Manifestation du 11 novembre 1940
La manifestation du est une manifestation de lycéens et d'étudiants ayant eu lieu à Paris, sur les Champs-Élysées et devant l'arc de triomphe de l'Étoile en commémoration de l'armistice du . Rassemblant plusieurs milliers de personnes et durement réprimée par les occupants nazis, elle est considérée comme un des tout premiers actes publics de résistance à l'occupant en France après l'armistice du et l'appel du 18 Juin.

Origines de la manifestation
Contexte estudiantin
La manifestation du tire ses origines de plusieurs événements survenus peu avant. Tout d'abord, l'occupation de Paris depuis juin 1940 est une humiliation pour les Parisiens, et l'installation de l'armée allemande avec ses corollaires (panneaux en allemand, drapeaux nazis, etc.) marque la défaite française de façon particulièrement visible.
Plus tard, la poignée de main entre le Maréchal Pétain et Adolf Hitler à l'entrevue de Montoire le signe l'entrée dans la collaboration. Pour nombre de Français persuadés que Pétain était en train de préparer une revanche, c'est une désillusion.
La Sorbonne rouvre ses portes dès tandis que le régime de Vichy est instauré[3]. Tant bien que mal, lycéens et étudiants font leur rentrée scolaire et la vie universitaire reprend son cours. Les conférences universitaires d'ordre scientifique et littéraire sont maintenues à la Sorbonne et à la faculté de médecine. Rapidement, des lancers de tracts et d'œufs au Quartier latin sont rapportés[3]. « Des « V » sont tracés sur les murs, des « Vive de Gaulle » sont criés dans les couloirs du métro »[4], des papillons sont placés dans les livres des bibliothèques dénonçant l'occupation allemande, la mainmise de Vichy sur l'université et son « dessein d'asservissement intellectuel de la France »[3]. Le , les étudiants Christian Rizo et Félix Kauer sont condamnés à 2 mois de prison pour un lancer de tracts sur des personnalités allemandes dans un amphithéâtre[5]. La présence d'Allemands dans les amphithéâtres de la Faculté de Médecine en auditeurs libres irrite profondément les étudiants qui protestent. Le , les étudiants désertent un amphithéâtre devant trois officiers allemands[3]. Le , un incident similaire est rapporté[3].
À la faculté de droit, Jean Ebstein, André Pertuzio, Alain Griotteray, sympathisants et militants de l'Action française, noyautent le comité de la Corporation pour en faire un bloc d'opposition à l'Association générale d'entraide aux étudiants de Paris, d'inspiration allemande[4],[6]. Quant à la Fédération des Etudiants de Paris présidée par François Lescure, étudiant en lettres, militant communiste et militant de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), elle exige la « démobilisation rapide, la sortie de camps de jeunesse et des sessions de rattrapage »[3] pour les étudiants.
Le changement de la date de la cérémonie
Le , le secrétaire d'État à l'Instruction publique Georges Ripert informe les recteurs que le sera un jour travaillé ordinaire mais souhaite tout de même des cérémonies discrètes dans les établissements[3]. La lecture d'une circulaire interdisant les manifestations et commémorations est faite par les recteurs d'université et les proviseurs, annonçant indirectement aux jeunes qu'il y avait une tension sur le sujet[7]. L'information fuite jusqu'aux oreilles d'étudiants et lycéens qui n'entendent pas se laisser dicter leur conduite. En effet, la question de la commémoration du , traditionnelle et extrêmement importante depuis 1920, pose problème aux autorités allemandes (qui ne veulent pas d'une célébration de la défaite allemande de 1918) et aux autorités françaises (qui ne veulent ni déplaire au peuple, ni à l'occupant). Le gouvernement de Vichy surenchérit en déclarant que les morts de la Grande Guerre seront finalement commémorés le , jour de la Toussaint[3]. Spontanément, dans un Paris où le sentiment anti-allemand se développe, 20 000 personnes passent déposer à l'Arc de Triomphe près de 500 bouquets le [8].
Les jours suivants, plusieurs incidents sont signalés entre des étudiants et des soldats allemands à l'université ou dans des cafés, dans les jours précédant le . En conséquence, le café d'Harcourt, lieu d'émulation étudiant, est fermé de même que les étages des cafés Dupont et Capoulade pour éviter les réunions[3].
