Conflit sénégalo-mauritanien

Entre 1989 et 1991, le conflit sénégalo-mauritanien a opposé le long du fleuve Sénégal deux pays riverains, le Sénégal et la Mauritanie.

Conflit sénégalo-mauritanien
Image NASA de la vallée du fleuve Sénégal avec le Sénégal au sud et la Mauritanie au nord
Informations générales
Date
(2 ans, 3 mois et 9 jours)
Lieu Frontière sénégalo-mauritanien
Issue Retour au statu quo ante bellum
Changements territoriaux Uti possidetis juris
Belligérants
Mauritanie Sénégal
Forces de Libération Africaines de Mauritanie (en)
Commandants
Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya Abdou Diouf
Forces en présence
14 000 hommes[1],[2]10 000 hommes[1],[2]
Pertes
Plusieurs centaines de mortsPlusieurs centaines de morts
Civils :
250 000 déplacés et réfugiés[3]

Cette crise s'est soldée par la rupture de leurs relations diplomatiques pendant plusieurs années, des milliers de victimes dans les deux pays, des milliers de réfugiés de part et d'autre, sans parler des répercussions non négligeables sur la politique intérieure sénégalaise. Elle a marqué durablement les relations entre les différentes communautés.

Origines du conflit

Depuis plusieurs siècles, la région du fleuve est habitée à la fois par des populations noires autochtones peul, wolof, bambara mais aussi soninké et des populations arabo-berbères en provenance du Nord. Les périodes de sécheresse successives accentuent encore ces mouvements migratoires et les nomades maures tendent à se sédentariser, notamment dans les villes. Les actions de l'OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), et notamment la construction des barrages tel celui de Diama, altèrent encore l'équilibre précaire entre éleveurs et agriculteurs. En Mauritanie, la réforme foncière de 1983 renforce la place de l'État et s'éloigne des régimes coutumiers, soulevant avec plus d'acuité le problème des nombreux paysans transfrontaliers. En parallèle, le pays, soucieux de renforcer son identité au sortir de l'indépendance, a renforcé ses liens avec le monde arabe, alors que le Sénégal reste attaché à la francophonie.

C'est ainsi que le poids de l'histoire et notamment de la colonisation par ses délimitations artificielles, les affrontements inter-ethniques, la dégradation de l'environnement physique et économique, conduisent dès 1988 à une dégradation des relations entre les deux États qui, d'incident en incident, durcissent leurs positions respectives. Une situation explosive se crée, que ne manqueront pas d'attiser les médias, prompts à privilégier la dimension ethnique du conflit[4].

Chronologie des événements

Le , Diawara, une localité du Sénégal oriental, est le théâtre d'un nouvel accrochage entre des bergers peuls mauritaniens et des paysans soninké sénégalais. L'armée mauritanienne intervient, deux Sénégalais sont tués, plusieurs grièvement blessés, et une douzaine retenus en otages.

Du 21 au 24 avril à Dakar, ce sont des commerçants maures blancs qui voient leurs boutiques pillées et incendiées, des professionnels maures noirs sont brûlés vifs dans les fours de leur «dibiterie» (mechoui) ou encore sauvagement décapités. Les Maures qui étaient à Kaolack ont été protégés par la Confrérie Tijaniyya des Niasse qui a assuré leur retour sains et saufs en Mauritanie [5]. Il en est de même des Chefs religieux relevant de la Qadiriyya (pour l'essentiel descendants de Cheikh Saad Bouh).

Fin avril, des dizaines de sénégalais sont tués ou mutilés à Nouakchott et dans plusieurs autres villes mauritaniennes, et lorsque les rapatriements ont commencé, les Maures ont fait l'objet de vives représailles à partir du 28 avril. À ce moment-là, le chiffre officiel est de 60 victimes. Chaque pays entreprend alors de rapatrier ses ressortissants, grâce à un pont aérien mis en place par la France, l'Algérie, l'Espagne et le Maroc[6],[7].

L'état d'urgence et le couvre-feu sont instaurés sur la région de Dakar afin de contrôler une foule surexcitée. L'escalade est évitée. C'est en ce moment qu'Abdou Diouf président de la république du Sénégal ordonna à l'armée sénégalaise de protéger les ressortissants mauritaniens en les amenant au bataillon du train pour assurer leur rapatriement en Mauritanie. 160 000 Mauritaniens et 70 000 Sénégalais sont rapatriés à ce moment-là.

Le , les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues, elles ne seront rétablies qu'en avril 1992. La frontière sénégalo-mauritanienne est rouverte le .

Bilan et conséquences

Les derniers réfugiés mauritaniens rentrent du Sénégal (2012)

Ces départs massifs perturbent l'équilibre de la vallée du fleuve, entraînant notamment une baisse de la production agricole et un accroissement de la déforestation. En Mauritanie, le secteur du bâtiment et la pêche maritime, traditionnellement assurés par les sénégalais, souffrent de ces expulsions. Sur la rive gauche, le retour des réfugiés provoque une surcharge des infrastructures (points d'eau, équipements sanitaires) déjà saturées. Le département de Podor voit sa population croître de 13,6 %, celui de Matam de 12 %. La population de certains villages double.

De nombreuses associations et partis se créent pour venir en aide aux réfugiés, mais l'aide internationale se tarit peu à peu, et leur sort reste aujourd'hui le problème le plus préoccupant. Selon le HCR – l'organisme international principal qui dès le début a pris en mains l'accueil des expulsés –, des réfugiés sont toujours établis le long du fleuve Sénégal[8]. En 2007, le Président de la Mauritanie, alors candidat, s'est prononcé en faveur du retour de ses compatriotes vivant au Sénégal et au Mali contre leur gré[9].

