Démosthène

Démosthène (en grec ancien Δημοσθένης / Dêmosthénês), né à Athènes en , mort à Calaurie en , est un homme d'État athénien. Grand adversaire du roi de Macédoine Philippe II, au travers notamment de ses quatre Philippiques, il est considéré comme l'un des plus grands orateurs de l'Antiquité.

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Démosthène
Buste de Démosthène, copie romaine d'une statue de Polyeucte, musée du Louvre.
Fonction
Ambassadeur
Biographie
Naissance
Décès
Nom dans la langue maternelle
Δημοσθένης
Époque
Dème
Activité
Mère
Cléoboulé (d)
Parentèle
Gylon (en) (grand-père maternel)
Démon (d) (neveu)
Œuvres principales

Ses problèmes d'élocution lui valent le surnom de « bègue », défaut qui selon la légende l'a contraint à s'entraîner à parler avec des cailloux dans la bouche.

Biographie

Jeunesse

Démosthène naît dans une famille athénienne riche et commerçante, ce qui lui vaut le mépris des vieilles familles aristocratiques ; son père, Démosthène de Péanie, possède une manufacture d'épées[1]'[2]. Sa mère aurait été d'origine scythe[1],[3], mais ce ne fut jamais attesté et resta une accusation calomnieuse et polémique de la part de ses adversaires lors des tensions avec la Macédoine de Philippe II (si ce fait avait été avéré, cela lui aurait ôté ses droits de citoyen). À sept ans, il devient orphelin. Son père, par testament, l'a confié à trois tuteurs : deux de ses neveux, Aphobos et Démophon, et un certain Thérippide (à ne pas confondre avec l'envoyé de Sparte en Eubée). Ses tuteurs dilapident sa fortune, par erreur de gestion ou par intention malhonnête. Le jeune homme se retrouve sérieusement appauvri.

Il est d'abord élève de Platon[4]. À seize ans, il assiste au procès intenté à Callistratos, en 367, et devient son élève[5]. Fasciné par le talent de l'orateur, il décide d'apprendre la rhétorique et devient l'élève d'Isée[5], un autre orateur attique qui s'était spécialisé dans les affaires de succession. Selon Plutarque, lors de son premier discours en public, l'assistance se moque de son problème d'élocution  vraisemblablement une difficulté à prononcer la lettre R  et de ses gestes maladroits.

« Il fut en butte aux clameurs et aux moqueries à cause de son style insolite, dont on jugeait les périodes tarabiscotées et les raisonnements poussés avec trop de rigueur et forcés à l'extrême. Il avait d'ailleurs, semble-t-il, une voix faible, une élocution confuse et un souffle court, qui rendait difficile à saisir le sens de ses paroles, obligé qu'il était de morceler ses périodes. »

 Plutarque, Vie de Démosthène, 9.

Démosthène s'efforce alors de rectifier ces défauts, allant jusqu'à s'entraîner à parler avec de petits galets dans la bouche (anecdote remise en cause par Patrice Brun[6]), ou même en s'exerçant à dominer de la voix le bruit d'une mer furieuse. Il s'enferme régulièrement chez lui pour étudier le style de Thucydide. À cause de toutes ces préparations, et de sa réticence à improviser, les autres orateurs lui reprochent souvent de « sentir la lampe » et de n'avoir aucun don naturel.

Le fait est que pendant la suite de sa carrière, Démosthène accorde toujours beaucoup d'importance à la forme du discours. Plutarque rapporte ainsi :

« Un homme, à ce que l'on raconte, vint le trouver pour lui demander de le défendre et lui expliqua qu'on l'avait battu : « Allons donc, lui dit Démosthène, tu n'as pas été victime de ce que tu me dis. » Alors, l'homme élevant la voix et criant : « Moi, Démosthène, je n'en ai pas été victime ? » — « Par Zeus, reprit-il, maintenant j'entends la voix d'une victime. » Telle était l'importance qu'il accordait au ton et au jeu de ceux qui parlent pour obtenir créance. »

 Plutarque, Vie de Démosthène, 16.

Logographe

Démosthène intente une série de procès contre ses anciens tuteurs, avec son premier discours judiciaire, Contre Aphobos, suivi du Contre Onètor. Pourparlers et discussions durent trois années au bout desquelles il gagne enfin sa cause en 363 av. J.-C., mais ne peut recouvrer qu'une partie de son héritage initial.