En parallèle, depuis le début du mois de , un tract particulièrement apolitique et rassembleur, transmis de la main à la main et manuscrit circule. Il appelle à la manifestation devant la tombe du Soldat inconnu le au soir :
« Étudiant de France,
Le 11 Novembre est resté pour toi jour de
Fête Nationale
Malgré l'ordre des autorités opprimantes, il sera
Jour de Recueillement.
Tu n'assisteras à aucun cours
Tu iras honorer le Soldat Inconnu 17 h 30
Le 11 Novembre 1918 fut le jour d'une grande victoire
Le 11 Novembre 1940 sera le signal d'une plus grande encore
Tous les étudiants sont solidaires pour que
Vive la France.
Recopie ces lignes et diffuse-les. »
— Tract trouvé dans le hall de la faculté de médecine de Paris (conservé à la BDIC)[9].
Arrestation de Paul Langevin
L'arrestation de Paul Langevin le , grande figure scientifique et professeur au Collège de France, est également considérée comme un des éléments déclencheurs de la manifestation. Le , Jacques Bonsergent de l’École nationale supérieure d'Arts et Métiers est arrêté pour une bagarre avec des soldats allemands. Il est fusillé le pour avoir refusé de dénoncer son camarade à l'initiative de la bagarre[4].
Enfin, la veille du , une note officielle est publiée parue dans les journaux du : « La préfecture de police communique : les administrations et les entreprises privées travailleront normalement le 11 novembre à Paris et dans le département de la Seine. Les cérémonies commémoratives n’auront pas lieu. Aucune démonstration publique ne sera tolérée »[4].
Déroulement de la manifestation
La manifestation du débute en fait tôt le matin à 5 h 30 quand André Weil-Curiel, Léon-Maurice Nordmann et Michel Edinger, membres du réseau du Musée de l'Homme, déposent devant la statue de Georges Clemenceau en bas des Champs-Élysées une gerbe « en témoignage d'admiration envers l'homme qui ne voulut jamais capituler et ne désespéra pas de la Patrie ». La gerbe est entourée d'un ruban tricolore et accompagnée d'une « carte de visite » en carton d'un mètre de long, portant l'inscription « Le général de Gaulle à l'organisateur de la victoire ».
La carte de visite et le ruban disparaissent au cours de la matinée ainsi que les nombreux bouquets qui avaient été déposés près de la gerbe par des mains anonymes. Un certain nombre d'arrestations sont effectués. Tout au long de la journée des Parisiens viennent sur la tombe du Soldat inconnu.
Dans la journée, le Quartier latin où sont les étudiants est calme, tandis que les lycées continuent leurs cours. Les étudiants et lycéens commencent à converger, par petits groupes, vers la place de l'Étoile à partir de 16 h seulement. Un cas particulier, celui des élèves du lycée Janson-de-Sailly venus en groupe, avec une gerbe de fleurs de deux mètres de haut, en forme de croix de Lorraine. Lors de cette manifestation on relève la présence de André Weil-Curiel, Yves Kermen, François Bresson, Jean Ebstein-Langevin, Francis Cohen, Olivier de Sarnez, Germaine Ribière, Alain Griotteray[10], Roger Nimier[11], André Pertuzio…
La manifestation arrive à son apogée vers 17 h, où les estimations font état de près de 3 000 jeunes, lycéens, étudiants ou jeunes actifs, présents sur la place de l'Étoile et devant la tombe du Soldat inconnu. Une note de police rapporte qu'on y chante La Marseillaise, qu'on y crie « Vive la France », « Vive De Gaulle » ou, plus ironiquement, « Vive de… » en brandissant deux cannes à pêche (des gaules).
Des incidents éclatent entre des manifestants et des jeunes pronazis français du Jeune Front, installés dans une boutique sur les Champs-Élysées. D'abord surprise, l'armée allemande riposte par des coups de crosse, ainsi que par des tirs. Les manifestants se dispersent alors rapidement et de façon désorganisée. Vers 18 h 30 la manifestation est terminée, laissant une quinzaine de blessés dont cinq graves (parmi lesquels Pierre Lefranc, future figure du gaullisme)[12].
