Pierre Culioli
Pierre Culioli (1912-1994), agent français des impôts, fut, pendant la Seconde Guerre mondiale, chef d'un réseau de résistants : en 1942, il créa et dirigea ce réseau nommé Adolphe, dans la région de Tours, Orléans et Vierzon, réseau qu'il rattacha fin 1942 au réseau Prosper-Physician de Francis Suttill, dépendant de la section F du Special Operations Executive. Arrêté par les Allemands à Dhuizon le au début de l'effondrement du réseau Prosper, il fut déporté, notamment à Buchenwald, mais réussit à s'évader.
Pour les articles homonymes, voir Culioli.
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(à 82 ans) Mortagne-au-Perche |
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Biographie
Jeunesse
Pierre Culioli naît à Brest le .
Je suis né le , et mes premières années ont été vécues sous le signe de la guerre 14/18. Mon père, adjudant d’Infanterie Coloniale en retraite s’est engagé volontairement pour la durée de la guerre, a été gravement blessé lors des attaques de Champagne, le , a refusé toute réforme, est reparti, a été ypérité et est décédé en 1922 à 53 ans, alors que je n’avais pas encore 10 ans.
J’ai fait des études relativement médiocres au lycée de Brest, et alors que j’avais 14 ans, par punition, ma mère m’a fait passer les grandes vacances comme apprenti chez un mécanicien agricole. Mais j’ai pris goût au travail manuel, et c’est spontanément que les vacances suivantes je suis retourné chez mon mécanicien, puis au groupe Citroën de Brest.
J’ai tout de même réussi à passer à 17 ans mes 2 Baccalauréats (le 1er avec mention). Et, à 19 ans, j’étais reçu comme contrôleur stagiaire à l’école des Impôts de l’époque qui se trouvait à Reims (dans les bâtiments où furent signés en 1945 les protocoles d’armistice).
Pour meubler les 2 années qui séparent 17 ans de 19 ans, j’ai été successivement (et même un certain temps simultanément) aide-monteur téléphoniste à la Société Thomson, qui montait le téléphone automatique à Brest, et employé de nuit à la rédaction de la Dépêche de Brest (devenue le Télégramme de Brest après l’épuration de 1945).
J’avais choisi cette carrière administrative par dépit, faute d’avoir pu m’engager dans l’aviation : j’avais bien une vision de 10/10e, mais après correction de 4 Dioptries de myopie, ce qui était rédhibitoire.
Après le stage d’un an à l’École de Reims, peu intéressé par les besognes administratives, je me suis fait intégrer dans les services de la répression des fraudes fiscales, que je n’ai plus quittés jusqu’en 1965 (mis à part 10 ans de services militaires).
Mais j’avais toujours l’aviation dans la tête, j’ai passé mes brevets civils, et j’ai même construit un petit avion type Mignet HM14, qui a parfaitement volé une trentaine d’heures. J’ai accumulé un total de 200 heures de vol dans l’espoir d’une dérogation qui n’est pas venue. J’ai même tenté, en 1936/37, d’aller servir dans l’aviation en Espagne, dans l’un ou l’autre camp, peu importait, mais je n’ai pas trouvé les contacts voulus.
À 25 ans l’heure du service militaire est venue (j’étais sursitaire pour études juridiques), j’avais passé le brevet de préparation militaire supérieur, mais plutôt que d’être « rampant dans l’aviation », j’ai préféré l’infanterie et je suis entré à Saint-Maixent d’où je suis sorti Sous-lieutenant au 24e Régiment de Tirailleurs Tunisiens, avec qui j’ai fait la campagne 39/40 comme chef du Peloton d’éclaireurs motocyclistes.
Après un séjour à l’OFLAG II D en Poméranie[1], j’ai pu me faire rapatrier début 1941 et j’ai tout de suite cherché un contact pour rejoindre Londres, où je pensais que la RAF qui, employant des pilotes tels que Bader qui n’avait plus de jambes, serait moins difficile que l’armée Française, et me ferait une petite place.
Malheureusement j’ai eu mon contact avec le S.O.E. britannique, qui a décidé que j’étais bien plus utile en France qu’en Angleterre. Je me suis laissé faire, et après deux ans d’activité, je me suis retrouvé en Allemagne, mais cette fois à Buchenwald.
[Suite de l’autobiographie : se reporter à la fin du paragraphe Après la guerre.]