Démosthène se lance ensuite dans la carrière de son maître Isée[5]. Il la mène avec un certain succès puisqu'il a comme clients certains des plus riches Athéniens, comme Phormion, pour lequel il écrit le Pour Phormion. L'affaire porte sur la somme considérable de 20 talents.

Contre Philippe

Statue représentant Démosthène, copie romaine d'un original grec.

À 25 ans, Démosthène fait de nouveau une apparition publique avec deux discours politiques. Les deux, Contre Leptine et Contre les immunités, sont dirigés contre une proposition de loi interdisant d'excepter aucun citoyen des liturgies, sauf les descendants d'Harmodios et d'Aristogiton, les tyrannoctones, assassins du tyran Hipparque.

À partir de 351 av. J.-C., Démosthène s'attaque à un défi d'une toute autre ampleur : il s'efforce de combattre le pouvoir grandissant du roi de Macédoine Philippe II dont le royaume, jusque-là périphérique, est devenu la puissance majeure du monde égéen. Le Macédonien vient d'intervenir en Thrace, menaçant ainsi les clérouquies d'Athènes et ses routes d'approvisionnement en blé. Les Athéniens sont démoralisés et enclins au défaitisme.

C'est alors que Démosthène prononce sa première Philippique. Il commence par montrer à ses concitoyens que la situation n'est mauvaise qu'en raison de leur inactivité, et qu'inversement un sursaut d'énergie peut renverser les choses. En pratique, il propose d'envoyer un corps expéditionnaire en Macédoine même. Démosthène s'oppose donc, par son volontarisme, à la politique défensive prônée par l'orateur Euboulos. La majorité du peuple suit ce dernier.

Parallèlement, la cité d'Olynthe, alliée de Philippe, s'inquiète elle aussi de l'accroissement du pouvoir du Macédonien. Elle a commencé à se rapprocher d'Athènes et a même signé une paix séparée pendant l'hiver 352/351. En 349, Philippe exige d'Olynthe qu'elle lui remette deux réfugiés politiques macédoniens. Devant le refus de la cité, il envahit la Chalcidique. Olynthe appelle aussitôt Athènes à l'aide.

Démosthène soutient la requête de la cité dans sa première Olynthienne (c'est-à-dire son premier discours, sa première intervention oratoire concernant la cité d'Olynthe), où il pointe de nouveau du doigt l'inaction de ses concitoyens. Il propose un plan double : le premier volet consiste à aider Olynthe en lui envoyant un contingent. Le second propose de nouveau de frapper le royaume même du Macédonien. Si les Athéniens concluent bien un traité d'alliance avec Olynthe, ils rechignent à expédier des troupes, effrayés par la perspective d'une guerre avec Philippe. Pour achever d'emporter leur assentiment, Démosthène prononce sa seconde Olynthienne, dans laquelle il entend démontrer la fragilité de la puissance de Philippe : ses alliés se retourneront contre lui, promet-il, au premier échec. Ce second discours n'est suivi d'aucune mesure effective, aussi Démosthène compose-t-il sa troisième Olynthienne, attaquant la loi d'Euboulos : cette loi imposait de transférer les excédents du μερισμός / merismós (sorte de budget de la cité) au fonds des spectacles, le θεωρικόν / theôrikón, alors que depuis Thémistocle ils étaient affectés aux dépenses militaires de la cité. Les Athéniens refusent d'abroger cette loi, mais votent l'envoi de secours — si faibles qu'ils n'empêchent pas Olynthe de capituler.

Avant même la chute d'Olynthe, Philippe a proposé la paix à Athènes, sans doute parce qu'il préfère se consacrer à l'expansion vers le sud et l'est. En réponse, l'orateur Philocrate fait voter un décret autorisant le Macédonien à envoyer des hérauts. Démosthène est associé depuis le début aux entreprises de Philocrate. Il ne s'agit pas d'une volte-face : l'orateur entend profiter de ce répit pour renforcer les défenses d'Athènes. Parallèlement, Athènes approche les cités grecques, en leur proposant un sursaut panhellénique anti-macédonien. Cette initiative connaît l'échec, dans une relative indifférence athénienne. En effet, la cité a désormais le regard tourné vers les protagonistes de la troisième guerre sacrée. Pour empêcher une intervention macédonienne, les Phocidiens confient la garde du défilé des Thermopyles aux Spartiates et aux Athéniens. La menace directe sur la Grèce centrale et le Péloponnèse semble écartée. De nouveau, Athènes envoie des ambassades pour fédérer les cités grecques, que ce soit pour la guerre ou pour la paix. Un retournement de situation survient alors : un nouveau coup d'État fait revirer les Phocidiens en faveur de Philippe. Les contingents spartiate et athénien se voient interdire l'accès aux Thermopyles. Une ambassade comprenant Démosthène et Eschine est envoyée d'urgence à Philippe, dans l'espoir de conclure une paix. Eschine prétendra que « Démosthène fut si décontenancé devant Philippe qu'il bafouilla un discours inintelligible »[7]. Démosthène doit donc de nouveau consentir une paix temporaire, compte tenu de la faiblesse dans laquelle se trouve Athènes.

