Joseph Frain
Joseph Frain, né à Avranches le , et décédé le , fut d'abord avocat, puis se passionna pour les idées nouvelles lors de la Révolution de 1789. Après différents mandats locaux, il devint membre du Conseil des anciens à Paris. Puis il fut choisi pour être le premier préfet des Ardennes sous le Consulat. Il le resta pendant 14 ans, jusque la chute de l'Empire. Il fut ensuite, brièvement, député d'Avranches à la Chambre des Cent-Jours, avant de se retirer de la vie publique.
Pour les articles homonymes, voir Frain (homonymie).
Député français |
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Sous la Révolution
Joseph Frain[note 1] est né le , à Avranches, d'un père médecin, Gilbert Frain, sieur des Bretonnières, et de Charlotte-Marie Renault. Il a été baptisé par son oncle, prêtre de la paroisse d'Argouges[1],[2].
Devenu avocat, il réside toujours à Avranches lorsque la Révolution de 1789 éclate. Il s'investit dans la vie politique locale et devient capitaine de la Garde nationale d'Avranches en 1789, puis maire de cette même ville en 1790. En 1791, il est nommé membre du Directoire du district d'Avranches, puis procureur-syndic de ce district en 1792[3]. Il se montre zélé, meneur d'hommes, assez arrogant et vindicatif contre les nobles et les prêtres, si l'on en croit des témoignages de prêtres internés au Mont Saint-Michel dans cette période[4].
En 1795, il est nommé commissaire du Directoire du département de la Manche et acquiert en cette fonction une expérience plus significative de la gestion territoriale d'un territoire[3]. En 1799, il est élu au Conseil des anciens, et y demeure jusqu'au Coup d'État du 18 brumaire, qu'il approuve.
Préfet des Ardennes
Nomination et installation
Lorsque le premier consul Bonaparte, son ministre de l'intérieur Lucien Bonaparte et Jean-Antoine Chaptal, chargé du portefeuille du département de l'Intérieur par intérim, décident de créer les préfets par la loi du 28 pluviôse an VIII, ils s'appuient pour les nommer sur les services de renseignement et sur l'avis des autres consuls, Jean-Jacques-Régis de Cambacérès et Charles-François Lebrun. Le choix des préfets se fait généralement hors des départements dont ils ont la charge pour éviter tout népotisme, tout intérêt et tout historique local. Il semble que ce soit Lebrun qui ait proposé Joseph Frain comme premier préfet des Ardennes[2].
Dès son arrivée dans le département, Joseph Frain est pris dans une querelle de clochers sur le lieu d'installation de la préfecture entre les trois villes de Mézières, Charleville et Sedan. La querelle préexistait puisqu'elle s'était produite de la même façon à la création du département. Frain maintient le statu quo favorable à Mézières. Quelques années plus tard, en , Frain réunira les deux conseils municipaux de Charleville et de Mézières, séparément, pour obtenir une fusion de ces deux cités très proches l'une de l'autre, sans aboutir[5],[6]. C'est le préfet Robert Hayem qui reprendra et fera aboutir la fusion de Charleville et Mézières en Charleville-Mézières 161 ans plus tard[note 2]. Le premier Préfet des Ardennes choisit de s'installer dans l'ancien bâtiment de l'École du Génie, transférée à Metz sous la Révolution[note 3].
Rôle économique
Les premiers préfets ne sont pas particulièrement préparés à tenir un rôle économique dans le territoire dont ils ont la charge. Pour autant, Joseph Frain se montre attentif aux questions agricoles. Il met notamment en place la possibilité de réquisitionner des vétérinaires en cas de déclenchement d'épizootie. Il obtient la suppression de moulins dont la multiplication dans la vallée de la Bar était à l'origine d'inondations de terres agricoles. Il fait rétablir des primes pour l'abattage de loups. Il fait interdire la vaine pâture pour favoriser la récolte de fourrage sur les terres ainsi utilisées, et favorise les prairies artificielles. Il s'enthousiasme pour l'introduction de la culture de la betterave sucrière, et encourage les premiers essais dans le département des Ardennes. Il fait introduire des mérinos pour régénérer les troupeaux ovins. Il prend enfin des mesures de protection des forêts, les domaines nationaux ayant cessé d'être entretenus et surveillés durant la Révolution[7].
Il se montre moins actif dans le domaine industriel, à un moment pourtant décisif pour ce secteur d'activité dans le département. Il ne s'emploie pas à sortir de son demi-sommeil l'ancienne manufacture royale de Charleville, malgré les besoins militaires durant la période [note 4]. À la différence du premier Consul, il n'argumente et ne favorise pas une mécanisation de l'industrie textile en pays sedanais, pourtant nécessaire face à la concurrence[note 5]. Et il s'inquiète de la multiplication des clouteries et des forges dans la partie septentrionale du département, à l'origine d'une forte consommation de bois[8].