Sur le plan de la politique intérieure du Sénégal, le conflit a pu contribuer à l'ascension du PDS et d'Abdoulaye Wade. Il a également servi de révélateur à la crise sociale par l'afflux des réfugiés. Le pays s'est trouvé fragilisé par rapport à ses voisins. Le problème du tracé de la frontière avec la Guinée-Bissau s'est posé dans la foulée, puis les difficultés avec la Gambie ont conduit à la dissolution de la Confédération de Sénégambie en 1989.

Enfin cet épisode de l'histoire contemporaine a marqué durablement les esprits et nourri quelques ressentiments de part et d'autre.

Notes

  1. (en) « New cattle migration accord cools long-standing flashpoint », Réseaux d'information régionaux intégrés, (consulté le )
  2. (en) Rone Tempest (en), « In Senegal and Mauritania, Ethnic Conflict Rages Amid Talk of War » [archive du ], Los Angeles Times,
  3. (en) « Mauitanian-Senegalese Border War 1989-1991 » [archive du ], sur OnWar.com
  4. Institut Panos, Journalisme et conflits dans la vallée du fleuve Sénégal, 1996
  5. Politique africaine, no 55, La Mauritaniel, Karthala, Collectif, 1994.
  6. Christine Dauré-Serfaty, La Mauritanie, L'Harmattan, , 239 p. (ISBN 978-2-7384-1911-8, lire en ligne), p. 204.
  7. Philippe Marchesin, Tribus, ethnies et pouvoir en Mauritanie, Paris, Karthala Éditions, , 437 p. (ISBN 978-2-8111-0286-9, lire en ligne), p. 214.
  8. « HCR : La Mauritanie prête à autoriser 20 000 réfugiés à rentrer du Mali et du Sénégal »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?)
  9. « Retour des réfugiés mauritaniens »,

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • (en) J. V. Magistro, « Crossing Over: Ethnicity and Transboundary Conflict in the Senegal River Valley », Cahiers d'études africaines, XXXIII-2 (130), p. 201-232
  • (en) R. Parker, « The Senegal-Mauritania Conflict of 1989: a Fragile Equilibrium », Journal of Modern African Studies, no 29, 1 (1991), p. 155-171
  • (fr) Livre blanc sur le différend avec le Sénégal, Nouakchott, République Islamique de Mauritanie, 1989, 79 p. (supplément Chaab, 31 août 1989)
  • (fr) Journalisme et conflits dans la vallée du fleuve Sénégal, publication tirée du séminaire "Environnement et gestion de l'espace frontalier dans la Vallée du fleuve Sénégal : quelles responsabilités des journalistes en matière de prévention des conflits?", organisé par l'Institut Panos et l'université de Saint-Louis du Sénégal, du 8 au 18 août 1994, Paris, L'Harmattan, 1996, 172 p. (ISBN 2-738-44532-2)
  • (fr) Charles Becker et André Lericollais, « Le problème frontalier dans le conflit sénégalo-mauritanien », Politique africaine, no 35, 1989, p. 149-155
  • (fr) Abdoulaye Mamadou Dia, Les conflits entre sédentaires et nomades dans la vallée du Sénégal (Fuuta Tooro) de la fin de la conquête coloniale à l’indépendance de la Mauritanie et du Sénégal. Approche critique des sources, Dakar, Université Cheikh Anta Diop, 1990, 42 p. (Mémoire de DEA)
  • Momar Coumba Diop, Mamadou Diouf et Abdou Diouf, Le Sénégal sous Abdou Diouf : Etat et sociéte, Paris, Karthala, , 436 p. (ISBN 978-2-865-37275-1, lire en ligne), « Le conflit sénégalo-mauritanien », p. 387-404.
  • Marion Fresia, Les Mauritaniens réfugiés au Sénégal : une anthropologie critique de l'asile et de l'aide humanitaire, Paris, L'Harmattan, , 379 p. (ISBN 978-2-296-21909-0, lire en ligne) (texte remanié d'une thèse de doctorat d'Anthropologie sociale et ethnologie, EHESS, Paris, 2005)
  • (fr) Christian Santoir, « Les Peul "refusés". Les Peul mauritaniens réfugiés au Sénégal (département de Matam) », Cahiers des sciences humaines, 1990, vol. 26, no 4, p. 577-603
  • (fr) Christian Santoir, « D'une rive à l'autre. Les Peul mauritaniens réfugiés au Sénégal (département de Dagana et Podor) », Cahiers des sciences humaines, 1990, vol. 29, no 1, p. 195-229
  • (fr) J. Schmitz, « Anthropologie des conflits fonciers et hydropolitiques du fleuve Sénégal (1975-1991) », Cahiers des Sciences humaines, 1993, vol. 29, no 4, p. 591-623
  • Céline Vandermotten, Géopolitique de la vallée du Sénégal : les flots de la discorde, Paris, L'Harmattan, coll. « Études africaines », (ISBN 978-2-747-55855-6), p. 165
  • (fr) Mariella Villasante, "Conflits, violences politiques et ethnicités en République islamique de Mauritanie. Réflexions sur le rôle des propagandes à caractère raciste dans le déclenchement des violences collectives de 1989", Studia Africana 12, Barcelone, 2001 : 69-94.
  • (fr) Mariella Villasante, "La Négritude: une forme de racisme hérité de la colonisation française? Réflexions sur l'idéologie négro-africaine en Mauritanie", in Marc Ferro (dir.), "Le Livre Noir des Colonisations", Paris, Robert Laffont, 2003: 726-761.

Liens externes

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