Résistance
1941 Démobilisé en et se trouvant à Marseille et à Nice, il cherche des filières pour rejoindre les Forces françaises libres. Ses démarches auprès des consulats (Royaume-Uni, États-Unis, Grèce) n'aboutissent pas. En mars, au Mans, il retrouve un ami, le capitaine Floch, qui est en relation avec un groupe action rattaché au réseau SOE AUTOGIRO de Pierre de Vomécourt « Lucas ». Il reprend ses fonctions dans son administration des contributions indirectes, tout en s'intégrant au noyau de résistants de Floch dans la Sarthe. Mais bientôt, voulant se consacrer entièrement à la Résistance, il demande sa mise en disponibilité administrative pour raison de santé. Voyant sa demande bloquée, il quitte son poste sans autorisation. Sur demande de Floch, il va en zone libre rechercher des contacts et des points de passage de la ligne de démarcation pour des personnes qui voudraient se rendre en Espagne ou en Afrique du nord. Puis, après la rencontre d'un autre résistant, Olivier Giran, il travaille pour une filière d'évasion vers la Suisse.
1942
- Début de l'année. Erwin Stephens, architecte à Chambéry, lui confie une mission de renseignement, en lui laissant toute latitude pour monter un réseau en zone occupée. Il établit des centres dans plusieurs villes : Blois, Tours, Orléans, Poitiers, Châtellerault, Saint-Maixent, Thouars, Quimper. Mais son activité va se focaliser autour du Loir-et-Cher.
- Juin. Un ami, Jean Meunier, député de Tours le met en relation avec Marcel Clech, opérateur radio du réseau MONKEYPUZZLE du SOE dirigé par Raymond Flower « Gaspar ». Le réseau est en attente, car il n'a ni terrains pour les parachutages ni équipes pour les actions. Pierre Culioli demande à son beau-père René Dutems, de mettre à la disposition du réseau un emplacement sur une propriété qu'il possède à Boisrenard (entre Crouy-sur-Cosson et Nouan-sur-Loire). Il aide Raymond Flower, qui se sent menacé à Tours par la Gestapo, à trouver une retraite sûre, à Avaray chez les époux Bossard.
- Juillet. Le 30, Yvonne Rudellat « Suzanne » débarque au cap d'Antibes avec Nicolas Bodington et Henri Frager. Elle vient rejoindre l'équipe dirigeante de MONKEYPUZZLE, comme courrier. Dès le début, il lui vient des doutes sur les capacités et la mentalité de Raymond Flower, et elle préfère s'engager auprès de Marcel Clech et de Pierre Culioli.
- Septembre. Un message de Londres annonce un parachutage, dont il va falloir assurer la réception, pour la nuit du 23/24, au-dessus du terrain de Boisrenard. Ce soir-là, Raymond Flower arrive en retard et improvise un balisage risqué, à moins de vingt mètres de la forêt : l'avion repart sans rien larguer. Le lendemain, nouveau message de Londres, même comportement de Raymond Flower. Marcel Clech demande alors à Pierre Culioli et Yvonne Rudellat de prendre l'opération en main. Aidés par deux jeunes beaux-frères de Culioli (Jean et Guy Dutems), ils mettent en place un balisage correct, grâce auquel le parachutage des agents a lieu normalement. Il s'agit d'Andrée Borrel « Denise », courrier de Prosper-PHYSICIAN, et de Lise de Baissac « Odile ».
- Octobre. Dans la nuit du 1er au 2, parachutage de Francis Suttill[2]. La lune suivante, dans la nuit du au 1er novembre, parachutage au-dessus de Boisrenard de deux opérateurs radio : Gilbert Norman « Archambault », pour le réseau Prosper-PHYSICIAN de Francis Suttill ; et Roger Landes « Aristide », pour le réseau SCIENTIST de Claude de Baissac « David » dans le sud-ouest.
- Décembre. Le réseau MONKEYPUZZLE passe sous l'autorité de Francis Suttill. Sur demande de Marcel Clech par radio, Londres rappelle Raymond Flower. Le 31, Francis Suttill confie à Pierre Culioli le secteur Touraine sud, avec Yvonne Rudellat comme adjointe. Cette branche du réseau Prosper-PHYSICIAN s'appellera ADOLPHE, en raison de la petite moustache de Pierre Culioli.
