Joseph Beuys

Joseph Heinrich Beuys [ˈjoːzɛf ˈhaɪ̯nʁɪç ˈbɔʏs][1], né le à Krefeld, sur la rive gauche du Rhin inférieur, et mort le à Düsseldorf, est un artiste allemand qui a produit nombre de dessins, sculptures, performances, happenings, vidéos, installations et théories, constituant un ensemble artistique très engagé politiquement.

Joseph Beuys
Beuys Filtz TV von Lothar Wolleh
Biographie
Naissance
Décès
(à 64 ans)
Düsseldorf
Sépulture
Pseudonyme
Boĭs, Iosef‏; Bojs, Joze; Beuys, Joseph (Joseph Heinrich)
Nationalité
Formation
Gymnasium Freiherr vom Stein de Clèves (d)
Académie des beaux-arts de Düsseldorf
Activités
Autres informations
Parti politique
Les Verts (d)
Mouvement
Maître
Représenté par
Mary Boone Gallery (d), Artists Rights Society, Electronic Arts Intermix (en)
Genre artistique
Site web
Distinctions
Œuvres principales
Signature
Jeder Mensch ein Künstler — Auf dem Weg zur Freiheitsgestalt des sozialen Organismus Chaque personne un artiste. Sur la voie de la forme libertaire de l'organisme social ») 1978, performance.
Affiche pour le dialogue à la New School pendant la première visite de Joseph Beuys aux États-Unis en 1974 - Courtesy Ronald Feldman Fine Arts, New York.

Biographie

Jeunesse et Seconde Guerre mondiale

Né le à Krefeld, Joseph Beuys apprend à jouer du violoncelle dès son plus jeune âge, puis il intègre les jeunesses hitlériennes en 1936. Élève médiocre mais s'intéressant aux animaux, il découvre la photographie animalière. Il quitte l'école sans diplôme. En 1939, il travaille dans un cirque, entre autres à nourrir les animaux. En 1941, il s'engage volontairement dans la Luftwaffe pour 12 ans, et devient sous-officier mitrailleur à bord des Stuka JU 8O sur le front russe, en Crimée. Son avion rate[2] la piste d'atterrissage qui était enneigée, en Ukraine en mars 1944. Il est blessé, le nez cassé, et son pilote est mort. Immédiatement récupéré par la Luftwaffe, puis après un mois de convalescence, il est muté à Hambourg dans les commandos parachutistes dans la division Erdmann avec laquelle il combat et se rend aux troupes britanniques le 8 mai 1945. Il est prisonnier jusqu'en août 1945[3]. Il ne reçoit aucun brevet de médaille militaire.

Il reste pendant toute sa vie en relation étroite avec d'anciens militaires et officiers SS, comme Karl Fastabend[4], qui forment un groupe soudé de collectionneurs, de défenseurs de l'œuvre de Beuys et fondateurs de son parti politique[5].

Après la guerre

À partir de la fin de la guerre, il s'inscrit à l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf et devient l'élève d'Ewald Mataré. Puis il rencontre l'anthroposophe Max Benirschke (de) avec lequel il découvre les théories ésotériques de Rudolf Steiner, dont il s'inspire.

Dès cette époque, il réalise de nombreuses tombes et monuments funéraires pour des familles des soldats allemands. Son projet présenté lors du concours pour la création d'un monument à la mémoire des victimes d'Auschwitz est rejeté.

Il pratique assidument le dessin, activité qu'il conserve toute sa vie de manière régulière[6], et que Beuys défend comme une pratique « que tout homme peut faire », puisque « tout homme est un dessinateur en ce sens qu'il représente quelque chose[7] ». Dessinateur compulsif, il s'intéresse plus particulièrement aux herbiers, à l'étude de la feuille d'olivier et des feuilles d'orties.

Années 1960

Il est nommé professeur de sculpture à l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf en 1961, alors qu'au même moment avec l'amitié de Nam June Paik, il intègre le groupe Fluxus où il pratique les happenings, les actions, les performances et les installations. Il se présente non seulement comme dessinateur et sculpteur, mais aussi comme une sculpture vivante qui se présente comme telle dans des actions comme dans : Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort à la galerie Schmela de Düsseldorf en 1965.

