasparri les accords du Latran, ratifiés par la chambre en mai.
Les élections du 24 mars 1929 pour le renouvellement de la chambre des députés se transforment en plébiscite en faveur de Mussolini. Les électeurs sont appelés à voter sì ou no pour approuver une grande liste de députés fixée par le Grand Conseil du fascisme. La consultation se tient dans un climat d’intimidation ; la carte pour le oui est tricolore, celle pour le non simplement blanche rendant identifiable le vote exprimé. La participation du vote est de 90 % et les votes favorables au listone, la fameuse grande liste, atteignent 98,4 %.
Le 2 avril, le duce rencontre le ministre des Affaires extérieures britannique Neville Chamberlain. Vers la fin de l’année, le siège du gouvernement est transféré du palais Chigi au palais de Venise.
En 1930, l'Italie signe un traité d’amitié avec l’Autriche. En janvier 1931, Mussolini, dans une interview au Daily Mail, affirme la nécessité d’une révision du traité de paix de la Grande Guerre. Le 9 juillet, il reçoit le secrétaire d’État américain Henry Lewis Stimson, et en octobre il accueille le Mahatma Gandhi au palais Venezia. Entre le 23 mars et le , le duce rencontre plusieurs fois Emil Ludwig qui écrira Colloqui con Mussolini.
Durant cette période, il s’éloigne de sa maîtresse Margherita Sarfatti en raison de sa liaison avec Clara Petacci.
Le 12 avril au salon international de l’automobile de Milan est présentée la nouvelle FIAT Balilla, qui, dans les intentions de Mussolini, doit être l’automobile de tous les Italiens; à partir de cette année, l'attribution des voitures se fait par préférence et n’atteindra jamais les résultats espérés (Adolf Hitler adoptera la même initiative avec la Volkswagen). Le 23 octobre, Mussolini participe aux célébrations de la Fiat avec Giovanni Agnelli et Vittorio Valletta.
En juin, sur l'encyclopédie Treccani, un article Fascismo signé par Mussolini et écrit en collaboration avec Giovanni Gentile est publié ; on y trouve l'explication de la doctrine propre au parti fasciste. À l’occasion du dixième anniversaire de la révolution fasciste, la Via dell'Impero est inaugurée et les inscriptions au PNF sont rouvertes après leurs fermetures de 1928. Le 18 décembre Mussolini inaugure Littoria, la première ville neuve construite dans les Marais Pontins.
Le , Mussolini rencontre à Rome le ministre allemand de la Propagande Joseph Goebbels. Sur l'initiative de Mussolini, le 7 juin, le Pacte à quatre est signé à Rome par l’Italie, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, les États qui assument la responsabilité de la paix et de l’organisation de l’Europe dans le respect des principes et des procédures prévues par le statut de la Société des Nations.
Toujours en 1933, l’Institut national fasciste de la prévoyance sociale (INFPS) est créé, qui prendra en 1943 le nom de INPS, une agence de droit public dotée d’une gestion autonome avec l’objectif de garantir la prévoyance sociale aux travailleurs. C'est le premier vrai système italien de pension qui est créé : l'INFPS a, à sa charge, l’assurance obligatoire étendue des employés du secteur public à ceux du secteur privé. La même année, les caisses d’accidents du travail dont dépendent les travailleurs, et dont les cotisations sont obligatoires dans certains secteurs depuis 1919, sont unifiées dans l’Institut national fasciste pour l’assurance contre les accidents du travail (Istituto Nazionale Fascista per l'Assicurazione contro gli Infortuni sul Lavoro - INFAI), rebaptisé INAIL en 1943.
Le , sont instituées les 22 corporations. Au premier abord, ce corporatisme fait songer à la doctrine de l’Action française, à la théorie des corps intermédiaires ; aussi la doctrine de Mussolini était-elle mentionnée avec éloges par toute une fraction de la droite française qui ne dissimulait pas son hostilité à l’Allemagne hitlérienne. En fait, le corporatisme fasciste ne ressemblait que superficiellement au corporatisme de l’Action française, qui était essentiellement un moyen de contrebalancer l’influence de l’État. Les corporations italiennes, au contraire, sont au service de l’État. Comme dit Gaëtan Pirou, « il s’agit beaucoup moins d’un système auto-organisateur des intérêts économiques que d’une ingénieuse présentation derrière laquelle s’aperçoit le pouvoir politique, qui exerce sa dictature sur l’économie comme sur la pensée ». Il s’agit moins d’un corporatisme analogue à celui de l’Ancien Régime que d’une théorie de l’État corporatif. Les institutions corporatives ne font qu’attester la domestication des intérêts économiques. Le mot de corporation, pour Mussolini, doit être pris dans son sens étymologique de « constitution en corps », cette constitution en corps qui est la fonction essentielle de l’État, celle qui assure son unité et sa vie. Le corporatisme italien se distingue également de la politique sociale allemande. Les contradictions entre les institutions sociales du fascisme et du national-socialisme suscitèrent d'ailleurs de vives polémiques lors de la promulgation presque simultanée de la loi allemande du 20 janvier 1934 sur le régime du travail et la loi italienne du 5 février 1934 sur l’organisation syndicale et corporative : les nazis avaient repris les termes chartes du travail et corporations dans un système qui supprimait les syndicats alors que le corporatisme italien les conservait sous une forme étatisée[98]. Au terme d’une controverse avec l’organe du Front du Travail, Der Deutsche, le Lavoro fascista écrivit que Hitler avait « livré les travailleurs allemands pieds et poings liés aux capitalistes ». Le journal national-socialiste répliqua que les syndicats fascistes perpétuaient la lutte des classes. La presse italienne rétorqua qu’ils étaient inéluctables et s’inscrivaient dans la lutte pour la vie. Le fascisme prétendait mettre travailleurs et employeurs sur un pied d’égalité, les uns et les autres ayant leurs syndicats et la corporation servant de médiateurs entre les intérêts divergents[98].
Le 14 mars, Mussolini rencontre à Rome le chancelier autrichien Dollfuss et le chef du gouvernement hongrois Gyula Gombos pour discuter d’une révision de l’organisation territoriales dans les Balkans. Le 17 mars, un pacte à trois, anti-allemand et anti-français, est conclu avec la Hongrie et l’Autriche (protocole de Rome).
Les élections du 25 mars 1934 pour le renouvellement de la chambre des députés – tenues suivant le schéma du listone unique déjà adopté en 1924, avec carte tricolore pour le oui et blanche pour le non – se transforment en un nouveau plébiscite : le nombre de participants augmente et les votes négatifs atteignent 15 201 voix soit 0,15 % des votants.
Les lois des 22 mars 1934 n. 654 et 26 avril 1934 n. 653 pour le travail des femmes et des enfants donnent le droit à la conservation du poste de travail pour les travailleuses enceintes, une période d’arrêt avant et après l’accouchement et les permissions obligatoires pour l’allaitement (pour les entreprises de plus de 50 ouvrières, il y a l’obligation de disposer d’un local adapté à cet usage).
La loi 24 décembre 1934 n. 2316 établit la création de l’ONMI ou Œuvre nationale pour la protection de la maternité et de l’enfance (Opera Nazionale per la Protezione della Maternità e dell'Infanzia) ; l'agence peut financer des institutions privées travaillant dans le même champ d’activité. En 1935, il y a l’instauration du samedi fasciste.
Question autrichienne et relation avec l'Allemagne nationale-socialiste en 1934
Les 14 et 15 juin, Mussolini et Hitler se rencontrent à Stra et Venise ; les réunions concernent essentiellement la question autrichienne. Le chancelier allemand envisage l’annexion de l’Autriche. Les rapports entre les deux dirigeants restent tendus et la rencontre est un échec pour Hitler : Mussolini lui déclare que l'Autriche doit garder son indépendance ; à la suite de cette rencontre, Mussolini écrit à propos de Hitler :
« Ce raseur m'a récité Mein Kampf, ce livre indigeste que je ne suis jamais parvenu à lire. Je ne me sens aucunement flatté de savoir que cet aventurier de mauvais goût a copié sa révolution sur la mienne. Les Allemands finiront par ruiner notre idée. Cet Hitler est un être féroce et cruel qui fait penser à Attila. Les Allemands resteront les barbares de Tacite et de la Réforme, les éternels ennemis de Rome[99]. »
Le 25 juillet, à la suite de l’échec du coup d’État en Autriche par lequel l’Allemagne nationale-socialiste espère annexer le pays (Dollfuss est assassiné), Mussolini envoie deux divisions au Brenner (retirées le 16 août) pour défendre l’indépendance autrichienne[N 17]. La situation se résout lorsque Hitler abandonne la partie.
Au cours de cette période, Mussolini considère qu'Hitler est un être « féroce » et « cruel », comparable à Attila – « éternel ennemi de Rome » – et que le nazisme va ruiner sa pensée politique – le fascisme italien[100] ; ainsi, à Ostie, en août 1934, Mussolini déclare :
« Hitler est un affreux dégénéré sexuel et un fou dangereux. Le national-socialisme en Allemagne représente la barbarie sauvage et ce serait la fin de notre civilisation européenne si ce pays d'assassins et de pédérastes devait submerger le continent. Toutefois, je ne puis être toujours le seul à marcher sur le Brenner (allusion au col du Brenner qui sépare l'Autriche de l'Italie, Mussolini craignant déjà à l'époque l'Anschluss[100]). »
Le célèbre écrivain italien Gabriele D'Annunzio – très antinazi – adresse toujours ses félicitations à Mussolini lors de ses vives critiques envers « l'Attila barbouilleur », Hitler[100].
Le 21 août, Mussolini rencontre Kurt von Schuschnigg, successeur de Dollfuss.
Le 6 septembre, à Bari, il prend position sur la politique extérieure du national-socialisme et la doctrine raciste hitlérienne, proclamant que « trente siècles d’histoire nous permettent de regarder avec une souveraine pitié certaines doctrines venues de l’autre côté des Alpes »[101].
Le 25 juillet 1934, lors d'une tentative de coup d'État, les nazis ont tué le chancelier autrichien Dollfuss, l'ami du Duce. Mussolini ordonne à quatre divisions de se préparer à franchir la frontière, pour venir en aide à l'Autriche. Mussolini souhaite également que Paris et Londres le soutiennent, mais les Franco-Anglais ne réagissent pas. La décision militaire de Mussolini a suffi à faire reculer Hitler, dont le coup d'État est un échec. Mussolini déclare à la presse le 28 juillet 1934 :
« Le chancelier allemand avait promis de respecter l'indépendance de l'Autriche. L'édifiante chronique de ces derniers jours a démontré comment Adolf Hitler a observé les engagements pris devant l'Europe. On ne traite pas sur un pied d'égalité morale avec celui qui manque, avec un tel cynisme, aux lois élémentaires de l'honneur. Mais je suis également déçu par la France et l'Angleterre. Quelle apathie ! Quelle lâcheté ! Il a suffi que je montre les dents pour que Hitler désavoue la tentative du putsch nazi. Mais je ne suis pas dupe : Adolf Hitler est une menace pour la paix[102]. »
Guerre d'Éthiopie et rapprochement avec l'Allemagne nationale-socialiste
« L'Italie a enfin son empire »
— lors de la constitution de l'Afrique Orientale italienne
Le se produit un incident près de Ual Ual, localité entre la Somalie italienne et l'Éthiopie : 1 500 soldats éthiopiens agressent un poste frontière italien composé de 200 militaires. Mussolini demande des excuses officielles en plus du paiement d'une indemnité de la part du gouvernement éthiopien, conformément à ce qui est prévu dans un traité signé en 1928 entre l'Italie et l'Éthiopie. Cependant le Négus Haile Selassie a la possibilité, en vertu du même accord, de faire appel à la Société des Nations (SDN) (2 janvier). Pour faire la lumière sur l'événement, celle-ci s'affaire dans l'arbitrage, temporisant : les rapports italo-éthiopiens sont irrémédiablement compromis et Mussolini fait référence à cet épisode pour déclarer la guerre. Des franchissements de frontière de troupes abyssiniennes se sont déjà produits, par exemple, le 14 novembre 1934, quand le consulat italien à Gondar s'est fait attaquer par un groupe armé éthiopien. La tension italo-éthiopienne est due au dessein italien d'unifier territorialement l'Érythrée et la Somalie et le désir éthiopien de conquérir un débouché sur la mer.
La même année, il autorise la création de la Betar Naval Academy par Vladimir Jabotinsky, qu'il appelle le juif fasciste[103].
