Liber Pater

Liber Pater ou Liber (quelquefois traduit en français sous la forme Père Liber) est un dieu de la fécondité d'origine italique de la religion romaine. Il fut assimilé à Bacchus (Dionysos) par les Romains.

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Le culte de Liber Pater et de sa parèdre Libera remonte à la très haute antiquité à Rome. Le caractère et le sens primitifs de ce culte s'altérèrent ensuite sous l'influence de la mythologie grecque.

Étymologie

Le dieu est appelé le plus souvent Liber ou Liber pater. Quelquefois Liber apparaît comme une épithète de Jupiter : le temple de Jupiter Liber à Furfo, chez les Vestins est bien connu, des inscriptions dédiées à Jovis Liber ont été trouvées sur le territoire des Frentans, en Sabine, et à Capoue, et la même mention se lit à Rome sur le calendrier des Arvales à la date du 1er septembre.

Les plus anciennes formes du mot Liber furent Loebasius, Looebesus, Leiber ou Leber. Varron, cité par Augustin d'Hippone, Sénèque, Paul, ont pris pour base de leur exégèse le sens ordinaire et courant de l'adjectif liber « libre ». Au contraire, Cicéron rapproche le nom du dieu du mot liberi, « enfants ».

L'étymologie moderne rapproche le mot Liber (Leiber, Leber, Loebesus) à la racine indo-européenne lib, d'où est dérivé libare « verser, répandre », : Liber ou Liber Pater était donc le dieu qui répand, qui verse l'abondance et la fécondité[réf. nécessaire].

Jean Haudry reconstruit un groupe italo-germanique de divinités de la croissance tirées de la racine indo-européenne *H1lewdh- dont l'une s'est spécialisée dans la croissance humaine comme le latin līberī, les autres ont pris le sens de « feu de la croissance, de la génération », comme dans le verbe allemand lodern[1].

Liber, dieu de la croissance et de la fécondité

Denier avec Liber et Libera

Deux cérémonies du culte de Liber paraissent propres au Liber italique :

  • La fête romaine des Liberalia, qui se célébrait le 17 mars, et qui n'avait rien de commun ni avec les Dionysies, ni avec les Ludi Liberales de création postérieure. Les rites de cette fêtes excluent toute relation entre le Liber pater romain et les vendanges. Nous n'avons donc pas affaire ici à un dieu de la vigne. Il est plus vraisemblable que Liber fut un dieu qui présidait à la fertilité des champs : on célébrait sa fête au début de la belle saison, pour invoquer sa protection en faveur des récoltes futures, on lui offrait des gâteaux dans la composition desquels entraient les principales productions agricoles de l'Italie, le blé, l'huile, le miel. Quant à la coutume qu'avaient les jeunes Romains de revêtir, pour la première fois le jour des Liberalia, leur toge virile[2], on n'en connait pas l'origine. Liber protégeait peut-être la croissance des hommes et le développement de la vie humaine, comme il présidait à la vie productrice des champs.
  • Outre les Liberalia, nous connaissons, par Augustin d'Hippone[3], qui cite sans aucun doute Varron, une autre cérémonie en l'honneur de Liber. Cette cérémonie, qui semble avoir été d'abord purement rurale et qui plus tard seulement se célébra dans certaines cités, comme Lavinium, avait un caractère nettement phallique[2]. Le phallus, en effet, y jouait le rôle principal. Ces fêtes ne se rapprochent pas des phallophories car on y trouve aucun rapport avec les vendanges et la fabrication du vin. Il n'y a rien de tel dans les phallophories italiques. En outre, bien que nous ne sachions pas avec précision quel était le mois de l'année consacré à ces fêtes, nous pouvons croire qu'elles se célébraient au printemps : le printemps est, en effet, la saison pendant laquelle il est naturel d'invoquer la protection divine, et de détourner des champs le mauvais œil. À l'époque des vendanges, de telles cérémonies n'ont plus de raison d'être. Ajoutons d'ailleurs que Pline l'Ancien signale le culte du phallus ou fascinas, comme un culte proprement romain.

Ainsi, le sens primitif de son nom et les fêtes proprement romaines ou italiques qui étaient célébrées en son honneur, font apparaître Liber ou Liber pater comme un dieu de la fécondité[2]. Le phallus était l'image du Feu divin, comme la semence était perçue comme un « feu de la procréation »[1] : il était invoqué comme protecteur de la fertilité agricole ; il présidait peut-être aussi à la génération animale.

