Moritomo Gakuen
Moritomo Gakuen (学校法人森友学園, gakkō hōjin Moritomo Gakuen) est une entreprise japonaise spécialisée dans l'enseignement. Elle est liée à un scandale politique touchant le premier ministre Shinzō Abe en 2017[1] et 2018[2], son épouse Akie Abe ayant accepté d’être la proviseure honoraire d'une école primaire du groupe[3]. L'entreprise est connue pour son orientation nationaliste[4].
Gakkō hōjin Moritomo Gakuen | |
École primaire inachevée sur le site de Toyonaka de Moritomo Gakuen (mars 2017) | |
Création | |
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Forme juridique | Organisation éducative privée au Japon (d) |
Siège social | Yodogawa-ku (Osaka) |
Activité | Système éducatif (en) |
Site web | www.tukamotoyouchien.ed.jp |
Dans ses écoles, Moritomo Gakuen fait réciter le rescrit impérial sur l’éducation et dit offrir une éducation shintoiste[3].
Yasunori Kagoike, président de Moritomo Gakuen, est membre de la Nippon Kaigi[3],[5].
Affaire de l'achat de terrain
L'entreprise a acquis à un tarif nettement inférieur aux prix du marché un ancien terrain industriel vendu par l’État, près de l’aéroport international d'Osaka (situé à Toyonaka)[3]. Une école primaire aurait dû être ouverte sur ce terrain ; plusieurs noms ont été utilisés pour appeler ce nouvel établissement : École primaire Shinzo Abe, École primaire Kaisei, Mizuho no kuni kinen shogakuin[6]. La controverse sur cet achat a fait baisser la popularité de Shinzo Abe dans les sondages[7]. Elle touche aussi la ministre de la défense Tomomi Inada[8], ainsi qu'Ichiro Matsui, le gouverneur de la Préfecture d'Osaka[9], et d'autres personnalités politiques locales du Parti Libéral Démocrate et de Nippon Ishin[10].
Le , Yasunori Kagoike déclare sous serment avoir reçu un don d'un million de yens (8 000 euros) d'Akie Abe, l'épouse de Shinzo Abe, le , pour aider à financer cette école. Ce don a été démenti par Shinzo Abe[1].
Le , un rapport de la Cour des Comptes japonaise (en) a critiqué le ministère des transports pour avoir exagéré le montant des compensations à donner à Moritomo Gakuen pour nettoyer le terrain de Toyonaka, ainsi que pour ne pas avoir archivé correctement les documents de cette transaction[11]. Des fonctionnaires du ministère ont par la suite admis avoir accepté et utilisé les données fournies par Moritomo Gakuen sans les avoir vérifiées[12]. En , il a été révélé qu'ils avaient obéi à une demande du ministère des finances[13]. L'entreprise responsable de l’évaluation des frais dit avoir subi des pressions de la part de l’école, mais aussi de l'antenne régionale du Kinki du ministère des finances afin de falsifier à la hausse son devis[14],[15]. Dans le cadre de cette affaire, le ministère des finances a aussi été critiqué au parlement pour sa gestion des archives et son manque de transparence[16],[17].