Visage émacié, chapeau mou en feutre, gilet de chasse sur une chemise blanche forment la silhouette immédiatement reconnaissable de l'artiste.

En 1969, il participe à l'exposition de Harald Szeemann Quand les attitudes deviennent forme à la Kunsthalle de Berne, qui lui apporte la reconnaissance internationale.

Sa production artistique, constituée d’actions, de peintures, de dessins, de sculptures et de vitrines, s’étend sur plus de trente ans. Durant cette période, il donne également de nombreuses conférences (à Londres, Düsseldorf, Dublin, Bruxelles, Paris, New York…), tout en enseignant dans plusieurs instituts (Düsseldorf, 1961-1972).

Biographie mythologique

Lors de ses activités de conférencier, il se présente avec une biographie mythologique.

Il déclare en effet être né à Clèves (et non à Krefeld). C’est en découvrant des illustrations des sculptures de Wilhelm Lehmbruck, au cours des années 1930, que Beuys ressent fortement la volonté de devenir sculpteur. Le 19 mai 1933, lors d'un autodafé dans son lycée, il sauve un exemplaire de Systema naturae de Carl van Linné. Il obtient son baccalauréat en 1940[8], juste avant d’être enrôlé en tant que pilote[9] dans l’armée de l’air allemande, où il est héroïque et reçoit la Croix de fer[10].

Un événement s'avère déterminant pour la suite de sa vie : pilote de la Luftwaffe sur le front russe pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’écrase en Crimée. Ce moment est pour lui celui de l’instauration de sa légende personnelle : bien qu’une patrouille allemande l’ait retrouvé et emmené à l’hôpital, Beuys raconta que, recueilli par des nomades tartares qui l’avaient nourri de miel, il était revenu à la vie, recouvert de graisse et enroulé dans des couvertures de feutre. Ces éléments qui lui auraient sauvé la vie deviendront récurrents dans sa production artistique (exemple : Pompe à miel présenté à la documenta 6 de 1977). Il utilise aussi couramment des matériaux tels que le feutre ou la graisse, en souvenir de l'incident au cours duquel ces éléments lui auraient sauvé la vie (exemple : La horde). Il situe sa conversion au chamanisme à ce moment, ayant vu au-delà « de la porte de la mort[11] » : « J'opposai d'abord à cette culture positive l'image d'un monde qui selon l'idée dominante est dépassé. A mon avis, il n'est pas dépassé, il devient même très actuel si on l'approche en empruntant la bonne voie. L'ordre établi, lui aussi, offre parfaitement des voies avec des méthodes d'investigation des sciences naturelles exactes. Je n'ai jamais été d'avis que le stade de notre civilisation doive être jugé négativement. je me détourne certes, je recule, mais je cherche également à élargir ce qui existe en le faisant éclater vers l'avant. de cette façon de vieux contenus mythiques redeviennent actuels[12] ».

Années 1970

Joseph Beuys avec son vélo sur le perron de l'Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf.

Beuys envisage l'enseignement comme une maïeutique, un dialogue ouvert avec ses élèves. Il ouvre son atelier et une académie privée ouverte à tous où il accueille plus de 400 élèves. Il considère l'enseignement comme une forme d'art, comme une forme de sculpture sociale. L'artiste est un chaman, un prêtre, un guide qui conduit les esprits par delà le temps avec les morts et les vivants dans les mythes allemands. Il en tire la conséquence que le corps social peut-être considéré comme une terre à modeler, à qui l'on peut donner forme pour créer une nouvelle relation de l'homme à la nature. Il crée un parti animaliste et écologiste avec de nombreux anciens soldats de la Wehrmacht, qui dénote ses ambiguïtés idéologiques, dont celles du refus de la démocratie parlementaire et représentative, et de la gouvernance directe par référendum ; il présenterait une forme de psychanalyse pour tenter de soigner la psyché traumatisée de la RFA[13].

Il présente à New York sa performance en 1974 : I like America and America likes Me, où il reste enfermé pendant deux jours avec un coyote.

Il est présent dans les trois Documenta de Cassel de 1972 à 1982.