1943
- Janvier-mai. Pierre Culioli et Yvonne Rudellat développent ADOLPHE. Ils installent le PC successivement : • chez M. Bréhier, le fondateur du groupe de Meung-sur-Loire/Baule, jusqu'à son décès. • à Pontlevoy, chez Marcel Thenot, au café de l'Ermitage, dans la rue de l'Ermitage. • à Sassay, dans une petite maison trouvée par Théo Berthin, qui les fait passer pour des réfugiés • à partir de mi-mai, dans une maison, "Le Cercle", située dans un bois, à quelques kilomètres au sud-est de Veilleins. Ils dirigent l'action de neuf groupes répartis dans le triangle Tours-Orléans-Vierzon, qui réunira au total 358 membres sévèrement sélectionnés. Outre Yvonne Rudellat (alias Jacqueline), citons parmi les lieutenants de Pierre Culioli[3] : Roger Couffrant (groupe de Romorantin) ; Albert Le Meur (Chambord/Bracieux) ; André Gatignon (Saint-Aignan/Noyers) ; Julien Nadau et Théo Berthin (Contres) ; le comte et la comtesse de Bernard ainsi que Marcel Buhler (Blois/Huisseau-sur-Cosson) ; Marcel Thenot (Pontlevoy) ; Georges Fermé (Montrichard) ; Auguste Cordelet (Chaumont-sur-Loire); et André Cheny (Mondoubleau). Citons aussi les responsables des sous-groupes rattachés au groupe de Romorantin : Pierre Chassagne (Selles-sur-Cher), Pierre Constant (Mur-de-Sologne), Prosper Legourd (Châtres-sur-Cher), Gérard Oury (Villefranche-sur-Cher) et Georges Marlot (Villeny).
- Juin. Dans la nuit du 15/16, Pierre Culioli et Yvonne Rudellat réceptionnent deux agents canadiens parachutés près de Meusnes, dans la vallée du Cher, au nord de Valençay : Frank Pickersgill « Bertrand » qui vient établir et diriger le réseau ARCHDEACON ; et John Macalister « Valentin » son opérateur radio[4]. Les quatre restent quelques jours à Romorantin. Dans la nuit du 17/18, ils réceptionnent Pierre Raynaud « Alain », leur dernier agent réceptionné, qui vient rejoindre comme instructeur de sabotage le réseau JOCKEY de Francis Cammaerts « Roger » dans le sud-est.
Bilan de l'action du réseau ADOLPHE au : • réception de 226 containers parachutés • réception de treize agents commissionnés par Londres • sabotage de onze lignes électriques à haute tension – ce qui représente des centaines de pylônes – • six déraillements de chemin de fer, dont trois trains de troupes allemandes • nombreux wagons brûlés • destruction de ponts • réservoirs de pétrole ou d’alcool incendiés • etc.
Aux mains de l’ennemi
- Juin (suite). Le . Ils sont tous les quatre arrêtés par les Allemands.
Ils s'en vont en voiture à Beaugency, sur la Loire, pour prendre le train pour Paris, en vue de rencontrer les dirigeants du réseau Prosper-PHYSICIAN à la gare d'Austerlitz. À leur grande surprise, ils constatent la présence de nombreux militaires allemands au village de Dhuizon, en Sologne, où, vers 9 heures du matin, leur voiture est stoppée à un point de contrôle. Les deux Canadiens sont isolés pour être interrogés à la mairie. Pierre Culioli et Yvonne Rudellat, qui avaient passé l'interrogatoire sans être arrêtés, attendent les Canadiens dans la voiture, moteur au ralenti. Mais quand les Allemands cherchent à les faire revenir, Pierre Culioli démarre en trombe. La poursuite s'engage et à l'entrée du village de Bracieux, les Allemands ouvrent le feu, atteignant Yvonne Rudellat à la tête. Pierre Culioli la croyant morte lance sa voiture sur un mur pour ne pas être pris vivant. Il n'est que sonné. Pour le maîtriser, un Allemand lui tire une balle dans la jambe droite. Ils sont transportés à Blois.