Institution de la triade Cérès, Liber et Libera

L'identification de Liber Pater à Dionysos est ancienne : une inscription falisque datée de -600 associe Cérès au blé et Liber au vin[1].

Le caractère originel de Liber permet de comprendre comment se fit la première assimilation de ce dieu italique à une divinité grecque. Dès le début de la République romaine, sur l'ordre des livres Sibyllins consultés pendant une famine terrible, fut institué à Rome le culte de la triade Cérès, Liber et Libera, qui est la triade éleusinienne Déméter, Iacchos-Dionysos et Korè-Perséphone. Liber correspond dans le groupe latinisé au dieu Iacchos d'Eleusis.

Or, le culte éleusinien était, du moins à l'origine, un culte essentiellement agraire, dont les rites et les symboles exprimaient surtout l'idée de la fécondité universelle. Bien que lacchos ait été plus tard confondu avec Dionysos, ce jeune dieu n'est en rien le dieu de la vigne ou des vendanges : comme la plupart des autres génies ou héros locaux d'Eleusis, tels qu'Eubouleus, Ploutos ou Pluton, Triptolème, Iacchos est essentiellement une personnification de la fécondité. Qu'il ait pris dans la triade latinisée le nom de Liber, cela prouve encore que Liber pater, lui aussi, était primitivement pour les Romains un dieu de la fécondité. D'ailleurs, dans ce culte nouveau, Liber ne joua qu'un rôle très effacé : c'était surtout en l'honneur de Cérès-Démèter que le sanctuaire voué par le dictateur A. Postumius fut construit, et que se célébrèrent les Cerealia.

Assimilation de Liber à Bacchus

La confusion d'Iacchos et de Dionysos amena probablement l'assimilation postérieure de Liber pater et de Dionysos. Car Liber pater ne tarda pas à devenir, pour les Romains et les Italiens, le dieu du vin et de la vigne.

Tandis que Cérès était révérée surtout comme la déesse protectrice de la culture des céréales, Liber pater fut invoqué comme le dieu de la viticulture. C'est là le rôle que lui attribuent les Scriptores rei rusticae, entre autres Columelle, et les Pères de l'Église, par exemple Arnobe et saint Augustin. Les vignerons l'adoraient en même temps que Libera au moment des vendanges. Dans plusieurs rustica le mois d'octobre lui est consacré. On lui offrait, comme prémices de la vendange, et pour mettre sous sa protection toutes les opérations que comporte la fabrication du vin, une libation de moût frais, appelée sacriana : c'était là le pendant du praemetium offert à Cérès au début de la moisson. Outre les vignerons, les marchands de vin honoraient Liber pater : ainsi à Rome des documents épigraphiques nous font connaître le culte que rendaient à ce dieu le collège des négociants en vin du Vélabre. Les vignerons associaient son nom et son culte à ceux de Sylvain et d'Hercule, protecteurs des champs ; les marchands de vin l'unissaient, dans leurs invocations, à Mercure, le dieu du commerce.

Mais en Grèce, Dionysos n'était pas seulement le dieu rustique de la vigne, des vendanges, du vin et des vignerons ; il était le centre d'un thiase ; son culte avait un caractère mystérieux. C'est à ce culte que se rattachent étroitement les fêtes orgiastiques connues sous le nom de Bacchanalia. Ce culte se répandit de bonne heure dans la Grande-Grèce; il pénétra à Rome vers la fin du IIIe siècle av. J.-C. Dès l'année -186, le sénat romain interdit les Bacchanales par un sénatus-consulte fameux (Scandale des Bacchanales).

Sous cette forme, Dionysos prit aussi le nom de Liber ou Liber pater. De même que certains souverains de l'époque hellénistique s'étaient fait honorer comme des nouveaux Dionysos, plusieurs Romains tout-puissants, Marius, Pompée, Marc Antoine, et des empereurs comme Héliogabale voulurent qu'on leur décernat le titre de Liber et qu'on les honorât sous ce nom. Ce culte, purement oriental, de Liber pater se propagea et prit une grande extension sous l'Empire : à Rome, des inscriptions nous font connaître un Hierophantes Liberi patris et un Archibucolus dei Liberi. Ailleurs, par exemple en Gaule, les prêtres de Liber assistaient aux tauroboles en l'honneur de la Grande Mère des dieux. Sous cette forme, Liber pater subit, comme d'autres divinités, l'action du syncrétisme qui se manifesta au IIe et au IIIe siècle dans la religion romaine : une inscription mentionne un signum Liberi patris Panthei, à Préneste.