Par contre, tout au long de sa fonction, il se préoccupe des voies de communication et obtient notamment du Conseil général des Ardennes et de l’État français des budgets pour améliorer les routes. Il engage des travaux pour rendre à nouveau la Meuse praticable, et lance les tout premiers chantiers sur le canal des Ardennes[9]. Ce projet de canal date du XVIIe siècle, sous le ministère de Louvois et consistait à l'époque à utiliser et prolonger le cours de la Bar, alors navigable. Rien n'aboutit avant la Révolution de 1789. L'assemblée constituante, avait relancé le sujet, mais faute de retrouver les études précédentes et compte tenu des événements, il était resté lettre morte[10]. En l'an VIII (1800), les conseillers généraux rappellent le projet au préfet. Joseph Frain décide de l'appuyer et argumente sur l'intérêt du canal, sur la base d'un nouveau tracé, dans un rapport du au ministre de l'intérieur, Lucien Bonaparte. Le successeur de celui-ci, le scientifique Jean-Antoine Chaptal, accepte d'entreprendre la construction, mais n'accorde que des fonds très réduits. Les travaux commencent lentement[11]. Ils ne prendront vraiment d'importance que vingt ans plus tard sous la seconde Restauration, avec le lancement en 1820 d'un emprunt pour financer ce projet[10].
Maintien de l'ordre et rôle politique
Un des rôles essentiels des premiers préfets est de maintenir l'ordre public, et de mettre sous contrôle toute opposition au régime. « Par l'institution des préfectures, Bonaparte établit un gouvernement ferme, et dont la forme et l'activité ne laissait aucun espoir aux factieux. Cette magistrature était une des institutions les plus monarchiques qu'on ait jamais imaginées ; elle était parfaitement adaptée au caractère français et à la nécessité de rétablir l'ordre après l'horrible révolution » commentera Monsieur le comte de Vaublanc[12],[note 6]. Joseph Frain signe différents arrêtés pour renforcer les contrôles et la répression des délits, et imposer la détention d'un passeport pour pouvoir sortir de son arrondissement. Il se fait, discrètement, censeur, écrivant ainsi à un directeur d'une troupe théâtrale du département qu'il ne peut « ajouter en aucun cas aucune pièce à son répertoire sans son assentiment »[13]. Il utilise toutes les occasions pour vanter les mérites du nouveau régiment, dans un territoire relativement acquis. Il se montre bienveillant avec les nobles émigrés revenant en France, tout en les mettant quelque temps sous surveillance.
Oubliant les convictions anticléricales de ses années révolutionnaires, il applique la politique d'apaisement du Premier Consul dans le domaine religieux, gérant le retour en France de prêtres réfractaires, redéfinissant avec l'évêque de Metz le découpage administratif des paroisses après le Concordat et la fin du diocèse de Sedan, et informant la communauté protestante, importante à Sedan[note 7], de la possibilité de se choisir un pasteur[14]. Les protestants rétablissent leur culte et leur Église. Si le préfet Frain est leur interlocuteur local, tout ce qui concerne cette église protestante de Sedan est suivi en parallèle à Paris par le conseiller d’État Jean-Étienne-Marie Portalis, ce qui montre l'importance du sujet pour Bonaparte. Portalis, en « Monsieur Bons Offices », établit des recommandations aux deux parties, au préfet comme au consistoire de l'église réformée. Il suggère par exemple au consistoire de faire célébrer un culte solennel d'action de grâces pour la nomination de Bonaparte Consul à vie en 1802. Le consistoire s'y prête de bonne grâce et en tient informé le préfet, mais en profite pour lui signaler l'étroitesse des lieux dont il dispose pour célébrer les cultes. À la suite de quoi le préfet Frain, fort conciliant, réussit à leur mettre à disposition l'ancien couvent des Sœurs de la Propagation de la Foi, tout un symbole, devenu gendarmerie et donc transformé en 1803 en nouveau temple calviniste[15],[note 8].
Il a également la responsabilité, comme les autres préfets de l'Empire de nommer les maires et adjoints des maires des villes et villages de moins de 5 000 habitants, et de proposer des noms au gouvernements pour les villes plus importantes, en l'occurrence Sedan et Charleville, ainsi que pour les membres du Conseil général, instance certes locale mais dont la composition est pilotée par le pouvoir exécutif[16].