Entre les 4 et , Mussolini rencontre à Rome le ministre français des Affaires étrangères Pierre Laval : des accords en vertu de quoi la France cède à l'Italie la Somalie française (actuellement Djibouti) sont signés ainsi que la reconnaissance de la minorité italienne présente en Tunisie (qui avait été l'objet de revendications de la part de l'Italie) et l'engagement d'appuyer diplomatiquement l'Italie en cas de guerre contre l'Éthiopie[104]. Laval espère ainsi rapprocher Mussolini de la France afin de donner naissance à une alliance anti-nazie.
Le 16 janvier, Mussolini prend la direction du ministère des colonies. Le 19 janvier, la SDN reconnaît la « bonne foi » de l'Italie et de l'Éthiopie dans l'incident de Ual Ual et décide que le cas doit être traité par les deux parties. Le 17 mars, les Abyssiniens présentent un nouveau recours, faisant appel à l'article XV de l'organisation.
Lors de la conférence de Stresa qui se déroule du 11 au 14 avril, l'Italie, le Royaume-Uni et la France condamnent conjointement les violations allemandes du traité de Versailles.
Le 8 juin à Cagliari, Mussolini revendique le droit de l'Italie à avoir sa propre politique coloniale, ce qui indispose le Royaume-Uni. Le 18 septembre, dans un article publié dans le Morning Post, Mussolini garantit que les intérêts français et britanniques en Afrique orientale ne seront pas touchés.
Le 2 octobre, il annonce la déclaration de guerre à l'Éthiopie du balcon du palais Venezia[105]. En attaquant ce pays, membre de la SDN, Mussolini viole l'article XVI de l'organisation, qui stipule : « Si un membre de la ligue recourt à la guerre, enfreignant ce qui est indiqué dans les articles XII, XIII et XV, il sera jugé ipso facto comme s'il avait commis un acte de guerre contre tous les membres de la ligue, qui, ici prennent l'engagement de le soumettre à la rupture immédiate de toutes les relations commerciales et financières, à l'interdiction des relations entre les citoyens et ceux de la nation qui enfreint le pacte, à l'abstention de toutes relations financières, commerciales et personnelles entre les citoyens de la nation violatrice du pacte et les citoyens de n'importe quel autre pays, membre de la ligue ou non».
Entre-temps, il inaugure dans les Marais pontins les nouvelles villes de Guidonia (27 avril) et Pontinia (13 novembre).
Le 18 novembre, l'Italie est frappée par les sanctions économiques de la SDN que 52 états approuvent. L'Autriche, la Hongrie et l'Albanie votent contre. En guise de riposte, l'Italie met en œuvre des programmes économiques autarciques. Les sanctions se montrent en fait inefficaces, parce que de nombreux pays les ayant votées officiellement maintiennent de bons rapports avec l'Italie, l'approvisionnant en matières premières. L'Allemagne nazie est l'un de ceux-ci et la guerre d'Éthiopie est le point de départ du rapprochement entre Mussolini et Hitler.
Conduite du conflit et crimes de guerre
La défaite subie par les troupes italiennes à Adoua est toujours dans les mémoires des Italiens. Mussolini suit en personne les préparatifs ainsi que le déroulement des opérations militaires. En Éthiopie, un embargo sur les armes, imposé en 1918 par les trois puissances coloniales limitrophes (France, Royaume-Uni et Italie), ont fortement limité pendant près de 20 ans l'armement de l'empire. L'armée éthiopienne de l’empereur Haïlé Selassié est composée d’environ 500 000 hommes, mais 90 % des troupes éthiopiennes ont des fusils anciens. Seuls quelques soldats disposent d’armes modernes, l'armée éthiopienne dispose de 25 000 fusils Mauser FN model 24 carbine[N 18], mais certains fusils usagés datent d’avant 1900[106]. Il faudra néanmoins sept mois pour conduire à la destruction des forces armées du dernier État indépendant d'Afrique, l'antique empire éthiopien[107].
Pour s'assurer une rapide victoire, Mussolini, examinant les demandes des état-majors militaires, triple les moyens en hommes : en , presque un demi-million d'hommes est engagé sur le théâtre des opérations dont 87 000 askari, 492 chenillettes L3/35, 18 932 véhicules et 350 avions. Dans l'arsenal à disposition des Italiens, il y a aussi des armes chimiques et bactériologiques interdites par le protocole de Genève et débarquées en grand secret à Massaoua : 60 000 grenades à l'arsine pour l'artillerie, 1 000 tonnes de bombes à ypérite pour l'aéronautique et 270 tonnes de produits chimiques agressifs pour l'emploi tactique[108]. Dès le début des opérations, le 3 octobre, Mussolini prend la direction des opérations et envoie presque quotidiennement des ordres radiotélégraphiés à ses généraux présents sur le champ de bataille (Rodolfo Graziani sur le front Sud, Emilio De Bono puis Pietro Badoglio sur celui Nord). Parmi ses ordres, figurent ceux relatifs à l'emploi des armes chimiques[109],[N 19].
Le premier ordre qui concerne l'emploi des armes chimiques arrive de Mussolini à Graziani : le , Graziani prépare l'assaut de la place forte de Gorrahei. Les six tonnes de grenades conventionnelles sont insuffisantes pour avoir raison des défenseurs. Le 29, Graziani demande à Mussolini l'autorisation d'utiliser des armes chimiques pour des opérations présentées comme défensives et il l'obtient rapidement avec le mandat d'exterminer l'entière formation ennemie[110].
Dans la même période, entre le 22 décembre 1935 et les premiers jours de 1936, sur le font Nord, Badoglio reçoit l'ordre d'employer les bombes chimiques contre les Abyssiniens passés à l'offensive dans le Sciré. L'ordre, déjà en cours d'exécution, soumet les civils, le bétail et les récoltes à une importante pluie de gaz. Le bombardement est suspendu pour des raisons politiques en vue d'une réunion de la SDN prévue à Genève le 5 janvier mais Badoglio l'ignore et poursuit les bombardements chimiques jusqu'au 7, puis de nouveau les 12 et 18 janvier[111]. Le 9 janvier, Mussolini autorise la guerre totale avec ces paroles :
« J'autorise Votre Excellence à employer tous les moyens de guerre, je dis tous, qu'ils soient aériens comme de terre. Décision maximum. »
— Télégramme secret de Mussolini à Pietro Badoglio[112]
Les bombardements chimiques d'artillerie et par avions se poursuivent aussi bien sur le front Nord (jusqu'au 29 mars 1936) que sur le front Sud (jusqu'au 27 avril), employant un total de 350 tonnes d'armes chimiques. Dans ce contexte, fin janvier, malgré l'emploi massif d'armes chimiques, les armées italiennes du front Nord sont en graves difficultés (harcelé par les troupes du ras Cassa, Badoglio est sur le point d'ordonner l'évacuation de Mékélé). Mussolini n'hésite pas à proposer à son général l'emploi d'armes bactériologiques. Badoglio exprime sa nette divergence d'opinion, mettant en évidence auprès de Mussolini les réactions internationales que ce choix provoquerait et sa propre crainte sur les conséquences incontrôlables d'une arme jamais essayée jusque-là. Le duce reçoit ces observations et le 20 février retire sa proposition[113].
L'utilisation des armes chimiques dont Mussolini est directement et pleinement responsable est cachée à l'opinion publique italienne et le Duce ordonne le démenti lorsque leur emploi est évoqué dans la presse internationale[114]. La conduite d'une vraie politique d'extermination envers les Éthiopiens ne se limite pas à l'emploi des armes chimiques mais est conduit avec d'autres moyens, comme l'ordre de ne pas respecter les marquages de la Croix rouge ennemie, ce qui conduit à la destruction d'au moins 17 hôpitaux (dont un suédois) et installations médicales abyssiniennes ou par l'emploi de troupes askari (libyens de religion musulmane) contre les armées et la population christiano-copte abyssinienne. Les troupes libyennes se rendent coupables de massacres envers les civils et les prisonniers, au point que le général Guglielmo Nasi instaure une prime de cent lires pour tout prisonnier vivant qui lui est confié[115]. Les crimes envers les rebelles, la population et les moines abyssiniens dans les sanctuaires christano-coptes (ils sont tués par centaines à Debra Libanos et ailleurs) se poursuivent même lorsque la guerre est finie et au moins jusqu'en 1940[116].
Les installations de la Croix Rouge furent également bombardées, décourageant ainsi les organisations internationales à venir en aide où témoigner les atrocités commises par les Italiens[117].
Victoire en Éthiopie, apogée de Mussolini et du fascisme
Le , Mussolini reçoit de Victor-Emmanuel III la grand-croix de l’ordre militaire de Savoie. Le souverain, par l’attribution de la plus haute décoration militaire du royaume, reconnaît l'implication de Mussolini : « ministre des forces armées, il prépara, conduisit et gagna la plus grande guerre coloniale dont l’histoire se souvienne. ».
Le 9 mai, toujours du balcon du Palais Venezia, il annonce la fin de la guerre d’Éthiopie et proclame la naissance de l’empire. Le roi d’Italie prend le titre d’empereur d’Éthiopie. La campagne abyssinienne représente le moment du plus fort consensus du peuple italien envers le fascisme. Mussolini impose, pour indiquer la date sur les documents officiels et sur les journaux, d'écrire l’année en commençant le 28 octobre 1922 (une telle mesure est déjà utilisée depuis le 31 décembre 1926) accompagnée de celle de la fondation de l’empire (par exemple, 1936 est indiqué comme « année 1936, XIV de l'ère Fasciste, I de l’Empire »). En Éthiopie, l'esclavage est aboli et d'importants travaux sanitaires sont mis en place par le régime fasciste ; néanmoins les actes de rébellions de la part des Éthiopiens sont très durement réprimés par l'armée italienne [118].
L'historien Robert Paxton note que les fascistes italiens « tentèrent d'enrégimenter à la fois la population des colons et les jeunes Éthiopiens dans des organisations de jeunesse et de loisirs »[119].
Le 4 juillet, la SDN décrète la fin de l’application de l’article XVI et les sanctions cessent le 15 (l’unique pays qui s’y oppose est l’Afrique du Sud) ; Mussolini obtient le titre de maréchal d’Italie le .
Le 9 juin, il confie à son gendre Galeazzo Ciano le ministère des Affaires étrangères.
Le , il se met d’accord avec Hitler pour l’envoi de contingents militaires en Espagne en soutien à Franco dont le coup d’État du 18 juillet a déclenché la guerre civile espagnole. Le fils de Mussolini, Bruno, participe à la guerre comme chef d’une escadrille aérienne. Le 1er novembre, il annonce dans un discours la création (signé le 24 octobre) de l'Axe Rome-Berlin (il ne s’agit pas encore d’une vraie alliance militaire qui sera scellée seulement avec le pacte d’Acier).
Ailleurs en Europe, d'autres partis fascisants voient le jour, notamment le Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot en 1936. En 1937, Mussolini obtient un Doctorat Honoris Causa décerné par l'Université de Lausanne.
Le , un gentlemen's agreement est signé entre l’Italie et le Royaume-Uni par lequel sont définis les droits d’entrée et de sortie de la Méditerranée et il se décide d’éviter de modifier le « statu quo relatif à la souveraineté nationales des territoires du bassin méditerranéen » y compris l’Espagne. Cet accord est confirmé par le pacte de Pâques du .
Le 20 mars, dans l’oasis de Bugàra près de Tripoli, Mussolini reçoit du chef berbère Yusuf Kerbisc l’« épée de l’islam », symbole de l’approbation d’une partie de la société libyenne envers le régime mussolinien.
Le 21 avril, il inaugure Cinecittà, conçue comme le siège de l’industrie cinématographique italienne, largement financée par le gouvernement (le premier péplum, Scipion l’Africain, date de 1937).
Le 22 avril, il rencontre à Venise le chancelier autrichien Schuschnigg et se déclare opposé à l’Anschluss de l’Autriche avec l’Allemagne. Toujours en avril, il rencontre le ministre allemand de l’Aéronautique Hermann Göring et le ministre des Affaires étrangères Von Neurath.
Les 25 et 29 septembre, il rencontre Hitler, d’abord à Munich puis à Berlin. Le 6 novembre l'Italie adhère au Pacte anti-soviétique, dont l’Allemagne et le Japon sont déjà signataires.
Le 3 décembre 1937, il signe un traité d’amitié, de commerce à Bangkok avec le Siam, l’actuelle Thaïlande. Le 11 décembre, il annonce la sortie de l’Italie de la Société des Nations. Il accueille, du 3 au , Hitler, lequel est en visite en Italie. Mussolini appuie, dans un premier temps, la volonté allemande d'annexer la Tchécoslovaquie avant de soutenir la cause tchécoslovaque[120]. Face à l’éventualité d’un conflit entre le bloc franco-britannique et l’Allemagne, le 29 septembre se tient la conférence de Munich. À celle-ci sont présents Mussolini, Hitler, Daladier pour la France et Chamberlain pour la Grande-Bretagne : la légitimité sur la politique de l’Allemagne en Tchécoslovaquie est reconnue : la guerre n'aura pas lieu. Mussolini est fêté comme « le sauveur de la paix ».
