Petite Entente

La Petite Entente est le nom donné à l'alliance diplomatique et militaire conclue durant l'entre-deux-guerres entre la Première république tchécoslovaque, le Royaume de Yougoslavie et le Royaume de Roumanie, sous les auspices, et, plus tard, sous la protection de la France.

Fin 1918, Emmanuel de Martonne veille à inclure en Roumanie la voie ferrée stratégique reliant la Tchécoslovaquie (au Nord) au Royaume des Serbes, Croates et Slovènes (au Sud) : les trois pays formeront dans l'entre-deux-guerres la Petite Entente alliée à la France.

Petite Entente
Les pays de la petite Entente.
Situation
Création
Dissolution 1938
Type Alliance militaire face à la Hongrie
Organisation
Membres  Tchécoslovaquie
 Roumanie
Royaume de Yougoslavie

Soutien :
France

Personnes clés Nicolae Titulescu

Genèse

Après leur victoire commune de l'été 1919 sur le régime communiste hongrois de Béla Kun et la signature le du traité de Trianon, officialisant leurs frontières avec la Hongrie, les trois pays nés ou agrandis grâce à l'effondrement de l'Autriche-Hongrie (la Tchécoslovaquie, la Roumanie et le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, dénommé Royaume de Yougoslavie à partir de 1929) concluent le une alliance tripartite. Elle est destinée à garantir, par la force si besoin, les traités de paix et notamment celui de Trianon.

Les deux tentatives de mars et octobre 1921 de l'ex-empereur d'Autriche Charles pour reconquérir le trône hongrois incitent ces trois nations à renforcer leur alliance. À cette fin, des accords bilatéraux sont signés entre le Royaume de Roumanie et la Tchécoslovaquie (), entre le Royaume de Roumanie et le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes () et entre le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes et la Tchécoslovaquie ().

Faiblesses

La Petite Entente est tournée exclusivement contre l'irrédentisme du régent hongrois Miklós Horthy. La Roumanie face à l'URSS, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes face à l'Italie, la Tchécoslovaquie face à l'Allemagne ou la Pologne, restent isolées et ne peuvent pas compter sur l'alliance en cas de conflit avec ces autres puissances.

Caution française

Au moment où la commission « Lord » s'était mise à tracer leurs frontières en 1918-1919 à travers ce qui avait été l'Autriche-Hongrie, le géographe français Emmanuel de Martonne avait veillé à ce que des voies ferrées stratégiques réunissent les trois pays au nom du « principe de viabilité »[1]. À partir de la deuxième moitié des années 1920, à la suite des accords de Locarno, la France accorde progressivement sa garantie officielle aux trois puissances alliées. Le , une alliance militaire est signée avec Prague, suivie le d'un texte similaire avec la Roumanie. En novembre 1926, c'est au tour du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes de prendre le même engagement.

Évolution et effondrement

Les divergences d'intérêts des participants incitent Nicolae Titulescu, le ministre des affaires étrangères roumain, à rédiger un pacte d'organisation de la Petite Entente () dont l'objet est de faire de l'alliance une structure internationale solide et visible, dépassant le cadre purement formel dans lequel elle était inscrite jusqu'alors et capable d'assurer une sécurité collective, d'autant qu'en 1934 est signé entre l'Allemagne et la Pologne un pacte de non-agression destiné à renforcer la Pologne face à l'URSS. Cette politique de sécurité collective soutenue par les ministres français Édouard Herriot et Louis Barthou et initialement concrétisée par le Pacte oriental, avait été à l'origine de la victoire des Alliés de la Première Guerre mondiale.

Malgré les efforts de Titulescu, la Petite Entente ne peut s'opposer au démembrement de la Tchécoslovaquie au profit du IIIe Reich par les accords de Munich en et de la Hongrie par le premier arbitrage de Vienne en  : d'une part, la Grande-Bretagne et la France souhaitent s'entendre avec l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste dans l'espoir d'éviter la guerre, et d'autre part les dirigeants polonais et roumains craignent trop une invasion soviétique pour accepter l'offre de Staline d'envoyer l'Armée rouge défendre la Tchécoslovaquie à travers leurs territoires. Dès lors, le traité franco-soviétique de 1935 n'est plus qu'un « chiffon de papier qui ne vaut pas l'encre et le papier qui ont servi à l'écrire », selon l'historien français Jean-Baptiste Duroselle. Isolée, la Yougoslavie doit, pour résister aux prétentions italiennes en Dalmatie, composer avec le Troisième Reich. La Roumanie conserve son amitié à la France et à la Pologne, mais le roi Carol II a aboli la démocratie parlementaire en 1938 et imposé sa propre dictature (dite « carliste ») pour combattre les « légionnaires » de la Garde de fer : le pays est en quasi-guerre civile. Tout cela scelle la fin de la Petite Entente.