En 1979, à l'occasion de son exposition au Musée Solomon R. Guggenheim de New York, Beuys définit son travail comme :

« Formes de Pensées - Comment nous formons nos pensées

Formes de Paroles - Comment nous transformons nos pensées en mots

Plastiques sociales - Comment nous formons et façonnons le monde dans lequel nous vivons : la sculpture est un processus évolutionnaire, chaque être humain est un artiste[14]. »

Elèves notables

Œuvre

Une mythologie individuelle

En partant de son accident en Crimée (ou du mythe de cet accident), il édifie une œuvre à caractère autobiographique et métaphorique qu’il qualifie de « mythologie individuelle ». Les croix rouges qui apparaissent dans certaines de ses œuvres, comme Infiltration homogène pour piano à queue (1966), rappellent ainsi des souffrances occultées, personnelles ou ancestrales. La symbolique passe également par l’emploi de matériaux non conventionnels. L’œuvre de Joseph Beuys a une vocation thérapeutique qui vise à guérir la société de ses maux, ce qui n’est pas sans rappeler les études de médecine qu’il suivait avant qu’elles soient interrompues par la guerre (il s'agit encore ici d'une affirmation mythomane de Beuys).

Il étudie la sculpture sous la direction d’Ewald Mataré à l’académie de Düsseldorf. En 1955, il souffre d’une dépression nerveuse et passe deux ans alité, incapable de travailler jusqu'en 1959. C'est deux années plus tard qu’il est nommé professeur à son ancienne école.

Dès que l’art du happening arrive des États-Unis, Beuys commence à en organiser avec le groupe international Fluxus.

En , Bernard Lamarche-Vadel interroge Joseph Beuys à propos d’une crise psychique globale survenue entre 1955 et 1957, qui aurait permit à l’artiste d’effectuer une remise à plat de tout ce qui affecte sa vie et d’établir les principes fondamentaux de son art :

« Je pense que les événements les plus globaux sont toujours étroitement liés à ce que les gens appellent une mythologie individuelle. Car pendant cette période, il n’y eut pas seulement une recherche globale aboutissant à une théorie, que l’on pourrait écrire sur un tableau noir comme un schéma, mais ce fut aussi une période très productive avec beaucoup de concepts et ce que l’on définira plus tard comme des traits initiatiques chamanistiques. Aussi, beaucoup de dessins furent produits avec un caractère radicalement différent des schémas dits “théoriques” du corps social. Il y eut également à partir de cette époque des sculptures, puis des objets et des performances, des actions à caractère intermedia, avec l’acoustique ou la musique. Ces derniers étaient dans la suite très logique des concepts déjà présents dans les dessins. »

Matériaux

À partir de 1964, Beuys inclut dans ses installations des matériaux organiques qui lui tiennent à cœur depuis son accident d’avion : le feutre, qui isole du froid ; la graisse, symbole de chaleur et d’énergie ; le miel ; mais aussi la cire d’abeille ; la terre ; le beurre ; les animaux morts ; le sang ; les os ; le soufre ; le bois ; la poussière ; les rognures d’ongle ; les poils. Ces derniers matériaux montrent la réutilisation par Beuys des déchets, non pas pour les magnifier, mais pour les mettre au service de l’art en explorant leur matérialité.

Joseph Beuys s’explique sur l’emploi de trois de ses matériaux de prédilection dans ses objets et lors de ses actions, à savoir la graisse, le cuivre et le feutre :