Mussolini, sur la lancée d'Hitler, essaie d'intimider les Français sans succès[121]. Il cultive l'espoir de forcer les Français à abandonner la Corse et Nice et d'établir un condominium en Tunisie et en Somalie[122]. L'ambassadeur de France en est avisé le 30 novembre après le discours de Ciano devant le parlement italien, rappelé après six mois d'interruption. Une campagne anti-française est organisée par la presse[121].
Entre le 11 et le , à Rome, il rencontre Chamberlain et le ministre britannique des Affaires étrangères Lord Halifax. Le , la Chambre des députés est supprimée et remplacée par la Chambre des Faisceaux et des Corporations.
Fin mars, la guerre d'Espagne prend fin. Elle a coûté à l'Italie le chiffre contradictoire, en raison des désertions, de trois à six mille hommes. Financièrement, l'impact est considérable, il équivaut à plus de la moitié du revenu fiscal annuel, sans compter le matériel abandonné sur place[123].
En mars, Hitler envahit la Tchécoslovaquie sans en aviser Mussolini. En apprenant l'entrée des troupes allemandes à Prague par une simple dépêche, Mussolini entre dans une violente colère et confie à Ciano le 15 mars 1939 :
« L'alliance avec l'Allemagne serait une absurdité contre laquelle toutes les pierres se révolteraient ! Mais L'Allemagne est bien trop puissante. L'Italie doit rester à son côté malgré ce mauvais tour. Nous ne pouvons, maintenant, changer de politique. Nous sommes 42 millions d'Italiens contre plus du double d'Allemands. Les Français et les Britanniques sont trop faibles pour résister à Hitler[124]. »
Mussolini se sent abattu et, conscient que cet événement ne fait que démontrer une fois de plus la subordination de l’Italie à l’Allemagne, ne souhaite pas que cette information soit transmise à la presse. Il aurait déclaré : « Les Italiens riraient de moi. Chaque fois que Hitler envahit un pays, il m’adresse un message »[125]. Cette réaction était d’autant plus légitime qu’au cours de l’année 1938, Mussolini, à défaut de pouvoir impliquer son pays militairement, s’était appliqué à signer, à Munich, un accord sur le découpage de la Tchécoslovaquie. Il avait ardemment défendu les intérêts du dirigeant allemand face aux démocraties occidentales, et voilà que moins d’une année plus tard ses efforts étaient balayés par Hitler lui-même.
Le dictateur italien, tant désireux d’accroître la domination italienne et de la placer « dans le concert des grandes nations »[126], se retrouve donc réduit à évoluer dans l’ombre de l’empire allemand. Dès 1914 il donne de fervents discours sur l’importance de la guerre dans cette quête de puissance, ainsi que sur son rôle : « façonner des hommes nouveaux »[126], plus forts et plus dévoués. Il ne peut pourtant, à son grand regret, se permettre de mener à son tour de grandes conquêtes dans le dos du Führer ; en effet l'économie et l'armée italiennes sont largement dépendantes de l'Allemagne. À titre d’exemple, lorsqu’en 1938-1939 l’Italie affiche une production d’un million de tonnes de charbon et de 2,4 millions de tonnes d’acier, l’Allemagne ne conçoit pas moins de 186 millions de tonnes et de 22,4 millions de tonnes d’acier[126].
Toutefois, même s’il n’est pas raisonnable d’envoyer les troupes italiennes dans de grandes entreprises militaires à partir de ce contexte, il reste une issue au travers de laquelle Mussolini détient la possibilité de se venger d’Hitler : l’Albanie. Ce petit royaume était déjà très influencé par l’Italie à cette époque, de ce fait son annexion était envisageable. Elle fut réalisée quelques semaines plus tard, le 7 avril 1939.
Elle rapporte peu à l'Italie et semble bien peu de chose en comparaison de ce qu’a accompli Hitler, mais Mussolini n’est pas mécontent de cette maigre victoire. En réalité, ce dernier planifie la mise à profit géostratégique de cette conquête : « Dès le mois de mai, il envisageait d’utiliser l’Albanie pour une attaque contre la Grèce afin de chasser les Britanniques du bassin méditerranéen »[127].
Création du consensus
Le 8 mars 1938, à l'occasion du 20e anniversaire des Faisceaux, Mussolini s'entretient avec le Comité corporatif pour la balance des salaires ; satisfait des mesures à appliquer, il déclare : « De cette façon, nous diminuerons vraiment les différences sociales. Le socialisme disait : tous égaux et tous riches. L'expérience a prouvé que c'est impossible. Nous disons : tous égaux et tous assez pauvres[124]. »
La « politique de puissance » inaugurée par l’Italie fasciste est vue favorablement par une grande partie de la population. Mussolini cherche à faire de l’Italie un pays craint et respecté, restaurant les fastes de l’Empire romain, réalisant le contrôle italien sur la Méditerranée (il mare nostro). Cette politique produit peu de résultats et pousse l’Italie vers le désastre de la Seconde Guerre mondiale.
Hitler considère Mussolini comme son « maître » ; Churchill, en 1926, le définit comme « le plus grand législateur vivant » et encore en 1940, « un grand homme » ; le Pape l’appelle « l'homme de la Providence » et lui confère, en 1932, l’ordre de l'Éperon d'Or ; beaucoup en Europe, en 1933, l’appellent « le sauveur de la paix » ; Franklin Delano Roosevelt lui prodigue des commentaires flatteurs ; considérant la politique sociale de Mussolini qui encourage la construction de cliniques et d'hôpitaux, la lutte contre les maladies et la baisse spectaculaire de la mortalité infantile en Italie (20 000 enfants décédés en 1930 contre 70 000 en 1925), Sigmund Freud lui fait des louanges[128], ainsi que Gandhi, qui affirme que « le Duce est un homme d’État de premier plan, complètement désintéressé, un super-homme »[N 20]. Mussolini dira de Gandhi que c'est un génie et un saint et ce dernier qualifiera d'historique sa rencontre avec le duce[129].
Propagande du régime
Afin de se maintenir au pouvoir, Mussolini utilise plusieurs outils de propagande. Yannick Beaulieu indique que le régime fasciste est l’un des premiers régimes totalitaires, si ce n’est le premier, à reposer en grande partie sur une propagande moderne basée sur une utilisation rationalisée des moyens de communication comme la presse, le cinéma ou les émissions radiodiffusées[130].
Philip Cannistraro montre que l’adhésion des masses à l’idéologie du régime repose sur les grands rassemblements, les discours fleuves du Duce et leur radiodiffusion dans toute la péninsule. Pour certains, Mussolini était un modèle de propagande : il fut d’ailleurs un exemple pour Adolf Hitler qui lui-même admirait les efforts de Mussolini. Durant sa vie politique, il n’a pas cessé de montrer à ses ennemis qu’il doit être craint et à ses alliés qu’il est digne de confiance et mérite respect et admiration. On peut notamment le voir souvent représenté en tenue militaire le présentant comme un homme puissant, imposant, triomphant et confiant. D’autres représentations le montrent au milieu d’une foule, populaire auprès de la classe ouvrière, adoré du peuple et entretenant des relations assez étroites avec sa population. Il apparaît ainsi tantôt guerrier, tantôt bourgeois.
Afin de prouver sa supériorité aux yeux du monde, il utilise notamment les codes de l’architecture romaine antique et déclare, en 1922, quelques mois avant la Marche sur Rome qui l’amènera à la tête du gouvernement italien : « Rome est notre point de départ et notre référence. Nous rêvons d´une Italie romaine, c’est à dire sage, forte, disciplinée et impériale ». Il se considère comme un Sauveur, multiplie les références à l’Antique tout en privilégiant une esthétique moderniste, afin d´incarner aux yeux du monde un nouveau César. Cependant, il veut d’autant plus créer un empire[131] qui dépassera celui de ce dernier. L’huile sur toile d'Ambrosi[132] est un exemple du fait que la propagande fasciste a dès lors envahi l'architecture, l'urbanisme et la sculpture.
Outre la presse, il a également recours à l’art et au sport comme moyen de propagande. Il n’utilise pas la propagande uniquement en temps de conflit mais adapte ses représentations aux différentes périodes que traverse l’Italie. Le cinéma fait partie de sa propagande : Il grido dell'aquila de Mario Volpe qui remonte à 1923 est le premier film de propagande fasciste, parmi les 772 films produits en Italie entre 1930 et 1943, on peut classer comme films de propagande directe ou indirecte environ une centaine. Aussi, l’Italie mussolinienne a utilisé l’événement sportif à des fins de propagande dès la fin des années vingt. Le Duce lui-même, autoproclamé premier sportif d’Italie, est immortalisé par la presse, tantôt en escrimeur, en motocycliste ou en cavalier[133].
Avant les lois raciales de 1938
Jusqu'à l'alliance avec l'Allemagne, Mussolini n’a pas originellement de véritables préventions contre les Juifs, ni avant son accession au pouvoir, ni après sa venue au pouvoir car il collabore à des revues à des publications dirigées par des Juifs, a des amis et collaborateurs juifs et entretient pendant une vingtaine d’années une liaison amoureuse avec une intellectuelle juive connue au parti socialiste, Margherita Sarfatti, et il ne fait jamais de déclaration en faveur des thèses de l'antisémite Preziosi pour lequel il n’a aucune sympathie[134]. On trouve certaines personnalités juives parmi les premiers bailleurs de fond du fascisme comme le commendatore Elio Jona, le banquier Giuseppe Toeplitz, un certain nombre de grands propriétaires de la région de Ferrare qui soutinrent les escouades squadristes de Balbo. Il y a au moins cinq Juifs parmi les « sansépolcristes » du 23 mars 1919, et au moins trois Juifs dans le martyrologe officiel de la « révolution fasciste » ; de plus, 230 Juifs reçurent le brevet attestant leur participation à la marche sur Rome, et à la fin de 1922, 750 avaient leur carte de membre du parti[134]. Entre 1927 et 1932, sont établies de bonnes relations entre le Duce et les principales personnalités du judaïsme italien et un rapprochement entre le gouvernement fasciste et les milieux sionistes a lieu : Chaïm Weizmann est reçu une première fois par Mussolini en 1926 et en retire l’impression que le dictateur n’est pas hostile au sionisme.
Dès 1928, il y a un fort courant d’adhésion au fascisme de la part de nombreux Juifs italiens : 5 000 adhésions entre octobre 1928 et octobre 1933, soit près de 10 % de la population juive italienne[135]. En 1934, Mussolini reçoit une seconde fois Chaïm Weizmann : ils évoquent un rapprochement avec la France et de la Grande-Bretagne, Mussolini déclare que Jérusalem ne peut être une capitale arabe ; Weizman propose de mettre à disposition de l'Italie fasciste une équipe de savants juifs ; Weizmann et son épouse demandent une photo dédicacée de Mussolini[129]. Néanmoins, lorsque Mussolini rencontre en 1941 le grand mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, il assure au religieux palestinien qu'il est antisioniste[136].