Contribution des Ardennes à l'effort militaire
Une autre activité des préfets suivie avec attention par le pouvoir central est leur capacité à réunir les contingents requis pour les forces armées. Les cantons de Couvin et de Philippeville, alors rattachés à la France, sont particulièrement réticents, mais tout le territoire est, au fil des années de guerres napoléoniennes, de plus en plus lassé des conscriptions. Joseph Frain s'emploie avec ténacité à faire aboutir les levées d'hommes, utilisant à la foi la force et la conviction, faisant passer les messages par les maires mais aussi par les curés. Il se montre également très actif à déjouer les fraudes, utilisant les moindres renseignements sur les falsifications de registres d'état civil, limitant les exemptions pour mariage, confisquant les biens des réfractaires, etc.. Ses résultats en ce domaine, appréciés à Paris, sont probablement une des raisons de son maintien en poste pendant une durée record de 14 ans[17].
Dans ces guerres totales que sont les conflits napoléoniens, il rend également possible une autre contribution des Ardennes à l'effort de guerre en recréant un haras à Grandpré et en favorisant les saillies des élevages de chevaux de la région au sein de ce haras par un effort sur le prix[18]. Cet haras impérial fut évacué en , peu avant le déclenchement de la campagne de France, devant les risques d'invasion, et jamais rétabli[19].
Distinctions honorifiques
En reconnaissance de son activité comme préfet, Joseph Frain est fait chevalier de la Légion d'honneur le [20]. Puis l'ancien révolutionnaire roturier, glissant vers la particule, est anobli et devient chevalier de l'Empire, par lettres patentes du [21], avec le titre de chevalier de La Touche[22], et enfin baron d'Empire un mois et demi plus tard, le [22].
Ultime parcours en politique
Il est démis de ses fonctions dans un mouvement d'épuration de la haute-administration, lors de la première Restauration, conduit en plusieurs étapes par Monsieur de Montesquiou-Fézensac mais qui touche le douze autres préfets[23].
Le , il est élu par l'arrondissement d'Avranches représentant à la Chambre des Cent-Jours, par 35 voix sur 60. À la seconde Restauration, il se retire définitivement de la vie publique[24].
Notes et références
Notes
- Joseph Frain est quelquefois confondu avec une personnalité originaire de Bretagne et qui a été préfet dans la même période historique, Louis Frain de La Villegontier. Joseph est quelquefois appelé à tort Joseph Frain de La Villegontier. L'article de Gilles Demuth cité en source signale cette erreur, faite par exemple dans les ouvrages de Jean Savant ou de Pierre-Henry cités également en sources. La consultation du dossier Leonore (extraits de registres de baptême et autres documents administratifs) montre que jamais il n'est cité sous ce patronyme de Frain de La Villegontier dans ces documents. Son père se donnait le titre de sieur des Bretonnières, et lui-même sera anobli, par l'empereur, et sera fait seigneur de La Touche puis baron de La Touche.
- Joseph Frain aurait envisagé différents noms pour la cité résultant de la fusion envisagée entre Charleville et Mézières dont Napoléonville !
- Les deux petits pavillons coiffés de dômes qui encadrent le portail d'entrée de la préfecture des Ardennes, ainsi que la grille, ne sont pas du XVIIIe siècle. Ils furent construits en 1865.
- Cette manufacture avait notamment fabriqué au XVIIIe siècle les premiers fusils Charleville, connus pour leur emploi massif sur les théâtres militaires américains, durant la guerre d'indépendance des États-Unis, et européens, durant la Révolution française, et les guerres napoléoniennes.
- Le premier Consul Bonaparte, accompagné d'un de ses hommes de confiance, Savary, d'origine ardennaise, et du préfet, avait visité en août 1803 les manufactures de textile sedanaises. Dans les ateliers de Guillaume Ternaux, des ouvriers avaient exprimé leur mécontentement de la mécanisation. Bonaparte les avait fait taire et avait argumenté au milieu du personnel sur la nécessité de cette mécanisation pour se battre contre l'industrie textile anglaise.
- Monsieur le comte de Vaublanc fut un monarchiste constitutionnel puis un contre-révolutionnaire. Rallié au Premier Consul, il devint préfet de Moselle sous le Premier Empire, et ministre de l'Intérieur à la Restauration...
- La communauté protestante était importante au sein de la population du pays sedanais mais regroupait également les manufacturiers textile les plus importants, et principaux employeurs d'une population ouvrière déjà non négligeable.
- L'ancien couvent des Sœurs de la Propagation de la Foi devenu gendarmerie puis Temple, est aujourd'hui disparu.