« J’ai utilisé davantage de matériaux au début et ils étaient plus conventionnels. Mais après la crise, j’ai commencé une nouvelle théorie et j’ai essayé de trouver les matériaux adéquats pour exprimer mes préoccupations avec de nouvelles énergies, avec les problèmes d’énergie en général et ma compréhension de la théorie de la sculpture. J’ai réalisé que nul ne connaissait le réel caractère de ce dont il parlait chaque jour, la sculpture, et que nul ne connaissait la constellation des énergies mises en jeu par la sculpture. Aussi j’ai essayé de pourfendre cette idée conventionnelle : la sculpture ; ce n’était pas pour moi uniquement le fait de travailler dans un matériau spécial mais la nécessité de créer d’autres concepts de pouvoirs de pensée, de pouvoirs de volonté, de pouvoirs de sensibilité. La graisse fut par exemple pour moi une grande découverte car c’était le matériau qui pouvait apparaître comme très chaotique et indéterminé. Je pouvais l’influencer avec la chaleur ou le froid et je pouvais le transformer par les moyens non traditionnels de la sculpture telle que la température. Je pouvais transformer ainsi le caractère de cette graisse d’une condition chaotique et flottante en une condition de forme très dure. Ainsi la graisse se déplaçait-elle d’une condition très chaotique en un mouvement pour se terminer dans un contexte géométrique. J’avais ainsi trois champs de puissance et, là, était une idée de la sculpture. C’était la puissance dans une condition chaotique, dans une condition de mouvement et dans une condition de forme. Et ces trois éléments, forme, mouvement et chaos étaient de l’énergie non déterminée d’où j’ai tiré ma théorie complète de la sculpture, de la psychologie de l’humanité comme pouvoir de volonté, pouvoir de pensée et pouvoir de sensibilité ; et j’ai trouvé que c’était là le schéma adéquat pour comprendre tous les problèmes de la société. Il y avait aussi, impliqué organiquement le problème du corps social, de l’humanité individuelle, de la sculpture et de l’art en lui-même. J’avais besoin de moyens d’expression. J’avais déjà la graisse. J’avais besoin par ailleurs d’un élément très rapide, porteur d’électricité, ce fut le cuivre. Et puis j’avais besoin d’autre chose pour isoler tel secteur de tel autre et j’utilisai alors le feutre. Ainsi, on pourrait dire que c’était le premier concept sur le plan de l’énergie… mais c’est aussi une sorte d’anthropologie ! »

 Lamarche-Vadel, Joseph Beuys. Is it about a bicycle?, Marval, Galerie Beaubourg, Sarenco-Strazzer, 1985.

Une œuvre totale

Stadtverwaldung, Kassel, musée Fridericianum, la nuit.
7000 Eichen. Stadtverwaldung statt Stadtverwaltung, Kassel (24. décembre 2003).

Un projet de vie

L’originalité de Beuys tient à ce que, non content de construire son œuvre sur le récit de sa vie (démarche inédite à l’époque[réf. nécessaire]), il retourne les termes du problème et s’efforce de mener son œuvre comme un projet existentiel.

L’artiste s'invente un personnage (reconnaissable à son chapeau et son gilet) qui investit tous les domaines : professorat à l’académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, création du Deutsche Studenten Partei en 1966, puis d’une Université libre internationale (manifeste de 1972), activités politiques et sociales diverses comportant une dimension ironique et ambiguë.

C’est en partie à cause de cette ironie sous-jacente que Beuys fut décrié par certains de ses contemporains : il lui fut reproché, entre autres, la dimension mystique de son œuvre, la récupération de l’histoire (la tragédie de la Seconde Guerre mondiale est un thème récurrent de ses travaux), mais surtout une certaine propension au culte de la personnalité.

La sculpture sociale

Beuys crée le concept de sculpture sociale devant permettre d'arriver à une société plus juste ; il pense que tout homme est artiste et que si chacun utilise sa créativité, tous seront libres.

Les travaux de Beuys ont donc de nombreuses clefs d'entrée ; ils participent à la fois de ce qu'on appelle une œuvre d'art totale (Gesamtkunstwerk) et de formes artistiques basées sur la sensation et le sensationnel.

Le , Joseph Beuys participe au projet Global-Art-Fusion — en coopération avec Andy Warhol et l'artiste japonais Kaii Higashiyama. Ce projet FAX-ART intercontinental est initié par les artistes conceptuels Ueli Fuchser et Azar Salman, dans lequel un fax contenant plusieurs dessins des trois artistes est envoyé en 32 minutes autour du monde, de Dusseldorf à New York via Tokyo, puis réceptionné au palais Liechtenstein à Vienne. Ce fax est censé incarner un signe de paix pendant la guerre froide[15].

Joseph Beuys en 1985.

