Mafia (étymologie)

Le terme mafia désigne le crime organisé sicilien ; le nom « mafia », originaire de Toscane, est apparu au milieu du XIXe siècle en Sicile.

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Grand procès de 1901 contre la mafia : 89 inculpés, 32 condamnés, une bonne partie libérée en raison de la détention provisoire déjà effectuée. Illustration du journal de Palerme, L'Ora, propriété de la riche famille Florio, elle-même liée à la mafia.

L'apparition du terme en Sicile : 1863

Le terme est popularisé dans les années 1860[1]. Il est apparu pour la première fois en 1863. Dans son dictionnaire de dialecte sicilien, Traina signale que c'est un mot récent et importé par les Piémontais venus dans l'île avec Garibaldi au moment de l'unification italienne, qui s'est traduit par le rattachement de la Sicile à l'Italie en 1861 (sous domination piémontaise, voir Cavour, l'expédition des Mille)[2]. Vincenzo Mortillaro (1876) donne aussi au mot mafia une origine exogène, un mot importé par les Piémontais qui était synonyme de la Camorra pour Naples[3].

Un mot originaire de Toscane, puis réapproprié par la société sicilienne

Ce mot n'est donc pas d'origine sicilienne, mais vient de l'Italie du Nord. Il vient de Toscane précisément, où il signifie "misère". Le mot à l'origine possédait deux ff (maffia), mais à son arrivée en Sicile il en a perdu un. Ce que les Piémontais définissaient comme "misère" était la vie en Sicile (région pauvre) ; les Siciliens eux en ont fait leur orgueil, une "supériorité d'âme", d'où le sens nouveau qu'il prit en sicilien. La mafia est donc née du rejet par la société sicilienne des préjugés et de la supériorité venue du Nord avec l'unité italienne[2].

Mythologies développées autour du mot

À partir de là, on a rattaché à ce mot tout le courant historique de résistance à l'envahisseur étranger : depuis les fameuses vêpres siciliennes de 1282[2]. À cette époque l'étranger n'était pas piémontais mais français ; au moment du soulèvement sanglant de 1282, le mot d'ordre avait été "Mort aux Français", "Morte Alla Francia" dont les initiales étaient MAF, il ne manquait plus qu'à rajouter, quitte à tordre le cou à la vérité historique, le "Italia Anella" pour que la phrase devienne "L'Italie aspire à la mort de la France" (ce qui était pratique à une heure où Napoléon III soutenait l'unité italienne au profit du royaume de Piémont-Sardaigne sans tenir compte des aspirations des républicains italiens) et que les initiales deviennent par la même occasion MAFIA[2].

Ce sont les Siciliens et encore plus les mafieux eux-mêmes qui enjolivèrent les origines du mot lui déniant le côté criminel et même associatif. Ainsi le linguiste Giuseppe Pitrè (1841-1916) préférait voir la "mafia" comme une "hardiesse apparente et secrète d'âme, un orgueil, une fierté, une supériorité d'âme", de même Giuseppe Maggiore y voyait simplement une "hypertrophie de l'ego"[2]. Ces mêmes érudits qui cherchaient à dénier le côté criminel et récent de la mafia étaient eux-mêmes liés de près à ce milieu... leurs travaux sont fortement remis en cause par les historiens de la mafia (John Dickie souligne que Pitré était aussi à l'époque proche collaborateur du député Raffaele Palizzolo, un mafieux notoire). Encore récemment Diego Gambetta (en) (1993)[4],[5] a repris à son compte cette étymologie romantico-fantaisiste, preuve de la persistance aujourd'hui encore des illusions que l'on se fait autour de la mafia[4].

Dans la même veine, aujourd'hui on trouve souvent des étymologies aussi lointaines que fantaisistes. L'une fait remonter l'origine du mot à l'occupation arabe de la Sicile ; le terme aurait des origines arabes, par exemple « muâfat » qui signifie courage ou protection[6],[7],[8] des faibles ou mua-fy une incantation prononcée pour se protéger contre "la mort rôdant la nuit"[3].

Le mot pourrait venir aussi d'un nom de lieu : un champ de courses, ou une région riche en cavernes (magtaa signifiant caverne) des environs de Trapani. On a même pensé au mot mahias qui veut dire "vantard"[3]. Un autre mythe voudrait que MAFIA soit les initiales d'une secte de mercenaires regroupés autour de Giuseppe Mazzini : "Mazzini Autorizza Furti Incendi Avvelenamenti" qui veut dire "Mazzini autorise les vols, incendies et empoisonnements"[2].