Dès 344, la deuxième et la troisième Philippique exhortent de nouveau les Grecs à réagir :

« Ce qui me frappe, c'est que tous aujourd'hui, — à commencer par vous, — oui, tous lui concèdent ce qui, de tout temps, a fait le sujet de toutes les guerres en Grèce. Quoi donc ? Le droit de mutiler et de détrousser à son gré tous les Grecs l'un après l'autre, celui d'attaquer les villes et de les réduire en esclavage. […] Et pourtant, tous les actes injustes qui ont pu être commis, soit par les Lacédémoniens pendant ces trente années, soit par nos ancêtres en soixante-dix ans, n'égalent pas, Athéniens, le mal que Philippe, depuis moins de treize ans qu'il a émergé de son obscurité, a infligé aux Grecs ; ou plutôt ils ne sont rien en comparaison. »

 Démosthène, IIIe Philippique, II, 21

Malgré l'alliance avec Thèbes, Athènes et les cités grecques sont vaincues à Chéronée en 338.

Démosthène continue à plaider en faveur de la résistance au Macédonien, par exemple dans son Oraison funèbre des morts de la guerre. Nommé commissaire chargé de la surveillance des travaux de reconstruction des fortifications, Démosthène y contribue sur sa propre fortune. En 337, son allié Ctésiphon propose que la cité lui décerne une couronne d'or, lors des Grandes Dionysies, pour ses mérites. Eschine, un autre des orateurs attiques, attaque le projet comme illégal dans son Contre Ctésiphon : Démosthène n'a en effet pas rendu de compte à l'issue de son mandat. Si Eschine a raison d'un point de vue juridique, il s'agit de toute évidence d'attaquer Démosthène sur ses idées politiques. Démosthène écrit lui-même le discours de son admirateur : c'est le Sur la couronne, probablement son chef-d'œuvre. Eschine, désavoué, doit s'exiler pour ne pas subir une lourde peine.

Fin

La Mort de Démosthène (1879) par Alfred-Henri Bramtot, ENSBA.

En 324 av. J.-C., c'est au tour de Démosthène lui-même de prendre le chemin de l'exil, à la suite de l'« affaire d'Harpale » : il est accusé d'avoir détourné une partie de l'argent placé sous séquestre par le trésorier d'Alexandre, Harpale. Il doit se retirer à Égine, puis à Trézène. Il est rappelé à Athènes par le peuple en 323, à la suite de la mort d'Alexandre le Grand. Il y prononce de nouveau des discours anti-macédoniens, mais la défaite de Crannon, lors de la guerre lamiaque, le force de nouveau à fuir, cette fois en compagnie de l'orateur Hypéride, pour échapper aux soldats d'Antipater.

En 322, il se réfugie dans le temple de Poséidon situé dans l'île de Calaurie (aujourd'hui Poros), le long de la côte de l'Argolide. Plutarque rapporte qu'il est abordé dans le temple par un dénommé Archias, ancien acteur et affidé d'Antipater. Celui-ci veut attirer Démosthène hors de l'enceinte sacrée en lui promettant la vie sauve. Démosthène refuse, et prétendant écrire une lettre à sa famille, s'empoisonne en mordillant l'extrémité de son calame, comme il avait l'habitude de le faire en réfléchissant.