Mussolini attribuera d'ailleurs même jusqu'en 1942 le génie propre de l'Italie à une synergie de ceux de plusieurs peuples dans un même effort :
« J'ai toujours considéré le peuple italien comme le produit admirable de différentes fusions ethniques sur la base d'une unité géographique, économique et surtout spirituelle. Il relève de l'esprit qui a fait notre civilisation sur les routes du monde. Ces hommes de sangs différents étaient porteurs d'une seule civilisation splendide[137]. »
Le 20 décembre 1932, Mussolini déclare :
« Il est ridicule de penser, comme cela a été dit, qu'il faille fermer les synagogues ! Les Juifs sont à Rome depuis le temps des rois ; ils étaient 50 000 à l'époque d'Auguste et demandèrent à pleurer sur la dépouille de Jules César. Nous les laisserons vivre en paix[138]. »
De nombreux Juifs participent à l'offre d'or pour le financement de la guerre d'Éthiopie et s'engagent en nombre dans les troupes à tel point qu'il faut même créer un rabbinat militaire[139]. Il nomme des Juifs à des postes importants comme Guido Jung, ministre des finances, ou l'amiral Ascoli, commandant en chef des forces navales durant la guerre d'Éthiopie[140]. Dans ses déclarations officielles, Mussolini condamne catégoriquement l'antisémitisme et le racisme ; ainsi, lors de ses entretiens avec Emil Ludwig. Dans le livre qui en fut tiré en 1932, Mussolini y affirmait que le racisme était une stupidité : « L’antisémitisme n’existe pas en Italie. […] Les Juifs italiens se sont toujours bien comportés comme citoyens, et comme soldats ils se sont bien battus[135]. » À Ostie, en août 1934, Mussolini déclare :
« Il n'y a plus de races à l'état pur. Même les Juifs ne sont pas demeurés sans mélange. Ce sont précisément ces croisements heureux qui ont très souvent produit la force et la beauté d'une nation. Je ne crois pas qu'on puisse apporter la preuve biologique qu'une race est plus ou moins pure, plus ou moins supérieure. Ceux qui proclament la noblesse de la race germanique sont, par un curieux hasard, des gens dont aucun n'est réellement germain... Une chose analogue ne se produira jamais chez nous. La fierté ne nécessite pas un état de transe provoqué par la race. L'antisémitisme n'existe pas en Italie. Les Juifs italiens se sont toujours bien comportés comme citoyens et bravement battus comme soldats. Ils occupent des situations éminentes dans les universités, dans l'armée, dans les banques. Il y en a toute une série qui sont officiers supérieurs : le commandant de la Sardaigne, le général Modena, un amiral de la flotte, un général d'artillerie et un général des bersaglieri[141]. »
Mussolini, dans un discours suivant l'arrivée au pouvoir d'Hitler condamnera son idéologie : « Trente siècles d'histoire nous permettent de regarder avec une souveraine pitié une doctrine venue du nord des Alpes, une doctrine défendue par la progéniture d'un peuple qui ignorait qu'une écriture eût pu témoigner de sa vie, à une époque où Rome avait César, Virgile et Auguste[142]. »
Mussolini s'attribuera rétrospectivement des idées racistes. L'auteur italien Mauro Suttora (en) dans Mussolini segreto[143],[144] cite à cet égard des passages du journal intime de celle qui fut à partir de 1936 la maîtresse de Mussolini[145], Clara Petacci, où il affirme avoir eu des préjugés anti-juifs antérieurement aux lois raciales : « Moi, j'étais raciste dès 1921. Je ne sais pas comment on peut penser que j'imite Hitler [concernant les lois anti-juives de 1938], il n'était même pas né [politiquement]. Ils me font rire […] Il faut donner un sens de la race aux Italiens pour qu'ils ne créent pas de métisses, qu'ils ne gâchent pas ce qu'il y a de beau en nous […] Ces saloperies de Juifs, il faut tous les détruire. Je ferai un massacre comme les Turcs ont fait. […] Je ferai un îlot et les y enfermerai tous. Ce sont des charognes, nuisibles et lâches […] Il est temps que les Italiens comprennent qu'ils ne doivent plus être exploités par ces reptiles[146],[147]. »
Application législative du racisme et de l'antisémitisme mussolinien (1938-1939)
La guerre d'Éthiopie marque le début d'une politique raciste contre les noirs : pour éviter tout métissage, il est interdit à tout italien d'entretenir une relation avec une femme indigène (décision prise le 9 janvier 1937 en conseil des ministres et entériné par l'édit royal d'avril 1937[148]) ; on fait venir d'Italie des prostituées pour satisfaire les besoins sexuels des soldats[149]. Mussolini interdit à ses soldats de chanter Faccetta nera, « Frimousse noire, belle abyssine » qui fait l'éloge de la beauté des Éthiopiennes [149] et de la fin de l'esclavage en Éthiopie voulue par le régime fasciste. La répression brutale, aveugle et sanguinaire qui frappe l’Éthiopie après l'attentat manqué contre le maréchal Graziani (), connue sous le nom « massacre de Graziani », marque l'orientation raciste du régime : de 5 000 (selon les fascistes) à 30 000 personnes sont assassinées, leurs corps jetés dans le fleuve, dans des puits que l'on brûle au pétrole[150]. Dans son ouvrage Le fascisme en action, l'historien Robert Paxton écrit : « En 1937, après la tentative d'assassinat du général Graziani, gouverneur général et vice-roi, les activistes du parti firent régner la terreur à Addis-Abeba pendant trois jours et ils massacrèrent plusieurs centaines de ses habitants ». Mussolini ordonne à Graziani quatre jours après d'« éliminer tous les suspects sans faire d'enquête »[150].
Le rapprochement avec l'Allemagne consécutif aux sanctions de la France et le Royaume-Uni à la suite de l'invasion de l'Éthiopie ainsi que la volonté de séduire le monde musulman dont témoigne le geste de Mussolini de saisir le 18 mars 1937 à Tripoli « l'épée de l'Islam » jouent un rôle déterminant dans le changement d'orientation du régime[139]. De 1936 à 1938, plusieurs publications et déclarations de hauts dignitaires fascistes sont antisémites ; une manifestation antisémite est même organisée à Ferrare, une des quatre villes italiennes qui regroupent une importante communauté juive (avec Rome, Livourne et Ancône)[151],[152].
Mais à partir de 1938, le régime fasciste promulgue une série de décrets, dont l’ensemble porte le nom de lois raciales, qui introduisent des mesures de discrimination et de persécution à l’encontre des Juifs italiens[153]. Le il fait voter la loi de « Défense de la race » qui frappe tous les étrangers, particulièrement juifs, qui ont fui le régime nazi installé en Allemagne, Autriche. Du 3 au , Hitler rend visite officiellement au Duce[N 21],[154].
Parmi les divers documents et mesures législatives qui contribuent aux lois raciales se trouve le Manifeste de la race (Manifesto della razza) ou plus exactement le Manifeste des scientifiques racistes (Manifesto degli scienziati razzisti), publié une première fois d’une manière anonyme dans le Giornale d’Italia le sous le titre « Le Fascisme et les problèmes de la race » (Il Fascismo e i problemi della razza) et publié de nouveau dans le numéro 1 de La difesa della razza le , qui a été rédigé par Mussolini lui-même, selon Ciano. On peut y lire une déclaration clairement raciste et antisémite : « Les races humaines existent, il y a des races inférieures et supérieures, le concept de race est purement biologique, les Juifs n'appartiennent pas à la race italienne »[151].
Le 25 juillet, après une rencontre entre dix rédacteurs de la thèse, le ministre de la Culture populaire Dino Alfieri et le secrétaire du PNF Achille Starace font communiquer le texte définitif, depuis le secrétariat politique du parti, comprenant la liste complète des signataires et des adhésions, adhérents ou sympathisants du PNF. Après le décret royal du 5 septembre 1938 – qui fixe les « mesures pour la défense de la race dans l’école fasciste » - et celui du 7 septembre – qui fixe les « mesures à l’égard des Juifs étrangers » - fait suite (6 octobre) une « déclaration sur la race » émise par le Grand Conseil du fascisme ; la déclaration est par la suite adoptée par l’État par un décret royal en date du 17 novembre.
Antisémitisme et racisme pendant la guerre (1939-1943)
Jusqu'alors, les mesures visaient les Juifs étrangers, mais avec la guerre, elles visent désormais même les Juifs italiens. Dès avant l'occupation allemande de 1943, 3 552 familles juives sur 15 000 sont victimes de la persécution fasciste[155]. Même s'il est vrai que le racisme et l'antisémitisme mussolinien n'ont pas atteint le degré qu'ils avaient chez Hitler, il demeure qu'à la veille de l'occupation allemande, les nazis trouvaient dans l'Italie mussolinienne un terrain préparé pour leurs déportations massives[155]. Le 19 mars 1943, Mussolini prend connaissance d'un rapport sur les atrocités nazies commises à l'Est contre les Juifs[156].
Mais déjà, le 4 décembre 1939, Galeazzo Ciano écrit que :
« Le Duce vient de prendre connaissance d'un rapport sur les atrocités commises par les nazis en Pologne. Il m'a conseillé de faire parvenir aux journaux alliés les informations contenues dans ce rapport. Il est nécessaire que le monde ait connaissance de ces faits[157]. »
Etant mis au courant en 1943 des atrocités nazies commises à l'Est contre les Juifs, Mussolini ordonne de nouveau de ne pas livrer un seul des 25 000 Juifs qui se trouvent dans sa zone d'occupation : ainsi, les autorités militaires italiennes qui occupent le sud-est de la France protègent autant les Juifs français qu'étrangers contre les mesures de Vichy, et elles empêchent, au besoin par la force, leurs arrestations. Cette attitude sera également suivie dans les Balkans, où les Italiens ont, le plus souvent possible, protégé les Juifs contre les Allemands[158].
Collaboration sous occupation allemande en 1943-1944
Entre 1943 et 1945, le gouvernement de la République sociale italienne se rend complice de la déportation dans les camps de concentration nazis de nombreuses femmes, hommes et enfants de religion juive[153],[156]. En territoire italien, dans la Risiera di San Sabba, près de Trieste, existe un camp de regroupement avant la déportation des Juifs vers les camps de concentration allemands. À l’intérieur du camp qui dispose d’un four crématoire, les autorités allemandes commettent de nombreux meurtres[159].
Seconde Guerre mondiale
De la « non-belligérance » à la « guerre parallèle »
« La déclaration de guerre a déjà été remise aux ambassadeurs de Grande-Bretagne et de France. »
— L'annonce par Mussolini de l'entrée en guerre de l'Italie.
Le , Mussolini signe le pacte d'Acier[N 22] avec l'Allemagne, qui scelle officiellement la naissance du pacte italo-allemand et qui, à la demande du Duce, ne se limite pas à une alliance défensive mais aussi offensive[160].
L'invasion de la Pologne se profile. Ciano se rend en Allemagne et tente d'expliquer que l'Italie ne dispose pas des moyens nécessaires pour s'engager aux côtés de l'Allemagne. Les Allemands le rassurent sur une non-intervention anglaise et soviétique, font miroiter la possibilité d'obtenir la Grèce et la Yougoslavie et indiquent que la participation de l'Italie n'est pas requise. L'Allemagne, en ne consultant pas Rome et par le pacte germano-soviétique (23 août), viole les termes de l'alliance[161]. Le 1er septembre, l'Allemagne envahit la Pologne, mettant en marche la Seconde Guerre mondiale. Mussolini déclare la « non-belligérance » et non la neutralité de l'Italie[162], le terme de « neutre » étant contraire au principe du fascisme[163], ce qui permet à l'État italien de se maintenir momentanément en dehors du conflit.
Le , il accueille à Rome le ministre allemand des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop, qui le sollicite pour entrer en guerre[164]. Le 18 mars, il rencontre Hitler au col du Brenner. Les 16, 22, 24 et 26 avril, il reçoit des messages de Churchill, de Paul Reynaud, de Pie XII et de Roosevelt, qui lui demandent de rester neutre. La France et la Grande-Bretagne sont prêtes à lui garantir une place à la table des négociations dans le cadre d'un règlement de paix et quelques concessions en Afrique même si l'Italie ne participe pas au conflit, ce que Mussolini refuse[165].
À la suite des succès extraordinaires et inattendus de l'Allemagne nazie entre avril et mai 1940 (chute de Calais, de la Belgique et début de l'évacuation de Dunkerque), Mussolini pense que l'issue de la guerre est désormais décidée et le 10 juin il déclare la guerre à la France et à la Grande-Bretagne[166], ce qui a été qualifié de « coup de poignard dans le dos »[N 23] par l'« Écho de la Falaise » (13 juin 1940).
Face aux contrariétés et aux remontrances de certains collaborateurs importants et de militaires parmi lesquels Dino Grandi, Galeazzo Ciano et le général Enrico Caviglia, Mussolini répond à Badoglio[167] : « J'ai besoin de quelques milliers de morts pour m'asseoir à la table des négociations. »
Dans la guerre contre la France, les troupes italiennes prennent au début une attitude défensive[168] en raison d'un matériel inadapté, du temps nécessaire pour mobiliser les moyens qui ne sont pas suffisants et de la réticence à attaquer les « cousins » français. En août 1939, l'armée italienne dispose de 67 divisions composées de 43 divisions classiques très mal équipées en moyens de transport, 24 divisions spéciales dont 3 cuirassées, 2 motorisées, 3 d'intervention rapide et 5 divisions alpines. Après la mobilisation de 1940, les effectifs ne dépassent pas 1 600 000, moins qu'en 1915 par manque d'équipements[169]. Les moyens italiens sont cependant d'une écrasante supériorité numérique sur les Français, car les exigences du front du Nord-Est et l'expédition de Norvège ont vidé les casernes françaises du Sud-Est. Les premiers à prendre l'initiative sont les Alliés : des avions britanniques décollent des aéroports français et bombardent Turin dans la nuit de 11 au 12 juin.
