Guerre nucléaire

La guerre nucléaire, ou guerre atomique, est l'utilisation d'armes nucléaires en temps de guerre pour infliger des dégâts majeurs à l'ennemi.

Décollage d'un missile V2 sur le site d'expérimentations de Peenemünde sur la mer Baltique, le .
Avec l'avènement de l'ère géopolitique de la guerre froide, la récupération de la technologie allemande des missiles balistiques devient la priorité absolue des deux grandes superpuissances : le centre de recherches balistiques de Peenemünde ainsi que le site de production de Dora-Nordhausen seront examinés sous toutes les coutures par les services secrets américains et soviétiques après la chute du IIIe Reich. Réaliser la synthèse entre ce vecteur et l'arme nucléaire fut atteint en 1957 avec l'apparition des ICBMs : lanceur R-7 et fusée Atlas.

Par rapport à la guerre conventionnelle, la guerre nucléaire est capable de causer des dommages sur une échelle beaucoup plus importante, et en bien moins de temps. Les frappes nucléaires peuvent entraîner de graves effets à long terme, essentiellement dus aux retombées radioactives, mais également à cause du haut degré de pollution atmosphérique qui pourrait installer un hiver nucléaire durant des décennies, voire des siècles. Ainsi, on considère une guerre nucléaire, souvent évoquée dans le cadre d'une hypothétique Troisième Guerre mondiale, comme un risque majeur pour l'avenir de la civilisation moderne et de l'humanité en général.

Formation du champignon atomique à la suite d'une explosion atomique.

Historique

Ouvrage majeur de la science-fiction des années , paru en 1914, La Destruction libératrice de H. G. Wells est le premier grand roman où l'on imagina l'utilisation de l'arme atomique[1]. L'utilisation de l'atome à des fins militaires a fait une entrée fracassante dans la réalité historique avec les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, les 6 et . La destruction de ces villes par une seule arme, au lieu des milliers de tonnes de bombes conventionnelles utilisées jusque-là dans les bombardements stratégiques, puis le syndrome d'irradiation aiguë provoqué par les radiations ont marqué les esprits.

L'invention de la bombe H dans les années , avec une capacité de destruction permettant de dévaster des régions entières sur le coup et empoisonner l'environnement à long terme, a donné aux grandes puissances la capacité de détruire une grande partie de la civilisation, dans le dangereux contexte de la guerre froide.

La guerre nucléaire a failli se produire par accident à de nombreuses occasions : à quatorze reprises entre et entre les États-Unis et l'Union soviétique, à la suite de fausses alertes, d'erreurs humaines ou informatiques ; parmi celles-ci, onze ont été des incidents durant la phase la plus critique de la crise des missiles de Cuba[2],[3].

Aux heures les plus graves du conflit frontalier sino-soviétique de 1969, des sources soviétiques attestent qu’une attaque nucléaire contre Lob Nor a été envisagée : Henry Kissinger, dans ses mémoires À la Maison-Blanche[4],[5], écrit qu'en janvier , le Président Nixon fut consulté par les Soviétiques sur une éventuelle frappe préventive sur les installations nucléaires chinoises, ce qu'il refusa.

En , durant la guerre du Kippour, des rumeurs non confirmées indiquent qu'Israël était prêt à faire usage de l'arme atomique, alors que la situation sur le front du Golan était critique.

En , une défaillance des systèmes d'alerte soviétiques faillit amener à une frappe préventive qui ne fut évitée que par la décision de Stanislav Petrov d'ignorer l'alarme.

À la suite d'attentats, la confrontation conventionnelle et nucléaire atteint son paroxysme en mai-juin entre l'Inde et le Pakistan. Il s'agit alors de la plus grande menace de guerre nucléaire depuis la crise de Cuba en .

A contrario, on a appris qu'en (et/ou) en , la carte personnelle du Président des États-Unis Bill Clinton, contenant les codes nucléaires, aurait disparu pendant plusieurs mois ; l’ancien président Jimmy Carter, durant sa présidence entre et , aurait oublié la sienne dans un costume qui avait été envoyé chez le nettoyeur[6],[7].

La prolifération nucléaire, tant au niveau des puissances nucléaires que des pays cherchant à produire ou à acquérir l'arme, ou des organisations terroristes cherchant à se procurer des bombes sales, est un phénomène qui accroît le risque d'une guerre nucléaire déclenchée par accident ou erreur. Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de et les accords créant des zones exemptes d'armes nucléaires ont permis de limiter ce risque.

Stratégie

La dissuasion nucléaire constitue un des faits majeurs de la guerre froide, non que l’arme nucléaire en soit à l’origine, mais parce qu’elle joue un rôle central dans les relations internationales. Dans ce contexte, la théorisation de stratégies d'utilisation ou de non-utilisation de l'arme nucléaire occupe une part importante des cercles d'études des grandes puissances.

