Mythes sur le viol
Les mythes sur le viol désignent des idées reçues ou des préjugés tendant, principalement, à nier ou relativiser la responsabilité du violeur ou à la faire partager par les victimes. Dans les cas de viols d'une femme adulte par un homme, les statistiques et les recherches révèlent une tendance pour les victimes à se confronter à des préjugés récurrents altérant leur capacité et leur droit à porter plainte ou à simplement faire connaître leur souffrance.
Sémiologie
Travaux en Amérique du Nord
En 1994, Kimberly A. Lonsway[H 1] et Louise F. Fitzgerald[1] définissent les mythes sur le viol[H 2] comme les « attitudes et croyances généralement fausses[H 3],[H 4], mais répandues et persistantes, permettant de nier et de justifier l'agression sexuelle masculine contre les femmes[H 2],[H 5] ». Les auteurs considèrent que « les théories sur l'agression sexuelle et la victimisation ont de plus en plus souligné le rôle des mythes sur le viol dans la perpétuation de l'agression sexuelle » tout en ajoutant que « bien qu'il y ait de plus en plus de recherches dans ce domaine, les définitions, la terminologie et les mesures d'intégration des mythes sur le viol manquent toujours de précision théorique et psychométrique ».
Dans leur livre « Sexual assault and the justice gap: A question of attitude[H 6] », Jennifer Temkin — professeur de droit à l'université du Sussex — et Barbara Krahé — professeur de psychologie à l'université de Potsdam — mettent en évidence la difficulté des victimes d'agressions sexuelles à se faire entendre. Leur conclusion place ce fait en parallèle de la disproportion entre la quantité alarmante d'infractions enregistrées par les forces de l'ordre et le nombre anormalement restreint de condamnations pénales qui s'ensuivent. Leur recherche décrypte les modèles comportementaux qui compromettent les enquêtes tout en qualifiant ce champ d'investigation de zone de non-droit. Les auteures proposent diverses techniques palliatives et stratégies qu'elles pensent pouvoir aider les victimes à mieux gérer les difficultés dans le dépôt de leur plainte. Elles suggèrent l'adoption de mesures susceptibles de modifier nombre de préjugés courants sur fond de mythes qui tendent à parsemer le parcours des victimes d'agressions sexuelles. Elles soulignent également combien certains facteurs aggravants — tels que la suspicion, le doute, la remise en question des témoignages enregistrés et l'incrédulité réactionnelle qui en résulte — contribuent de facto à favoriser une « survictimation » s'ajoutant à la douleur ressentie du fait de l'agression elle-même.
Précédemment, en 1998, Gerd Bohner, Marc-André Reinhard, Stefanie Rutz, Sabine Sturm, Bernd Kerschbaum et Dagmar Effler font état d'un compte-rendu dans l'« European Journal of Social Psychology[H 7] » à l'issue d'une série de tests menés en double aveugle. Ils y esquissent les prémisses d'une définition propre au RMA[H 8],[H 7]. Ils tentent également d'y circonscrire les mythes, croyances et préjugés qui serviraient opportunément à exonérer l'auteur d'un viol de toute responsabilité, quitte à reporter le fardeau du mal engendré sur la seule victime[H 7].
Les mythes
Mythes concernant les femmes victimes de viol
Les travaux de Mary Koss, Lisa A. Goodman, A. Browne, Louise F. Fitzgerald[1], G. P. Keita et N. F. Russo [H 9] en 1994, puis ceux de Hamberger, Lohr, Bonge et Tolin[H 10] en 1997, regroupent les mythes en trois catégories :
- « il ne s'est rien produit » : l'idée que les femmes accuseraient souvent les hommes à tort de viol ;
- « elle l'a voulu ou elle a aimé » : l'idée qu'une femme qui dit « non » pense « oui » ; que la violence est sexuellement excitante pour les femmes[H 11] ; que la victime aurait pu résister si vraiment elle n'était pas consentante[H 3],[H 4] ;
- « elle l'a mérité »[H 12]: les justifications du viol par le fait qu'« elle était habillée de manière trop sexy » ou qu'« elle marchait seule la nuit ».
Le stéréotype du violeur inconnu de la victime et qui l'attaque dans un parking sombre est également répandue. En réalité, dans 8 cas sur 10 la victime connait son agresseur[2], 67 % des viols sont commis au domicile (de la victime ou de l'agresseur)[3] et 45 % des viols sont commis la journée et non la nuit[3].