Par mesure de rétorsion, les avions italiens bombardent les bases militaires d'Hyères et de Toulon. Le 14, la zone industrielle de Gênes est bombardée par la Marine française et l'armée italienne reçoit l'ordre de lancer dans les Alpes une offensive programmée le 18 : Mussolini prend conscience de la nécessité d'occuper des territoires avant la fin du conflit, qui semble inévitable[168]. Les Italiens attaquent aussi Bizerte, Bastia et Calvi.
Alors que la France demande un armistice à l'Allemagne le 17 juin[168], dans les Alpes, une résistance acharnée des Français met en déroute les soldats italiens. Le fort de la Redoute est évacué seulement le 3 juillet. En Briançonnais, en Ubaye, en Maurienne, les Italiens n'ont pas réussi à passer la frontière malgré des pertes importantes. Par endroits, ils perdent même du terrain : le redoutable fort italien du Chaberton (3 136 m) est réduit au silence le 21 juin en un après-midi par seulement quatre mortiers français[170]. Malgré quelques infiltrations momentanées, les troupes italiennes ne dépassent pas Menton lors de leur offensive sur Nice. La bataille des Alpes met en lumière l'extrême inefficacité de l'armée italienne.
Mussolini participe à un sommet à Munich avec Hitler pour discuter de l'inattendue et imprévue reddition française face à la Wehrmacht : les conditions de paix demandées par le Duce[N 24] sont acceptées partiellement.
Le 24 juin, la France signe l'armistice avec l'Italie, lui reconnaissant, en plus de l'occupation d'une portion du territoire français frontalier, la démilitarisation d'une large bande le long des frontières franco-italienne et libyo-tunisienne.
À la nouvelle d'un débarquement allemand imminent au Royaume-Uni (Opération Seelöwe) auquel l'Allemagne ne veut pas associer l'Italie[171], Graziani et Italo Balbo, gouverneur de Libye, reçoivent l'ordre d'avancer vers l'Égypte, un ancien protectorat britannique, où ces derniers ont toujours des intérêts (25 juin). Mais le 28, alors qu'il survole Tobrouk bombardée par les Britanniques, Balbo est abattu par les batteries anti-aériennes italiennes qui l'ont pris pour un avion ennemi. Les premières victoires se révèlent éphémères parce que la guerre se prolonge au-delà de ce qui est prévu, en raison de l'impréparation, la désorganisation et l'insuffisance de l'armée italienne.
Le l'Italie, l'Allemagne et le Japon s'unissent par le pacte tripartite, auquel adhèrent, dans l'ordre tout au long de la guerre, la Hongrie (20 novembre 1940), la Roumanie (23 novembre), la Slovaquie (24 novembre), la Bulgarie (1er mars 1941) et la Yougoslavie (27 mars).
Le 4 octobre 1940, Mussolini rencontre Hitler au Brenner pour établir d'un commun accord une stratégie militaire. Le 12 octobre, les Allemands prennent le contrôle de la Roumanie, située dans la zone d'influence italienne et riche de gisements pétrolifères nécessaires à l'Italie[N 25], une nouvelle fois sans prévenir les Italiens.
En conséquence, Mussolini décide de se lancer dans une « guerre parallèle » à côté de l'allié allemand, afin de ne pas trop dépendre de l'initiative militaire et politique d'Hitler. Il est toujours convaincu que la Grande-Bretagne sera amenée rapidement à pactiser avec le Führer et que le principal front de guerre sera ainsi terminé. Le , le sous-marin italien « Delfino » torpille près de l'île de Tinos un vieux croiseur léger grec, l'« Helli », qui participe, à la demande du gouvernement grec, à des festivités. Tout ceci se produit sur ordre précis de Mussolini, transmis par lettre à l'amiral Cavagnari, sous-secrétaire à la marine militaire. Il y a de nombreuses frictions avec les états-majors et avec Pietro Badoglio alors chef d'état-major. En effet, la décision de Mussolini va à l’encontre des recommandations de l’état-major qui désire quelques mois d’attente de manière que la conquête en Afrique du Nord soit terminée. Plus de la moitié de l’armée de terre est mobilisée sur cet autre front de telle manière qu’une opération militaire serait difficilement exécutable[172]. Cependant, le 13 octobre, Mussolini annonce à Badoglio qu’il fixe tout de même la date de la prise de la Grèce au 26 octobre malgré les doutes et les appréhensions de ses chefs militaires[173]. En dépit de cette mésentente, Badoglio, chef d’état-major, ne montre pas d’opposition réelle à la volonté du Duce d’attaquer la Grèce. Il se contente d’émettre des réserves face au peu de temps que Mussolini semble prêt à donner pour les préparatifs. Après un entretien houleux avec Mussolini, Badoglio réussit à retarder l’échéance au 28 octobre[174]. L’action est désormais imminente car le Duce s’enthousiasme à l’idée d’une victoire facile qui surprendrait son allié Hitler et dont Mussolini pourrait s'enorgueillir auprès de son peuple dans sa quête pour rendre l'honneur dû à l'Italie : «Jusque-là, en guise de dépouilles de guerre, il ne pouvait guère s'enorgueillir auprès du peuple italien que de l'insignifiante conquête de l'avant-poste stérile du Somaliland britannique en août »[175]. Pour cause, l'Allemagne s'était infiltrée au début du mois de septembre en Roumanie sans en avertir l'Italie. Mussolini souhaite non seulement se venger de cet affront en procédant à une invasion sans en avertir Hitler, mais aussi équilibrer quelque peu la balance entre les deux puissances en termes de conquêtes[176]. Le 19 octobre, Mussolini envoie un communiqué à Hitler pour l'avertir d'une conquête prochaine de la Grèce sans lui faire part de la date exacte de cette opération. Plus tard, le 28 octobre, trois jours après la réception de ladite lettre par Hitler, les deux dictateurs se retrouvent à Florence où Mussolini, ravi, lui annonce que ses troupes ont déjà franchi la frontière grecque depuis l'Albanie.
Entre-temps, la mise en route de cette guerre se fait d'une manière expéditive avec des raisonnements plus spéculatifs que raisonnés qui se fondent tous sur une apparente infériorité de la puissance militaire grecque. À propos de la conquête de la Grèce à venir, Ciano, ministre des Affaires étrangères italien, parle même d'une promenade. A contrario, l'historien Ian Kershaw déclare : « Ce qui se passait pour l'esprit de décision du dictateur n'était en vérité qu'un vernis des plus minces fait d'hypothèses bancales, d'observations superficielles, de jugements d'amateur et d'appréciations dépourvues de tout sens critique »[177]. La remarque de l'historien s'inscrit dans le tableau d'un amas de spéculations de la part de Mussolini et présage une réalité bien différente.
Et en effet, lorsque l'attaque débute, l'hiver, le territoire montagneux ainsi qu'un équipement totalement inadapté empêchent toutes les tentatives d'avancées. L'armée grecque, renforcée par l'arrivée de plus de 70 000 soldats britanniques, se révèle plus aguerrie et organisée que prévu. Les Grecs se montrent donc bien plus combatifs tandis que les Italiens sont d'une faiblesse déplorable par la faute d'un manque de préparatifs[178]. L'appui des nombreuses escadrilles aériennes et navales britanniques est déterminant : les Italiens sont obligés de se replier en territoire albanais, transformant le conflit en une guerre de position. Les munitions et le manque de matériel nuisent au bon déroulement de cette opération qui paraissait déjà condamnée. L'attaque contre la Grèce se conclut par une défaite désastreuse[179]. Le maréchal Badoglio qui critique ouvertement le Duce pour son amateurisme est limogé[179]. Un autre désastre accable Mussolini : la moitié de la flotte italienne stationnée à Tarente est mise hors de combat le 11 novembre par l'aviation britannique[179].
En Afrique, en janvier 1941, les Britanniques procèdent à une vigoureuse contre-offensive qui conduit à la conquête de l'Afrique orientale italienne vers juin 1941[N 26]. Les dernières troupes italiennes se rendent à Gondar le 21 novembre. La supériorité numérique et technologique des Britanniques[N 27] et la progressive perte d'initiative de la marine italienne[N 28] ne peuvent que conduire à la défaite.
Par la suite, les combats entre les deux marines ennemies se limitent du côté italien à la guerre sous-marine, à la protection des voies d'approvisionnements entre la Sicile et la Libye italienne, à de sporadiques tentatives d'interceptions de convois britanniques sur la voie Gibraltar-Alexandrie et à des opérations téméraires réalisées par des équipages d'assaut (les MAS, petites barques chargées de tritole qui causent la destruction de nombreux bateaux britanniques et des sous-marins miniatures).
Guerre « allemande »
Les 19 et , à Berchtesgaden, Mussolini rencontre Hitler, lequel lui promet l'envoi de régiments allemands en Grèce et en Afrique du Nord pour soutenir les troupes italiennes, qui peu à peu dépendent toujours plus de l'aide de son puissant allié. Cette rencontre constitue l'abandon définitif, de la part de l'Italie, de la stratégie de la « guerre parallèle » qui s'est révélée un échec. Ceci se traduit par un conflit toujours plus conforme aux intérêts du Reich.
Le 9 février, la marine britannique bombarde Gênes. Le 11 février, le Duce rencontre Franco lors de l'entrevue de Bordighera pour le convaincre d'entrer en guerre aux côtés des forces de l'Axe, mais c'est un échec.
À partir du 12 février, les aides militaires promises par le Führer arrivent en Libye : les Deutsches Afrika Korps, composés principalement de panzers et de renforts aériens, sous le commandement de Erwin Rommel.
Prenant de facto le rôle de commandant suprême des troupes italiennes de la région (même si officiellement il est sous le commandement du général Italo Gariboldi, commandant supérieur des forces armées en Afrique), Rommel réussit rapidement à les réorganiser et à mener une offensive qui commence le 24 mars contre les armées britanniques du général major Richard O'Connor, qui, entretemps, a conquis la Cyrénaïque. En mai, les troupes de l'Axe reprennent le contrôle de la Libye (excepté Tobrouk qui résiste à un long siège, commencé le 10 avril, grâce aux forces d'occupation britanniques), repoussant une contre-offensive ; exploitant leurs succès, les troupes germano-italiennes conquièrent une partie du territoire égyptien.
À la suite de la défaite, le commandement des troupes du Royaume-Uni est confié au général Claude Auchinleck : il commande de novembre à décembre une grande offensive, l'opération Battleaxe, avec l'objectif de lever le siège de Tobrouk, mais il échoue.
Le 27 mars en Yougoslavie, qui a adhéré deux jours auparavant au pacte tripartite, les Britanniques organisent avec succès un coup d'État par le général nationaliste serbe Dušan Simović (le régent Paul est exilé et son ministre des Affaires étrangères et son Premier ministre sont destitués). Le nouveau gouvernement yougoslave signe un traité d'amitié avec l'Union soviétique (5 avril).
Face aux risques de l'excessif renforcement de la présence britannique dans les Balkans et d'une éventuelle alliance de la Yougoslavie et de l'URSS contre l'Axe, l'Allemagne, la Hongrie et la Bulgarie attaquent la Yougoslavie. Le 6 avril, l'Italie lui déclare la guerre. L'avancée italienne se révèle un succès et la Yougoslavie capitule rapidement (17 avril) : Pierre II s'enfuit à Londres. L'Italie obtient des territoires : la plus grande partie de la côte dalmate, la province de Ljubljana et le Kosovo qui est annexé à l'Albanie italienne.
Entre-temps, les troupes italiennes, après plusieurs mois d'arrêt, reprennent leur avance en Albanie (13 avril), qui est totalement reconquise en peu de jours, et en Épire. Toujours au mois d'avril, les armées italienne et allemande attaquent conjointement la Grèce qui rapidement signe la reddition avec l'Allemagne (21 avril) et avec l'Italie (23 avril). Le 3 mai, les troupes italo-allemandes défilent à Athènes et le 1er juin la Crète tombe, dernier avant-poste allié resté dans la région. L'Italie obtient le droit d'occuper l'île et la plus grande partie de la Grèce.
Le , Mussolini rencontre de nouveau Hitler, qui, le 22, ordonne l'attaque de l'Union soviétique (opération Barbarossa). En juillet, le CSIR (composé de 58 800 soldats commandés par le général de corps d'armée Giovanni Messe) est envoyé en Russie en soutien de l'allié allemand. Le 25 août, le chef du gouvernement rencontre Hitler au quartier général allemand de Rastenburg, en Prusse-Orientale.
