Incorruptibilité

L'incorruptibilité est un état non explicable par la science la plupart du temps, essentiellement mis en valeur par les Églises catholique et orthodoxe, selon laquelle l'intervention divine permet à certains corps humains (en particulier les saints et les béatifiés) d'éviter le processus normal de décomposition après la mort. Les fidèles perçoivent ainsi l'incorruptibilité comme un signe de sainteté. Les corps qui subissent peu ou pas de putréfaction sont dits incorruptibles ou incorrompus.

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Sarcophage châsse de verre et de bronze avec le corps de sainte Bernadette Soubirous, Espace Bernadette-Soubirous, Nevers, France.

La question de l'incorruptibilité

Le culte des saints a tendance à valoriser l'incorruptibilité des cadavres et le jeûne. Ainsi selon le sociologue des religions Jacques Maître, « se définit une zone intermédiaire où le corps défunt reste comme vivant puisqu'il ne se décompose pas, et où le corps vivant est comme éternisé dans la mort, puisqu'il ne connaît ni alimentation ni excrétion »[1].

La croyance en l'incorruptibilité est intimement liée au développement du culte de reliques. Primitivement, le mot latin de reliques, reliquiae, désigne le cadavre, la dépouille. Puis il se spécialise dans la désignation des corps saints, et comme ceux-ci se décomposent, en vient à désigner leurs restes (ossements, cendres)[2]. Avec le développement important du commerce des reliques au Moyen Âge, les textes du droit canonique donnent la primauté aux reliques dites « insignes », à savoir le corps entier des saints[3]. Dès lors, la question de l'incorruptibilité devient importante pour les sanctuaires (cette relique insigne est une source de prestige et de revenus substantiels, en générant notamment des pèlerinages), pour les communautés monastiques ou cathédrales, afin de leur permettre de « sortir de difficultés financières, de réaffirmer le pouvoir d'un évêque, etc.[4] ».

La tendance à allier la canonisation à l'incorruptibilité des reliques s'est progressivement répandue. Pour les besoins de l'instruction du procès de béatification, le corps doit être exhumé. Il n'est pas rare que lors de l'ouverture du cercueil, les autorités religieuses déclarent avoir retrouvé le corps du serviteur de Dieu dans un état de « conservation extraordinaire », « intact » voire « incorrompu »[5].

Afin de conserver l'apparence de la vie et de l'incorruptibilité, il existe la tradition dans les sanctuaires de déposer les reliques d'un saint canonisé dans une châsse. Le cadavre étant plus ou moins décomposé, les reliques sont insérées dans une reconstitution du corps entier ou partiel (généralement saints revêtus d'un corps en cire) afin de mettre en scène un cadavre inaltérable. Tel est le cas pour Thérèse de Lisieux, Bernadette Soubirous, Vincent de Paul ou Padre Pio dont le visage est recouvert d'un masque en silicone peint à la main. « Cette sorte de trompe-l'œil sculptural en dit long sur la prégnance ecclésiastique et populaire du mythe » de l'incorruptibilité[1].

Corps de sœur Marie de Jesús, au couvent de Santa Catalina de Siena (San Cristóbal de La Laguna, Tenerife, Espagne).

Cette prégnance reste vivace. Ainsi, la simple découverte d'un corps incorrompu, chrétien ou non, suffit encore aujourd'hui à créer un élan de dévotion avec pour objet, non pas Dieu, mais le corps lui-même. Les corps embaumés qui ne sont pas considérés par l'Église comme incorrompus, suscitent d'ailleurs le même intérêt lorsqu'ils sont exposés[6].

Le caractère extraordinaire de l'incorruptibilité ne doit pas masquer le fait que ce phénomène peut s'expliquer naturellement : technique de l'éviscération des corps avec ou sans embaumement, c'est-à-dire introduction d'aromates ; facteurs naturels tels que le genre de maladie, la saison ou l'âge du défunt[7], propriétés de conservation des sols[8].