- Juin (suite). Pierre Culioli est interné dans une infirmerie allemande près de la gare de Blois, pansé et soutenu par trois piqûres. Il est attaché les bras en croix par des menottes fixées à son lit jusqu'au soir du . Il est alors interrogé et battu, mais une piqûre de morphine faite à son arrivée à l'infirmerie atténue la douleur, et il ne révèle rien. Le 24, il est transféré à Paris, 84 avenue Foch. Au cours des interrogatoires auxquels il répond avec beaucoup d’habileté et de courage, il est principalement confronté à l'Hauptsturmführer Karl Langer[5]. Stupéfait de découvrir que les services ennemis en savent long sur son organisation en particulier et sur le réseau Prosper en général, apprenant d’autre part qu’un pacte a été conclu entre le SD et le chef de réseau, Francis Suttill – dont le sien dépend, il se décide à révéler certaines choses. Le pacte stipulant qu’en échange des dépôts d’armes, les membres de la French Section arrêtés ne seraient pas fusillés, il expose, dans quatre lettres adressées à ses principaux lieutenants, la situation dans laquelle il se trouve et indique quelques emplacements. Au total 89 containers (sur les 226 reçus) entreposés dans trois endroits différents. Malheureusement, ses comptes rendus communiqués par Henri Déricourt au Sicherheitsdienst (SD) détrompent les Allemands, et de nouvelles arrestations ont lieu. L'instruction de son procès dure quelques mois.
- Septembre. Culioli est transporté de Fresnes au 3 bis place des États-Unis. Il y voit arriver les Canadiens, assiste fin septembre, à la tentative d’évasion de Frank Pickersgill, ce dont il rendra compte à son retour de déportation.
- Novembre. Le 20, il est ramené à Fresnes.
1944
- Août. Le 8, il part pour le camp de concentration de Buchenwald. Dans le train qui l’emmène se trouvent également 37 autres détenus appartenant à la section F ou à la section RF.
- Octobre. Le 1er, nouveau départ, pour Iéna cette fois, dans un Kommando. Il travaille à réparer des wagons.
1945.
- Avril. Le 4, il est évacué vers Leipzig. Enfin, quelques jours plus tard, à pied, retrait général en direction de la Tchécoslovaquie. C’est au cours de cette marche que, profitant d’un bombardement aérien, il s’évade avec neuf de ses camarades. Étant parti en éclaireur, il est séparé de ses camarades et repris par un détachement de la Volksturm. Il peut éviter le pire en se faisant passer pour un simple prisonnier de guerre, se dégage une deuxième fois et gagne les lignes américaines. Les Alliés l'enferment pendant cinq jours malgré ses protestations, dans les barbelés, avec les prisonniers allemands. Il est finalement délivré par les soins des Britanniques et rapatrié en France le 20. Il rédige pour les Anglais un rapport détaillé de ses activités depuis son engagement dans la French Section.
Après la guerre
1946. Il est soupçonné d’avoir livré ses chefs, Francis Suttill et Gilbert Norman et, par là, d’avoir provoqué la chute du réseau Prosper et de tous les réseaux qui en dépendaient.
1947. La rumeur s’amplifie et prend de grandes proportions.
- Septembre. Le 8, paraît dans La Nouvelle République du Centre-Ouest, une interview de Jean Meunier, par ailleurs président du journal, qui alimente la polémique.
