Faïence de Nevers

La faïence de Nevers est une production céramique de la région de Nevers qui connaît un fort développement à partir de la fin du XVIe siècle lorsque Louis Gonzague, duc de Nevers, fait venir des faïenciers d'Italie. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la faïence de Nevers est à son apogée. Concurrencée par la faïence anglaise et par la porcelaine, elle connaît ensuite un fort déclin avant d'être relancée à la fin du XIXe siècle.

L'une des caractéristiques de la faïence de Nevers est un décor vitrifié en même temps que l'émail du support, ce qui exclut les retouches. Si les premières pièces sont réalisées dans un style italien, les décors évoluent au cours du XVIIe siècle, empruntant non seulement à la tradition française mais aussi à l'iconographie flamande, persane et chinoise. Au XVIIIe siècle, la faïence devient plus populaire avec une production de pièces patronymiques puis, sous la Révolution, des faïences patriotiques.

Historique

Origines

La France connaît la faïence stannifère depuis le début du XIIIe siècle[1]. Pendant la première moitié du XVIe siècle, à la suite des guerres d'Italie et sous l'influence de céramistes venus de ce pays, la faïence se développe en France sous la forme d'un artisanat de luxe, notamment pour la réalisation de pavements[1]. Cependant ces réalisations gardent un statut d'exception et ne conduisent pas à une production suivie et à un artisanat pérenne[2]. Cet artisanat se pérennise au cours de la seconde moitié du XVIe siècle, à Lyon[2] et dans des villes du sud-est de la France comme Nîmes, Montpellier ou Avignon[3].

Alors que Nevers a déjà une activité de poterie non émaillée, la ville développe son activité de faïencerie à partir de la fin du XVIe siècle grâce à Louis Gonzague[4]. Originaire d'Italie, devenu duc de Nevers en 1565 par son mariage avec Henriette de Clèves, Louis Gonzague fait venir d'Italie Augustin Conrade, potier d’Albissola en Ligurie, et ses frères, Baptiste et Dominique qu'il installe avant 1588 au château du Marais à Gimouille. Leur réputation et leur réussite deviendront telles, que Nevers s'affirmera au XVIIe siècle comme capitale française de la faïence.

La matière première, argile, marne et sable, se trouve sur place[4]. Le bois du Morvan permet de chauffer les fours[4]. La Loire et le canal de Briare permettent d'acheminer et de diffuser la production.

XVIIe et XVIIIe siècle

Les Conrade s'associent à d'autres artisans et emploient des potiers locaux[4],[5], ils ouvrent plusieurs faïenceries[5]. Ils obtiennent en 1603 le monopole de la fabrication de faïence pour trente ans[4]. De 6 au début du XVIIe siècle[5], le nombre d'ateliers à Nevers augmente progressivement atteignant 9 au milieu du XVIIe siècle[5] puis 12 vers le milieu du XVIIIe siècle[6]. À son apogée, l'activité faïencière occupa plus de 500 personnes[7]. Si la première période de la faïence de Nevers est artisanale, avec de pièces dans le style italien[6],[5], la fabrication des faïences s'industrialise à partir du milieu du XVIIe siècle, en même temps que le style des faïences évolue[6],[5].

XIXe siècle

La faïence de Nevers connaît un important déclin au XIXe siècle en raison d'une double concurrence apparue à la fin du siècle précédent. D'une part, le traité commercial de 1786 avec l'Angleterre ouvre la France aux importations de faïences anglaises[6]. La faïence de Nevers fait alors face à la production anglaise plus légère et moins cher[6],[8]. D'autre part la production de porcelaine se développe en Europe à partir de la fin du XVIIIe siècle, en particulier en France à Sèvres et à Limoges, et vient concurrencer les faïenceries[8],[9]. Les faïenceries de Nevers ferment au point qu'en 1881 seule subsiste la manufacture du Bout du monde[7]. En 1881 Charles-Pierre Fieffé est nommé conservateur du Musée de la faïence et des Beaux Arts de Nevers. Dès sa prise de fonction il fait ouvrir une salle spéciale pour les faïences patriotiques. Les collections passeront de 21 à 230 pièces[10]. En 1885, la publication des Faïences patriotiques nivernaises[11] couronne son travail de conservateur. Co-écrit avec Adolphe Bouveault et préfacé par Champfleury, l'ouvrage fait l' objet de comptes rendus élogieux dans les revues d'art parisiennes, comme Gil Blas[12] ou Le Figaro qui le reconnait comme «une autorité en la matière»[13].

XXe et XXIe siècle

La production de faïence à Nevers est relancée à la fin du XIXe siècle par Antoine Montagnon qui a racheté la manufacture du Bout du monde[9]. La faïencerie Montagnon, qui emploie une cinquantaine d'ouvriers au début du XXe siècle, essaime et de nouvelles faïenceries sont ouvertes à Nevers[7].

Si au début du XXIe siècle, six faïenceries, employant une trentaine de personnes, étaient encore en activité à Nevers[14],[15], seuls deux ateliers subsistent en 2017[16].

