Hormèse

L’hormèse (du grec ancien : ὁρμή / hormḗ, « mouvement rapide d'impatience », de ὁρμαίνω / hormaínō, « mettre en mouvement ») est une réponse de stimulation des défenses biologiques, généralement favorable, à des expositions de faibles doses de toxines ou d'autres agents ou phénomènes générateurs de stress (pic de température par exemple). À cause de ce mécanisme, certains toxiques naturels ou agents polluants peuvent avoir un effet opposé suivant que la dose reçue est faible ou forte. Ces agents sont dits hormétiques[alpha 1].

Un organisme soumis à une dose très faible d'un agent chimique peut manifester une réponse opposée à celle observée pour une forte dose.

Par exemple, des souris irradiées par des fortes doses de rayonnement gamma ont un moindre risque de contracter un cancer lorsqu'elles ont été précédemment soumises à de faibles doses de rayonnement gamma[2],[alpha 2]. On a pu observer un effet similaire de la dioxine sur des rats[réf. nécessaire].

Des facteurs de stress environnementaux susceptibles de produire des effets positifs de stimulation ont été parfois qualifiés de « eustress ».

Cet effet, quand il existe, ne doit pas faire oublier qu'il existe également des polluants comme les perturbateurs endocriniens, qui ont des effets toxiques pour de très faibles quantités, et d'autres comme les métaux lourds dont les effets sont synergiques et/ou cumulatifs dans le temps.

C'est un concept utilisé en médecine mais aussi dans le domaine de la cosmétique dermatologique[3], ou encore pour le mûrissement artificiel de fruits[4] ou la conservation de certains composés de légumes tels que le brocoli[5].

L'hormèse, que l'on peut résumer par l'adage « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », est tout aussi valable pour les micro-organismes que pour les humains, les animaux et même une collectivité[réf. souhaitée].

Histoire

Le principe « c'est la dose qui fait le poison » avait déjà été formulé par Paracelse.

La première description de l'hormèse en 1888 est due à Hugo Schulz (en), un pharmacien allemand, qui rapporta ses observations sur le fait que la croissance de la levure pouvait être stimulée par de petites doses de certains poisons. Cette observation fut rapprochée de celle du médecin Rudolf Arndt, qui travaillait sur l'effet sur les animaux de faibles doses de médicaments.

Ces travaux conduisirent à formuler la loi dite de Arndt-Schulz : « pour toute substance, de faibles doses stimulent, des doses modérées inhibent, des doses trop fortes tuent. » Le soutien de Arndt en faveur de l'homéopathie contribua à discréditer cette loi entre les années 1920 et 1930, et elle n'est plus reconnue comme valide pour toutes substances.

En 1943 Southam et Ehrlich utilisent pour la première fois le mot hormèse dans leur travail de recherche d'une molécule antibiotique extraite du duramen du Thuya[6]. Dans ce cas, l'antibiotique, actif à faible dose, encourageait au contraire le développement microbien à très faible dose[7].

En 2004, Edward Calabrese a restauré l'idée d'hormèse par ses travaux sur la menthe poivrée[8],[9].

Les mitochondries pourraient dans les cellules musculaires du cœur répondre au stress oxydatif via un phénomène d'hormèse dit « mitohormesis »[6]

Dans un cas (insecte suceur) des effets épigénétique ont été observés à la génération suivante et chez les femelles (génération F1) ; ainsi la fécondité de femelles de pucerons de génération F1 est augmentée si leur mère a été soumise à un stress thermique de 25 °C. Cette augmentation de la fécondité à la génération n+1 a été interprétée comme pouvant être l'expression d'un phénomène d'hormèse[10].

Mécanisme biologique

En toxicologie, le phénomène d'hormèse se caractérise par une forme caractéristique de la courbe de relation dose / effet, qui change de signe pour les faibles doses, ce qui lui donne une forme en « U » ou en « J » (quand l'effet des fortes doses est compté positivement).

Les mécanismes biomédicaux par lesquels l'hormèse se manifeste ne sont pas bien compris. On pense globalement que la présence d'une faible dose de toxique déclenche certains mécanismes d'auto-réparation dans la cellule ou l'organisme, et ces mécanismes une fois activés sont suffisants pour non seulement neutraliser l'effet initial du toxique, mais également réparer d'autres défauts que le toxique n'avait pas provoqués.

