Grèves de 1953 en France

Les grèves de 1953 en France sont une série de grèves, touchant en principalement la fonction publique initiées en réaction aux projets du gouvernement Joseph Laniel investi le qui souhaite procéder durant la période des congés au moyen de décrets-lois à de fortes économies sur la fonction publique. Elles se concluent par un succès du mouvement syndical.

Contexte

Depuis avril 1948, la France bénéficie du «plan Marshall» pour la reconstruction de l'Europe mais les tickets de rationnement ont perduré juqu'au 1er décembre 1949 et la France s’enlise dans le conflit indochinois[1].

Ses finances étant très sollicitées par cette guerre de décolonisation, le Gouvernement souhaite faire des économies et obtient à cette fin de l'Assemblée nationale l'habilitation à gouverner par décrets-lois. Le 11 juillet, les députés votent pour trois mois cette habilitation à légiférer sans le parlement au Président du Conseil Joseph Laniel[2], un chef d’entreprise militant du CNIP[2] qui prône la rigueur budgétaire malgré une croissance à l'arrêt depuis 1952[2].

Introduit aussi par Jacques Loste depuis septembre 1951[3] auprès d'Edgar Faure pour en faire officieusement son conseiller[3], le jeune Valéry Giscard d'Estaing [3] devient son bras droit lorsqu'il reprend le ministère des Finances du gouvernement de Joseph Laniel peu avant cette grève des fonctionnaires de 1953[3].

Dès les semaines qui suivent, des fuites évoquent les mesures de rigueur ensuite présentées au Conseil supérieur de la fonction publique[2]. Dans Le Figaro, il est critiqué par François Mauriac, qui parle d' « une dictature à tête de bœuf » en disant « Il y a du lingot dans cet homme-là ». L'un des décrêts-lois prévoit d'imposer un recul de deux ans de l'âge de départ en retraite de tous les fonctionnaires, alors fixé à 65 ans pour les services sédentaires et à 58 ans pour les services actifs. De plus, le Gouvernement entend requalifier des « actifs » en « sédentaires », ce qui les aurait contraints à travailler sept années supplémentaires[4]. La situation salariale des fonctionnaires n’est en effet pas très favorable en 1953. En 1956 encore, leur niveau de vie n’aura qu’à peine retrouvé celui de 1930 et se situera fort en dessous de celui de 1936. Après avoir brutalement reculé entre 1945 et 1949, il tendait néanmoins à s’améliorer après cette date[5].

Déroulement

Amorcé aux PTT, le mouvement atteint d'autres services publics (EDF-GDF, SNCF, RATP, Air France), les entreprises nationalisées (Charbonnages de France, arsenaux), la fonction publique territoriale et touche aussi quelques entreprises de la métallurgie[2].

Avant de devenir effectives, les mesures contestées doivent être présentées au Conseil supérieur de la fonction publique qui est convoqué le , convocation repoussée au [2]. Le , les syndicats de la fonction publique appellent à une grève limitée à une heure, pour protester contre les décrets-lois gouvernementaux. À Bordeaux, les postiers de toutes obédiences (CGT, FO, CFTC et autonomes) décident la prolongation de ce mouvement en grève illimitée. Par télégramme et téléphone, ils font connaître leur décision à l'ensemble des centres postaux et téléphoniques et à toutes les fédérations syndicales. FO et CGT, séparément relaient dès le l'appel à la grève qui se généralise dans les PTT. Les réquisitions et les tentatives de contourner la grève se révèlent des échecs alors que la paralysie des services publics se développe : arrêt de l'essentiel des trains, télécommunications réduites, arrêt de l'enlèvement des ordures ménagères, etc. Le 7, on compte 2 millions de grévistes et 4 millions le [1]. La CGT qui s’était mise volontairement à l’écart, rejoint le mouvement[1] et l'accompagne prudemment même si elle garde un traumatisme de la répression des grèves de 1947[2]. Ses militants se montrent très actifs pour mobiliser des comités de grève à la base[6], écrivant des cahiers de revendications[6].