Le 7 décembre, la flotte japonaise attaque Pearl Harbor, base militaire américaine, provoquant l'entrée en guerre des États-Unis. Le 12 décembre 1941, l'Italie déclare la guerre aux États-Unis, suivant l'initiative de son allié allemand qui a procédé de même le jour précédent. Le 18 décembre, une incursion italienne dans le port d'Alexandrie cause d'importants dommages à la marine britannique.
Début de la fin
À partir du 15 février 1942, de nombreux renforts italiens rejoignent le front russe pour soutenir l'avancée allemande. En cinq mois, 160 000 soldats sont envoyés sur le front. Le 9 juillet, le Corpo di Spedizione Italiano in Russia (CSIR), confié au général Italo Gariboldi (qui remplace le général Giovanni Messe), se transforme en ARMIR (ARMata Italiana in Russia) et compte 200 000 hommes. L'armée italienne participe à la bataille de Stalingrad qui se révèle décisive pour le destin de la campagne de Russie et plus globalement pour le sort de la guerre : entre le 3 janvier et le 2 février 1943, les forces de l’Axe sont battues et repoussées. Les armées italiennes rentrent en Italie entre avril et mai 1943 avec des pertes estimées à 60 000 hommes.
Les restrictions alimentaires touchent l’Italie : la ration ordinaire de pain est fixée à 150 grammes par jour (250 pour les travailleurs) et la ration semestrielle de pommes de terre établie à quinze kilos par personne. La production agricole italienne s’effondre et la ration en calories des Italiens atteint 50 % de celle des Allemands.
Le , Mussolini rencontre Hitler à Salzbourg : pendant cette réunion, les deux chefs de gouvernement se mettent d'accord pour lancer une grande offensive en Afrique septentrionale.
Entre le 26 mai et le 21 juin, les troupes de l’Axe réalisent une avancée victorieuse en Libye (bataille de Gazala), qui provoque la chute de Tobrouk (20 juin), assiégée depuis plus d’un an.
Le 29 juin, Mussolini part pour la Libye où il reste jusqu'au 20 juillet.
Entre le 1er et le 29 juillet, a lieu la première bataille d'El Alamein : les troupes italo-allemandes tentent d'enfoncer les lignes britanniques. Entre le 31 août et le 5 septembre, la dernière tentative de percée par les armées de l’Axe, au cours de la bataille d'Alam el Halfa, est un échec. Pendant la seconde bataille d'El Alamein, (entre le 23 octobre et le 3 novembre), les troupes britanniques du général Bernard Montgomery (qui a remplacé en août le général Claude Auchinleck) battent leurs adversaires, les obligeant à un repli désastreux.
L'avancée britannique se révèle impossible à contenir : le 8 novembre, l'Afrique française, administrée jusqu’alors par le régime de Vichy et théoriquement neutre, est conquise par les troupes américano-britanniques après le débarquement allié au Maroc et en Algérie (opération Torch). La Libye est rapidement perdue (le , Tripoli tombe), et entre le 19 et le les forces italo-allemandes sont de nouveau battues à la bataille de Kasserine en Tunisie, que Rommel a fait occuper en janvier. Le 7 mai, les dernières troupes de l’Axe abandonnent l’Afrique.
En novembre et en décembre 1942, Mussolini, abattu et dépressif, se laisse remplacer par Ciano à deux réunions avec Hitler. Le 2 décembre, après dix-huit mois de silence, il revient parler au peuple italien depuis le Palais de Venise.
Le , il rencontre Hitler à Salzbourg et lui propose sans succès de négocier un armistice avec les Soviétiques afin de concentrer les forces armées sur les autres fronts de la guerre[180].
Le 9 juillet, les Alliés débarquent en Sicile, conquérant l’île entière le 17 août.
Le 16 juillet, un groupe de dirigeants mené par Dino Grandi demande la réunion du Grand Conseil du fascisme qui n’avait plus été convoqué depuis 1939. Le 19 juillet, Rome est bombardée alors que Mussolini se trouve à Feltre, en Vénétie, avec Hitler. Les bombardements occasionnent de 2 800 à 3 000 morts et 10 000 blessés[181].
Arrestation et début de la guerre civile
Le , le Duce tient sa dernière réunion avec Hitler à Feltre comme chef du gouvernement italien. Il s'efforce d'empêcher l'Italie de signer une paix séparée[182].
Le 24 juillet, dans un climat politique pesant, une session du Grand Conseil du fascisme se tient en présence du Duce. Elle se conclut, aux premières heures du jour suivant (25 juillet), par l’approbation de l'ordre du jour présenté par Dino Grandi[183] : l'abandon des charges du gouvernement par Mussolini est demandé au profit du roi. Mussolini reste apathique, sans réaction. Il avouera par la suite qu'il regrette de ne pas avoir fait arrêter les dix-neuf membres rebelles[184]. Ce vote est réalisé par les hauts représentants du fascisme, dont le gendre de Mussolini, Galeazzo Ciano. Toutefois, le Grand Conseil n'a aucun moyen de faire exécuter sa décision, qui n'a qu'une portée symbolique, mais elle servira de prétexte constitutionnel à l'action du roi.
Mussolini, après s'être rendu comme d'habitude à son bureau du palais Venezia, demande au souverain de pouvoir anticiper l'habituelle réunion hebdomadaire prévue le jour suivant et arrive à 17 heures à la Villa Savoia. Victor-Emmanuel III informe Mussolini de son remplacement par le maréchal Pietro Badoglio[185], lui garantissant l'immunité. Mussolini, abandonné de tous, n'est cependant pas au courant des réelles intentions du monarque, qui place sous escorte le chef du gouvernement et fait encercler le bâtiment par deux cents carabiniers.
Le lieutenant-colonel Giovanni Frignani, qui coordonne l'opération, expose téléphoniquement aux capitaines Paolo Vigneri et Raffaele Aversa les modalités d'exécution de l'arrestation. En réalité, Victor-Emmanuel III a ordonné l'arrestation de Mussolini afin de sauver sa dynastie, qui risque d'être considérée comme trop compromise avec le fascisme.
Mussolini, tout de suite après son arrestation, est d'abord enfermé dans une caserne de carabiniers à Rome. Il est ensuite détenu à Ponza, une île au large du Latium (à partir du 27 juillet), puis sur l'île de La Maddalena en Sardaigne (7 août - 27 août 1943)[186]. Badoglio fait conduire Mussolini dans une ambulance de la Croix rouge à Campo Imperatore sur le Gran Sasso, dans les Abruzzes. Hitler, cherchant à le faire libérer, envoie l'officier de commando allemand Otto Skorzeny enquêter sur ses différents lieux de détention[187].
L'armistice de Cassibile entre l'Italie et les Alliés (8 septembre) est rendu public sans instructions précises aux troupes italiennes, ce qui met le pays, déjà à l'abandon, dans la plus grande confusion. Cet armistice est le prétexte à l'invasion de l'Italie par les troupes allemandes qui occupent rapidement l'Italie septentrionale et centrale[186]. L'Italie se divise pour ce qui a été défini comme une guerre civile, entre ceux qui soutiennent les Alliés, qui contrôlent une partie du sud et la Sicile, et ceux qui acceptent de poursuivre la guerre aux côtés des Allemands, qui occupent désormais une grande partie de la péninsule.
Entre-temps le roi, avec une partie de sa famille, Badoglio et ses principaux collaborateurs réapparaissent dans les Pouilles, se mettant sous la protection de leurs ex-adversaires : Badoglio constitue un gouvernement sous la supervision alliée. L'Italie déclare la guerre à l'Allemagne le 13 octobre 1943. Le gros de l'armée italienne est interné en Allemagne. Fin 1944, il y a encore près d'un million de soldats italiens emprisonnés[188].
En septembre 1943, toujours assigné à résidence et surveillé par des gardiens, Mussolini tente de se justifier :
« J'ai toujours essayé de neutraliser Hitler et de m'entendre avec la France. Lors de l'invasion de l'Éthiopie, Laval a manqué à sa parole en votant les sanctions contre nous et Léon Blum me détestait [189]. »
Le , les troupes parachutistes allemandes, les Fallschirmjäger du Lehr-Bataillon Mors menés par le major Harald Mors libèrent Mussolini au cours de l'opération Eiche, placée sous la responsabilité et le contrôle opérationnel du général des parachutistes de la Luftwaffe, Kurt Student. Mussolini est libéré sans l'échange d'un coup de feu entre le commando et les carabiniers chargés de le surveiller[186],[190], puis est emmené en Allemagne par le capitaine SS Otto Skorzeny, à qui la propagande SS attribue à tort tout le mérite de l'opération[191],[192]. Deux jours après l'opération, il rencontre Hitler, le 14 septembre à Munich. Le Führer l'« invite » à former une république protégée par les Allemands[188]. Mussolini déclare à Hitler qu'en se retirant de la politique, il éviterait la guerre civile en Italie ; Adolf Hitler s'y oppose avec force et lui ordonne, sous la menace de représailles sur la population, de former rapidement un gouvernement fasciste ; Hitler tente de le persuader que Dino Grandi et Ciano ont trahi, mais Mussolini refuse de l'admettre [193].
Toujours depuis l'Allemagne, le 18 septembre, par un discours à la radio de Munich, Mussolini proclame la reconstruction du parti fasciste avec pour nom le Parti fasciste républicain (Partito Fascista Repubblicano - PFR)[194].
Mussolini arrive en Italie le 23 septembre et constitue son nouveau gouvernement qui se réunit pour la première fois le 27 septembre.
République sociale italienne (1943-1945)
La nouvelle République sociale italienne est un État fantoche contrôlé par les Allemands[188] ; Hitler a mis sous contrôle direct du Reich l'entière zone nord-orientale de l'Italie (l'Istrie, le Frioul, le Trentin et une partie de la Vénétie). Les troupes allemandes occupent cette zone dans les jours qui suivent l'armistice du 9 septembre sans les annexer officiellement mais seulement de fait. Hitler a de plus fait en sorte que les troupes de la RSI soient directement sous le contrôle et le commandement des officiers allemands et des milliers d'Italiens sont contraints au travail forcé comme dans n'importe quel autre territoire occupé par l'Allemagne[188].
Installation de la « République de Salò »
Entre le 23 et le , le gouvernement de la RSI s'installe à Salò (certains bureaux gouvernementaux sont répartis dans les localités limitrophes) d'où le nom non officiel de « République de Salò ».
Le 14 novembre se tient à Vérone la première assemblée nationale du parti fasciste républicain, au cours de laquelle est rédigé le manifeste de Vérone, le programme du gouvernement du PFR. Mussolini, qui a la charge de « chef de la république » comme le prévoit le manifeste, annonce que la convocation d'une assemblée constitutionnelle pour la rédaction de la constitution de la RSI, est renvoyée à la fin du conflit. Il s'agit d'instaurer un régime fondé sur le travail, ne garantissant la propriété privée que dans la mesure où elle ne portait pas atteinte à la personnalité physique et morale des autres hommes, reconnaissant la nécessité de certaines nationalisations, expropriations de terre, la participation des travailleurs aux bénéfices de l'entreprise, le principe de cogestion des entreprises : ce régime revient aux origines républicaines, socialistes libertaires, nationaliste populaire du fascisme[195].
Le 8 décembre, la garde nationale républicaine (GNR) est constituée par décret et placée sous le commandement de Renato Ricci (it). Dans celle-ci, affluent les effectifs des carabiniers royaux, corps qui vient d'être dissout, la police d'Afrique italienne et de la MSVN (Milice volontaire pour la sécurité nationale, jamais officiellement dissoute jusqu'à cette date). De plus, quelques milliers de combattants italiens sont envoyés en Allemagne pour y être entraînés.
Procès des opposants à Mussolini à Vérone
Entre le 8 et le , se tient le procès de Vérone, où sont jugés les dirigeants qui ont « trahi » en s'opposant à Mussolini le : cinq des six accusés sont condamnés à mort, dont le gendre du Duce, Galeazzo Ciano[196]. Menacé par Hitler de représailles contre la population, Mussolini a été obligé d'organiser ce procès, qui échappe totalement à son contrôle : en effet, le chef fasciste Pavolini a refusé de transmettre à Mussolini les recours en grâce des condamnés ; Edda Ciano envoya une lettre suppliante à son père pour tenter de sauver son mari. Mais le procès est orchestré par les ultras du fascisme, Farinacci et Pavolini, et les nazis [197].