Références
- « Joseph Frain - extrait du registre des baptêmes », sur Leonore, Ministère de la Culture
- Demuth et Tulard 1982, p. 138
- Demuth et Tulard 1982, p. 139
- Dupont 1913, p. 182
- Cart 1991, p. 111
- Plat-Teinturier 1980, p. 49-50
- Demuth et Tulard 1982, p. 184-194
- Demuth et Tulard 1982, p. 199-203
- Demuth et Tulard 1982, p. 204-209
- Ernest Grangez, Précis historique et statistique des voies navigables de la France et l'une partie de la Belgique, Imprimerie centrale de Napoléon Chaix & Cie, , 796 p., p. 44-51.
- Demuth et Tulard 1982, p. 208
- de Vaublanc 1857, p. 407
- Demuth et Tulard 1982, p. 162
- Demuth et Tulard 1982, p. 169-172
- Scheidecker et Gayot 2003, p. 145-153
- Demuth et Tulard 1982, p. 154-155
- Demuth et Tulard 1982, p. 173-178
- Demuth et Tulard 1982, p. 189
- Miroy, Chronique de la ville et des comtes de Grandpré selon l'ordre chronologique de l'histoire de France, Vouziers, Imprimerie Mary, (lire en ligne), p. 196
- « Joseph Frain », sur Leonore, Ministère de la Culture
- Gourdon de Genouillac 1875, p. 219
- Campardon 1893, p. 78
- Tulard 1977
- Robert, Bourloton et Cougny 1889, p. 55
Voir aussi
Sources
Sources sur Joseph Frain, sa biographie, ses actions, classées par date de parution.
- Henri Gourdon de Genouillac, Dictionnaire des anoblis, 1270-1868, suivi du Dictionnaire des familles qui ont fait modifier leur nom 1803-1870, .
- Adolphe Robert, Edgar Bourloton et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français : depuis le 1er mai 1789 jusqu'au 1er mai 1889, t. 3, (lire en ligne).
- Émile Campardon, Liste des membres de la noblesse impériale : dressée d'après les registres de lettres patentes conservés aux Archives nationales, (lire en ligne).
- August Kuscinski, Les députés au corps législatif : conseil des cinq-cents, conseil des anciens de l'an IV à l'an VII, listes, tableaux et lois, .
- Étienne Dupont, Les prisons du Mont Saint-Michel, de 1425 à 1864 : d'après des documents originaux inédits, Librairie académique Perrin, (lire en ligne), p. 182-183.
- Jean Théophile Jules Gustave Chaix d'Est-Ange, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, t. 19, Imprimerie C. Hérissey, , p. 179.
- Pierre-Henry, Histoire des préfets : 150 ans d'administration provinciale 1800-1950, Nouvelles Éditions latines, (lire en ligne).
- Jean Savant, Les préfets de Napoléon, Nouvelles Éditions Hachette, , 350 p..
- Claude Plat-Teinturier, « Charleville et Mézières, villes rivales, villes sœurs, capitales des Ardennes », Les cahiers d'études ardennaises, no 12, , p. 37-54
- Gilles Demuth et Jean Tulard (préface), « Les Ardennes sous le Premier Empire : le préfet Frain (1800-1814) », Revue Historique Ardennaise, vol. XVII, , p. 133-248.
- Michel Cart, Charleville-Mézières, .
- Jean Tulard, Les vingt jours : Louis XVIII ou Napoléon ?, Fayard (maison d'édition), .
- Marc Scheidecker et Gérard Gayot, Les protestants de Sedan au XVIIIe sièckle, t. 3, Paris, Éditions Honoré Champion, , 291 p. (ISBN 2-7453-0834-3).
- Jean-François Hamel et René Gautier (dir.), Dictionnaire des personnages remarquables de la Manche, t. 3, Eurocibles, (ISBN 2-914541-17-1).
Sources sur la mise en place de l'institution préfectorale sous le Consulat et l'Empire, classées par date de parution.
- Jean-Baptiste Honoré Raymond Capefigue, L'Europe pendant le consulat et l'empire de Napoléon, vol. 7, Wouters, Raspoet et Cie, , 316 p. (lire en ligne), p. 55.
- Vincent-Marie de Vaublanc, Mémoires de M. le comte de Vaublanc, Firmin Didot, , 491 p. (lire en ligne).
- Alphonse Aulard, Études et leçons sur la Révolution française, t. VII, , « La centralisation napoléonienne », p. 113-195.
- Jean Tulard, Napoléon ou le mythe du sauveur, Éditions Fayard, , 497 p..
Articles connexes
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