En tant qu'il est simplement Iacchos ou Dionysos, Liber pater ne présente aucun caractère original, et ne se distingue en rien des dieux grecs auxquels il a été assimilé : il prend tous leurs mythes et adopte même leurs surnoms. Le mot Liber n'est plus qu'une simple traduction de Dionysos ou Bacchus.

À Rome même, le culte proprement dit de Liber n'avait pas une importance considérable. Liber jouait un rôle tout à fait secondaire dans le temple de Cérès, Liber et Libera, qui fut vouée par le dictateur A. Postumius en -496, et dédiée trois ans plus tard par le consul Sp. Cassius : ce temple était situé près du Circus Maximus. Le Calendrier des Arvales nous apprend que le 1er septembre on célébrait une fête sur l'Aventin en l'honneur de Jupiter Liber : un sanctuaire du dieu se trouvait donc là. Nous savons, d'autre part, qu'un temple de Liber et de Libera existait sur le Capitole.

Le culte de Liber hors de Rome

En Italie, Liber pater fut toujours très honoré. Le culte de Dionysos avait été de bonne heure populaire dans le sud de la péninsule ; plus tard, il se répandit jusque dans la vallée du Pô. Hors de l'Italie, dans les provinces de l'empire, le culte du dieu se répandit en Espagne, en Gaule, dans l'Afrique du Nord, et surtout dans les provinces voisines du Danube, en Pannonie particulièrement et en Dacie. Là, le couple Liber et Libera, que l'on rencontre très rarement ailleurs, apparaît fréquemment dans les dédicaces ; aussi est-il vraisemblable qu'il y eût dans ces pays, avant l'occupation romaine, un couple de divinités indigènes, qui furent assimilées à Liber et à Libera.

Représentation

Du Liber pater proprement italique ou romain nous ne possédons aucune image, aucune représentation. Toutes les statues de Liber, tous les bas-reliefs, toutes les peintures ou mosaïques, toutes les effigies monétaires où le dieu est figuré nous montrent, sans exception, le Dionysos grec, presque toujours jeune, imberbe, dont les attributs habituels sont la couronne de pampres ou de lierre, le thyrse, le canthare, la panthère. Sur la ciste de Préneste, où se lit le nom de Leiber, le dieu est représenté barbu, sans autre attribut que la vigne : c'est donc déjà le Dionysos grec, du type le plus ancien. Il semble d'ailleurs, d'après le récit de Varron, que dans les cérémonies le dieu fut représenté symboliquement par le phallus. Les Romains ont purement et simplement emprunté à l'art grec le type de Dionysos pour représenter leur dieu Liber.

On retrouve la représentation de Bacchus avec la peau de panthère accompagnée de la dédicace LIBERO PATRI (à Liber Pater) sur les deniers de l'empereur Septime Sévère[4].

Le vignoble Liber Pater

Il existe un vignoble Liber Pater dans le vignoble bordelais en AOC Graves.

Notes et références

  1. Jean Haudry, Le feu dans la tradition indo-européenne, Archè, Milan, 2016 (ISBN 978-8872523438), p. 400 et suiv.
  2. Georges Dumézil, La religion romaine archaïque, 2e édition revue et corrigée, Paris : éditions Payot, 1974, p. 382-383
  3. Augustin d'Hippone, La Cité de Dieu, livre VII, Chapitre 21 : « Entre les rites nombreux que je suis forcé d'omettre, Varron raconte qu'en certains lieux de l'Italie les fêtes de Bacchus se célébraient avec un tel cynisme qu'en son honneur l'on adorait les parties viriles de l'homme ; et, dédaignant même la pudeur du secret, ce culte étalait au grand jour le triomphe de l'infamie. Car, pendant le temps de ces solennités, ce membre honteux, promené sur un char, parcourait les environs de Rome, puis entrait dans la ville même. A Lavinium, tout un mois était donné à Liber, durant lequel on proférait les plus horribles obscénités jusqu'à ce que l'infâme idole eût traversé le Forum pour rentrer dans sa demeure. Et il fallait qu'en public la plus honnête mère de famille vînt déposer une couronne sur ce monstrueux objet! Et pour rendre Liber propice aux semences, pour détourner des champs tout sacrilége, il fallait donc qu'une femme fît publiquement ce qui sur le théâtre devrait être interdit même à une courtisane, en présence des femmes honnêtes. »
  4. monnaie référencée C301 sur Henry Cohen, Description historique des monnaies frappées sous l'Empire Romain, Paris, 1892,

Bibliographie

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