Système de numération indo-arabe

Le système de numération indo-arabe est un système de numération de base dix employant une notation positionnelle et dix chiffres, allant de zéro à neuf, dont le tracé est indépendant de la valeur représentée. Dans ce système, la représentation d'un nombre correspond à son développement décimal. Le système doit son nom au fait qu'il est apparu en Inde et qu'il est parvenu en Europe par l'intermédiaire des Arabes. La variante graphique la plus répandue sont les chiffres utilisés en Europe, communément appelés chiffres arabes. Ce système tend aujourd’hui à s’imposer dans le monde.

Cet article concerne un système de numération dont des variantes sont utilisées en Asie du Sud, dans le monde musulman et en Europe. Pour la variante graphique utilisée en Europe, voir Chiffres arabes.

Généalogie des numérations brahmi, gwalior, sanskrit-dévanagari et arabes (1935).

Symboles utilisés

Chiffres

Les chiffres utilisés peuvent être divers. Les plus répandus sont ceux appelés « chiffres arabes ».

Valeur0123456789
Arabe occidental (Maghreb/Europe) 0123456789
Arabe oriental ٠١٢٣٤٥٦٧٨٩
Balinais
Bengalais
Braille
Devanagari
Gujarati
Gurmukhi
Kannada
Khmer
Laotien
Limbu
Valeur0123456789
Malayalam
Mongol
Myanmar
N'ko߀߁߂߃߄߅߆߇߈߉
Nouveau thaï lü
Oriya
Osmanya𐒠𐒡𐒢𐒣𐒤𐒥𐒦𐒧𐒨𐒩
Persan/Ourdou ۰۱۲۳۴۵۶۷۸۹
Tamoul
Télougou
Thaï
Tibétain

Symboles complémentaires

Outre les dix chiffres représentant les entiers de zéro à neuf, le système peut faire intervenir :

  • un, voire deux signes, soit un symbole négatif, et éventuellement un positif, pour les nombres signés (exemple : −6),
  • un marqueur décimal entre les unités et la partie fractionnaire du nombre (exemple : 12,5),

Une telle représentation permet ainsi de représenter :

  • les entiers naturels à l'aide de 10 symboles seulement, les dix chiffres ;
  • les entiers relatifs à l'aide de 11 symboles seulement, les dix chiffres et un signe pour les nombres négatifs ;
  • les nombres décimaux à l'aide de 12 symboles seulement, les dix chiffres, un signe pour les nombres négatifs et un marqueur décimal ;

Pour les nombres rationnels, on utilise parfois une ligne horizontale au-dessus des chiffres représentant la partie décimale se répétant à l'infini. Mais cette écriture sort du cadre strict de la numération de position. Exemple :

  • 1,309 = 1,3090909… = 1,3 + 9/990
  • 3,142857142857… = 3,142857 = 3 + 142 857/999 999.

Enfin, pour faciliter la lecture, on utilise généralement un séparateur entre les groupes de trois chiffres (exemples : 15 000 ; 15 000,123 45). Ainsi, un même nombre 1 234 567 s’écrit :

  • 1 234 567 selon les normes internationales[1] et en français (y compris dans les conventions typographiques de Wikipédia en français),
  • 1,234,567 en anglais,
  • 1'234'567 selon la norme suisse[réf. souhaitée].

Dans les langues latines, cela traduit le caractère hybride du système de numération[réf. nécessaire], lequel n'est pas purement à base dix, mais combine en réalité les bases 10 et 1 000. Cependant, une séparation est effectuée entre les mêmes groupes de chiffres dans d'autres langues qui combinent pourtant les bases 10 et 10 000, comme le chinois ( / , wàn ; romanisation du coréen : man, du japonais : ban, du vietnamien : vạn ou vàn) et les langues des pays ayant utilisé son écriture (Corée, Japon et Vietnam).

D’autres types de séparations sont utilisés dans d’autres langues. Ainsi, le système de numération indien utilise pour sa part généralement un séparateur entre les 3 derniers chiffres d'un entier et les chiffres précédents, et entre les groupes de deux chiffres pour les chiffres précédant les 3 derniers : 12,34,567 (avec la virgule comme séparateur des groupes, à l’instar de l'anglais).