Caractères stylistiques

La faïence de Nevers est une faïence de « grand feu » qui exclut les retouches, le décor et l'émail stannifère du support étant vitrifiés en même temps. L'émail a un éclat bleuté au XVIIe siècle et blanc pur au XVIIIe siècle. Les coloris utilisés sont spécifiques : pas de rouge ni de noir, remplacés par l'orange (jaune obscur) et par le brun.

Les premières faïences produites à Nevers sont réalisées dans le style italien, avec des décors historiés[4] polychromes. Ce type de décor perdurera pendant tout le XVIIe siècle mais dès le milieu du siècle, les décors vont commencer à se franciser en empruntant non seulement à la tradition française mais aussi à l'iconographie flamande, persane et chinoise[4]. Par leurs créations originales, les faïenciers de Nevers vont influencer au XVIIe siècle l'ensemble de la production française de faïence en apportant un style nouveau de décors qui sera repris dans tout le pays[4].

Plat à décor persan, 1670-1680.

Outre les décors polychromes dans le style italien, les faïenciers de Nevers développent les camaïeux et en particulier les camaïeux à fond bleu profond, teinté dans la masse, sur lequel sont appliqués les motifs[17]. Ces camaïeux sont notamment utilisés pour obtenir des décors persans, avec des dessins de fleurs ou d'oiseaux inspirés de la céramique d'Iznik[18]. Si les décors persans sont souvent à dessin blanc sur fond bleu, ils sont plus rarement réalisés avec fond vert ou orange[18] ou encore avec un décor vert sur fond blanc. Ces décors persans créés à partir de 1630 sont surtout destinés à l'aristocratie.

Dans les années 1640 apparaissent des décors pastoraux, à la suite notamment du succès de L'Astrée[19],[20]. Les faïenciers de Nevers dessinent également des scènes de chasse et de pêche, des scènes de vie ou des paysages occidentaux[21]. Le décor Nivernais apparaît en 1650, fait de divers dessins en bleu sur fond blanc.

Plat au décor chinois bleu et blanc, fin XVIIe siècle.

Alors qu'au XVIIe siècle se développe le commerce avec la Chine, dans le dernier quart du siècle les formes et les motifs chinois renouvellent la faïence de Nevers[22]. Les faïenciers imitent, d'abord fidèlement, les porcelaines Ming bleues et blanches ramenées par les commerçants des Pays-Bas, avant de s'approprier les décors d'inspiration chinoise[23]. Le décor chinois, essentiellement en bleu sur fond blanc, est produit de 1660 à 1760.

Assiette en faïence de Nevers à décor révolutionnaire, 1791, représentant un noble et un ecclésiastique. Musée Lambinet, Versailles.

Au XVIIIe siècle, la faïence prend un ton plus populaire avec une abondante production de pièces patronymiques. Sous la Révolution, Nevers réalise de nombreuses faïences patriotiques caractéristiques.

Les faïenceries

La plupart des faïenciers de Nevers se sont installés rue de la Tartre (aujourd'hui rue du 14 Juillet)[5]. Plusieurs dynasties de faïenciers ont marqué Nevers, c'est le cas des Conrade, des Bourcier, des Seguin, des Enfert, des Perronny et des Custode XVIIe et XVIIIe siècle ou des Montagnon à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle.

Les Conrade (Conrado) sont venus de la Province de Gênes. Augustin fut le premier et a été notamment rejoint par Baptiste et Dominique. Antoine Conrade étant considéré comme le plus talentueux, la confrérie avait sa fête pour la saint Antoine.

Les Bourcier, venus de la Charité sur Loire, connurent quatre générations. Barthélémy Bourcier (mort en 1676) fut émailleur de la reine Marie de Médicis de 1626 à 1631 et son fils Jean fut peintre. Barthélémy Bourcier fut un grand artiste en contact avec Abaquesne, le grand maître rouennais, ainsi que des disciples directs de Bernard Palissy. Il fut peut-être l'objet d'une cabale et de l'inimitié de Richelieu. Il fut chassé de la Cour en 1632 et revint alors en Nivernais.

Les Seguin, parents des Bourcier, du XVIIe au XVIIIe siècle, donnèrent plusieurs maîtres faïenciers dont Jean (mort en 1680) et Guillaume (mort en 1714).

Les Custode, dont Pierre, sont d'origine italienne. Pierre Custode achète en 1637 la fabrique de l'Autruche, fondée en 1630 par Pierre Blanchet, il s'associe avec Esme Godin et la maison Custode durera jusqu'en 1795 environ. Ce sont les Custode qui ont probablement illustré le mieux les décors persans à dessins blancs sur fond bleu intense que certains ont appelé le « Bleu Custode ».

La manufacture du Bout du monde, fondée en 1648, est la faïencerie qui perdurera le plus longtemps, jusqu'en 2015[8]. Elle aura connu 25 dirigeants en 367 années d'existence[8]. Parmi ces dirigeants, quatre générations de Montagnon, famille qui a racheté la manufacture à Henri Signoret[8] qui en fut propriétaire de 1853 à 1875[24]. C'est Henri Signoret qui, le premier, signa sa production d'un nœud vert qui fut par la suite adopté par ses concurrents[24].