Réaction des autorités
Plus de 200 arrestations sont alors effectuées, par la police française ou directement par les Allemands. Les étudiants et lycéens arrêtés sont emmenés dans les prisons de la Santé, du Cherche-Midi et de Fresnes[13]. Une semaine plus tard, il reste encore plus de 140 personnes incarcérées. Des rumeurs parlent d'étudiants fusillés, ou déportés. Radio Londres évoque le chiffre de 11 tués et 500 déportés le . Jérôme Carcopino, de facto recteur de l'Université de Paris après que Gustave Roussy a été démis de ses fonctions le , doit demander au préfet de Paris de faire démentir ces chiffres pour garder le calme. Il tente dans les semaines qui suivent la manifestation de faire atténuer la répression.
En effet, l'Université a été fermée dès le , ainsi que tous les établissements d'enseignement supérieur de Paris. Les étudiants provinciaux doivent rentrer chez eux, les Parisiens sont tenus de pointer quotidiennement dans les commissariats. En même temps que les efforts de Carcopino, le commandement militaire allemand de Paris demande à Berlin de rouvrir les établissements parisiens, ce qui est fait progressivement entre le et le .
Les étudiants emprisonnés sont progressivement relâchés, jusqu'au début du mois de décembre. Pour prévenir toute reprise d'opposition, les autorités allemandes font des arrestations préventives de jeunes autour des Champs-Élysées, avec un point culminant le avec plus de 1 000 arrestations[14].
Mémoire
La composition des manifestants est assez floue et a donné lieu à des récupérations dès les années suivantes. Il semble que les étudiants et lycéens aient été relativement apolitiques et provenant à la fois de la droite nationaliste et de la gauche communiste. Le tract d'appel à manifester étant reconnu comme particulièrement apolitique.
Lors de la répression, ce sont davantage les gaullistes qui sont incriminés par les autorités, mais des militants communistes identifiés, comme François Lescure, sont tout de même interrogés et la presse clandestine communiste salue la manifestation, tout en la rattachant fortement à l'arrestation de Paul Langevin. Les étudiants arrêtés nient toute origine politique. Les journaux d'occupation mettent la responsabilité de la manifestation sur l'irresponsabilité de la jeunesse. La presse clandestine salue la défense des traditions universitaires. Si le patriotisme est rarement mis en avant, les différents groupes commencent à s'attribuer la paternité de la manifestation.
Les années suivantes, les autorités surveillent fortement le Quartier latin afin de prévenir toute nouvelle tentative de manifestation. Le Front national étudiant salue la mémoire des étudiants de 1940, ainsi que divers résistants en 1945 (comme Jean Guéhenno, ou Gustave Roussy lorsqu'il reprend ses fonctions en 1945). L'UNEF ne valorise pas cet événement, et demande sans insistance et sans succès la pose d'une plaque commémorative en 1948.
De leur côté, les communistes et notamment François Lescure, revendiquent la paternité de la manifestation et notamment l'impression des tracts d'appel à manifester. Le récit de l'événement est enjolivé, devenant une marche unie remontant les Champs-Élysées aux cris de « à bas Pétain, à bas Hitler ». Le rôle des communistes est donné comme prédominant. Ce discours, relayé jusqu'en 1968, reçoit ses premières inflexions après une étude de Raymond Josse puis d'autres historiens jusque dans les années 1990.
Une Association des Résistants du est créée en 1959 et fait suite à la pose d'une plaque commémorative en 1954. Son fondateur et délégué général est Jean Ebstein-Langevin. Elle accepte en son sein des anciens manifestants parrainés par des membres. Elle est placée d'emblée sous la présidence d'honneur de Pierre Lefranc, gaulliste blessé et incarcéré lors de la manifestation. Elle organise lors des cérémonies du des dépôts de gerbe, reprenant la grande gerbe de deux mètres du lycée Janson-de-Sailly. Elle recueille également des témoignages d'anciens manifestants en lien avec la direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives du ministère de la Défense. Elle accrédite la thèse d'une manifestation spontanée de jeunes étudiants et lycéens, « instinctivement patriotes » et parfois potaches contre l'occupant[15].
Représentations culturelles
Bande dessinée
Dans le tome 1 de la série Les Zazous[16] de Salva Rubio et Danide, les jeunes héros participent à la manifestation du 11 novembre 1940.
Notes et références
- « 11-Novembre : Hommage aux lycéens résistants de 1940 », sur lemonde.fr, .
- Alain Vincenot, Jean Mattéoli (préface) et Christine Levisse-Touzé (introduction), La France résistante : Histoires de héros ordinaires, Paris, Éditions des Syrtes, coll. « Histoire et document », , 574 p. (ISBN 2-84545-089-3), p. 29.