Impact sur les politiques de santé publique

L'hormèse est un phénomène encore mal connu, qui semble plus commun qu'on ne le pensait au XXe siècle et en tous cas qui « semble être plus fréquent que les courbes de réponse de dose qui sont actuellement utilisées dans le processus d'évaluation des risques » selon Ralph Cook et Edward J. Calabrese en 2007[11].
L'idée générale que de faibles doses puissent avoir des effets différents des doses fortes (et parfois radicalement différent) est connue et acceptée, mais cela ne signifie pas nécessairement que l'effet de la faible dose soit à proprement parler bénéfique[11].

Si l'hormèse est vraiment relativement courante, un enjeu de santé publique et de santé environnementale est de l'intégrer aux pratiques d'évaluation toxicologiques, puis à la réglementation des toxiques et aux pratiques d'évaluation et de gestion des risques[11]. Mieux comprendre ce phénomène et identifier les seuils d'hormèse pourrait aussi améliorer la prévention et le traitement de nombreuses maladies, dans le cadre d'une médecine plus holistique[11].

Dans le domaine - encore très polémique - de l'effet des faibles doses de radiations le débat est actif. C'est l'un des domaines où l'hormèse est très étudiée ; et il n'y a pas de consensus sur l'effet bénéfique des faibles doses de radiations, ni même sur l'existence d'un phénomène d'hormèse en matière de radiation.
Depuis des années, les organismes de santé publique ont suivi en matière de radiation un modèle dit « linéaire sans seuil » qui postule que les effets sont directement proportionnels à la dose, y compris aux faibles doses (pour lesquelles il n'y a généralement plus d'effets statistiquement observables).
L'approche « linéaire sans seuil » est une approche majorante, dictée par le principe de précaution faute d'une meilleure information : même si l'on a des raisons de penser que d'autres phénomènes peuvent apparaître aux faibles doses, il n'y a pas lieu de retenir un autre modèle tant que l'existence d'un seuil n'est pas clairement établie. Cependant, lorsque les études montrent une relation dose / effet non linéaire, des modèles à seuil (impliquant par exemple une absence de risque de cancer à des doses inférieures à un seuil) sont couramment acceptés.
Cependant, la non-linéarité peut parfois inversement conduire à durcir certaines limites d'exposition en matière de santé publique : de faibles doses peuvent avoir des effets négatifs que n'ont pas des doses plus fortes.
Dans le cadre de travaux financés par des acteurs majeurs de l'industrie nucléaire[12],[13], « la méta-analyse qui a été faite des résultats de l’expérimentation animale montre dans 40 % de ces études une diminution de la fréquence spontanée des cancers chez les animaux après de faibles doses, observation qui avait été négligée car on ne savait pas l’expliquer. »[14]
Le phénomène d'hormèse est peu connu du public. Tout changement de réglementation s'appliquant aux faibles doses devrait d'abord considérer les enjeux de santé publique (versus les enjeux industriels) et s'accompagner d'une évaluation des préoccupations du public concernant l'exposition aux faibles doses de substances toxiques. De plus, l'impact d'un changement éventuel de réglementation sur la gestion des risques industriels devrait être étudié[15].

Enjeux agricoles

  • Un insecticide comme la perméthrine peut induire par effet d'hormèse une amélioration de la multiplication d'insectes-cibles quand ils ne sont exposés qu'à de faibles doses (doses sublétales), ce qui pose la question de l'efficacité globale du produit[16].
  • Chez les végétaux cultivés un phénomène semblable a été identifié pour le glyphosate chez le haricot[17].

Notes et références

  • Une première version de cet article était basée sur la publication « Hormesis: Principal Concepts and Take Home Message », d'Edward J. Calabrese (en), Ph.D., University of Massachusetts, from a hormesis panel discussion, Feb 25, 2004, Washington, DC.
  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Hormesis » (voir la liste des auteurs).