« Démosthène, sûr désormais que le poison avait bien pénétré et était en train d'opérer, se découvrit et, fixant son regard sur Archias : « Tu peux maintenant, lui dit-il, te hâter de jouer le Créon de la tragédie et faire jeter ce corps sans sépulture. Pour moi, ô cher Poséidon, je sors encore vivant de ton temple, tandis qu'Antipater et les Macédoniens n'ont même pas respecté la pureté de ton temple. » Sur ces mots, il pria qu'on le soutînt, parce que déjà il tremblait et chancelait, et dès qu'il fut sorti et eut dépassé l'autel, il tomba et rendit l'âme dans un gémissement[8]. »

À sa mort, Démosthène possède 14 talents, somme considérable qui le met en position d'être astreint aux liturgies. Pour l'essentiel, il s'agit d'esclaves, de matières premières et de créances maritimes.

Engagement politique de Démosthène

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L’hermès de Démosthène sur la place du marché d'Athènes, v.  , Glyptothèque de Munich.

Conceptions politiques

La dénonciation du danger macédonien constitue la clef de l'œuvre politique de Démosthène. Selon lui, la puissance de Philippe est fondée sur deux facteurs, ses richesses tout d'abord (sous forme de réserves d'or), puis sa tactique inédite. Démosthène explique ainsi dans la Troisième Philippique (50) :

« Quand vous apprenez que Philippe se porte ici ou là, selon qu'il lui plaît, ce n'est pas en y menant une phalange d'hoplites ; non ; troupes légères, cavalerie, archers, mercenaires, tel est le genre d'armée qui le suit partout. […] Inutile d'ajouter qu'il ne fait aucune différence entre l'hiver et l'été et qu'il n'y a pas pour lui de saison réservée, où il suspende ses opérations. »

Démosthène constate qu'en face, les Athéniens se distinguent par leur immobilité, leurs tergiversations et leurs pinaillages politico-législatifs. À ce sujet, Démosthène dénonce avec vigueur les travers du système démocratique athénien : tout doit être longuement expliqué, débattu et voté avant qu'une action puisse se mettre en place. Il accuse les « politiques » (πολιτευόμενοι / politeuómenoi) d'asservir le peuple à leurs desseins, alors qu'auparavant le peuple lui-même était maître de son destin. De fait, il est difficile de cerner exactement la position de Démosthène vis-à-vis des institutions athéniennes. Parfois, il se rapproche des démocrates modérés, en s'opposant par exemple à la perception par le peuple d'une indemnité pour les spectacles. Parfois, il se place parmi les radicaux en dénonçant l'égoïsme des riches Athéniens qui refusent d'armer des trières et des troupes.

Accusations

Une forte tradition a vu en Démosthène un homme guidé par l'appât du gain. De nombreuses anecdotes font part de son amour de l'argent. La Vie des dix orateurs raconte qu'entendant un acteur se vanter d'avoir gagné un talent pour jouer la tragédie, Démosthène réplique qu'il vient d'en gagner cinq fois plus, simplement pour se taire[9]. Plutarque note qu'il se compromet d'abord, dans l'affaire d'Harpale, en se laissant offrir par ce dernier une riche coupe perse valant vingt talents[10].

Eschine et Dinarque, pour leur part, accusent tout bonnement Démosthène d'avoir été à la solde des Perses. Plutarque rapporte cette tradition, expliquant que le Grand Roi payait l'orateur « parce qu'il était capable de détourner le Macédonien d'Asie et de le retenir en fomentant des troubles en Grèce »[11]. Dinarque accuse même Démosthène de recevoir chaque année 1 000 médimnes de blé des souverains du royaume du Bosphore[12].

Postérité

La postérité de Démosthène n'a pas suivi les accusations de corruption : les Athéniens lui ont érigé une statue quarante ans après sa mort. Le décret affirme ainsi que « de tous les hommes politiques de son temps, il est celui qui a le mieux défendu la liberté et la démocratie ». Les Modernes en ont fait le héros de l'indépendance et de la résistance face à l'oppression tyrannique. Pendant la Seconde Guerre mondiale, des résistants français ont pu ainsi s'identifier à l'orateur, et donner à Adolf Hitler le nom de Philippe.

Les critiques modernes ont plutôt porté sur l'aveuglement de Démosthène face au « sens de l'Histoire » : en défendant l'indépendance des cités grecques, et en particulier Athènes, face à la Macédoine, il n'aurait fait que porter à bout de bras une structure politique déjà périmée. Par ailleurs, une meilleure appréhension de l'histoire de la Macédoine a remis en cause la perception de Philippe comme un barbare brutal et sournois.