En , après que l'opposition parlementaire a fait part de ses soupçons de falsification de documents par des fonctionnaires du ministère des finances[18], le ministère a admis que des documents falsifiés avaient été produits devant le parlement : les noms d'Akie Abe[19], Takeo Hiranuma, Taro Aso, Kunio Hatoyama, Yoshitada Konoike, Issei Kitagawa (en) et les mentions d'interventions d'hommes politiques pour faire baisser le prix du terrain avaient été effacés, de même que l'appartenance du directeur de l’école à la Nippon Kaigi, afin de masquer le caractère politique de la transaction[20]. Akagi Toshio[21], un fonctionnaire du ministère des finances, s'est suicidé en mars 2018 après avoir écrit un message expliquant qu'il craignait devoir porter seul la responsabilité de ces faux alors qu'il avait reçu des ordres de ses supérieurs pour les rédiger[22]. Taro Aso attribue les changements au directeur de l’agence des impôts, Nobuhisa Sagawa, qui les aurait faits pour que le contenu des écrits ne contredise pas ses affirmations face au Parlement. M. Sagawa démissionne le [23]. En , le directeur-général du ministère des finances a admis qu'un fonctionnaire du ministère avait contacté Moritomo Gakuen pour que l'entreprise produise un faux témoignage après la révélation du scandale[24]. En novembre 2020, une commission parlementaire a établi que des représentants du gouvernement et des ministères concernés avaient donné des réponses erronées, consciemment ou inconsciemment, à 139 occasions lors de discussions au parlement sur la vente du terrain[25]. En juin 2021, le dossier constitué par Akagi avant son suicide est rendu public; cela apporte la preuve qu'il a reçu depuis Tokyo l'ordre de falsifier des documents publics, en particulier d'effacer les mentions du nom d'Akie Abe, l’épouse de Shinzo Abe[26].
Lors d'un sondage d'opinion en , 61 % des personnes interrogées estiment que Shinzo Abe est responsable du scandale de Moritomo Gakuen[27].
En , un ancien journaliste de la chaîne de télévision nationale NHK a publié un livre dans lequel il affirme que NHK a censuré plusieurs de ses reportages sur cette affaire par crainte de déplaire à Shinzo Abe. NHK a démenti ces accusations[28].
Le procès des époux Kagoike commence le [29].
Le , le "Comité d'inspection des poursuites judiciaires" d'Osaka, constitué d'un panel indépendant de citoyens, a recommandé qu'une enquête soit menée au sujet des falsifications de documents officiels réalisées au Ministère des finances[30]. Toutefois, le , les enquêteurs du Bureau du procureur d'Osaka ont annoncé qu'ils manquaient de preuves pour inculper les fonctionnaires du ministère des finances mêlés à cette affaire et qu'ils arrêtaient l’enquête, tout en reconnaissant que des documents publics avaient bien été falsifiés[31].
En , le tribunal d'Osaka a condamné à une amende le gouvernement japonais pour ne pas avoir révélé le prix d'achat du terrain lorsqu’un conseiller communal de Toyonaka en avait fait la demande en [32]. La cour d'appel a confirmé ce jugement en , en ajoutant que le gouvernement devait aussi rendre publique la motivation du prix très bas demandé pour le terrain par rapport aux prix pratiqués par le marché[33].
En mars 2020, la veuve de Toshio Akagi a intenté un procès contre le gouvernement japonais et contre Nobuhisa Sagawa; à cette occasion, des notes de l'ancien fonctionnaire à propos de la falsification de documents ont été publiées[21]. Le 15 décembre 2021, à la surprise générale, le gouvernement japonais reconnaît ses torts et va payer 100 millions de yens comme compensation[34]. Des éditoriaux sont publiés dans plusieurs journaux qui voient en cette reconnaissance une manœuvre pour arrêter la divulgation de nouveaux documents et empêcher une meilleure compréhension de l'affaire[35].
Autres scandales
Des propos racistes ont été tenus dans des publications d'une des écoles du groupe[3],[36].
Une enquête a été ouverte en 2017 à la suite de soupçons de fraude aux subsides octroyés par la Préfecture d'Osaka[37]. La ville d'Osaka a aussi porté plainte en 2017 pour détournement de subsides d'aide aux enfants handicapés[38],[39]. Yasunori Kagoike et son épouse Yuko ont passé près de 10 mois en détention préventive dans le cadre de l’enquête[40].
Faillite
Dans le cadre de la faillite de Moritomo Gakuen, la maison de Yasunori Kagoike a été saisie pour être vendue aux enchères en 2018[41].
Procès
Le procès des époux Kagoike s'est ouvert à Osaka le . Ils sont accusés d'obtention frauduleuse de subsides publics, mais affirment leur innocence[42].
