Genre épistolaire
Le genre épistolaire est un genre littéraire formel composé par une correspondance ou un échange de correspondances. Dans le cas du roman épistolaire cette correspondance est fictive, ou présentée comme telle. Le terme s'applique aux œuvres qui ont une unité thématique, à l'exclusion des publications de correspondances sélectives ou exhaustives dont la seule unité est celle des auteurs des missives.
L'expression est également utilisée pour l'art épistolaire ; technique de composition d'une missive.
Les correspondances réelles permettent de donner des informations sur les aspects historiques, politiques et littéraires.
Un genre très ancien
Les plus anciens ouvrages épistolaires datent de l'Antiquité gréco-latine et forment dès cette époque un genre propre se déclinant sous deux formes ; le recueil de missives réel ou fictif, et l'adresse à un correspondant réel ou fictif. « Réel » et « fictif » s'entendant ici pour ce qui concerne la réalité de la correspondance ou du correspondant, et non le caractère réel ou fictif du récit.
Les Épîtres du Nouveau Testament chrétien, et principalement ceux attribués à Paul de Tarse (les Épîtres pauliniennes) sont un cas connu d'ensemble antique ressortant du genre épistolaire, où la réunion de ces écrits a une unité thématique forte et constitue la base du corps de doctrine chrétien originel.
Au XVIIIe siècle, la lettre est une forme dominante de l'écriture, car les correspondances se multiplient et le roman épistolaire est un genre très prisé[1]. Après avoir atteint son apogée à la fin du siècle des Lumières, autour des années 1780, on assiste à une lente dérive du genre épistolaire[2].
En 1880, le romancier Jules Claretie déplore que l'usage des dépêches télégraphiques et l'installation des téléphones amène à la perte de l'art épistolaire, cette « causerie la plume à la main »[3].
Réalité et fiction
On peut diviser ce genre en deux groupes ; les correspondances réelles et les correspondances fictives. Pour les époques les plus anciennes, le partage n'est pas toujours évident, pour la littérature moderne et contemporaine il est en général plus clair, les cas de correspondance fictive formant un genre en soi ; quand Paul Scarron compose son Épître chagrine, il ne fait pas mystère du caractère fictif de l'ouvrage, à l'époque, ce genre d'épîtres se différencie peu du genre de la satire (sous-titre de l'ouvrage de Scarron). En contraste, la correspondance de la marquise de Sévigné à sa fille rend compte d'un échange épistolaire réel, même s'il y eut un retravail.
Un cas limite est Les Lettres persanes de Montesquieu, qui est fondamentalement un roman épistolaire (correspondance fictive entre personnages fictifs) comparable aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, mais à but moral, comme l'épître satirique en vogue à l'époque de Scarron et Boileau, ou les divers épîtres des philosophes du siècle des lumières, au premier chef Voltaire et Diderot.
Ouvrages
Les ouvrages du genre épistolaire (la correspondance est supposée réelle) sont composés de diverses manières :
- Les correspondants supposés ou, le plus souvent, l'un d'eux seulement, composent l'ouvrage ;
- Il peut s'agir d'un recueil fait par des tiers, le plus souvent posthume. Tantôt il s'agit d'un échange de lettres entre deux personnes ou plus, tantôt on ne retient que les missives d'un des correspondants.
L'unité thématique est elle aussi variée ; il peut s'agir d'une unité de fond (le sujet), de thème (le domaine concerné), de chronologie, de ton… Le plus souvent plusieurs de ces cas d'unité se retrouvent.