En 1939, le pacte Hitler-Staline rend possible l'invasion conjointe de la Pologne par le Reich et par l'URSS, déclenchant la Deuxième Guerre mondiale. L'effondrement de la France, l'année suivante, livre la Roumanie et la Yougoslavie aux appétits des trois puissances totalitaires hitlérienne, stalinienne et mussolinienne. La Roumanie subit une invasion soviétique, qui jette son roi Carol II dans les bras du Reich et l'oblige à céder des territoires à la Hongrie et à la Bulgarie, puis à abdiquer en octobre 1940 au profit d'un « État légionnaire » dirigé par le maréchal Antonescu, autoproclamé « Pétain roumain ». Cet état fantoche est occupé par la Wehrmacht et dirigé de facto par l'ambassadeur allemand, Wilhelm Fabricius (de), auquel succédera Manfred von Killinger. Quant à la Yougoslavie, elle est démantelée et partagée entre le Reich (Slovénie du Nord-Est, occupation de la Serbie), la Hongrie (Prékmurie, Bačka), l'Italie (parties de la Dalmatie, Slovénie du Sud-Ouest, occupation du Monténégro et du Kosovo), la Bulgarie (Macédoine du Vardar) et un État-fantoche croate (qui englobe aussi la Bosnie-Herzégovine).

Avatar au sein de l'Axe

Dans l'Europe sous domination nazie au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Roumanie, la Croatie et surtout la Slovaquie (attaquée par la Hongrie au printemps 1939) continuent à s'estimer menacées par la Hongrie horthyste, leur voisine et désormais alliée au sein de l'Axe mais agrandie à leurs dépens par les arbitrages de Vienne et l'invasion de la Yougoslavie. À l'initiative du dictateur roumain, le maréchal Antonescu, ils proclament donc en leur solidarité contre toute nouvelle expansion hongroise, solidarité en vertu de laquelle des troupes slovaques et des unités navales et aériennes croates se positionnent en juin en Roumanie.

Aussitôt, la Hongrie réagit par un raid transfrontalier sur Turda, près de Kolozsvár ; neuf autres raids contre la Roumanie et la Slovaquie ont lieu ce mois-là. En juillet, la guerre menaçant entre ses satellites, Hitler somme Horthy de cesser ces escarmouches meurtrières, et exige d'Antonescu et de Tiso qu'ils reconnaissent officiellement les arbitrages de Vienne comme irrévocables.

En août, Antonescu déclare publiquement que la Roumanie, ayant reçu la Transnistrie en « compensation » à l'Est (en Podolie aux dépens de l'URSS envahie), reconnaît le deuxième arbitrage de Vienne et n'a plus de revendication territoriale contre la Hongrie « tant que la guerre durera ». En privé, il déclare que la Transnistrie, où les Roumains ne sont qu'une faible minorité au milieu d'une masse ukrainienne, est un fardeau pour la Roumanie et continue d'insister auprès d'Hitler pour le convaincre de rendre à la Roumanie, à l'issue de la guerre, la Transylvanie septentrionale (éventuellement, moins l'enclave du pays sicule)[2].

Sources

Bibliographie

  • Matthieu Boisdron, « La France et le pacte d'assistance mutuelle de la Petite Entente (juin 1936-avril 1937) », dans Krisztián Bene et Eva Oszetzky (dir.), Újlatin kultúrák vonzásában. Újlatin filológia 5., Pécsi Tudományegyetem, Francia Tanszék (Université de Pécs, Département de français), , 354 p. (lire en ligne), p. 283-305.
  • Nicolette Franck, La Roumanie dans l'Engrenage, Paris, Elsevier Sequoia, , 269 p..
  • Jean-Philippe Namont, « La Petite Entente, un moyen d’intégration de l’Europe centrale », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, no 30, (lire en ligne).

Note

  1. Gavin Bowd, Un géographe français et la Roumanie : Emmanuel de Martonne (1873-1955), L'Harmattan, Paris 2012, 222 p. et Gaëlle Hallair, Le géographe Emmanuel de Martonne et l'Europe centrale, Grafigéo, no 33, Paris 2007, 148 p.
  2. Mark Axworthy, Cornel Scafeş et Cristian Crăciunoiu, (en), Third Axis Fourth Ally: Romanian Armed Forces in the European War, 1941-1945.
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