Phénomènes caractéristiques

Le prêtre catholique Herbert Thurston fait, à la fin du XIXe siècle, la première étude des cas d'incorruptibilité physique après la mort. Ce jésuite avance le chiffre de 42 saints incorrompus, morts entre les années 1400 et 1900[9]. Il associe à l'incorruptibilité six phénomènes caractéristiques, mais pas obligatoirement simultanés : la présence d'un parfum suave émanant du corps, l'absence de rigidité cadavérique, la persistance d'une certaine tiédeur du cadavre, l'absence de putréfaction, des écoulements anormaux (huile qui sort du tombeau, saignements tels que la poursuite des stigmates), des mouvements post mortem[10].

Liste

Saints catholiques

L'auteur catholique Joan Carroll Cruz poursuit le recensement du père Thurston à l'aide de sources ecclésiastiques. Elle énumère 102 noms, parmi lesquels on retrouve, classés par dates de décès[11] :

XIIIe siècle

XIVe siècle

XVe siècle

XVIe siècle

  • Saint François Xavier († 1552), corps parfaitement intact pendant plusieurs années, aujourd'hui quasiment momifié. Il est exposé dans la Basilique du Bon Jésus de Goa
  • Saint Benoît le More († 1589), corps retrouvé parfaitement intact en 1807, il l'est toujours aujourd'hui, bien que desséché. Il est exposé dans l'église Santa Maria di Gesù à Palerme
  • Saint Jean de la Croix († 1591), corps intact, souple et exhalant une odeur suave un an après sa mort. Incorruptible jusqu'en 1859.

XVIIe siècle

XVIIIe siècle

XIXe siècle

XXe siècle

XXIe siècle

Vénérables et bienheureux catholique

  • 1634 : Bienheureuse Agnès Galand de Jésus, de Langeac, dominicaine. Corps intact et suavement parfumé en 1653, actuellement desséché.
  • 1637 : Mère Jeanne-Charlotte de Bréchard, visitandine morte en odeur de sainteté. Corps parfaitement intact et souple, répandant une substance huileuse accompagnée d'une odeur suave. Réduite à l'état d'ossements après la Révolution, actuellement à Annecy.
  • 1847 : Blaise Marmoiton, martyr, religieux de la Société de Marie. Corps et tête (séparés) intacts et répandant une odeur suave, malgré immersion dans l'eau durant plusieurs jours.
  • 1903 : Bienheureuse Gertrude Comensoli, fondatrice des Sacramentines. Corps parfaitement incorrompu et souple lors de son exhumation.

Saints orthodoxes

Galerie

Notes et références

  1. Jacques Maître, Anorexies religieuses, anorexie mentale: Essai de psychanalyse sociohistorique, Les Éditions du Cerf, , p. 102.
  2. Anne Wagner, Les saints et l'histoire : sources hagiographiques du haut Moyen Âge, Éditions Bréal, (lire en ligne), p. 11.
  3. Dictionnaire de la théologie catholique, Éd Letouzey et Ané, 2005, article relique
  4. Michèle Gaillard, « Les Reliques. Objets, cultes, symboles », Médiévales, vol. 20, no 40, , p. 168-169.
  5. Jacques Maître, Anorexies religieuses, anorexie mentale: Essai de psychanalyse sociohistorique, Les Éditions du Cerf, , p. 101.
  6. Michel Bouvier, Les Miracles, miroirs des corps, Presses et publications de l'université de Paris VIII-Vincennes à Saint-Denis, , p. 205.
  7. Philippe Ariès, L'Homme devant la mort, Le Seuil, , p. 143.
  8. Jean-Michel Sanchez, Reliques et reliquaires, Éditions Grégoriennes, , p. 19.
  9. Michel Coquet, Traité sur la mort, Dervy, , p. 87.
  10. (en) Herbert Thurston, The Physical Phenomena of Mysticism, Henry Regnery, , p. 233-282.
  11. (en) Joan Carroll Cruz, The Incorruptibles: A Study of Incorruption in the Bodies of Various Saints and Beati, TAN Books, (lire en ligne), p. 87.

Annexes

Bibliographie

  • Nicolas Delestre, Les imputrescibles, 2018, Éditions du Murmure
  • Peter Brown, La Société et le Sacré dans l'Antiquité tardive, Points (ISBN 202055822X)

Articles connexes

Liens externes

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