Analyse des correspondances multiples

L’analyse des correspondances multiples (ACM) est une méthode d'analyse factorielle adaptée aux données qualitatives (aussi appelées catégorielles). Contrairement à l'analyse factorielle des correspondances (AFC), qui étudie le lien entre deux variables qualitatives, l'ACM la généralise en permettant d'étudier le lien entre plusieurs variables qualitatives[1],[2]. Un exemple typique de ces données est celui des enquêtes d’opinion.

Pour les articles homonymes, voir ACM.

Analyse des correspondances multiples
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ACM

L'ACM permet d'étudier le lien entre ces variables par l'intermédiaire d'un tableau disjonctif complet (TDC) ou du tableau de Burt (TB). Dans de tels tableaux de données, les individus (en lignes) sont décrits par un ensemble de variables qualitatives (en colonnes).

Principe

Soient individus décrits par variables qualitatives telles que la première variable prend les modalités , la deuxième variable prend les modalités , et ainsi de suite. Soient et les modalités possibles. Le tableau disjonctif complet à lignes et colonnes, noté , est tel que l’intersection de la ligne et de la colonne (associée à la modalité ) est égale à

  • 1 si l’individu possède la modalité  ;
  • 0 sinon.

Il est possible d'inclure une variable quantitative dans l'analyse, à condition de remplacer ses valeurs numériques en plage de valeur, afin de la convertir en variable catégorielle.

Le traitement mathématique[3],[2] du tableau est le suivant :

  • Calcul de la matrice ;
  • Calcul du vecteur , qui contient la somme en ligne de la matrice ( pour "row" en anglais) ;
  • Calcul du vecteur , qui contient la somme en colonne de la matrice .

Sont aussi prises en compte les matrices diagonales et , issues de et respectivement. L'étape clé est une décomposition en valeurs singulières de la matrice suivante :

La décomposition de donne accès aux matrices , et telles que , avec et deux matrices unitaires, et est la matrice diagonale généralisée de mêmes dimensions que , contenant les valeurs singulières ordonnées de la plus grande à la plus petite. Les coefficients diagonaux de sont les valeurs propres de et correspondent à l'inertie de chacun des facteurs. Ces facteurs sont les coordonnées des individus (ligne) ou variables (colonne) sur chacun des axes factoriels. Les coordonnées des individus dans ce nouvel espace vectoriel sont données par la formule suivante:

La -ième ligne de contient les coordonnées du -ième individu dans l'espace factoriel, tandis que les coordonnées des variables dans le même espace factoriel sont données par :

Domaine d'application

L'ACM est une méthode très générale qui s'applique à tout tableau dans lequel un ensemble d'individus est décrit par des variables qualitatives. Elle n'appartient donc pas à un champ disciplinaire particulier. Toutefois, elle est très utilisée dans le traitement des enquêtes d'opinion, les questionnaires étant souvent composés de questions à choix multiples.

Une mention particulière doit être faite à la sociologie. L'ACM est très utilisée par les sociologues s'inspirant de Pierre Bourdieu pour étudier un « champ » spécifique. Par exemple, le sociologue Frédéric Lebaron emploie une ACM pour analyser le champ des économistes français[4], et Hjellbrekke et ses coauteurs appliquent la même méthode pour analyser le champ des élites norvégiennes[5]. De même, Julien Duval utilise une ACM pour analyser le champ du cinéma français[6], tandis que Christian Baudelot et Michel Gollac utilisent une analyse des correspondances multiples pour étudier le rapport des Français à leur travail[7].

Les nuages de points en ACM

Comme toute analyse factorielle, l’ACM peut s’interpréter géométriquement à partir d’un nuage dont les points représentent les lignes (ou les colonnes) du tableau analysé[8].

Étude des individus

Un individu est représenté par l’ensemble de ses réponses, aussi appelé profil de réponse. L'étude porte sur la variabilité de ces profils de réponse. Comme dans toute analyse factorielle, cette variabilité est décomposée selon une suite de variables synthétiques (notées , ces sont retranscrites en tant que colonnes d'une matrice ). Ces variables synthétiques sont quantitatives et permettent des représentations graphiques et l'utilisation de méthodes d'analyse adaptées aux variables quantitatives. Seules les premières colonnes de sont retenues en général, celles-ci correspondant aux dimensions de l'espace factoriel qui regroupent le plus d'inertie.