Histoire

Apparition en Inde

En Inde, l'écriture brahmi apparait au IIIe siècle av. J.-C., mais, à cette époque, les chiffres sont utilisés au sein d'un système employant une notation additive. En 458, dans un traité de cosmologie jaïna, en sanskrit, le Lokavibhaga (Les Parties de l'univers), les nombres sont écrits selon le principe positionnel, bien que les chiffres soient écrits en toutes lettres, le mot « sunya » (signifiant « vide ») indiquant une absence de valeur. La plus ancienne apparition d'une utilisation positionnelle des chiffres indiens, de un à neuf, date de 595. Cet usage se retrouve en plusieurs endroits du sous-continent au VIIe siècle, et se généralise à partir du IXe siècle. En 628, Brahmagupta décrit le « sunya » comme un nombre dans son ouvrage en sanskrit Brahmasphutasiddhanta (L'Ouverture du monde). L'usage à cette époque d'une notation positionnelle décimale en Inde, employant des chiffres de un à neuf, est rapportée par Sévère Sebôkht, un évêque syriaque, en 662[2].

Le symbole zéro

Les premiers symboles en lien avec une écriture décimale correspondant au zéro positionnel, en forme de rond ou de point, remplaçant l'espace qui précédait, ont été trouvés dans l'actuel Cambodge en 683 et à Sumatra la même année et en 684. Ces régions sont, à l'époque, sous influence chinoise, et la première bénéficie alors de nombreux échanges avec l'Inde. En Inde, la première inscription comportant distinctement ce zéro date de 876.

Transmission aux Arabes

Les Arabes développent un mécénat scientifique à partir de la deuxième moitié du VIIIe siècle. Ils invitent des savants étrangers, construisent des bibliothèques, traduisent des textes anciens, généralement à partir du syriaque ou du pehlévi (moyen-persan). Une numération alphabétique, additive, est alors d'usage, comme chez la plupart des peuples dont l'alphabet dérive du phénicien.

Avec la visite d'un astronome indien à la cour du calife Al-Mansour, à Bagdad, ce dernier réalise l'importance des sciences indiennes. Il charge alors Al-Fazari, en 772, de traduire en arabe des tables astronomiques indiennes. Vers cette période sont traduits Aryabhata et Brahmagupta. Vers 820, le calife Al-Mam'un fonde à Bagdad la « Maison de la Sagesse », afin de permettre aux savants de travailler autour d'une grande bibliothèque, libérés des contraintes matérielles. Dans ce contexte, au début du IXe siècle, Al-Khwarizmi décrit les notations indiennes dans un ouvrage qui a depuis été perdu, nommé aujourd'hui Kit ab al-jam'wal tafriq bi hisab al-Hind (Livre sur l'addition et la soustraction d'après la méthode des Indiens), mais s'il fait usage du zéro positionnel, il ne considère pas le zéro comme un nombre. Dans son ouvrage Kitab al-fusul fi-l-hisab al-Hindi (Livre sur les chapitres de l'arithmétique indienne), écrit au milieu du Xe siècle à Damas, Abu l-Hasan al-Uqlidisi vante les mérites du nouveau système de numération.

Adoption en Europe

Ce système, en Europe, s'est pendant longtemps confiné à la partie arabe de l'actuelle Espagne, la numération romaine étant en usage au-delà. Sa première apparition dans le monde chrétien, sans le zéro, se trouve dans un manuscrit, le Codex Vigilanus écrit en 976 dans un monastère du nord de l'Espagne, le monastère San Martín à Albelda de Iregua.

Entre 967 et 969, Gerbert d'Aurillac, le futur pape Sylvestre II, découvre la "science arabe" dans les abbayes catalanes. Plus tard, grâce à ses correspondants, il obtient l'ouvrage De multiplicatione et divisione (Sur la multiplication et la division).[réf. souhaitée] Il propose, aux alentours de l'an mil, une simplification de l'abaque en adoptant des jetons comportant des chiffres de un à neuf. Il est possible, mais incertain, qu'il ait utilisé les chiffres arabes à cet effet[3]. Devenu pape en 999, il essaie d'introduire son outil de calcul, l'abaque de Gerbert, au sein de la chrétienté, mais son entreprise est mise à mal par l'opposition des clercs.[réf. nécessaire]