La faïencerie Georges trouve son origine en 1898 lorsque les frères Marest ouvrent leur atelier. Leur atelier est repris par Félicien Cottard en 1908, il invente la signature au double nœud vert qui restera la marque de la maison. Ouvrier de Félicien Cottard, Émile Georges prend sa succession en 1926. Puis c'est son épouse Marguerite et son fils André qui lui succèdent, suivis en 1991 de Jean-Pierre et Catherine Georges et, à partir de 2010, de Carole Georges et Jean-François Dumont[25].

Notons qu'après avoir effectué son apprentissage chez Emile et son épouse Marguerite Georges, Gisèle Schadeck épouse Bachelier maitre faïencier a géré la faïencerie Georges de 1961 à 1991.

Alors que six faïenciers étaient encore en activité à Nevers au début du XXIe siècle[14], seuls deux faïencerie subsistent en 2017[16] :

  • la faïencerie d’art de Nevers (Clair Bernard) ;
  • la faïencerie Georges (Jean-François Dumont et Carole Georges).

Christine Girande, qui exerçait son activité rue du 14-Juillet depuis 1991, quitta Nevers en 2004[26]. La faïencerie Montagnon a fermé en 2015[27] et la Faïence bleue (Laetitia Welch) ferme en 2017 après 21 ans d'activité rue du 14-Juillet[16].

Bibliographie

  • Françoise Estienne, « À propos d'une étude sur un centre de production de faïence en France : Nevers », Histoire, économie et société, 1989, 8e année, n°1, p. 45-60 (lire en ligne, consulté le ).
  • Jean Rosen, La Faïence de Nevers : 1585-1900, Dijon, Éditions Faton, 2009 - 2011 (ISBN 978-2-87844-123-9 et 978-2-87844-143-7)
  • Dictionnaire biographique des céramistes nivernais (ISBN 978-2-9533974-0-6)
  • Gustave Mohler (ISBN 978-2-9533974-2-0)
  • Biographie de Jean-Baptiste Motret manufacturier en faience à Nevers (ISBN 978-2-9533974-8-2)

Articles connexes

Notes et références

  1. Jean Rosen, La Faïence de Nevers : 1585-1900, t. 2, p. 12
  2. Jean Rosen, La Faïence de Nevers : 1585-1900, t. 2, p. 13
  3. Jean Rosen, La Faïence de Nevers : 1585-1900, t. 2, p. 14
  4. Françoise Estienne 1989, p. 46
  5. Gérald Dardart, [PDF] « Les Gonzague implantent la faïence à Nevers », Carolo mag' (magazine mensuel de la mairie de Charleville-Mézières), février 2010
  6. Guy Badillet, « Faïences de Nevers et Marine de Loire », 2007
  7. Cristine Perruchot, « Montagnon fait renaître la faïencerie », publié par Les Échos le 11 juillet 2003
  8. Dominique Romeyer, « Vingt-cinq dirigeants se sont succédé à la tête de la faïencerie Montagnon en 367 ans », publié par Le Journal du Centre le 19 mai 2015
  9. « Le fonds Montagnon s'installe au musée » sur le site du département de la Nièvre
  10. Jean-Marie Catonné, « Charles-Pierre Fieffé, conservateur des musées de la Nièvre », Bulletin 2020 de la Société Scientifique et Artistique de Clamecy,
  11. Charles-Pierre Fieffé, Adolphe Bouveault, Les Faïences patriotiques nivernaises, Nevers, Imprimerie nivernaise,
  12. Paul Ginisty, « La Curiosité », Gil Blas, , page 2 (lire en ligne)
  13. Philippe Gille, « Revue bibliographique », Le Figaro, , page 5 (lire en ligne)
  14. Yvonne Ollier, « Faïence de Nevers » sur le site regards.asso.fr
  15. « Un label pour un avenir très qualitatif », Le Journal de Saône-et-Loire, mis en ligne le mardi 5 décembre 2000
  16. Lara Payet, « Désormais, Nevers ne compte plus que deux faïenceries », publié le 1er avril 2017 sur le site du Journal du Centre
  17. Françoise Estienne 1989, p. 53 et 57
  18. Françoise Estienne 1989, p. 57
  19. Françoise Estienne 1989, p. 54
  20. Voir par exemple le Plat circulaire à aile large représentant le combat de Filandre et du Maure au musée du Louvre, inspiré de l'Astrée d'Honoré d'Urfé.
  21. Françoise Estienne 1989, p. 55 et 56
  22. Françoise Estienne 1989, p. 58
  23. Françoise Estienne 1989, p. 54 et 55
  24. « François-Henri Signoret » sur le site faiencedenevers.fr (consulté le 8 mai 2017)
  25. « Faïencerie Georges » sur le site faiencedenevers.fr (consulté le 31 mai 2017)
  26. « Christine Girande » sur le site faiencedenevers.fr (consulté le 31 mai 2017)
  27. « Montagnon » sur le site faiencedenevers.fr (consulté le 31 mai 2017)
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