En raison de la multiplication des acteurs et des vecteurs nucléaires pouvant mettre en jeu ce que certains appellent l'arme ultime, y compris les groupes non étatiques pouvant provoquer un terrorisme nucléaire, les stratégies de guerre nucléaire sont extrêmement diverses allant, entre autres, d'une riposte totale pour toute agression (Doctrine Dulles) à des attaques graduées (Doctrine MacNamara) dans le cadre du Single Integrated Operational Plan pour les États-Unis ou à une politique du « faible au fort » pour la France.

Projection d'une attaque américaine de suppression
de la défense antimissile soviétique en 1968*
Cible Arme Ogive Total
Type Nombre Type Puissance (kt) Ogive Puissance (kt)
Système de Moscou
Radar Dunay Polaris A3 2 W58 200 6 1 200
8 complexes de lancement d'ABM Minuteman I/II 64 W56 1 000 64 64 000
Sous-total 66 70 65 200
Système de Tallin
Complexe de lancement de Tallin Minuteman I/II 8 W56 1 000 8 8 000
Complexe de lancement de Liepaja Minuteman I/II 8 W56 1 000 8 8 000
Complexe de lancement de Tcherepovets Minuteman I/II 8 W56 1 000 8 8 000
Complexes de lancement de Leningrad Minuteman I/II 24 W56 1 000 24 24 000
Sous-total 48 48 48 000
Radars d'alerte précoce**
Radar Dnestr (Skrunda-1) Polaris A3 2 W58 200 6 1 200
Radar Dnestr (Olenegorsk) Polaris A3 2 W58 200 6 1 200
Sous-total 4 12 2 400
Total 118 130 115 600
*Source : History of U.S. Strategic Air Command January-, , p. 300
**Deux autres radars sont installés près de la Chine et ne peuvent détecter des lancements de missiles par-dessus l’Arctique

L'emploi d'armes de destruction massive à très grande échelle entraînerait des conséquences terrifiantes sur la biosphère dont éventuellement un hiver nucléaire. Le scénario généralement imaginé durant la guerre froide est le suivant :

  • Une puissance possédant une arme nucléaire déclare la guerre à une autre puissance. Le jeu des alliances conduit d'autres puissances à rejoindre l'un ou l'autre camp.
  • Le conflit devient mondial ; chaque puissance cherche donc à y remédier au plus vite.
  • Les puissances possédant des armes nucléaires vont donc frapper l'ennemi avec leurs armes.
  • Ceci conduit de facto à une guerre nucléaire.

Voici les objectifs, au cours d'une guerre nucléaire, vraisemblablement à but absolu:

  1. L'agresseur frappe les centres industriels et de production de son adversaire. Il tente d'annihiler toute force de seconde frappe ennemie.
  2. Le défenseur, s'il dispose encore d'armes nucléaires, s'efforce de maximiser les pertes civiles de son adversaire en ciblant ses foyers de population. Éventuellement, duel d'armes stratégiques.
  3. Soit un traité de paix est rapidement trouvé, soit s'ensuit une phase de guerre conventionnelle, éventuellement avec armes nucléaires tactiques. L'agresseur peut aussi décider de détruire son adversaire à distance, comme en 2.

On remarque qu'après la première phase, si elle est réussie pour un agresseur convenablement préparé, les chances de victoire du défenseur sont minces. Il est donc nécessaire, pour les États confrontés à la menace d'ennemis bellicistes, de se protéger contre la "première frappe", entre autres par le renseignement et des systèmes antimissiles.

Hiver nucléaire

Durant la guerre froide, la possibilité d'un conflit nucléaire était prise très au sérieux et les forces armées se préparaient à cette éventualité comme le montrent ces Marines devant le champignon provoqué par un essai nucléaire en 1952.

En plus des dommages dus à l'effet de souffle et aux retombées radioactives, l'hypothèse d'effets catastrophiques sur le climat fut mise en avant par un groupe de scientifiques en .

À partir de 30 kt, le nuage de l'explosion peut atteindre la stratosphère, où non seulement il forme le fameux champignon, mais surtout diffuse les déchets qu'il a emportés dans ses courants ascendants. Les plus légers peuvent avoir le temps de se laisser entraîner par les courants stratosphériques. Si lors d'un affrontement nucléaire majeur, les États-Unis ou la Russie utilisaient, ne serait-ce que la moitié de leur arsenal militaire nucléaire, cela engendrerait le soulèvement d'une masse colossale de poussières et de fumées. Les énormes quantités de poussières et de fumées rejetées auraient des conséquences comparables ou supérieures à celles d'une éruption volcanique cataclysmique, telle celle du Krakatoa en ou l'explosion du volcan Tambora en , en réduisant considérablement le rayonnement solaire pendant plusieurs mois, essentiellement dans l'hémisphère nord.