Même si on accrédite la notion de « sens de l'Histoire » (que Démosthène aurait certainement laissé en apanage aux défaitistes) la grandeur de Démosthène résiderait dans le fait qu'il lutta toute sa vie durant pour sa patrie, pour son indépendance et pour sa liberté, car il avait choisi « la voie droite et juste »[13]. Sa disparition dramatique n'eut pas l'effet voulu par les Macédoniens : Démosthène, jusque dans la mort, fut fidèle à lui-même, et c'est certainement ce qui provoque le plus une admiration sans cesse renouvelée à travers les siècles.

Art de Démosthène

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Pour les Grecs, Démosthène est le plus grand de tous les orateurs ; on l'appelle même simplement « l'Orateur »[réf. nécessaire], comme on dit « le Poète » pour Homère. Cicéron le considère comme le premier des orateurs grecs, et le pseudo-Longin, dans son Traité du Sublime, en fait un des phares qui éclairent le travail de l'écrivain.

Curieusement, l'art rhétorique de Démosthène est rien moins qu'orthodoxe. Ses discours bouleversent l'ordre traditionnel des parties du discours (exorde, narration, preuve et épilogue). Il joue beaucoup des métaphores, comparaisons et autres paradoxes. Surtout, il compte sur les changements de ton, tantôt familier, tantôt solennel, tantôt jouant sur les sentiments, tantôt calme et posé comme Thucydide, dont il admire la prose. Il n'hésite pas à manipuler son public, l'invectivant ou l'interrogeant tour à tour.

Ulpien raconte une anecdote à propos de son discours Sur la couronne dans lequel Démosthène accuse Eschine d'être acheté par Alexandre le Grand :

« Je ne t'appellerai pas hôte de Philippe ni ami d'Alexandre ; je ne suis pas assez fou pour cela ; à moins qu'on ne doive appeler les moissonneurs ou ceux qui font quelque autre chose moyennant salaire, amis et hôtes de ceux qui les paient. Mais je t'appelle salarié de Philippe autrefois, et maintenant d'Alexandre. »

S'adressant au public, il demande :

« Athéniens, Eschine vous semble-t-il être le salarié ou bien l'hôte d'Alexandre ? »

Ce faisant, il prononce volontairement mal le mot μισθωτός / misthôtós, (« laquais, stipendié »), accentuant l'ante-pénultième syllabe au lieu de la dernière. Sur ce, dans la foule, des cris s'élèvent aussitôt pour rectifier l'erreur : « μισθωτός μισθωτός » — et Démosthène de conclure : « Tu entends ce qu'ils disent ».

Aujourd'hui encore, le terme de « philippique » désigne une harangue hargneuse contre quelqu'un. Cicéron lui rendra hommage trois siècles plus tard en baptisant « philippiques » ses propres diatribes contre Marc-Antoine.

Œuvres

Démosthène pratiquant l'art oratoire par Jean-Jules-Antoine Lecomte du Nouÿ ; pour renforcer sa voix, Démosthène s'exerce contre le bruit des vagues.

Nous avons conservé de Démosthène environ une soixantaine de discours et un ensemble de six lettres adressées au peuple athénien. Cependant, l'authenticité d'une grande partie d'entre eux est discutée, surtout en ce qui concerne les discours civils qu'il a écrits en tant que logographe.

Genre délibératif

Les discours délibératifs (λόγοι συμϐουλεύτικοι / lógoi symbouleútikoi) traitent de questions politiques et sont donnés devant une assemblée. Cette catégorie comprend les discours suivants :

  • les quatre Philippiques (Κατὰ Φιλίππου / Katà Philíppou, littéralement « Contre Philippe »). Elles forment une série de discours prononcés entre 351 et 341 av. J.-C. Démosthène y dénonce les ambitions du roi de Macédoine et critique la passivité des Athéniens. Ces discours marquent l'apogée de la rhétorique grecque athénienne ;
  • les trois Olynthiennes (Ὀλυνθιακός / Olunthiakós). Il s'agit de discours visant à convaincre les Athéniens de secourir Olynthe assiégée par Philippe ;
  • Sur la paix (Περὶ τῆς εἰρήνης / Perì tễs eirếnês) ;
  • Sur l'île d'Halonèse (Περὶ τῆς Ἁλονήσου / Perì tễs Halonếsou) ;
  • Sur les affaires de Chersonèse (Περὶ τῶν ἐν Χερσονήσῳ πραγμάτων / Perì tỗn en Khersonếsôi pragmatỗn) ;
  • Sur la lettre de Philippe (Ὁ πρὸς τὴν ἐπιστολὴν Φιλίππου / Hò pròs tền epistolền Philíppou) ;
  • Sur la couronne[14]. Considéré par les modernes comme le discours où Démosthène montre le plus ses qualités oratoires, il est prononcé en soutien à Ctésiphon contre Eschine qu'il accuse de corruption. Il y défend avec ardeur et avec un côté visionnaire la politique préconisée dans la guerre contre Philippe. Afin de faire réagir le public, il rappelle deux événements : la panique à Athènes après l'annonce de l'arrivée imminente de l'armée macédonienne et la bataille de Marathon qui a forgé l'imaginaire historique des Grecs.