Défense de l'art épistolaire
Dans le quotidien La Croix du mardi , le journaliste et écrivain Xavier Lecœur consacre sa chronique à la défense de la lettre manuscrite[4] :
« Depuis quand n'avez-vous pas reçu de lettre ? Une semaine ? Un mois ? Un an ? Je ne parle évidemment pas des désagréables factures, ni des prospectus publicitaires, ni des demandes de dons, qui font l'ordinaire de notre courrier. Je parle simplement des bonnes vieilles lettres « à l'ancienne », comme on le dit des tartes aux pommes ou des blanquettes de veau ! Force est de constater que, malmenées par le développement fulgurant des courriels et autres SMS, elles tendent à se raréfier dangereusement… Les formes modernes de communication écrite ont certes des atouts : la rapidité, la simplicité, l'efficacité. Mais, pour rester « digestes », les messages se doivent de ne pas être trop longs. De plus, quelle que soit la chaleur des mots employés, ces messages électroniques restent curieusement toujours assez froids, comme désincarnés…
Rien de tel avec une lettre écrite à la main, en bon français, sur une ou plusieurs feuilles d'un beau papier. Son auteur a pris du temps pour la rédiger ; parfois, il a été contraint de s'interrompre quelques heures ou quelques jours avant de pouvoir la terminer. Par respect pour lui, vous allez à votre tour vous asseoir et prendre le temps de la lire attentivement. Peut-être même la relirez-vous plusieurs fois.
Votre correspondant vous parle de lui et de vous, de son existence et de la vôtre ; il vous raconte ses bonheurs, ses déboires, ses espoirs. Il vous révèle des goûts, des humeurs, des pensées, que, par timidité, il n'aurait peut-être pas osé vous dévoiler face à face. C'est drôle, émouvant, surprenant, profond, banal ou subtil. Comme la vie.
Les lettres de cet acabit, on les garde et on y répond. C'est ainsi que naissent parfois de savoureuses correspondances qui, lorsqu'elles concernent des gens célèbres, sont souvent publiées après le décès de leurs auteurs. Heureusement, d'ailleurs, que Madame de Sévigné, Voltaire ou Flaubert, pour ne citer que ces trois grands épistoliers, ne connaissaient pas les courriels ! Les chercheurs auraient été privés d'une passionnante source documentaire, et les amateurs de littérature d'un grand bonheur !
On peut à ce propos se demander comment les biographes de demain réussiront à reconstituer les échanges écrits entre les hommes d'aujourd'hui… Car les disques durs traverseront probablement moins bien les siècles que les feuilles de papier… En attendant, il est cocasse de constater que, pour être original de nos jours, il suffit de se remettre à pratiquer un art qui allait de soi pour nos ancêtres : celui de la correspondance ! Ce qui était banal autrefois est devenu rare et donc d'autant plus appréciable. Envoyer une belle lettre désormais ne revient-il pas à offrir un véritable petit cadeau à son destinataire ? »
Nouvelles formes
Avec l'avènement du numérique, de nouvelles formes d'art épistolaire voient le jour. On peut citer la publication de commentaires de blog (Pierre Assouline, Brèves de blog, Les Arènes, 2008[5]), où l'échange écrit sort de son cadre bilatéral classique. Ou des romans épistolaires fondés sur l'échange de courriels, qui donnent un rythme nouveau à la correspondance, et en élargissent le champ géographique (Kim Thuy, Pascal Janovjak, À Toi, Liana Lévy, 2011[6]).
Notes et références
- Lettre philosophique et littérature épistolaire au XVIIIème siècle : enjeux philosophiques de la lettre dans les Lumières françaises. Anne Leon-Miehe, Conférence à Rouen, mars 2000
- Le roman épistolaire français au tournant des lumières' - Omacini Lucia, Éditions Honoré Champion 2003
- Frédéric Rouvillois, Histoire de la politesse de 1789 à nos jours, Éditions Flammarion, 642 p.
- La Croix du mardi , chronique intitulée « Les belles lettres », rédigée par Xavier Lecœur, auteur et journaliste
- Assouline, Pierre., Brèves de blog : le nouvel âge de la conversation, Paris, Les Arènes, , 426 p. (ISBN 978-2-35204-068-2, OCLC 253377091)
- Thúy, Kim., À toi, Paris, Liana Levi, , 201 p. (ISBN 978-2-86746-583-3, OCLC 770224573)
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Association de recherches sur l'épistolaire
- Un traité d'Art épistolaire par l'Abbé J. Verniolles.
- Portail de la littérature