Étude des variables

La liaison entre deux variables qualitatives s’étudie au travers des associations entre leurs modalités. Par exemple, un élément de la description de la liaison entre les variables couleur des yeux et couleur des cheveux est : les personnes qui ont les cheveux blonds ont plutôt les yeux bleus. En présence d’un ensemble de variables qualitatives, on cherche donc les associations entre toutes les modalités. On attend de l’ACM une représentation des modalités dans laquelle les modalités qui s’associent entre elles sont proches. Les remarques concernant restent valables pour .

Représentation des deux nuages

De façon intuitive, et comme dans toute analyse factorielle, l’ACM consiste à projeter chacun des deux nuages sur une suite d’axes orthogonaux d’inertie maximum (cela correspond mathématiquement à l'étape de décomposition en valeurs singulières). Dans , la quantité maximisée est la moyenne des carrés des rapports de corrélation. Pour l’axe , il s'agit de maximiser la valeur .

Les dimensions de l’ACM peuvent donc être considérées comme des variables synthétiques. Les valeurs de sont les coordonnées des individus sur l’axe de rang (dans ). Il en résulte que, dans la représentation des individus,

  • les individus qui ont beaucoup de modalités en commun sont aussi proches que possible ;
  • les individus qui ont peu de (voire aucune) modalités en commun sont aussi séparés que possible.

La combinaison de deux de ces axes fournit une représentation plane, aussi appelée "plan factoriel". En pratique, le premier plan factoriel suffit pour avoir une représentation graphique simple.

Règle d'interprétation

En ACM, la représentation des individus et celle des modalités sont superposables. Ceci est permis par les relations de transition, présentes dans toute analyse factorielle mais qui s’expriment de façon particulièrement simple en ACM.

A un coefficient près, pour un axe donné :

  • un individu est au barycentre des modalités qu’il possède ;
  • une modalité est au barycentre des individus qui la possèdent.

Ces relations sont aussi connues sous le nom de propriétés barycentriques.

Exemple

L'exemple présenté ici est choisi de très petite taille, ce qui permet de vérifier facilement dans les données les interprétations réalisées à partir des plans factoriels (cf. tableau 1).

Six individus sont interrogés sur leur préférence pour les fruits (orange, poire, pomme), les légumes (épinard, haricot), et la viande (cheval, mouton, porc).

Tableau 1. Données préférences alimentaires. Exemple: l'individu 1 a préféré la pomme (comme fruit), le haricot (comme légume) et le cheval (comme viande).
FruitLégumeViande
PommeHaricotCheval
PoireHaricotCheval
OrangeHaricotMouton
PommeÉpinardMouton
PoireÉpinardPorc
OrangeÉpinardPorc

Appliquée au tableau 1, l'ACM fournit la représentation de la figure 1.

Figure 1. Données préférences alimentaires. ACM. Représentation des individus et des modalités (fournie par le package R FactoMineR[9]).

Le premier axe oppose le groupe d’individus (à droite) au groupe (à gauche).

Le groupe d’individus est caractérisé :

  • D’abord et surtout par une préférence pour la viande de cheval (ce sont les seuls dans ce cas) ;
  • Puis par une préférence pour les haricots (préférence qu’ils partagent tous les deux mais qu’ils partagent aussi avec ).

De son côté le groupe est caractérisé :

  • D’abord et surtout par une préférence pour la viande de porc (ce sont les seuls dans ce cas) ;
  • Puis par une préférence pour les épinards (préférence qu’ils partagent tous les deux mais qu’ils partagent aussi avec ).

Illustration des relations de transition

L’individu a préféré poire, haricot et cheval. Il se trouve bien du côté de ces trois modalités. Par rapport au centre de gravité exact de ces modalités, il est un peu plus écarté de l’origine : en effet, le coefficient mentionné dans les relations de transition est toujours supérieur à 1.