I mafiusi di la Vicaria di Palermo 1862

L’expression mafistes serait devenue courante, dans son sens criminel[1], à partir de 1863, avec la pièce I mafiusi di la Vicaria di Palermo, Les mafistes de la prison de Palerme, de Giuseppe Rizzotto (en), qui eut un grand succès et fut traduit en italien, napolitain et meneghino, diffusant le terme dans toute l'Italie[1]. Dans cette pièce, le mafioso est le camorrista [réf. nécessaire], l’« homme d’honneur », c’est-à-dire l’individu qui adhère à une société qui s’oppose aux institutions et qui exhibe courage et supériorité, il est montré sous son plus mauvais jour : grossier, arrogant, violent, hypocrite, lâche, perfide etc[3]. À la fin de la pièce, les "prisonniers" ou "mafistes", sont libérés par un homme qui les engage dans une société de secours mutuel pour les réinsérer socialement[9] ; la morale est donc sauve puisque ces hommes ne seraient donc pas perdus pour de bon pour la société. Quoi qu'il en soit cette pièce jouée pour la première fois à Rome en 1884 connaît un véritable succès[9]. Selon J. Dickie, cette pièce est à l'origine du mythe de la Mafia protectrice des faibles et symbole de comportement honorable[1].

Les rapports du XIXe siècle

Dans son rapport de 1864 sur la sécurité publique en Sicile, le baron Turrisi Colonna (en), qui se révèlera plus tard proche du mafieux Antonino Giammona, ne parle pas de mafia, mais de « secte »[1]. Dickie affirme que c'est le gouvernement italien qui popularisa le terme dans son sens actuel[1].

Un document confidentiel signé par le marquis et préfet de Palerme Filippo Antonio Gualterio, en , mentionne la « Mafia, o associazione malandrinesca » (en français « la Mafia, ou association de malandrins »)[réf. nécessaire]. Selon Gualterio, la Mafia offrait alors sa protection aux opposants du gouvernement[1]. Le gouvernement profita des suggestions de ce rapport pour envoyer une troupe de 15 000 soldats en Sicile, pendant six mois, pour réprimer l'opposition politique[1]. Selon Dickie, Gualterio avait opportunément classé tous les agissements de la Mafia du côté des adversaires du gouvernement, alors que des chefs importants, tels Antonino Giammona, s'étaient placés du côté du gouvernement[1]. Son rapport suscita également une longue controverse sur le sens du mot mafia, certains affirmant qu'il voulait dire comportement honorable et brave, d'autres déclarant au contraire qu'il désignait une organisation criminelle[1]. En 1877, le rapport de Leopoldo Franchetti et Sidney Sonnino décrivit la mafia comme une « industrie de la violence », et le sens d'association criminelle fut consacré à nouveau par le rapport Sangiorgi (it) au tournant du XXe siècle.

D'autres étymologies ont pu être invoquées, suscitant l'ironie de la nouvelle Philologie (1973, in La Mer couleur de vin) de Leonardo Sciascia qui met en scène deux mafieux présentant des significations opposées afin d'égarer le lecteur[1]. Ainsi, à l'origine du mot, il y aurait, selon certains, le terme pluriel maffi qui désigne une partie des harnais des chevaux (petites bandes de peau)[réf. nécessaire].

Théories diverses

De maffi viendrait l'adjectif maffiusu = cavallo bardato ed ornato = « cheval harnaché » et aussi « cheval de la Berberie »[réf. nécessaire], par extension dit de l'homme qui veut s'habiller toujours de façon accoutrée, attifée. Donc l'origine de maffiusu serait la même que celle du napolitain guappo (de l'espagnol guapo, « beau », mais aussi « bien habillé »).

Maffia, devenu mafia au Nord de l'Italie (où on ne prononçait pas les doubles consonnes) aurait été formé sur l'adjectif substantivé.

En Toscane, dans la langue populaire mafioso veut dire « bien harnaché » (dit d'une personne élégante, bien habillée ou habillée de manière excessive)[réf. nécessaire]. Mafia serait le comportement de cette personne. Cependant, cela pourrait signifier, par ironie, le contraire, mafioso voulant alors dire « mal harnaché », « pauvre », mal habillé et mafia « pauvreté ».

Enfin, le terme toscan maffia (« misère ») ne semble avoir aucun lien avec le vocable sicilien [réf. nécessaire]. Le terme entra dans la langue populaire en Sicile juste après l’Unification de l’Italie (Risorgimento) en 1861, où il subit le phénomène de l’affaiblissement phonétique, comme d’autres mots toscans entrés dans l’usage sicilien [réf. nécessaire].

On raconte traditionnellement que ce qui provoqua les vêpres siciliennes est qu'un jeune soldat français provençal, nommé Pierre Druet, viola une jeune fille[10]. La mère, bouleversée par ce qui était arrivé à sa fille, courut à travers les rues en hurlant Ma - ffia, Ma - ffia! ou « mia figlia, mia figlia » (« Ma fille, ma fille »). Le cri de la mère fut répété par d'autres et depuis Palerme le terme se diffusa dans toute la Sicile. Le terme mafia devint ainsi le mot des mouvements de résistance, émergeant ainsi de la lutte des siciliens et des italiens très pauvres. On raconte aussi que le fiancé de la jeune fille, Jean de Procidia, cria « Morte alla Francia », Mort aux Français, début des initiales de MAFia[10].