Le 13 janvier 1944, Mgr Chiot, l'aumônier de la prison de Vérone, a été convié auprès de Mussolini qui lui écrit son impuissance dans la tragédie de Vérone (dans laquelle son gendre a été mis à mort) et son dégoût de la politique :
« Je n'ai reçu aucune demande de grâce. Pendant l'horrible nuit précédant l'exécution, les larmes me gagnèrent avec une rare violence et je pleurais sur les victimes, sur moi, sur tous. Dieu est grand ! Sa grâce suprême va jusqu'à envelopper notre folie. Que nous sommes petits ! Pourquoi ne m'a-t-on pas laissé à ma prison du Gran Sasso ? Je m'étais préparé à mourir chrétiennement. Comment pourrais-je demander l'absolution tant que je serai attelé au char du pouvoir, étant ballotté jusqu'à la fin entre les larmes et le sang ? Car la violence se retourne toujours contre elle-même. Nous sombrons tous dans le même naufrage. Mon heure viendra vite. Seul l'amour est créateur[157]. »
Le 21 avril, le Duce rencontre Hitler au château de Klessheim, à côté de Salzbourg, et le 15 juillet il se rend en Allemagne pour inspecter les quatre divisions italiennes que les Allemands ont entraînées.
Le 12 août 1944, les Allemands ont massacré 350 civils à Sant'Anna di Stazzema, pour se venger d'une attaque des partisans communistes et en octobre 1944, les SS ont tué plusieurs centaines de civils dans le village de Marzabotto, en Émilie. Selon l'historien Jacques Legrand : « Mussolini, toujours prévenu après les massacres et démuni d'autorité directe, n'a plus aucune emprise sur les Allemands »[198].
Le 16 décembre 1944, au théâtre lyrique de Milan (it), il prononce son dernier discours public[199].
Le 30 mars 1945, Mussolini écrit :
« Je n'ai aucune illusion sur mon destin. On ne fera pas mon procès, parce qu'on sait que d'accusé, je deviendrai accusateur public. Il est probable qu'on me tuera... Je ne crains pas la mort. Quiconque craint la mort n'a jamais vécu et, moi, j'ai vécu, et même trop. La vie n'est qu'un trait d'union entre deux éternités : le passé et l'avenir... Après la défaite, je serai couvert de crachats mais, ensuite, on viendra me purifier de ces souillures avec vénération. Je sourirai, car mon peuple sera en paix avec lui-même[200]. »
Le 23 avril 1945, Mussolini écrit une longue lettre à Winston Churchill, expédiée à l'ambassadeur de Grande-Bretagne en Suisse :
« Excellence, les événements arrivent malheureusement à leur dénouement. Étant donné les conditions réservées à l'Italie, après cinq ans de lutte, je n'espère plus que dans le succès de votre intervention personnelle. Il est inutile de vous rappeler ma position devant l'Histoire. Vous êtes peut-être le seul aujourd'hui à savoir que je n'ai pas à craindre son verdict. Envoyez-moi donc un de vos hommes de confiance. Les documents que je pourrai lui donner vous intéresseront[200]. »
Ultime négociation et arrestation
Le , toujours plus isolé et impuissant après que le front de la ligne gothique eut cédé, Mussolini s'installe à Milan et rencontre le cardinal Ildefonso Schuster qui, tenant le rôle de médiateur auprès du CLNAI (Comité de libération nationale Nord Italie)[201], négocie la reddition des forces fascistes, dans l'espoir d'éviter de futures effusions de sang. L'indécision de Mussolini et l'intransigeance des partis rendent impossible le moindre accord. Les Allemands, peu avant l'arrivée du Duce, font savoir au cardinal qu'ils n'ont plus besoin de lui, ayant entre-temps établi un pacte séparé avec les Alliés (bien évidemment sans en informer Hitler) et avec des hommes proches du CLN. Apprenant la nouvelle par Schuster, Mussolini se sent trahi et, définitivement abandonné par les Allemands, il quitte précipitamment l'archevêché[201].
Malgré l'avis contraire de sa suite, Mussolini décide de quitter Milan tôt le matin, juste avant la libération de la ville par le CLNAI. Les motifs de sa décision ne sont pas très clairs : dans les jours précédents, une ultime résistance dans le fantomatique « réduit de la Valteline » avait été évoquée[202]. Certains pensent qu'une rencontre secrète aurait été organisée avec des émissaires alliés provenant de Suisse, à qui Mussolini se serait rendu, emmenant avec lui d'importants documents. Certains notent que si l'intention était seulement de fuir, Mussolini aurait pu utiliser le trimoteur SM79 prêt à l'aéroport de Bresso aux portes de Milan. Certains personnages mineurs de la RSI et une partie de la famille Petacci l'utilisent pour réapparaître en Espagne le . En fin d'après-midi du , la colonne de Mussolini part de la préfecture en direction de Côme, puis poursuit vers Menaggio, le long de la berge occidentale du lac. Mussolini passe sa dernière nuit d'homme libre dans une auberge de la petite commune de Grandola, près de la frontière suisse. Le jour suivant, Mussolini, entouré de ses derniers fidèles et Clara Petacci, qui l'a entre-temps rejoint, redescend vers le lac. Sur la route nationale Regina, il rejoint une colonne allemande (troupes anti-aériennes) en retraite et la colonne Pavolini qui, arrivée à Côme le matin, a immédiatement poursuivi le long du lac.
La colonne est arrêtée une première fois à Musso où le lieutenant SS Birzer, chargé peu avant son départ de Gargnano de protéger Mussolini par sa hiérarchie, le convainc de se cacher dans un camion de la colonne allemande en endossant un manteau de sergent de l'aviation allemande[202],[203]. Quelques kilomètres plus loin, la colonne est de nouveau arrêtée à Dongo par un petit groupe de partisans de la 52e Brigade Garibaldi[202] sous le commandement du comte florentin Pier Luigi Bellini delle Stelle, d'appartenance monarchiste. Pendant l'inspection, Mussolini est reconnu par le partisan « Bill » (Urbano Lazzaro), puis arrêté. D'abord retenu à Domaso, dans une caserne de la Garde des finances, il est transféré dans la nuit du au dans une maison de paysan de Bonzanigo.
Derniers jours et mort de Mussolini
« Ici Radio Milan libérée ! »
— Rapide communiqué de Radio Milan qui par la suite annonce la capture et l'exécution par les Volontaires de la liberté de Benito Mussolini, Clara Petacci et d'autres dignitaires fascistes dans la localité de Giulino di Mezzegra sur le lac de Côme.
Les commandants de la résistance discutent sur ce qu'il y a lieu de faire[N 29] jusqu'à l'arrivée depuis Rome d'un communiqué du Comité de libération nationale (CLN)[N 30] qui exprime la nécessité d'une renaissance sociale, politique et morale de l'Italie au travers de l'exécution de Mussolini et la destruction de tous les symboles du parti fasciste présents en Italie. Le document est signé par toutes les composantes du CLN (Parti communiste italien, Parti socialiste italien de l'unité prolétarienne, Démocratie du travail, Parti d'action, Démocratie chrétienne, Parti libéral italien).
La décision est exécutée le ; Mussolini et Clara Petacci sont fusillés, selon la version officielle à Giulino di Mezzegra, à proximité de Dongo par le Comandante Valerio, nom de guerre du communiste Walter Audisio[N 31]. La première mitraillette s'enraye, la seconde le laisse à l'agonie ; Mussolini est achevé par une arme automatique[204].
Les dépouilles de Mussolini, de Clara Petacci et des seize autres personnes[N 32] sont transportées à Milan. Les corps subissent des outrages[N 33]. On les pend par les pieds à la balustrade d'un distributeur d'essence sur le Piazzale Loreto où, l'année précédente, quinze partisans ont été fusillés et exposés en représailles d'un attentat contre les Allemands[205], et chacun des spectateurs peut s'il le souhaite cracher sur les dépouilles de manière à humilier cette famille et le mouvement fasciste ; ensuite, le visage de Mussolini est défiguré[206].
Le au soir, le corps de Mussolini est enlevé du Piazzale Loreto et transféré dans une tombe anonyme au Cimitero Maggiore de Milan. Sa dépouille est dérobée par des militants néo-fascistes du Parti fasciste démocratique dans la nuit du 22 au 23 avril 1946, puis retrouvée en août, cachée dans une malle dans la basilique de la Chartreuse de Pavie tandis que les fétichistes macabres sont arrêtés. Les restes de Mussolini sont confiés aux Franciscains et cachés dans une armoire dans la chapelle du couvent des capucins de Cerro Maggiore afin d'éviter qu’un culte lui soit rendu. Le 30 août 1957, le gouvernement italien, ayant besoin du soutien de l'extrême droite au Parlement, décide de rendre la dépouille à la famille Mussolini qui la transfère dans la crypte de la chapelle familiale dans le cimetière de San Cassiano de Predappio[207]. Chaque année, les nostalgiques du fascisme italien se retrouvent autour de son tombeau, son village accueillant de 80 000 à 100 000 visiteurs par an[208].
Les circonstances de la mort de Mussolini restent cependant obscures. Des témoignages racontent que le Comandante Valerio a été remplacé en route par le no 2 du Parti communiste italien, Luigi Longo. La « thèse de la correspondance Churchill - Mussolini » est aussi évoquée : l’exécution du Duce aurait été commanditée par des membres de l'Intelligence service qui cherchaient à récupérer la correspondance des deux dirigeants qui négociaient notamment en ce qui concerne leurs empires coloniaux et la lutte contre les partisans communistes, ce qui aurait compromis Churchill[209] ; de plus, Mussolini conservait les lettres élogieuses de Churchill en monnaie d'échange (jusqu'en 1935, Mussolini a entretenu de bonnes relations avec diverses démocraties d'Europe, en s'opposant avec force à Hitler)[204]. Selon l'historien Dominique Lormier, lorsque les Alliés apprennent l'arrestation de Mussolini par les partisans, « une course-poursuite s'engage entre les services secrets britanniques et américains pour l'enlever. Winston Churchill, qui veut faire oublier son admiration pour Benito Mussolini jusqu'en 1939, a décidé de le faire liquider afin d'éviter qu'il soit jugé et qu'il parle. Samedi 28, Mussolini et Clara Petacci, qui l'a de nouveau rejoint, sont soustraits des partisans locaux par une équipe de tueurs qui agissent sur ordre de Londres. Sans avertissement, ils sont abattus à la lisière du village Mezzagra. »[206].
Le seul fait certain est qu'on peut observer qu'en Italie il n'y a pas eu de procès à l'encontre des dignitaires fascistes comparable à celui du procès de Nuremberg contre le nazisme ; en effet, si l'épuration sauvage en Italie a atteint le comble de l'horreur, l'épuration légale a été moins sévère, pour la simple raison que de nombreux accusateurs ont été des fascistes, comme la grande majorité des Italiens ; le ministre de la Justice, Palmiro Togliatti, membre du PCI, décrète une amnistie pour les délits politiques et militaires en Italie le 22 juin 1946[210].
Pensée politique
Les principales ambitions du fascisme furent :
- la refondation de l'Empire romain, à travers une politique agressive de puissance (la guerre est « positive » parce qu'elle « imprime un sceau de noblesse au peuple qui l'affronte ») par laquelle l'Italie aurait assumé le rôle de guide et de modèle pour les autres nations d'un point de vue politique, économique et spirituel. Dans cet objectif, il y a nécessité d'une armée forte et bien structurée.
- la création d'un « italien neuf », héroïque, doté du sens d'appartenir à la nation, en mesure par sa propre action de forger l'histoire, inséré dans un État qui en réassume les aspirations. Cela aurait dû se réaliser au travers du complet surpassement de l'individualisme et la concession individuelle connexe de la liberté : l'individu doit concevoir sa propre liberté non pas de manière égoïste, dans une perspective concurrentielle avec les autres sujets, mais de manière ordonnée et disciplinée, s'acceptant comme une partie de la collectivité (la nation italienne incarnée dans l'État fasciste) tendant vers une fin commune et non fragmentée par la haine des classes (le concept socialiste de « lutte des classes » est abandonné). À cette fin, la nécessité s'affirme de raffermir le sentiment d'appartenance nationale à travers l'exaltation de l'esprit patriotique italien et de l'histoire italienne. Dans un tel contexte idéologique, l'État est hégéliennement conçu comme éthique donc comme fin et non comme moyen. Au nom du bien commun, l'intérêt de l'État prévaut sur celui de l'intérêt particulier.
- Contrairement au racisme nazi qui se réclame d'une race germanique ethniquement homogène, Mussolini considère que la population italienne est le résultat d'un métissage ethnique, métissage nécessairement porteur de vigueur physique et morale (contrairement à la consanguinité) et unifié autour d'une « race de l'esprit » ou « race de l'homme fasciste » incarnée par les valeurs « romaines » que sont le sens de l'honneur, le don de soi, la fidélité, « l'impersonnalité active » du courage, qualités mises en avant dans les discours de Mussolini[211].