Mythes concernant les hommes victimes de viols
- Les hommes ne seraient pas vulnérables. Or les gens oublient parfois que les jeunes garçons peuvent être faibles et vulnérables face à des malfaiteurs, qui sont souvent plus forts et peuvent utiliser n'importe quel moyen[4]. Un homme adulte peut aussi ne pas pouvoir se défendre, ou avoir peur de le faire. Il peut aussi être manipulé, ou être sous l'emprise de drogue ou d'alcool.
- Une érection impliquerait le consentement. Or Roy J. Levin et Willy Van Berlo ont écrit dans un article dans le Journal of Clinical Forensic Medicine (« Revue de la médecine légale clinique ») qu'une stimulation génitale légère ou du stress peuvent provoquer une érection « même sans la présence de stimulation sexuelle ». Une érection ne veut donc pas dire que l'homme est consentant. Les hommes peuvent avoir des érections même dans des situations sexuelles traumatiques ou douloureuses[4]. Similairement à la réponse érectile féminine, la réponse érectile masculine est involontaire[5],[6], ce qui veut dire que l'homme n'a pas besoin d'être excité pour avoir une érection et qu'une stimulation mécanique est tout ce qui est nécessaire. Un homme peut aussi avoir une érection par peur ou par intimidation, surtout si la personne est plus âgée ou est une figure d'autorité[7].
- Les hommes seraient moins traumatisés. Or beaucoup d'études montrent que les effets long terme sont très néfastes pour les deux sexes, et que les hommes sont peut-être plus affectés à cause de la stigmatisation sociale et de l'incrédulité entourant leur victimation[4]. Eogan et Richardson notent que les hommes tendent à ressentir une colère plus intense que les femmes, et que les deux sexes traversent des sentiments de détresses similaire après un viol.
- Subir un viol aurait un impact sur l'orientation sexuelle. Or les experts ne pensent pas que les abus sexuels jouent un rôle significatif dans l'orientation sexuelle plus tard. Des recherches par Jane Gilgun, Judith Becker et John Hunter indiquent que même si beaucoup de malfaiteurs ont été eux-mêmes victimes d'abus sexuels, la majorité des victimes ne deviennent pas des malfaiteurs dans leur adolescence[4].
- Un homme violé par une femme serait chanceux. La coordinatrice des Ontario Coalition of Rape Crisis Centre (La coalition d'Ontario des centre de crise du viol) Nicole Pietsch a indiqué que les hommes victimes font face à des barrières, notamment un mythe qui voudrait qu'un homme violé par une femme ne peut que l'avoir voulu. Dans ce cas, le public pourra dire que la victime est chanceuse, en caractérisant l'expérience comme positive même si elle ne l'est pas du tout[8].
Fréquence
Dans la population
Il a été montré aux États-Unis, en utilisant des échelles de mesure de l’adhésion aux mythes autour du viol (avec des questions fermées), qu’entre 25 % et 35 % des gens adhèrent à la majorité de ces mythes[H 1]. Cependant dans une étude utilisant des questions ouvertes, près de 66 % des personnes interrogées approuvaient les mythes autour du viol[H 13].
Une constante dans la littérature est que les hommes adhèrent plus souvent aux mythes autour du viol que les femmes[H 13], et plus particulièrement les hommes adoptant une attitude masculine stéréotypée[H 14],[H 15]. Le sexisme hostile à l’endroit des femmes est corrélé à l’adhésion aux mythes autour du viol, mais c’est également le cas de certaines idées du sexisme bienveillant comme « les sexes sont complémentaires » ou « les femmes sont toutes des princesses[H 16],[H 17],[H 18]».
Dans les médias
Les médias entretiennent généralement les idées reçues à propos du viol en insistant sur le fait que la victime peut être une menteuse ou qu'elle a provoqué l'agresseur, qui lui a tout d'un « homme bien »[9],
En 2007, la parution du livre « Le plaisir de tuer[H 19] », coécrit par Michel Dubec expert psychiatre assermenté auprès des tribunaux nationaux et la journaliste Chantal de Rudder, a soulevé un tollé en France parce que certains propos ressemblent à une « légitimation du viol[11] ». Les thèses développées par Michel Dubec ont suscité l'émoi d'associations qui ont dénoncé ses propos qualifiés d'« outranciers » voire susceptibles, selon elles, de constituer une « justification du viol[12], ». La teneur du livre évoque la rencontre et les entretiens de Michel Dubec avec le violeur et tueur en série Guy Georges,.