La modalité cheval a été choisie par et . Elle est donc du côté de ces individus. Par rapport au centre de gravité de et , elle est légèrement excentrée (pour la même raison que dans le cas précédent).

Figure 2. Données préférences alimentaires. ACM. Représentation des variables (carré des liaisons) fournie par le package R FactoMineR[9].

Représentation complémentaire : le carré des liaisons

Dans le carré des liaisons, les variables sont représentées à l’aide de leur rapport de corrélation avec les facteurs. Ainsi, dans l’exemple, ce carré montre que :

  • le premier axe est d’abord lié à la viande, puis au légume ;
  • le deuxième axe, quant à lui, est lié également à la viande et au fruit.

Cette représentation est d’autant plus utile que les variables sont nombreuses.

AFC, ACM et ACP

Lorsqu'un programme d’AFC est mis en place sur un tableau disjonctif complet ou sur un tableau de Burt, ce sont les axes de l’ACM qui sont obtenus. C’est ce qui conduit certains auteurs à considérer l’ACM comme un cas particulier (ou une extension) de l’AFC. En outre, les axes de l’ACM peuvent aussi être obtenus en appliquant un programme d’ACP au TDC (légèrement modifié)[10].

Cependant, l’ACM possède plusieurs propriétés spécifiques qui en font bien une méthode à part entière.

Extensions

Très souvent, dans les enquêtes d'opinion, les questionnaires sont structurés en thèmes. Il est toujours intéressant de prendre en compte cette structure en groupes des questions. C'est ce que fait l'Analyse factorielle multiple[11].

Notes et références

  1. Université Paris 13, « Analyse statistique des données, cours 4, Master 2 EID », sur https://www.lpsm.paris, (consulté le ), p. 2
  2. Valérie Monbet, « Analyse des données, Master Statistique et économétrie, Notes de cours », sur https://perso.univ-rennes1.fr, (consulté le ), p. 46-62
  3. (en) Hervé Abdi et Dominique Valentin, « Multiple Correspondence Analysis » [PDF], sur https://personal.utdallas.edu, (consulté le ), p. 3
  4. Frédéric Lebaron, La Croyance économique, Le Seuil, coll. « Liber », , 1re éd., 260 p. (ISBN 978-2-02-041171-4)
  5. (en) Johs Hjellbrekke, Brigitte Le Roux, Olav Korsnes, Frédéric Lebaron, Henry Rouanet et Lennart Rosenlund, « The Norwegian Field of Power Anno 2000 », European Societies, vol. 9, no 2, , p. 245-273 (lire en ligne, consulté le )
  6. Julien Duval, « L'art du réalisme », Actes de la recherche en sciences sociales, nos 161-162, , p. 96-195 (lire en ligne, consulté le )
  7. Christian Baudelot et Michel Gollac, « Faut-il travailler pour être heureux ? », Insee Première, no 560, (lire en ligne, consulté le )
  8. Les propriétés de ces nuages sont décrites en détail dans Escofier & Pagès 2008, p. 85 et suiv.
  9. (en) Francois Husson (Francois Husson), Julie Josse, Sebastien Le et Jeremy Mazet, « FactoMineR: Multivariate Exploratory Data Analysis and Data Mining », sur https://cran.r-project.org, (consulté le )
  10. Une présentation complète de l'ACM à partir de l'ACP se trouve dans Pagès 2013, p. 37 et suiv.
  11. Deux ouvrages accordent une large place à l'analyse factorielle multiple : Escofier & Pagès 2008 et Pagès 2013

Voir aussi

Bibliographie

  • François Husson, Sébastien Lê et Jérôme Pagès, Analyse des données avec R, Presses Universitaires de Rennes, , 224 p. (ISBN 978-2-7535-0938-2)
  • Brigitte Escofier et Jérôme Pagès, Analyses factorielles simples et multiples : objectifs, méthodes et interprétation, Paris, Dunod, Paris, , 318 p. (ISBN 978-2-10-051932-3)
  • Jérôme Pagès, Analyse factorielle multiple avec R, Les Ulis, EDP sciences, Paris, , 253 p. (ISBN 978-2-7598-0963-9)

Liens internes

Liens externes

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