Wie man dem toten Hasen die Bilder erklärt

L’action intitulée Comment expliquer les tableaux à un lièvre mort est présentée à la galerie Schmela, à Düsseldorf, le . Cette performance, d’une durée de trois heures, inaugure la première exposition de Beuys dans la galerie du marchand Alfred Schmela. L’artiste tient sur son sein un lièvre mort, comme il le ferait d’un enfant. Il se déplace dans la galerie vers les tableaux pour les montrer au lièvre mort, s’en approchant jusqu’à les toucher. Sa tête est recouverte de miel et de poudre d’or ; exceptionnellement, il ne porte pas le chapeau de feutre qui le caractérise tant. À plusieurs moments, il s’assied sur un tabouret juché sur une armoire métallique, en murmurant au lièvre des choses incompréhensibles pour le public. Au pied droit de Beuys est attachée une longue semelle d’acier contre laquelle est déposée une semelle de feutre de même dimension. L’un des pieds du tabouret est serti dans un rouleau de feutre et l’on distingue sous ce même tabouret deux os. Dans ces os, de même que dans la semelle d’acier, sont cachés des micros grâce auxquels sont retransmis les propos murmurés par l’artiste expliquant le sens de l’art au lièvre mort. Les pas de Beuys se déplaçant avec l’animal dans la galerie sont également audibles au-dehors. En effet, le public n’a pas accès directement à la scène ; il peut cependant l’observer à travers une porte vitrée, une fenêtre et des images vidéo retransmises en direct à l’extérieur de la galerie sur un téléviseur.

Cette action affirme une nouvelle fois, un concept « élargi » de la notion d’art ; l’homme en est le maillon principal, et son lien aux tableaux comme à une source de l’inconscient se révèle alors aussi important que les tableaux en eux-mêmes.

I like America and America likes Me

Performance de Joseph Beuys à la galerie René Block, à New York, en 1974 (illustration approximative d'Oriol Tuca, 2012).

Joseph Beuys débute l'action I like America and America likes Me alors qu’une exposition est annoncée à New York, en mai 1974, dans la galerie René Block. Une ambulance se présente au domicile de l’artiste à Düsseldorf, en Allemagne. Il est alors pris en charge sur une civière, emmitouflé dans une couverture de feutre. Il va alors accomplir un voyage en avion à destination des États-Unis, toujours isolé dans son étoffe. À son arrivée à l’aéroport Kennedy de New York, une autre ambulance l’attend. Surmontée d'un gyrophare et escortée par les autorités américaines, elle le transporte jusqu’au lieu d’exposition. De cette façon, Beuys ne foulera jamais le sol américain à part celui de la galerie : il avait en effet refusé de poser le pied aux États-Unis tant que durerait la guerre du Viêt Nam. Il coexiste ensuite pendant trois jours avec un coyote sauvage, récemment capturé dans le désert du Texas, qui attend derrière un grillage. Avec lui, Beuys joue de sa canne, de son triangle et de sa lampe torche. Il porte son habituel chapeau de feutre et se recouvre d’étoffes, elles aussi en feutre, que le coyote s’amuse à déchirer. Chaque jour, des exemplaires du Wall Street Journal, sur lesquels le coyote urine, sont livrés dans la cage. Filmés et observés par les visiteurs derrière un grillage, l’homme et l’animal partageront le feutre, la paille et le territoire de la galerie avant que l’artiste ne reparte comme il était venu.

Pour certains[Qui ?], Beuys, à travers cette action, souligne le fossé existant entre la nature et les villes modernes ; par le biais de l’animal, il évoque aussi les Amérindiens décimés dont il commémore le massacre lors de la conquête du pays. Le coyote cristallise ainsi les haines, et est considéré comme un messager. Pour d’autres[Qui ?], Beuys engage ici une action chamanique. Il représente l’esprit de l’homme blanc et le coyote celui de l’Indien. Le coyote est un animal intelligent, vénéré jadis par les Indiens d’Amérique et qui fut persécuté, exterminé par les Blancs. Ainsi, Beuys essaie de réconcilier l’esprit des Blancs et l’esprit des Indiens d’Amérique. Il parle même de réconciliation karmique du continent nord-américain.

La canne est pour lui le symbole de l’Eurasie unie en un continent solidaire.

Beuys ouvre la voie par cette démonstration à une nouvelle forme de réflexion artistique : il est « conducteur » au même titre que ses matériaux de prédilection.