Entre autres passages décriés, l'auteur écrit ce qui suit :
« Il existe un intérêt à obtenir la défaveur de sa partenaire, pas seulement ses faveurs ; à faire crier la femme, peu importe la nature de ses cris. (…) Si un homme est trop respectueux d'une femme, il ne bande pas[H 11],[12]. »
Dans certaines campagnes de prévention contre le viol
Les études de F. W. WinkelH 3 et E. D. KleuverH 4 visent à mettre en lumière la possibilité que les campagnes d'information n'aient pas pour effet de dissiper les idées reçues sur le viol, puisque « les idées fausses sur le viol s'expriment dans la différence de points de vue entre les annonceurs et leur public » et que « dans le cas du mythe disant que les victimes de viol sont les premières responsables de leur sort, la conséquence est que les campagnes de prévention ou d'information risquent finalement de renforcer le mythe ».
Une campagne de prévention contre le viol en Hongrie en 2014 mettant l'accent sur le comportement des femmes finit en ces termes tehetsz rola, tehetsz ellene « Tu y es pour quelque chose, tu peux faire quelque chose pour éviter ça »[13]
Une campagne au Royaume-Uni en 2015 conseille aux femmes de rester groupées lorsqu'elles sortent la nuit[14] ou encore de ne pas consommer d'alcool[15].
Aux États-Unis une campagne insiste elle aussi sur les effets de l'alcool : « Elle ne voulait pas le faire mais elle n'a pas pu dire non »[16]
Ces campagnes s'adressent aux victimes potentielles de viol en leur conseillant d'adapter leur comportement afin d'éviter d'être agressées. Le viol est présenté comme la conséquence d'un comportement inadapté de la part de la victime, et non d'un comportement abusif de l'agresseur.
Conséquences
Pour les victimes
Selon Berenike Waubert de Puiseau, « une explication au refus de victimes de porter plainte contre leur agresseur proviendrait d'un déni passif du viol. De nombreuses victimes croient que les caractéristiques du viol qu'elles ont subi ne correspondent pas aux caractéristiques de ce qu'elles pensent être un « vrai viol[H 5] ».
La distorsion qui existe entre les mythes sur le viol et la réalité du viol, qui est bien plus large, est déstabilisante pour la victime. La victime peut se sentir coupable (de ne pas s'être débattue, de porter une jupe « trop courte », d'avoir invité l'agresseur chez elle, d'avoir accepté de boire un verre avec l'agresseur...) car elle ne se considère pas comme une « vraie » victime. Elle peut également ne pas être crue (puisque, selon le mythe, la victime accuse souvent l'agresseur à tort de viol). Ces préjugés rendent difficile la reconnaissance et la prise en charge judiciaire des viols.
Pour les coupables
Dans un article publié en avril 2004 dans le « Journal of Interpersonal Violence[H 8] », Patrick Chiroro, Gerd Bohner, G. Tendayi Viki et Christopher I. Jarvis postulent que les individus dont l'adhésion aux mythes entourant le viol est élevée seraient davantage enclins à passer à l'acte. Les auteurs consacrent trois études à ce qu'ils désignent par le sigle RMA ou « Rape Myth Acceptance[H 8],[H 7] ». Leurs conclusions aboutissent à des hypothèses controversées — quand bien même elles corroborent en partie les arguments avancés par plusieurs courants, notamment les mouvements féministes — selon lesquelles la propension au viol, voire l'attrait induit par l'exercice de la violence sexuelle, tireraient ses racines, conscientes ou inconscientes, dans une velléité de domination abusive. L'excitation sexuelle du violeur s'avérerait donc essentiellement subordonnée à la densité de son emprise sur sa « proie ».
Les agresseurs ont tendance à minimiser les faits (ce n'était pas vraiment un viol puisqu'il ne l'a pas brutalisée physiquement) car il n'associent pas leurs actes à ce qu'est un « vrai viol », il ne s'associent pas à l'image du violeur véhiculées par les mythes sur le viol (un inconnu violent) et ont tendance a reporter la faute sur la victime (elle était habillée sexy, elle l'a excité, elle ne s'est pas débattue).