Vers la fin du XIe siècle, avec les territoires pris aux Arabes, les Chrétiens découvrent des manuscrits scientifiques. Ainsi Tolède, prise en 1085, devient, sous l'impulsion de l'évêque Raimond, le principal centre de traduction d'œuvres arabes en latin, et le Liber Algorismi de numero Indorum (Livre d'Al-Khwarizmi sur les chiffres indiens) y est traduit. En 1130, l'Anglais Adélard de Bath publie Algoritmi de numero indorum et une traduction d'Al-Khwarizmi. Le nouveau système ne tarde pas à être appelé « algorisme » (du nom latinisé d'Al-Khwarizmi, Algorizmi, et modifié plus tard en algorithme), ses partisans « algoristes », et ses opposants « abacistes » (partisans de l'abaque).

À partir de la fin du XIIe siècle, le commerce prend une dimension internationale, et l'Italie y occupe une place centrale. En 1202, Léonard de Pise, dit Fibonacci, ayant appris l'arabe et le calcul à Bougie (Béjaïa), en Algérie, publie le Liber Abaci (Livre de l'abaque), un traité de calcul et comptabilité (les professeurs de calcul sont alors appelés « maitres d'abaque ») largement diffusé, dans lequel il expose les chiffres arabes. Au cours du XIIIe siècle, les chiffres arabes commencent à s'enseigner dans les écoles de comptabilité en Italie. Cependant, avec la guerre de Cent Ans et l'épidémie de peste noire, qui se répand en Europe à partir de 1348, le commerce s'effondre.

Par la suite, l'économie reprend de plus belle, les banques et les assurances accompagnant l'activité commerciale. Les traités d'arithmétique à l'usage des marchands, s'inspirant du Liber abaci de Fibonacci, se multiplient en Italie, à partir du milieu du XIVe siècle. Vers 1480, avec l'imprimerie, développée par Gutenberg en 1434, des ouvrages de ce type sont publiés dans plusieurs villes d'Europe. Les derniers vétos ecclésiastiques concernant l'utilisation du nouveau système sont levés au XVe siècle, mais, jusqu'à la fin du siècle, le principe de la numération décimale de position nécessite d'être expliqué. Aux XVe et XVIe siècles, diverses notations, notamment pour les nombres décimaux, complètent le système. On peut citer notamment l’ouvrage De Thiende de Simon Stevin de Bruges, publié en 1585, qui contribua à populariser ce système. Celui-ci s'impose définitivement en France à la fin du XVIIIe siècle avec la Révolution. Enfin, en 1889, avec la définition axiomatique des entiers naturels, parue dans l'Arithmetices principia nova methodo exposita, de Giuseppe Peano, le zéro acquiert définitivement le statut de nombre.

Dans le monde

Sous l'influence de l'Europe, de nombreux pays adoptent le système de notation décimal positionnel, avec les chiffres européens. Les quelques écritures du sud de l'Inde qui n'en bénéficient pas l'adaptent à leurs chiffres au cours du XXe siècle, en prenant pour modèle les cultures dominantes du Nord de l’Inde ou d'autres pays.

Hypothèse du modèle chinois

Il existe un système de numération décimal positionnel plus ancien que celui de la numération indienne ; il s'agit de celui de la numération chinoise à baguettes. De ce fait, il se peut que la numération positionnelle indienne résulte en réalité de la transposition du système positionnel chinois à la numération indienne antérieure. Cependant, l'hypothèse de cette filiation n'est actuellement pas vérifiée formellement.

Le système positionnel chinois

En Chine, les plus anciennes traces du système de numération remontent à la propagation de l'écriture, vers 1350 av. J.-C. Il s'agit d'un système décimal de type hybride, disposant de neuf chiffres pour les unités, se combinant avec les symboles représentant dix, cent, mille et dix-mille. Entre le VIIIe et le IVe siècle av. J.-C., apparait un autre système de représentation des nombres, positionnel, à l'aide de baguettes, ces dernières étant disposées verticalement pour les positions impaires, horizontalement pour les positions paires, et le zéro étant figuré par un espace. À partir du début du IIe siècle av. J.-C., les baguettes deviennent un instrument de calcul. Ce système de notation se généralise alors, et reste employé jusqu'au début du XXe siècle, bien que le boulier supplante les baguettes à calculer entre le XIIIe et le XIVe siècle.

