Clérico-nationalisme

Le clérico-nationalisme ou nationalisme canadien-français traditionnel[1],[2] désigne un courant idéologique québécois qui fut important durant les années succédant à la Première Guerre mondiale jusqu'à la fin des années 1950 avec l'avènement de la Révolution tranquille. Il s'agit essentiellement d'une idéologie nationaliste, catholique et conservatrice. Bien que très minoritaire, cette idéologie existe toujours chez certains groupes identifiés à la droite conservatrice tels que Tradition-Québec[3].

Le Carillon Sacré-Coeur, drapeau combinant des éléments nationaux et catholiques

Historique

Cette forme de nationalisme remonte à la défaite des Patriotes. Avec l'Acte d'Union, les Canadiens français perdent l'autonomie qu'ils avaient obtenue avec l'Acte constitutionnel. Le nationalisme libéral et politique des Patriotes se transforme alors en nationalisme plutôt axé sur la culture. Après l'établissement de la confédération canadienne, un nationalisme canadien basé sur l'égalité entre les deux groupes linguistiques et culturels canadiens et englobant le nationalisme culturel canadien-français est véhiculé par certains Canadiens français[4]. Les plus importants de ceux-ci sont Henri Bourassa, les éditorialistes de son journal Le Devoir et la Ligue des droits du français. Par la suite, la forme la plus accomplie de l'idéologie clérico-nationaliste fut diffusée par Lionel Groulx et la Ligue d'Action française. À la suite de nombreux conflits avec les Canadiens anglais, tel que la lutte entourant le Règlement 17, elle devint pour les Canadiens français une idéologie plus importante que le nationalisme canadien[4].

Lionel Groulx

Selon Lionel Groulx, les Canadiens français forment une nation distincte. Tout comme Henri Bourassa, il croit que celle-ci peut exister dans une nation politique canadienne plus large[5], mais contrairement à ce que croit Bourassa[6], elle doit être l'attachement principal des Canadiens français. Celle-ci dispose d'un État autonome dans la province de Québec, qu'ils doivent diriger puisqu'ils y sont majoritaires et qu'ils y ont un droit historique[7]. Le Québec est la petite patrie des Canadiens français qui fait partie de la grande patrie qu'est le Canada[8]. Le clérico-nationalisme de Lionel Groulx s'oppose à l'impérialisme britannique. Politiquement, il prône l'indépendance du Canada et l'autonomie du Québec[5]

Le projet clérico-nationaliste est orienté systématiquement vers le passé. Lionel Groulx croit que la Providence divine est responsable de la création de la nation canadienne-française et continue de la guider au long de son histoire[9]. La nation a la vocation d'évangéliser l'Amérique du Nord. L'idéologie fait la promotion d'un rigoureux traditionalisme. Le nation peut progresser, mais doit rester dans les lignes de son histoire, puisque ces lignes sont tracées par Dieu et en sortir mettrait la nation en danger mortel. En plus de son caractère missionnaire et de sa recherche d'autonomie, une de ces lignes est la vocation agricole et le mode de vie rurale du peuple. La ville est perçue comme un endroit où les Canadiens français sont poussés dans le prolétariat par la bourgeoisie anglophone[10].

Avec Groulx et la Ligue de la défense du français, le clérico-nationalisme adopte des positions intransigeantes et puristes pour la défense de la langue française. En matière culturelle et littéraire, Groulx et ses confrères restent foncièrement traditionalistes et loin des courants modernistes français et européens en général. Ils se font les promoteurs d'une littérature du terroir, conservatrice et nationaliste qui s'oppose, à la même époque, aux tenants de l'exotisme ou parisianisme (École littéraire de Montréal) lequel se caractérise par la recherche esthétique (l'art pour l'art) en excluant toute forme d'engagement patriotique.

Rigoureusement catholique et représenté surtout par des membres du clergé, ce courant défend les valeurs traditionnelles comme la famille (respect de la hiérarchie, soumission de la femme à l'autorité de son mari, natalisme).

À partir des années 1930, d'autres courants nationalistes québécois plus radicaux (laïques ou indépendantistes) vont se constituer et contribueront à réduire l'influence du clérico-nationalisme. C'est le cas notamment des mouvements animés par Paul Bouchard ou Adrien Arcand et le groupe des Jeune-Canada. Durant les années 1940, l'opposition se fait plus vive encore à l'idéologie incarnée par la génération de Groulx; les jeunes artistes de Refus global rassemblés autour de Paul-Émile Borduas rejettent violemment le clérico-nationalisme qu'ils jugent réactionnaire et se veulent résolument modernes, anticléricaux, voire révolutionnaires. Cette contestation aura peu d'effet en son temps, mais la génération de la Révolution tranquille retrouvera, à bien des égards, l'héritage de cette nouvelle forme d'engagement qui ouvre la porte au marxisme et aux idées d'extrême gauche.

Après le règne de Duplessis, le clérico-nationalisme - souvent associé à la Grande noirceur - disparaît progressivement au profit du libéralisme incarné notamment par Jean Lesage. Sans toutefois avoir été dominante, cette idéologie incarnée par Lionel Groulx et ses continuateurs durant près d'un demi-siècle constitue un courant d'idées influent dans l'histoire du Québec au XXe siècle. Le clérico-nationalisme a fédéré de nombreux intellectuels et des acteurs appartenant à différents milieux nationalistes dont la vocation était la défense de la tradition canadienne-française face à la montée du libéralisme, du laïcisme, de l'essor de la vie urbaine et du capitalisme dans la province. Les oppositions et les débats souvent passionnés qu'il a suscités peuvent être considérés comme le creuset principal de la réflexion sur la modernité, l'influence du catholicisme dans la vie politique et l'idée de progrès au Québec à une époque charnière de son histoire.

Bibliographie

  • Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, "Le courant clérico-nationaliste", dans Histoire du Québec contemporain. De la confédération à la crise (1867-1929), Montréal, Boréal, "Compact", 1989, t. 1, p. 700-707.

Références

  1. Gérald Fortin, « Le nationalisme canadien-français et les classes sociales », Revue d'histoire de l'Amérique française, , p. 528 (lire en ligne)
  2. Jean-Claude Dupuis, Le siècle de Mgr Bourget, Lévis, Fondation littéraire Fleur de Lys, , 492 p. (lire en ligne), p. 257
  3. « Qui sommes-nous? », sur Tradition-Québec
  4. « Nationalisme canadien-français | l'Encyclopédie Canadienne », sur www.thecanadianencyclopedia.ca (consulté le )
  5. Lionel Groulx, L'indépendance du Canada, Montréal, L'Action nationale, , 175 p. (lire en ligne), p. 170-175
  6. « Biographie – BOURASSA, HENRI – Volume XVIII (1951-1960) – Dictionnaire biographique du Canada », sur www.biographi.ca (consulté le )
  7. Lionel Groulx, Directives, Montréal, Éditions du Zodiaque, , 270 p. (lire en ligne), p. 22-23
  8. Lionel Groulx, L'enseignement français au Canada. I - Dans le Québec, Montréal et Paris, Les Éditions Leméac et les Éditions d'Aujourd'hui, , 327 p., p. 302-303
  9. Lionel Groulx, Directives, Montréal, Éditions du Zodique, , 270 p. (lire en ligne), p. 239
  10. Lionel Groulx, Directives, Montréal, Éditions du Zodiaque, (lire en ligne), p. 208-232

Voir aussi ...

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