Les conséquences globales d'une guerre nucléaire sont potentiellement terribles : passé un certain seuil d'utilisation, la poussière éjectée dans la haute atmosphère par les explosions nucléaires bloque le rayonnement solaire, stoppant la photosynthèse et refroidissant gravement le climat planétaire.

Là-dessus, des hypothèses ont été émises concernant les atteintes au climat terrestre :

  • La chaîne alimentaire serait durement atteinte : par manque de photosynthèse, les plantes ne peuvent se nourrir, et meurent. La disparition des plantes va entraîner à son tour la disparition des herbivores, qui aura pour conséquence la disparition de tous les carnivores et ainsi la mise en danger de l'humanité.
  • Ceci produirait un refroidissement général appelé couramment hiver nucléaire, qui détruirait ou altérerait une grande partie de la flore et donc des récoltes, résultant in fine en une famine nucléaire.
  • De plus, ces scientifiques s'accordaient aussi à dire que les rejets dus à l'explosion de ces armes pourraient endommager la couche d'ozone et ainsi supprimer la filtration des rayons ultraviolets, ce qui causerait des dégâts supplémentaires.

Une étude parue en août 2022 dans la revue Nature évalue les conséquences des émissions de poussières causées par un conflit nucléaire. Elle conclut qu'une guerre nucléaire entre l'Inde et le Pakistan pourrait causer deux milliards de décès et une guerre nucléaire entre les États-Unis et la Russie plus de cinq milliards, sans compter les victimes directes des explosions[8],[9].

Dans la culture populaire

Outre de nombreuses nouvelles de science-fiction post-apocalyptique, on peut signaler :

Bande dessinée
Cinéma et télévision
Jeux vidéo
  • La série de jeux vidéo Fallout, qui se déroule dans un univers post-apocalyptique, elle-même inspirée de Wasteland (1988).
  • Nuclear War (jeu vidéo), jeu de bataille caricatural nucléaire entre cinq puissance mondiales au tour par tour (les deux autres jeux de ce genre sont Balance of Power (jeu vidéo) de 1985 et WarGames en 1984).
  • Le jeu symbolisant le plus les dangers de la guerre nucléaire serait néanmoins Théâtre Europe (), sorti le même mois que l'arrivée au pouvoir de Mikhail Gorbatchev.
  • Le jeu vidéo DEFCON [10], simulateur de guerre thermonucléaire.
Littérature

Notes et références

  1. Leó Szilárd reconnut que ce livre lui inspira la théorie de la réaction nucléaire en chaîne.
  2. (en) Alan F. Phillips, « 20 Mishaps that Might Have Started Accidental Nuclear War » (version du 15 septembre 2013 sur l'Internet Archive).
  3. (en) Alan Borning, « Computer System Reliability and Nuclear War » Fiabilité des systèmes informatiques et guerre nucléaire »] [PDF], sur Nuclear Age Peace Foundation (en) (consulté le ).
  4. Henry Kissinger, À la Maison-Blanche, 1968-1973 The White House Years »], t. I, Fayard, , 740 p. (ISBN 9782213008172, présentation en ligne).
  5. Henry Kissinger, À la Maison-Blanche, 1968-1973 The White House Years »], t. II, Fayard, , 1586 p. (ISBN 9782213008257, présentation en ligne).
  6. « Le jour où Bill Clinton perdit les codes nucléaires » (version du 24 octobre 2010 sur l'Internet Archive).
  7. « Sous Clinton, les codes nucléaires égarés pendant des mois, selon un général », sur Le Point, (consulté le ).
  8. (en) Global food insecurity and famine from reduced crop, marine fishery and livestock production due to climate disruption from nuclear war soot injection, Nature, 15 août 2022.
  9. Guerre en Ukraine : en cas de conflit nucléaire mondial, dans quels pays a-t-on le plus de chances de survivre ?, L'Indépendant, 17 août 2022.
  10. Emmanuel Delune, « TEST : DEFCON, PLAISIR RADIOACTIF », sur https://www.gamekult.com/,

Annexes

Bibliographie

  • Lt-Colonel F. O. Miksche (préface de l'ingénieur général Combaux), Tactique de la guerre atomique (traduction de R. Jouan), Éditions Payot, 216 p., (ASIN: B0017WW8ZU).
  • Robert McNamara (trad. de l'anglais par Marie-Aude Cochez, préf. général Georges Buis), Plaidoyer : prévenir la guerre nucléaire Blundering into disaster »], Paris, Hachette, , 192 p. (ISBN 978-2-010-13058-8)
  • Lucien Poirier, Des Stratégies nucléaires, Paris, Editions Complexe, coll. « historiques » (no 49), , 406 p. (ISBN 978-2-870-27264-0)

Articles connexes

Liens externes

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