Le plus ancien texte imprimé faisant intervenir le zéro positionnel avec le système de notation des baguettes est le Su Chu Jin Chang, de 1247, mais une allusion à l'usage d'un point apparait dans le Kai Yuan Chan Jing, paru entre 718 et 729.

Arguments en faveur et en défaveur du modèle chinois

Avec la diffusion du bouddhisme, des liens se tissent entre l'Inde et la Chine, depuis le royaume Koushan, aux confins de l'Himalaya, jusqu'à son effondrement en 320. De nombreuses traductions entre chinois et sanskrit sont entreprises à Hotan à partir de 260. Puis, un grand foyer de traduction, fonctionnant de 344 à 413, est créé à Kuqa. Au vu des importants échanges entre la Chine et l'Inde précédant la parution du Lokavibhaga, il est possible que le principe positionnel indien soit, en fait, d'origine chinoise. Le terme « sunya » rappelle d'ailleurs le vide laissé par les Chinois avec les baguettes à calculer, même s'il s'assimile alors à un zéro positionnel du fait que le vide n'en est plus vraiment un puisqu'il est écrit.

Cependant, il est également possible que les Jaïns connaissent la numération de position avant cette publication. En effet, en Inde, il existe depuis longtemps des termes pour toutes les puissances de dix, jusqu'à 1012, aucune d'elles n'étant privilégiée ; et, les Jaïns maniant fréquemment les grands nombres, il pouvait être pratique pour eux de les omettre. Par ailleurs, le terme de « place » pour indiquer l'ordre de grandeur d'un nombre est utilisé dans l'Anuyogadvara-sutra, texte jaïn écrit au Ve siècle, mais probablement composé au Ier siècle av. J.-C.

Toutefois, aucun argument ne permet de trancher définitivement la question. En effet, d'une part, l'utilisation du terme « sunya » ne certifie pas la filiation, car il est assez naturel de désigner par « vide » une absence de quantité ; d'autre part, les remarques sur l'Anuyogadvara-sutra n'infirment pas non plus cette hypothèse, car le nombre de « places » dont il y est question peut référer au nombre de puissances de dix mises à contribution plutôt qu'au nombre de chiffres employés, et la version écrite de ce texte n'est pas nécessairement conforme à l'originale, elle-même datée de manière incertaine.

Quoi qu'il en soit, l'apport de l'Inde n'est pas négligeable : les Indiens sont les premiers à utiliser un système de notation positionnel employant des chiffres dont le tracé est indépendant de la valeur représentée. Enfin, si l'Inde a joué un grand rôle dans le développement du principe de position, il semble que le sanskrit soit une langue qui s'y prêtait plutôt bien.

Notes et références

  1. .Norme ISO 80000-1 – Grandeurs et unités - page 28 ou Bureau international des poids et mesures Le Système international d'unités (SI), Sèvres, Bureau international des poids et mesures, , 9e éd., 216 p. (ISBN 978-92-822-2272-0, lire en ligne [PDF]), p. 38.
  2. François Nau, « La plus ancienne mention orientale des chiffres indiens », Journal asiatique, 10e série, t. XVI, , p. 225-227 :
    « Je ne parlerai pas de la science des Hindous, un peuple qui n’est pas le même que les Syriens, ni de leurs découvertes subtiles en astronomie, découvertes qui sont plus ingénieuses que celles des Grecs et des Babyloniens, ni de leurs méthodes de calcul de grande valeur et de leurs calculs qui dépassent la description. Je désire seulement dire que leurs calculs sont faits au moyen de neuf signes. »
    .
  3. (it) Nadia Ambrosetti, L'eredità arabo-islamica nelle scienze e nelle arti del calcolo dell'Europa medievale, Milan, LED, (ISBN 978-88-7916-388-0, lire en ligne), p. 96-97

Voir aussi

Bibliographie

  • Georges Ifrah, Histoire universelle des chiffres, Paris, Seghers, , 568 p. (ISBN 2-221-50205-1), Chapitre 30: L'origine des chiffres "arabes" (p. 453-518).

Articles connexes

Liens externes

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