L'expression « mia figlia » aurait pu également être prononcée par une mère à la suite d'un crime sur sa fille, mais passionnel cette fois-ci, ce qui opposa deux puissantes familles Siciliennes et déclencha ainsi l'une des premières vendetta.

Le terme toscan entra dans la langue populaire en Sicile juste après l'unification de l'Italie en 1862, où il subit le phénomène de l'affaiblissement phonétique, comme d'autres mots toscans entrés dans l'usage sicilien. Il servit alors à désigner d'une part l'organisation secrète des classes populaires, qui trouvaient dans la mafia la protection contre le pouvoir des classes dominantes. Et d'autre part le courage et l'ostentation des mafiosi de cette époque.

Aujourd'hui encore, en Sicile, l'adjectif mafiusu est utilisé aussi pour désigner quelque chose de coûteux : un costume élégant ou une voiture prestigieuse sont un vestito mafiusu, una machina mafiusa, car à l'époque le peuple voyait dans les mafiosi leurs défenseurs, mais aussi car il associait l'idée de la justice sociale avec celle de l'avenance et de la prestance.[réf. nécessaire]

Selon l'historique des traditions populaires de Giuseppe Pitrè, le terme était utilisé dans le parler d'un quartier populaire de Palerme, comme synonyme de beauté et d'audace. L'expression mafia est devenue courante à partir de 1863, avec la pièce I mafiusi di la Vicaria de Giuseppe Rizzotto et Gaetano Mosca, qui eut un grand succès et fut traduit en Italien, Napolitain et Meneghino, diffusant le terme sur tout le territoire national. Dans cette pièce, le mafioso est le camorrista, l'"homme d'honneur", c'est-à-dire l'individu qui adhère à une société qui s'oppose aux institutions et qui exhibe courage et supériorité.

Un document confidentiel signé par le préfet de Palerme Filippo Gualtiero en , mentionne la "Mafia, o associazione malandrinesca" (en français "la Mafia, ou association de malandrins").

Dans les années 1860 commence la notoriété du terme, qui désigne par exemple dans les documents officiels, comme les communications des fonctionnaires, à la fois une association de malfaiteurs et un comportement courant dans la société sicilienne.

Terminologie

  • il gabbelluto : c'est un intermédiaire entre les grands propriétaires terriens et les paysans, qui loue les terres aux paysans en échange d'une part très importante de leur récolte[1].
  • i latifondi : ce sont des exploitations agricoles qui pratiquent une agriculture extensive. Elles sont caractéristiques d'économies peu développées : manque de structures d'irrigation et des moyens rustiques.
  • il pentito : c'est littéralement un « repenti », c'est-à-dire un ex-mafieux qui accepte de rompre l'omertà et de collaborer avec la justice en donnant des informations aux carabiniers, ceci en échange d'une protection policière et d'une réduction de peine.
  • le pizzo : litt. « le bec », désignant l'argent du racket par dérivation issue de l'expression « se mouiller le bec »[1].

Notes et références

  1. Dickie 2007, en particulier chapitre I.
  2. Fernandez 1972, p. 23.
  3. Susini 1990, p. 239.
  4. Dickie 2007, p. 119.
  5. Gambetta 1993.
  6. Guide Vert Michelin, « Sicile », 2011, p. 48.
  7. Gambetta 1993, p. 259-261.
  8. Dickie 2007.
  9. Susini 1990, p. 240.
  10. Fernandez 1972, p. 22.

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • [Dickie 2007] (en) John Dickie, A History of the Sicilian Mafia, Palgrave Macmillan, .
  • [Dickie 2007] John Dickie (trad. de l'anglais par Anne-Marie Carrière), Cosa Nostra. La mafia sicilienne de 1860 à nos jours, éd. Perrin, coll. « Tempus » (no 196), , 512 p. (ISBN 2262027277).
  • [Fernandez 1972] Dominique Fernandez, « La mafia c'est la Sicile », Historia, no 28, hors série no 28 « la Mafia », , p. 18-33.
  • [Gambetta 1993] (en) Diego Gambetta (en), The Sicilian Mafia: The Business of Private Protection, Londres, Harvard University Press, .
  • [Lupo 1996] Salvatore Lupo, Histoire de la Mafia des origines à nos jours, Flammarion, coll. « Champs Histoire », , 398 p. (ISBN 2-08-080002-7).
  • [Susini 1990] J. Susini, « Mafia », dans Encyclopédie Universalis, t. 14, Paris, , p. 239-242.
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