Famille
- Officiellement, Mussolini était marié civilement depuis 1915 (puis religieusement en 1925) à Rachele Guidi (1890-1979) avec laquelle il eut cinq enfants :
- Edda Mussolini (1910-1995), devenue Edda Ciano, comtesse de Cortellazzo et de Buccari, à la suite de son mariage avec le comte Galeazzo Ciano ;
- Vittorio Mussolini (1916-1997), aviateur dans l'armée de l'air, scénariste et producteur de cinéma ;
- Bruno Mussolini (1918-1941), aviateur dans l'armée de l'air ;
- Romano Mussolini (1927-2006), pianiste de jazz, qui épousa Anna Maria Scicolone, la sœur cadette de l'actrice Sophia Loren, dont il eut une fille Alessandra Mussolini (née en 1962), députée européenne entre 2004 et 2019 ;
- Anna Maria Mussolini (1929-1968), présentatrice de télévision.
S'il exalte la famille traditionnelle, Mussolini n'en est pas moins adepte de l'union libre, n'hésitant pas à sacrifier ses proches. Ainsi, au milieu des années 1910, il rencontre Ida Dalser (1880-1937, originaire du village de Sopramonte, près de Trente), alors qu'il a déjà une liaison avec Rachele. On prétend même que Benito et Ida se seraient mariés religieusement en 1914.
Ida lui donne même un fils, Benito Albino un an après. Le futur Duce aurait accepté de reconnaître ce dernier. Néanmoins, tous les documents officiels relatifs à ce mariage et la reconnaissance de paternité ont disparu.
La même année que la naissance de Benito Albino, en 1915, il finit par abandonner Ida et son fils pour se marier avec Rachele. Ida tente alors désespérément de faire valoir ses droits de première épouse légitime (du moins au regard de l'Église). Souhaitant la réduire au silence, Mussolini cherche à soustraire l'enfant à sa mère. Pour y parvenir, il essaie en vain de faire emprisonner Ida en raison de sa nationalité autrichienne (un « corbeau » l'ayant accusée d'espionnage au profit des Austro-Hongrois), alors que l'Italie est engagée contre ces derniers dans le premier conflit mondial.
Quand il arrive au pouvoir en 1922, plus rien ne résiste à Mussolini. Ida est internée dans un asile d'aliénés en 1926 où elle meurt onze ans plus tard d'une hémorragie cérébrale. C'est alors Albino, télégraphiste dans la marine de guerre italienne, qui est à son tour interné et décède en 1942.
- Mussolini eut aussi plusieurs maîtresses :
- Margherita Sarfatti (1880-1961), issue d'une grande famille juive, journaliste qui lui inspira certaines idées du fascisme et qui écrivit la biographie du Duce.
- Madeleine Coraboeuf alias Magda Fontanges (1905-1960), fille du peintre Jean Coraboeuf, journaliste française, espionne pour le compte de l'Abwehr, le service de renseignements de l'état-major de l'armée allemande[212] ;
- Clara Petacci (1912-1945), femme divorcée d'un officier de l'armée de l'air italienne, elle-même issue de la haute bourgeoisie romaine, elle devint la compagne du Duce à partir de 1932 et partagea ses derniers moments jusqu'à la mort le 28 avril 1945.
Distinctions
- italiennes
Croix d'ancienneté de service dans la milice volontaire pour la Sécurité nationale, 20 ans |
- étrangères
Grand-croix de la Croix-rouge allemande, 1934 |
Grand-croix de la Croix-rouge allemande, classe spéciale en or et diamants, 1937 |
Œuvres
Écrits
- La Filosofia della forza (1908) ;
- La Santa di Susà (opuscule d'une interview recueilli comme journaliste et publié le 12 juin 1909) ;
- Claudia Particella, l'amante del Cardinal Madruzzo (roman paru par épisodes sur le Il Popolo pendant 57 jours à partir du 20 janvier 1910) ; trad. fr. Auda Isarn, 163 p., 2007.
- La Tragedia di Mayerling (1910) non publié ;
- Il Trentino veduto da un socialista (1911) ;
- L'Amante del cardinale(1911) ;
- La mia vita (1911-12) ;
- Giovanni Huss il veridico (1913) ;
- Vita di Arnaldo (1932) ;
- Scritti e discorsi (1914-39, 12 vol.) ;
- Parlo con Bruno ou Je parle avec Bruno, publié par Il Popolo d'Italia soit Le Peuple de l'Italie, 1941 ;
- Il tempo del bastone e della carota (1944 - Recueil d'articles publiés dans le Corriere della Sera entre 1940 et 1943) ;
- Pensieri pontini e sardi (1943) ;
- Storia di un anno (il tempo del bastone e della carota) (1944).
Voir aussi
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Sur Mussolini
- François Beauval, Mussolini, vie et mort d'un dictateur, Genève,
- André Brissaud, Mussolini, le fascisme, Paris, éd. Robert Langeac,
- Christopher Hibbert, Mussolini, J'ai lu
- Pierre Milza, Mussolini, Paris, Fayard, , 985 p. (ISBN 2-213-60447-9).
- Didier Musiedlak, Mussolini, Paris, Presses de Sciences Po, , 436 p. (ISBN 2-7246-0806-2)
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Littérature
- Antonio Scurati, M. L'Enfant du siècle, Les Arènes, 2020.
Filmographie
- 1923 : La Ville éternelle de George Fitzmaurice, Mussolini joue son propre rôle[216]
- 1935 : Les Cent Jours (1935) de Franz Wenzler, scénario par Benito Mussolini[217]
- 1940 : Le Dictateur de Charlie Chaplin, Jack Oakie parodie Mussolini[218]
- 1942 : The Ducktators de Norman McCabe, Mussolini est joué par Michael Maltese
- 1943 : Der Fuehrer's Face de Jack Kinney, acteur non crédité
- 1962 :
- Benito Mussolini, documentaire de Pasquale Prunas
- All'armi siam fascisti documentaire de Lino Del Fra, Lino Miccichè et Cecilia Mangini
- Il mio amico Benito de Giorgio Bianchi avec Peppino De Filippo
- 1970 : Men of our time: Mussolini documentaire de Alan J. P. Taylor
- 1974 : Les Derniers Jours de Mussolini de Carlo Lizzani avec Rod Steiger
- 1978 : Quando c'era lui...caro lei! de Giancarlo Santi
- 1981 : Le Lion du désert de Moustapha Akkad, Mussolini est joué par Rod Steiger
- 1985 :
- Io e il Duce d'Alberto Negrin
- La Chute de Mussolini, minisérie de William A. Graham
- 1989 : Fascist Legacy Ken Kirby, Royaume-Uni, 2 × 50 min [lire en ligne]
- 1993 : Il giovane Mussolini de Gianluigi Calderone avec Antonio Banderas
- 2004 : Mussolini, Churchill e cartoline, documentaire de Villi Hermann
- 2009 : Vincere film de Marco Bellocchio
- 2018 : Sono Tornato de Luca Miniero, Mussolini est joué par Massimo Popolizio
- 2019 : Mussolini, la révolution noire documentaire de Edoardo Malvenuti
- 2021 :
- L'Étau de Munich de Christian Schwochow, Mussolini est joué par Domenico Fortunato
- Mussolini, le premier fasciste documentaire de Serge de Sampigny
- 2022 : Benito Mussolini | Dictateurs, mode d'emploi, documentaire, Arte
Articles connexes
- Italo Gariboldi
- Résistance en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale
- Avanti!
- Il Popolo d'Italia
- Squadrismo
- Barricades de Parme en 1922
- Procès de Vérone
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- Parti communiste d'Italie
- Lois raciales fascistes
- Lois fascistissimes
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Liens externes
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Notes et références
- (it) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en italien intitulé « Benito Mussolini » (voir la liste des auteurs) du 28 octobre 2007.
Notes
- Prononciation en français de France retranscrite selon la norme API.
- Prononciation en italien standard retranscrite selon la norme API.
- Les opinions exprimées par Mussolini seront recueillies par Taglialatela dans l'opuscule L'uomo e la divinità (L'Homme et la divinité).
- L’activité militante de Mussolini était jusqu'alors celle d'un propagandiste, qu’il s’agît de son activité journalistique ou de sa participation à des tournées de conférence.
- Selon Pierre Milza, ce texte est révélateur d’une maturité intellectuelle en regard de l’usage qu'il fera plus tard lui-même des notions de surhomme et de volonté de puissance.
- Mussolini n’opposa pas de résistance à son arrestation et se contenta de dire qu’il finirait en prison l’ouvrage sur Jan Hus dont il avait entrepris la rédaction.
- Mussolini devient après la guerre un fervent défenseur de l’impérialisme et de la colonisation.
- En français.
- La signature de ce manifeste sera suivie de la création le du Faisceau d'action révolutionnaire qui en sera le prolongement organisationnel.
- Vingt-et-un morts et quatre-vingt blessés parmi les spectateurs.
- AGUGGINI, Ettore sur le Dictionnaire international des militants anarchistes.
- Les ras sont les chefs locaux traditionnels éthiopiens. Après la conquête de l'Éthiopie par l'Italie, ce nom est utilisé pour désigner certains responsables fascistes.
- la signification de ce sigle est inconnue par manque de document. Selon certains historiens, il signifierait Organisation de Vigilance et de Répression de l’Antifascisme « Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell'Antifascismo », alors que d’autres pensent que le sigle était privé de sens.
- Loi du 25 novembre 1926, n. 2008.
- Décret royal 6 novembre 1926, n. 1848.
- Roi, reine, régent, prince héritier et Premier ministre.
- Au moment de l’assassinat de Dollfuss, sa femme et ses enfants sont les hôtes de Mussolini dans une de ses résidences balnéaires.
- Mauser Military Rifles of the World: Military Rifles of the World De Robert W. D. Ball Publié par Gun Digest, 2006.
- Pour une étude complète, étude systématique des armes chimiques pendant la période 1935-1940 sur le font Éthiopien, voir Angelo Del Boca, I gas id Mussolini, Il fascismo e la guerra d'Etiopia, Editori Riuniti, Roma, 1996.
- Berstein et Milza, 1988, p. 322 qui mentionne « Dans les années 1933-1935, on peut citer parmi les témoignages admiratifs les plus vibrants ceux de Winston Churchill, de Lloyd George, de G.B. Shaw, de Gandhi qui voit en Mussolini le sauveur de l'Italie et de l'Europe, après l'avoir rencontré en 1931… ».
- Cette journée est évoquée dans le film Une journée particulière (1977) d'Ettore Scola où apparaissent des images d'archive.
- Les termes d'« Axe » et de « pacte d'Acier» sont inventés par Mussolini, (Smith, 1981, p. 278, 279).
- L'expression serait de Roosevelt, (Smith, 1981, p. 312).
- Occupation et administration de la Corse, Tunisie, Somalie française et du territoire français jusqu'au Rhin, concession de bases militaire à Oran, Alger et Casablanca, confiscation de la flotte et de l'aviation, dénonciation de l'alliance avec le Royaume-Uni.
- L'Italie, fin 1941 ne dispose que d'un stock de 220 000 tonnes de pétrole, soit l’équivalent d'un mois de consommation, la Roumanie assurant l'approvisionnement de 60 000 tonnes de pétrole (Berstein et Milza, 1980, p. 395).
- Notamment bataille d'Amba Alagi (1941).
- Des milliers de soldats qu'il n'avait pas été possible de mobiliser plus tôt arrivent des colonies britanniques, en particulier de l'Inde.
- déjà au Cap Spada, le 19 juillet, un croiseur italien a été coulé et le 11 novembre 1940, plusieurs bateaux italiens sont coulés dans le port de Tarente. Le dernier combat a lieu au Cap Matapan, le . De plus, en raison du manque de carburant, les unités sont immobilisées dans les ports. (Berstein et Milza, 1980, p. 395).
- Une clause de l'Armistice de Cassibile prévoit toutefois qu'en cas d'arrestation de dirigeants fascistes (dont Mussolini), ils soient livrés aux Alliés.
- à la suite de l'armistice, la CNL a par décret pris tous les pouvoirs constitutionnels.
- Valerio modifie plusieurs fois la version de cette exécution dans ses articles de L'Unità, pour aboutir à ses mémoires In nome del popolo italiano en 1975.
- parmi lesquels un inconnu jamais identifié, le frère de Clara Petacci, le recteur de l'université Bologne (le philologue Goffredo Coppola) et Nicola Bombacci, qui est un des fondateurs du Parti communiste d'Italie.
- Parmi les nombreux témoins, le journaliste Indro Montanelli est présent.
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- Son nom est la contraction de Napoléon et Mussolini ; son prénom est inspiré de Benito et de benzina, « essence » en italien.
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