Dans la plupart des départements, cette grève du secteur public touche peu le monde ouvrier, qui n'est pas directement concerné, sauf dans le Pas-de-Calais où la grève s’étend au secteur nationalisé des mines et en Loire-Inférieure[7]. Dans certains ports, les dockers débrayent aussi[1]. Une loi votée en 1950 sur «l'organisation de la nation en temps de guerre» étendue au temps de paix, permet de réquisitionner les grévistes mais cela s'avère difficile[1]. La grève commence dans le Pas-de-Calais le dans les PTT. Le mouvement continue aux PTT et reprend ainsi le 11 à la SNCF et le 12 à l’Électricité et au Gaz de France. Dans les houillères, la grève n’y est encore que partiellement suivie le , mais elle se généralise ensuite et elle est totale au fond à partir du pour atteindre son pic le . La décrue s’amorce le dans les PTT, le 22 dans la SNCF et le 24 pour l’Électricité et le Gaz de France. Dans les mines, le travail ne reprend vraiment que le 26 et le . Le mouvement aura donc été de longue durée : 12 jours de grève pour la SNCF, l’Électricité et le Gaz de France, 14 dans les PTT, 17 aux Houillères. Il entraîne aussi certains travailleurs du secteur privé (dockers de Boulogne-sur-Mer et de Calais, ouvriers du bâtiment et de diverses entreprises métallurgiques ou chimiques) à partir du , mais leur influence reste périphérique[5].

Les décrets-lois sont adoptés le par le Conseil des ministres puis publiés au Journal officiel dès le lendemain. Malgré plusieurs interventions radiophoniques de Joseph Laniel, la grève gagne en sympathie populaire, d'autant plus que les débordements sont très limités. Le gouvernement n'est cependant pas immédiatement menacé car le président de l'Assemblée nationale Édouard Herriot renâcle à convoquer une séance extraordinaire et que la gauche reste divisée de par l'absence d'alliance entre la SFIO et le PCF[2].

Des négociations débutent sans la CGT. Les tractations deviennent officielles à partir du , et aboutissent à un appel CFTC-FO pour la reprise du travail, le . Le flou du texte ne satisfait pas les grévistes. La CGT profite de ce climat pour rejoindre les négociations et appelle à la reprise du travail le [2],[6]. La CGT fait inclure dans cette sortie de conflit la libération de membres du bureau confédéral de la CGT emprisonnés depuis des mois[2], comme Alain Le Léap et Lucien Molino.

Suites

Aucun des décrets-lois contestés n'est finalement appliqué, l'âge de la retraite n'est pas repoussé, les sanctions pour faits de grève sont inappliquées alors que les fonctionnaires obtiennent des revalorisations salariales[2]. Les salaires des fonctionnaires sont revalorisés sans retrouver toutefois leur niveau d'avant-guerre[6],[1], via un desserrement de la politique de rigueur appelé en 1954, sous Pierre Mendes France, « politique d'expansion dans la stabilité»[1].

Aux PTT, le gouvernement exige 7500 suspensions pour refus de réquisition, appliquant la loi de 1950[6]. A la suite de cette grève est fondée une nouvelle Fédération générale des fonctionnaires FO, distincte pour la première fois de celle des postiers[6]. Fin janvier 1954, la CGT se joint cette fois à un appel commun CFTC-FO, alors qu'elle était absente de la grève de 1953 à ses débuts[6].

Notes et références

  1. "Les retraites, un éternel déclencheur de grève" par Christophe Forcari dans Libération du 1er mars 2020
  2. Michel Pigenet, « Les jolies grèves du mois d’août », sur monde-diplomatique.fr, Le Monde diplomatique, (consulté le ).
  3. "Un si jeune président", par Jean Bothorel, en 1995 aux Éditions Grasset
  4. Alain Valler, « Il y a 50 ans, août 1953 : la grève générale des fonctionnaires », sur lutte-ouvriere.org, Lutte ouvrière, (consulté le ).
  5. Philippe Roger, « Les grèves de 1953 dans le Pas-de-Calais », Cairn.info (Revue du Nord, no 369, p. 105-138), (consulté le ).
  6. "Les grèves de fonctionnaires sous la IVe République" par Jeanne Siwek-Pouydesseau directrice de Recherche au CERSA à l'Université de Paris 2, en 2003
  7. Gérard Le Mauff, Nantes, août 1953 : leçons d'un conflit, Nantes, UD CGT-FO de Loire-Atlantique, , 115 p.

Voir aussi

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