Notes et références
Recherches
- Lonsway et Fitzgerald 1994, p. 134
- Lonsway et Fitzgerald 1994, p. 133-164
- Winkel 1994, p. 262-272
- Winkel et Kleuver 1997, p. 513-529
- Waubert de Puiseau 2012, p. 1-4
- Temkin et Krahé 2008, p. 588-590
- Bohner, Reinhard, Rutz, Sturm, Kerschbaum et Effler 1998, p. 257-268
- Chiroro, Bohner, Viki et Jarvis 2004, p. 427-442
- Koss, Goodman, Browne, Fitzgerald, Keita et Russo 1994
- Hamberger, Lohr, Bonge et Tolin 1997, p. 401-423
- Dubec et Rudder 2007, p. 213
- Berliner 2009, p. 492-493
- Buddie et Miller 2001, p. 139-160
- Kopper 1996, p. 81-93
- Pollard 1992, p. 307-326
- Abrams et al. 2003, p. 111-125
- Abrams et al. 2003, p. 295-303
- Chapleau, Oswald et Russell 2007, p. 131-136
- Dubec Rudder, p. 211, 212, 213
Références
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- « Procès Fourniret – Condamné pour injures raciales, le psychiatre témoigne : Le Dr Dubec traverse une zone de turbulences. Condamné pour avoir injurié « l'abject juif » Maurice Joffo, il est l'objet d'une pétition pour « légitimation du viol » », France-Soir « Société », 2008, mise à jour : 12 mars 2010 (lire en ligne) Michel Dubec, psychiatre et psychanalyste, expert national auprès des tribunaux, (...) dépose aujourd'hui devant la cour d'assises des Ardennes. Son livre, « Le plaisir de tuer » fait l'objet d'une condamnation par la 17e chambre correctionnelle de Paris. (...) Cible d'une pétition qui a recueilli 1 350 signatures de médecins, écrivains, professeurs, les pétitionnaires s'insurgent (...) contre l'analyse des faits imputés au violeur et tueur en série Guy Georges.
- Pages 211, 212, 213, l'auteur écrit :
- « Le tueur de l'Est parisien a peut-être deviné le trouble que j'ai ressenti en regardant les photos de ses victimes(...) Une communauté de désir nous rapprochait, Guy Georges et moi (...) Si un homme est trop respectueux d'une femme, il ne bande pas (...) Oui, c'était possible de s'identifier à ce violeur qui baise des filles superbes contre leur gré (...) Jusque-là, on peut le comprendre et, même, il nous fait presque rêver »
- Pages 211, 212, 213, l'auteur écrit :
- Jef Tombeur (alias), « Michel Dubec, psychiatre médiatique, interdit d'exercer », Come 4 News : Le média social citoyen, C4N « Psychiatrie, le choc : quand aider devient trahir », (résumé, lire en ligne) « (...) interdiction d'exercer pour un expert psychiatre des tribunaux nationaux – dont la Cour de cassation – qui est supposé ne plus pouvoir figurer sur la liste des experts du fait d'une condamnation ordinale[10]. En dépit de la faible médiatisation de cette condamnation[10], d'autres personnes que celles s'estimant calomniées ou choquées par la teneur de son livre, « Le plaisir de tuer[H 19] », se sentent encouragées à saisir le Conseil national de l'Ordre des médecins pour de toutes autres affaires se rapportant aux expertises de ce psychiatre et psychanalyste du Marais parisien. »
- « Appel à pétition contre Michel Dubec, le psy qui légitime le viol », Les mots sont importants —.net « Appels et manifestes », (lire en ligne) « Si un homme est trop respectueux d'une femme, il ne bande pas[H 11] ». Dans ses écrits, Michel Dubec justifie les violences faites aux femmes — et même les viols — au nom d'une vision essentialiste et d'une nature masculine. Le dernier chapitre du livre sur les expertises de Michel Dubec est consacré au violeur et tueur en série Guy Georges[10] (...) avec lequel il revendique une solidarité de sexe qui lui permet de s'identifier avec complaisance au violeur. (...) Michel Dubec considère en effet le viol comme « un acte sexuel quasi normal s'il est consommé avec complétude[10],[H 19] ». Michel Dubec a écrit ces pages en sa qualité d'expert psychiatre national auprès des tribunaux. Il se sert donc de son autorité et de son pouvoir pour rendre publiquement légitime un crime : le viol, qualifié comme tel par le code pénal.
- « Hongrie : la vidéo de campagne contre le viol qui ne passe pas - Monde - MYTF1News », sur MYTF1NEWS (consulté le )
- (en-GB) « Police anti-rape poster which tells women not to 'leave behind' », sur Evening Standard (consulté le )
- « Police apologise for warning women they could be raped if they got drunk », sur Telegraph.co.uk (consulté le )
- « Manka wOrLd: SHE DIDN'T WANT TO DO IT, BUT SHE COULDN'T SAY NO. », sur www.mankadsn.com (consulté le )
Annexes
Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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Articles connexes
Liens externes
- France 24 avec AFP, « D'après un sondage Ipsos, les stéréotypes sur le viol perdurent en France », sur France 24, (consulté le ).
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