- Monchablon 2011.
- Présidence de la République, « Célébration nationale du 92e anniversaire de l'Armistice de 1918 »
, sur defense.gouv.fr, (consulté le ).
- « Christian Rizo », sur resistance-ftpf.net (consulté le ).
- Camille Berth, « Premier acte de résistance à l'ennemi : Le », sur Action française, (consulté le ).
- Monchablon 2011, p. 70.
- Monchablon 2011, p. 69.
- Appel à manifester le , museedelaresistanceenligne.org.
- Alain Griotteray, Mémoires, Monaco, Éditions du Rocher, .
- Marc Dambre, « Les Hussards et l'Action française », dans Michel Leymarie (dir.), Olivier Dard (dir.) et Jeanyves Guérin (dir.), L'Action française : Culture, société, politique, vol. IV : Maurrassisme et littérature (issu du colloque tenu du au à l'Université Paris 3-Sorbonne nouvelle), Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », , 320 p. (ISBN 978-2-7574-0401-0, lire en ligne), p. 201–217.
- Monchablon 2011, p. 72-73.
- Alain Monchablon, « , une manifestation à la lumière des archives », Libération, (lire en ligne).
- Monchablon 2011, p. 75.
- Monchablon 2011, p. 78-81.
- Les Zazous - Tome 01, (lire en ligne)
Voir aussi
Sources et bibliographie
- Georges-Marc Benamou, Les Rebelles de l'an 40 : Les premiers Français libres racontent, Paris, Robert-Laffont, , 375 p. (ISBN 978-2-221-11584-8).
- Georges-Marc Benamou, Les Rebelles du , documentaire, dans La Case du siècle, 2013, 52 minutes.
- Michel Cournot, « Les résistants du », Le Monde, , p. 1, republié dans la rubrique « Il était une fois », [lire en ligne (page consultée le 24 avril 2022)].
- Germe et Cité des mémoires étudiantes pour le 80e anniversaire en 2020 :
- « 80e anniversaire de la manifestation du », sur le site du Germe, , avec des illustrations, documents et le dossier numérisé « L'UNEF, les étudiants pendant la guerre de 1939-1945 et sous l'occupation : attentismes, collaborations et résistances », Cahiers du Germe, no 25, (lire en ligne) avec des études et des témoignages.
- « Le », exposition, sur museedelaresistanceenligne.org, Association pour des études sur la Résistance intérieure (AERI), Fondation de la Résistance, , notamment « Appel à manifester le », reproduisant des extraits de :
- Bruno Leroux, Traces de Résistance : Refus, mobilisation, combats, sauvetages, libérations, martyres, mémoires, Paris, Fondation de la Résistance, , 93 p. (ISBN 978-2-912257-41-3)
- Danielle Tartakowsky, « La manifestation du », dans La Résistance en Île-de-France, Paris, AERI, coll. « Histoire en mémoire », , 34 p., livret + CD-ROM (ISBN 2-915742-02-02 (édité erroné)).
- « Le , 80 ans après », conférence, sur YouTube, .
- Raymond Josse, « La naissance de la résistance étudiante à Paris et la manifestation du », Revue d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale, vol. 12, no 47, , p. 1–31 (JSTOR 25729746).
- Alain Monchablon, « La manifestation étudiante à l'Étoile du : Histoire et mémoires », Vingtième Siècle : Revue d'histoire, no 110, , p. 67–81 (ISBN 978-2-7246-3207-1, DOI 10.3917/ving.110.0067, lire en ligne).
- Philippe Nivet, « Manifestation du », dans Michèle Cointet (dir.) et Jean-Paul Cointet (dir.), Dictionnaire historique de la France sous l'Occupation, Paris, Tallandier, , 732 p. (ISBN 2-235-02234-0), p. 467.
- Maxime Tandonnet, 1940, un autre : "étudiant de France, malgré l'ordre des autorités opprimantes, tu iras honorer le Soldat inconnu", Paris, Taillandier, , 249 p. (ISBN 978-2-84734-605-3).
- Danielle Tartakowsky, « : Manifestation à Paris », dans François Marcot (dir.), Bruno Leroux et Christine Levisse-Touzé, Dictionnaire historique de la Résistance, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1187 p. (ISBN 2-221-09997-4), p. 601–602.
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