Notes

  1. Une substance dangereuse même à faible dose, comme le mercure, est dite non-hormétique[1].
  2. Pour une observation sur l'irradiation accidentelle de ferrailleurs à Istanbul, voir .

Références

  1. Mark Mattson, « Les bienfaits des toxines végétales sur le cerveau », Pour la science, no 472, , p. 54-59.
  2. La relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants [archive], rapport commun de l'Académie des sciences et de l'Académie nationale de Médecine - Mars 2005. Éditions Nucléon, diffusion par EDP sciences.
  3. Thong, H. Y., & Maibach, H. I. (2009). Hormesis and Cosmetic Dermatology. Cosmetics and toiletries, 124(3).
  4. Narayanapurapu, P. T. R. (2012). Effect of composite edible coatings and abiotic stress on post harvest quality of fruits (Doctoral dissertation, McGill University).
  5. Sierra A.D (2015). Abiotic stress hormesis: hormetic stresses to maintain quality and enhance glucosinolates and phenolic compounds in broccoli (Brassica oleracea var. italica) during storage (Doctoral dissertation, Université Laval)
  6. Schlagowski A.I (2014) Étude des adaptations mitochondriales dans le muscle squelettique: importance de l'hormèse mitochondriale ; Thèse de Doctorat en Sciences du Vivant ; Physiologie et Biologie des Organismes, Populations Interactions, soutenue le 23 septembre 2014 à l'Université de Strasbourg), PDF, 250 p.
  7. Randall WA, Linden BA & Welch H (1947). The inactivation of penicillin with hydroxylamine and its use in the sterility testing of penicillin. J Bacteriol 54, 32
  8. (en) Calabrese, Edward, « Hormesis: a revolution in toxicology, risk assessment and medicine », EMBO reports, vol. 5, , S37–S40 (DOI 10.1038/sj.embor.7400222)
  9. (en) Tom Bethell, The Politically Incorrect Guide to Science, USA, Regnery Publishing, , 270 p. (ISBN 978-0-89526-031-4, LCCN 2005029108, lire en ligne), p. 58–61
  10. Ismaeil I (2011). Effets d’un stress thermique chaud sur les traits de vie et le succès parasitaire du parasitoïde de pucerons Aphidius ervi (Aphidiidae), agent de lutte biologique (Doctoral dissertation, Amiens) (lien).
  11. Cook, R., & Calabrese, E. J. (2007). The importance of hormesis to public health. Ciência & Saúde Coletiva, 12(4), 955-963
  12. (en) P. Duport, « A database of cancer induction by low dose radiation in mammals : overview and initial observations », International Journal of Low Radiation, vol. 1, no 1, , p. 120-131 (résumé, lire en ligne)
  13. (en) « Projects », International Centre for Low Dose Radiation Research (consulté le )
  14. La relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants. Maurice Tubiana et André Aurengo, Rapport à l'Académie nationale de médecine, octobre 2004.
  15. (en) Marc Poumadère, « "Hormesis: Public health policy, organizational safety, and risk communication" », Journal of Human and Experimental Toxicology, , Vol.22, pp 39-41 (lire en ligne)
  16. MAGALHÃES, L. C., GUEDES, R. N., OLIVEIRA, E. E., & TUELHER, E. S. (2002). Development and reproduction of the predator Podisus distinctus (Stal)(Heteroptera: Pentatomidae) exposed to sublethal doses of permethrin. Neotropical Entomology, 31(3), 445-448.
  17. Silva,J. . ., Arf,O. Gerlach G, Kuryiama C.S & Rodrigues R.A.F (2012) Hormesis effect of glyphosate on common bean cultivars. Pesquisa Agropecuária Tropical, 42(3), 295-302.

Voir aussi

Bibliographie

  • Cook, R., & Calabrese, E. J. (2007). The importance of hormesis to public health. Ciência & Saúde Coletiva, 12(4), 955-963.
  • Juni RL & al. (2008). Hormesis and toxic torts. Commentaries. Author's reply. Human & experimental toxicology, 27(2).
  • (en) Poumadere, M., « Hormesis: public health policy, organizational safety and risk communication », Human & experimental toxicology, no 22(1), 39-41,

Articles connexes

Liens externes

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