Rencontre avec le dalaï-lama

En 1978, l'artiste néerlandaise Louwrien Wijers interviewa Joseph Beuys sur l'avenir de l'art, de la religion et de l'économie, qui lui suggéra de poser les mêmes questions à Andy Warhol, lequel lui suggéra à son tour d'interroger le dalaï-lama. Louwrien Wijers se rendit à Dharamsala, en Inde du Nord, et trouva des points communs dans les visions de Beuys, d'Andy Warhol et du dalaï-lama, qui déclara comprendre Beuys et que son œuvre concerne l'impermanence[16]. Joseph Beuys proposa que la documenta de Cassel invite le dalaï-lama pour donner au Tibet un statut d’exemplarité planétaire d’une nouvelle entité basée sur un esprit de paix, l’égalité, la fraternité, la solidarité économique, ainsi qu'une véritable démocratie. Pour préparer cette audience, suivant la suggestion émise le à Paris par l'artiste de Fluxus Robert Filliou, qui pratiquait le bouddhisme tibétain, Beuys rencontra Sogyal Rinpoché, qui visita son atelier à l'académie des beaux-arts de Düsseldorf le . La rencontre entre Beuys et le dalaï-lama eut lieu le à Bonn[17] et soixante artistes y participèrent dont Robert Filliou. En 1990, après la mort de Joseph Beuys et de Robert Filliou, un colloque ayant pour thème la rencontre de l'art, de la science et de la spiritualité dans une économie changeante se tint au Stedelijk Museum, à Amsterdam, auquel participa notamment le dalaï-lama[18].

Interrogations et polémiques autour du centenaire

En 2021, 21 musées allemands organisent des expositions hommage pour célébrer le centenaire de la naissance de l'artiste. À cette occasion, les interrogations sur l'idéologie et l'attitude de Beuys sont posées au travers de la biographie[19] que lui a consacré l'auteur et artiste Hans Peter Riegel en 2013, où il accuse Beuys d'être « un menteur en série »[20], qui fit œuvre d'anciens combattants, recyclant l'anthroposophie de Steiner à travers les concepts nationalistes et racistes « d'âme, de guérison, de résurrection, de génie allemand »[21] ou bien un activiste écologiste dont l'héritage est partagé de Marina Abramović à Greta Thunberg et Edward Snowden comme le propose une exposition à Düsseldorf[21],[22].

Riegel insiste aussi sur les troubles psychiatriques dont souffrait Beuys, qui s'exprime par une mythomanie duale : d'un côté une personnalité qui se veut avant-gardiste, mais qui est profondément attachée au passé, romantique et conservatrice dans le culte germaniste du héros. Il rejoint les critiques qui, déjà du vivant de Beuys, le considéraient comme un charlatan[23] ou comme celle du critique Benjamin Buchloh qui considérait que Beuys était un artiste superficiel qui n'avait jamais pris au sérieux Auschwitz[24].

Expositions notables

L'une des salles Joseph Beuys au Museum für Gegenwart du Hamburger Bahnhof à Berlin.