Genre épidictique

Les discours épidictiques (λόγοι ἐπιδείκτικοι / lógoi epideíktikoi) ont pour but de faire changer d'avis le public, en influençant ses valeurs et ses croyances. Nous n'avons que deux discours de Démosthène de ce type. Le premier est l'oraison funèbre pour les morts de Chéronée, le second une apologie de la beauté du jeune Épicrate.

Genre judiciaire

Les discours judiciaires (λόγοι δικάνικοι / lógoi dikánikoi) sont des plaidoiries d'accusation ou de défense. On peut distinguer ceux qui ont rapport avec les affaires de l'État et les discours civils. Ces derniers sont les cinq discours prononcés par Démosthène dans ses procès contre ses tuteurs, ainsi que son travail de logographe, comprenant onze discours. Parmi les premiers, le plus important est le Sur la couronne (Περὶ τοῦ Στεφάνου / Perì toũ Stephánou), qui est son dernier discours public, dans lequel il prend la défense de Ctésiphon accusé par Eschine.

Discours perdus

La perte des discours de Démosthène peut être attribuée soit à l'improvisation, soit à la négligence de l'orateur pour les publier, soit aux ravages du temps. Il est possible de faire cette énumération des discours perdus d'après Westermann (Histoire de l'Éloquence grecque et romaine, tome 1, p. 305).

  • Διφίλῳ δημηγορικός. - Ce Diphile demandait une récompense publique. V. Den. d'Halic. Din. xi; Dinarq. c. Démosth. t. iv, p. 33, des Orat. gr. de Reiske.
  • Κατὰ Μέδοντος. — Poll. 8, 53. Harpocr. v, δεκαστεύειν.
  • Πρὸς Πολύευκτον παραγραγή. — Bekker. Anecd. p. 90, 28.
  • Περὶ χρυσίου. — Défense devant l'Aréopage, dans l'affaire d'Harpalos. Quelle perte ! Athen., XIII, 27.
  • Ἀπολογία τῶν δώρων. - Den. d'Halic. 1re lettre à Amm. Démosth. LVII.
  • Περὶ τοῦ μὴ ἐκδοῦναι Ἅρπαλον. — Id. Des rhéteurs, contemporains de Denys, attribuaient à tort, selon lui, ces deux dernières harangues à Démosthène. On n'avait peut-être plus celles qu'il avait réellement composées. — Bekk. Anecd., p. 335, 30.
  • Περὶ Κριτίαν περὶ τοῦ ἐνεπισκήμματος (?).
  • Ὑπερ ῥητόρων. — Suid. v. ἅμα. Diodore dit que Démosthène avait préparé avec soin ce discours (λόγον πεφροντισμένον, xvii, 5. Plut., Vie de Démosth., c. 23.
  • Ὑπερ Σατύρου τῆς ἐπιτροπῆς πρὸς Χαρίδημον (?). - Phot. Myriobibl. c. 265, p. 491, B.

Il convient d'ajouter les discours suivants, d'après la traduction de Stiévenart (Œuvres complètes de Démosthène et d'Eschine, Firmin Didot, 1861, p. 44-45) :