Le , Yasunori Kagoike a été condamné à cinq ans de prison pour obtention illégale de subsides gouvernementaux (56, 4 millions du gouvernement japonais et 120 millions de la ville et de la préfecture d'Osaka), tandis que son épouse a été condamnée à trois ans de prison avec sursis, et jugée innocente dans l'affaire des subsides locaux[43].
Politique
En septembre 2021, lors de la campagne pour l’élection du président du Parti libéral-démocrate, potentiel futur premier ministre, la candidate Seiko Noda a déclaré qu'il était nécessaire de rouvrir l’enquête sur les interférences politiques dans la vente d'un terrain public afin d’éviter toute récurrence; les trois autres candidats ne voient pas la nécessité d'une nouvelle enquête[44].
Notes et références
- Arnaud Vaulerin, « Japon : pourquoi Shinzo Abe est rattrapé par un nouveau scandale », sur Liberation.fr, (consulté le ).
- Abe says no need to resign because Moritomo deal is not bribery case, The Asahi Shimbun (30 mai 2018).
- Philippe Mesmer, Au Japon, zéro pointé pour l’école de la morale, Le Monde (27 février 2017)
- Philippe Mesmer, Au Japon, une fronde fiscale sur fond de scandale, Le Monde (2 mars 2018).
- (en) G. Shimada, K. Moriyasu, Is Abe in trouble? A Q&A on the nationalist school scandal, Nikkei (17 mars 2017)
- (en) Abe turns ire on Asahi for story on planned Moritomo school, The Asahi Shimbun (6 février 2018).
- Y. Rousseau, Cette nuit en Asie : fin de la période de grâce pour Shinzo Abe ?, Les Echos (13 mars 2017)
- (en) Inada backtracks on Moritomo case, The Japan News (14 mars 2017).
- (en) Eric Johnston, Osaka Prefecture relaxed school-approval system rules after Moritomo Gakuen request, The Japan Times (28 février 2017).
- (en) Moritomo Gakuen captured the hearts of conservative lawmakers, The Mainichi (3 mars 2017).
- (en) Agence Kyodo, Overestimate of buried waste said behind discounted land sale scandal, The Mainichi (22 novembre 2017).
- (en) Only 1% of total waste Moritomo said existed on school site found, The Asahi Shimbun (14 décembre 2017).
- Bureaus padded estimated waste volume on land sold to Moritomo, The Asahi Shimbun (12 avril 2018).
- Company says it was pressed to fake waste data for Moritomo, The Asahi Shimbun (16 mars 2018).
- Contractor says garbage report linked to Moritomo land sale 'falsified': sources, The Mainichi (16 mars 2018).
- (en) Sotaro Hata, Ryo Isshiki, New documents on Moritomo deal may restart Diet debate, The Asahi Shimbun (23 janvier 2018)
- (en) More ministry documents come out on Moritomo land sale, The Asahi Shimbun (9 février 2018).
- (en) Ministry of Finance under fire over Osaka school, NHK World (6 mars 2018).
- Akie Abe semble avoir été assez active dans les négociations avec le Ministère des finances: Ministry’s files on Moritomo repeatedly refer to Akie Abe, The Asahi Shimbun (24 mai 2018).
- Deleted parts of Finance Ministry docs suggest special consideration paid to Moritomo deal, The Mainichi (13 mars 2018).
- Abe gov’t sued for suicide of ex-Finance Ministry official who was forced to falsify ‘Moritomo’-related documents , Japan Press Weekly (19 mars 2020).
- Agence Reuters, Suicide note shows official’s fear of being blamed for land sale scandal, The Asahi Shimbun (16 mars 2018).