Notes et références

  1. Prononciation en allemand standard (haut allemand) retranscrite selon la norme API.
  2. L'accident qui coûte la vie au pilote Hans Laurinck, est décrit dans la lettre de deuil qu'écrit le soldat Joseph Beuys à la mère du pilote. La lettre a été publiée le 12 juillet 2013 par (de) Ulrike Knöpfel, « Flug in die Ewigkeit », Der Spiegel, 2013, p. 118-123 (lire en ligne).
  3. (de) Hans Peter Riegel, Beuys : Die Biography, Berlin : Aufbau Verlag, 2013.
  4. Lies, contradictions and great art: Joseph Beuys at 100, Edouardo Simontob, 12 mai 2021, expatica.com/ch
  5. Beuys Biography Book Accuses Artist of Close Ties to Nazis , Ulrike Knöfel, 17 mai 2013, spiegel.de
  6. Joseph Beuys, ligne à ligne, feuille à feuille, Musée d'Art moderne de Paris, Paris, 2021-2022.
  7. Joseph Beuys, Volker Harlan, Qu'est ce que l'art, L'Arche, Paris, 1992, (ISBN 978-2-85181-306-0), p. 48-52.
  8. Pure invention : il ne l'a jamais passé ayant abandonné l'école avant.
  9. Pure invention : il a été successivement mitrailleur puis radio, et s'est engagé volontairement.
  10. Pure fiction, il n'a reçu aucune médaille.
  11. Joseph Beuys, Volker Harlan, Qu'est-ce que l'art, L'arche, Paris, 1992 (ISBN 2-85181-306-4), p. 153.
  12. Cat Joseph Beuys, Musée National de Stockholm, Stockholm, 1971.
  13. Itzhak Goldberg, La légende feutrée de Beuys, L'Œil, décembre 2021, p. 49-53.
  14. (en) Cat. exp. Joseph Beuys, Introduction, Musée Solomon R. Guggenheim, New York, 1979, p. 7.
  15. (de) André Chahil: Wien 1985: Phänomen Fax-Art. Beuys, Warhol und Higashiyama setzen dem Kalten Krieg ein Zeichen., sur andrechahil.com.
  16. (en) Matthew Stone interviews Louwrien Wijers, 10 juin 2010.
  17. (en) Chris Thompson, Felt: Fluxus, Joseph Beuys, and the Dalai Lama, Univ of Minnesota Press, 2011, (ISBN 0816653550), p. 146-148.
  18. Le Labo1_ferdinand(corte)™
  19. (de) Hans Peter Riegel, Beuys die Biography, Riverside Publishing, 242 p.
  20. (en) Ulrike Knöfel, « Book accuses artist of close ties to the nazis », Spiegel, le 17/05/2013 (lire en ligne).
  21. Jûrgen Moïses, « Un homme qui polarise », 8/05/2021 (lire en ligne).
  22. (en) « From Marina Abramovic to Greta Thunberg: the legacy of Joseph Beuys lives on », The Artnewspaper.
  23. « Mais à l’autre bord, orphisme, purisme, abstractions théosophiques, et jusqu’au chamanisme de Joseph Beuys, de ces mouvements qui prétendaient paver la voie de la Cité future et dresser la silhouette de l’Homme nouveau, on découvre aujourd’hui la part d’obscurité, l’occultisme et la lecture hâtive de Steiner ou de Carl G. Jung. Leur abracadabra rend l’air de ces utopies souvent irrespirable. » in Clair Jean, « Le surréalisme entre spiritisme et totalitarisme. Contribution à une histoire de l'insensé », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2003/1 (n° 21), p. 77-109. DOI : 10.3917/mnc.021.0077 (lire en ligne).
  24. Edouardo Simantob, « Mensonges, contradictions et grand art : Joseph Beuys à 100 ans », swissinfo.ch, le 12 mai 2021 (lire en ligne).

Annexes

Bibliographie

  • (de) Hiltrud Oman, Joseph Beuys. Die Kunst auf dem Weg zum Leben, Munich : Heyne, 1998 (ISBN 3-453-14135-0).
  • (en) Bernard Lamarche-Vadel, Joseph Beuys. Is it about a bicycle?, Paris, Marval/Paris, galerie Beaubourg/Vérone, Sarenco-Strazzer, 1985.
  • Heiner Stachelhaus, Joseph Beuys : une biographie, traduit de l’allemand par Xavier Carrère, Clémence Guibout et Jean-Yves Masson, New York-Londres-Paris, Abbeville Press, 1994.
  • Florence de Mèredieu, Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne et contemporain, Paris : Bordas, 1994 ; Paris : Larousse, 1999, rééditions augmentées, 2004, 2017.
  • Alain Borer, Joseph Beuys. Un panorama de l’œuvre, Lausanne : La Bibliothèque des Arts, 2001.
  • Rhea Thönges-Stringaris, Joseph Beuys : La Révolution, c'est nous, Athènes : Pataki, 2010 (ISBN 9789601630793) (Joseph Beuys : Die Revolution sind wir).
  • Maïté Vissault, Der Beuys Komplex. L’identité allemande à travers la réception de l’œuvre de Joseph Beuys (1945-1986), Dijon : Les Presses du réel, 2010 (ISBN 978-2-84066-412-3).
  • Joseph Beuys, Par la présente je n'appartiens plus à l'art, Paris : L'Arche, 1988.
  • (de) Beuys Brock Vostell. Aktion Demonstration Partizipation 1949-1983, Karlsruhe : ZKM - Zentrum für Kunst und Medientechnologie/Hatje Cantz, 2014 (ISBN 978-3-7757-3864-4) (lire en ligne).
  • Eric Valentin, Joseph Beuys. Art, politique et mystique, Paris, L'Harmattan, 2014 (ISBN 978-2-343-03732-5).
  • (de) Hans Peter Riegel, Beuys die Biography, Riverside Publishing, 2013-2021, 242 p.

Iconographie et filmographie

Liens externes

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