  • Discours sur la défense des insulaires (Den. Halic. ep. ad Amm. I, 10). Ce morceau n'est probablement pas la seconde partie de la Première Philippique.
  • Harangue prononcée à Thèbes pour réfuter Python de Byzance. – Plut. et Diod., d'après Démosth. lui-même.
  • Plusieurs autres discours prononcés à Thèbes. — Plut. Har. aux Athéniens, à la nouvelle de la prise d'Élatée — Démosth l'avait probablement écrite, puisqu'il en cite un long morceau dans le plaidoyer pour la Couronne.
  • Réfutation improvisée contre Lamachos aux Jeux olympiques. — Plut.
  • Accusation contre Antiphon l'incendiaire, soutenue devant l'Aréopage. — Plut., d'après Démosth. sur la Cour. Défense d'un décret de Philocrate. - Esch. sur l'Ambass.
  • Accusation contre la prêtresse Théoris. — Plut.
  • Sa défense victorieuse lorsqu'il fut accusé de malversation dans l'achat de blés. — Plut. X Or. Dém.
  • Discours prononcés dans plusieurs cités du Péloponnèse, pour les soulever contre la Macédoine. — Plut. etc.
  • Apologie de son administration, après la défaite de Chéronée. — Plut. etc.
  • Plaidoyer d'après Plutarque (de Glor. Athen.) : πρὸς Ἀμαθούσιον περὶ ἀνδραπόδων[15]. Cette dernière harangue contenait peut-être une défense de la motion d'Hypéride tendant à accorder le droit de cité aux étrangers après la grande victoire de Philippe[réf. nécessaire].

Honneurs

Notes et références

  1. Lucien de Samosate 2015, p. 435.
  2. Pour une biographie de Démosthène voir : Auguste-Aimé Boullée, Vie de Démosthène, (lire en ligne).
  3. Eschine le lui reprochera plus tard
  4. Aulu-Gelle, Les Nuits attiques, III, 13 : « Démosthène, pendant sa jeunesse, lorsqu'il était disciple de Platon, ayant entendu, par hasard, l'orateur Callistratos prononcer un discours dans l'assemblée du peuple, quitta l'école du philosophe pour suivre l'orateur. Démosthène, dans sa première jeunesse, allait souvent à l'Académie, où il suivait assidûment les leçons de Platon. Un jour Démosthène, sortant de chez lui pour se rendre, selon sa coutume, à l'école de son maître, voit un nombreux concours de peuple ; il en demande la cause : on lui répond que cette multitude court entendre Callistratos. Ce Callistratos était un de ces orateurs publics d'Athènes que les Grecs appellent démagogues. Démosthène se détourne un instant de sa route pour s'assurer si le discours qui attirait tant de monde était digne d'un tel empressement. Il arrive, il entend Callistratos prononcer son remarquable plaidoyer sur Orope. Il est si ému, si charmé, si entraîné, qu'aussitôt, abandonnant Platon et l'Académie, il s'attache à Callistratos »
  5. Lucien de Samosate 2015, p. 862.
  6. « Redécouvrir Démosthène avec Patrice Brun » (consulté le )
  7. Sur l'ambassade, 34-35.
  8. Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] [lire en ligne], Démosthène, 35.
  9. Démosthène, Vie des dix orateurs, 848B.
  10. Plutarque, Démosthène, 25, 1-2.
  11. Plutarque, Démosthène, 20.
  12. Dinarque, Contre Démosthène, 44.
  13. Démosthène, Sur la Couronne[réf. incomplète].
  14. Voir la traduction de Georges Mathieu (Démosthène, Sur la couronne, Les Belles Lettres, coll. « Classiques en poche », (ISBN 2-251-79948-6).
  15. Plutarque dit encore : ὅ τι τοὺς ἐποίκους ἔγραψεν : quae de inquilinis scripsit

Annexes

Sources

Bibliographie

  • Démosthène (traduction Georges Mathieu), Sur la couronne, Les Belles Lettres, coll. « Classiques en poche », (ISBN 2-251-79948-6).
  • Émile Chambry, Émeline Marquis, Alain Billault et Dominique Goust (trad. Émile Chambry), Lucien de Samosate : Œuvres complètes, Paris, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1248 p. (ISBN 978-2-221-10902-1). 
  • Pierre Carlier, Démosthène, Fayard, Paris, 1990. (ISBN 978-2213630922)
  • Jean Luccioni, Démosthène et le panhellénisme, PUF, Paris, 1961.
  • Georges Mathieu, Démosthène, l'homme et l'œuvre, Boivin, Paris, 1948.
  • Gilberte Ronnet, Étude sur le style de Démosthène dans les discours politiques, Paris, 1951.
  • Suzanne Saïd, Monique Trédé et Alain Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Premier Cycle », (ISBN 2130482333 et 978-2130482338).
  • Georges Clemenceau, Démosthène, Plon, 1926
  • Patrice Brun, Démosthène : rhétorique, pouvoir et corruption, Paris, Armand Colin, , 333 p. (ISBN 978-2-200-60266-6)

Articles connexes

Liens externes

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