- Philippe Mesmer, « Au Japon, le premier ministre fragilisé », Le Monde, (lire en ligne, consulté le ). Le 31 mai 2018, les enquêteurs de la police d'Osaka ont annoncé qu'ils n'inculperaient aucun fonctionnaire, car ceux-ci n'auraient pas cherché volontairement à nuire financièrement à l’État et ne se seraient pas enrichi personnellement lors de ces opérations: Ministry officials not to be indicted in Moritomo land scandal, The Asahi Shimbun (31 mai 2018).
- Ministry admits putting pressure on Moritomo to bend the truth, The Asahi Shimbun (9 avril 2018).
- A. Minami, Abe team gave false responses about Moritomo on 139 occasions, The Asahi Shimbun (25 novembre 2020).
- Y. Yoneda et al., ‘Akagi file’ shows bureau chief ordered data falsification, The Asahi Shimbun (23 juin 2021).
- Kazuki Kuraoka, Three-fourths not convinced by gov't explanations on Moritomo, Kake controversies, The Mainichi (29 juillet 2018).
- Ex-reporter says NHK shies away from reports Abe won’t like, The Asahi Shimbun (20 décembre 2018).
- Trial of ex-head of scandal-hit school operator to start in March, The Mainichi (25 janvier 2019).
- Prosecutors to reopen probe over murky state land sale, The Mainichi (30 mars 2019).
- M. Takashima, S. Matsumoto, No prosecution for 10 gov't employees, others over Moritomo land deal: investigators, The Mainichi (10 août 2019).
- Masayuki Takashima, Shiho Matsumoto, Gov't ordered to pay damages for initial failure to reveal Moritomo Gakuen land price, The Mainichi (31 mai 2019).
- Y. Yoneda, Osaka High Court calls for more disclosure in Moritomo case, The Asahi Shimbun (18 décembre 2019).
- Shiho Matsumoto, Yumi Shibamura, Widow of Japan gov't official forced to doctor documents slams gov't for ending suit, The Mainichi (16 décembre 2021); Moritomo document tampering case closed, NHK World-Japan (15 décembre 2021).
- Editorial: Japan govt's end to suit over bureaucrat's suicide seen as attempt to hide truth, The Mainichi (17 décembre 2021); EDITORIAL: Ploy to end false-data suit leaves crucial questions unanswered, The Asahi Shimbun (17 décembre 2021).
- (en) Justin McCurry, Ultra-nationalist school linked to Japanese PM accused of hate speech, The Guardian (15 mars 2017).
- (en) Agence Kyodo, Prosecutors search Moritomo Gakuen office over fraud allegations, The Mainichi (19 juin 2017).
- (en) Osaka files complaint against ex-head of scandal-hit school operator, The Mainichi (14 juillet 2017).
- (en) Ex-Moritomo Gakuen chief, wife slapped with additional fraud charges, The Mainichi (12 septembre 2017)
- Agence Kyodo, Ex-head of scandal-hit school operator, wife granted bail, The Mainichi (25 mai 2018)
- (en) Osaka home of ex-Moritomo school head to be sold in compulsory auction, The Mainichi (15 février 2018).
- M. Takashima, S. Matsumoto, Ex-Moritomo Gakuen head, wife plead innocent in 1st hearing of fraud trial, The Mainichi (6 mars 2019); M. Takashima, S. Matsumoto, Contractor testifies to being told to inflate costs in Moritomo subsidy fraud trial, The Mainichi (31 mai 2019).
- Agence Kyodo, Couple at center of Abe cronyism scandal found guilty over fraud, The Mainichi (19 février 2020)
- (en) Agence Kyodo, LDP's Noda calls for reinvestigation of document tampering scandal, The Mainichi (17 septembre 2021).
Liens externes
- (en) Lawrence Repeta, « Backstory to Abe’s Snap Election – the Secrets of Moritomo, Kake and the “Missing” Japan SDF Activity Logs », Japan Focus ()
- (en) Gavan McCormack, « Abe Shinzo and Japan’s One-Strong (Ikkyo) State », Japan Focus 18, 7, 4 (1er avril 2020)
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