- Le , paraît dans La Nouvelle République du Centre-Ouest, une interview de Jean Meunier, dans laquelle il déclare :
- « J'ai connu Pierre Culioli dans le courant de 1941 [, selon ce dernier]. Il avait "contacté" simultanément plusieurs milieux résistants de Tours. Pour vaincre les réticences que je marquais à son égard, il m'avait donné des références d'amis du Loir-et-Cher et révélé sa véritable identité... Culioli qui était pour nous "Brigandeau" était d'un tempérament sombre, ombrageux et sa témérité s'expliquait, selon moi, par son goût de l'aventure et l'ambition démesurée de devenir chef... Il arriva à ses fins, quitta la région pour Paris et revint en Loir-et-Cher. Quand il fut blessé gravement en même temps que « Jacqueline » (Yvonne Rudellat), au lendemain d'un parachutage mal réussi, je jugeai sévèrement son imprudence, et l'on pourrait retrouver dans les rapports que j'envoyai sur lui à Londres, le portrait que je viens de tracer... J'ignore, bien entendu, ce qui peut être reproché à Culioli. C'est à l'instruction de faire la lumière, mais aux commentateurs d'être prudents. Que Culioli ait parlé, c'est probable. Dans quelles conditions, c'est ce qui est resté mystérieux pour moi en raison du comportement ultérieur de Culioli. »
- À ces rapports défavorables s'ajoutent ceux défavorables à Raymond Flower :
- « Non seulement Raymond Flower (que Pierre Culioli jugeait « incapable » et « poltron ») s'était montré inapte à organiser des parachutages correctement, mais, plus encore, il avait adressé des messages à Londres accusant Pierre Culioli et Jacqueline Rudellat d'être passés à l'ennemi. On sait ce qu'il advint de cette calomnie ignoble : Londres adressa une ampoule de poison pour supprimer Pierre Culioli. Fort heureusement, c'est celui-ci qui reçut l'ampoule qui lui était destinée. Le groupe de Résistance du Loir-et-Cher se porta garant de la loyauté et de la sincérité de Pierre Culioli et de « Jacqueline ». D'ailleurs l'enquête menée par un envoyé de Londres (Suttill, si mes souvenirs sont bons) conclut que les accusations portées contre Pierre Culioli étaient mensongères. Raymond Flower fut rapatrié à Londres et ne revint jamais en France. »
- À la suite de l'article du , Pierre Culioli adresse un courrier au journal :
- « Je vous rappelle l'article me concernant que vous avez publié dans votre numéro du . Cet article, qui comporte principalement une inteview de M. Jean Meunier, Député-Maire de Tours, contient de telles contre-vérités que je vous somme, conformément à la loi, d'insérer le présent rectificatif dans votre prochain numéro, et dans toutes les éditions où a paru l'article incriminé. [... Suite : mise au point réfutant les points développés dans l'article et précisant certaines dates...] Et je m'adresse à vous maintenant, Jean Meunier, pour vous dire combien vous m'avez déçu et attristé, quand j'ai lu sous votre signature différents articles qui, sous couvert de glorifier tel et tel de nos martyrs, n'étaient que des prétextes à étaler en belle manchettes vos mérites de résistant. Je ne suis pas le seul, savez-vous, à avoir fait ces remarques [...] Jean Meunier, je pourrais, comme je l'ai fait pour un de vos collègues d'un parti voisin, vous appeler sur le pré réservé aux gens d'honneur. J'aurais probablement le même succès. Vos armes sont la plume et la parlotte, et sur ce terrain je ne suis pas de force avec vous. Alors, je vous dis simplement, Jean Meunier, je constate avec tristesse que je m'étais trompé sur vous. »
- Cette lettre ne fut pas insérée.
- Le 22, Pierre Culioli est inculpé par le juge Trossin et arrêté. Les anciens du réseau ADOLPHE, qui se réunissent peu après l’arrestation de leur chef, écrivent au juge Trossin une lettre de protestation. Il est acquitté du chef d’intelligence avec l’ennemi, mais reconnu coupable d’avoir fourni des renseignements et pour cette raison, condamné aux dépens.
1948.
- Janvier. Le 22, les anciens du réseau s’adressent au Ministère de la Guerre, réclamant cette fois la mise en liberté de Culioli. Leur requête se termine par ces mots : « L’instruction de cette affaire dure depuis deux ans. Il est possible qu’un décret d’amnistie intervienne. Or nous ne voulons pas que notre camarade bénéficie d’une mesure de clémence générale qui serait infamante pour lui et pour la Résistance. Nous tenons essentiellement qu’il soit jugé ». Gracié, Culioli qui l’entendait de la même oreille, se pourvoit en cassation, au grand émoi de Trossin surpris qu’il ne soit pas satisfait d’être libre. Un commandant Guyon intervient pour souligner que s’il se pourvoie, il sera certainement condamné à une peine très lourde.
- Décembre. Le premier jugement est cassé le 2. La cour de Metz est désignée pour un nouveau jugement devant un tribunal militaire.
1949. En dépit des menaces, Culioli est acquitté une seconde fois le . Le président Rosambert écrit peu après à l’abbé Guillaume : « Ce sera l’honneur de ma carrière d’avoir présidé l’affaire Culioli. Si vous le rencontrez, serrez-lui la main de ma part. »
La paix revenue, j’ai repris ma double activité :
- ADMINISTRATION
Nommé en Normandie, je suis devenu spécialiste de la répression des fraudes sur les alcools, à un moment où la révolte des bouilleurs de cru commençait à prendre un tour inquiétant. Il convenait avant tout de pourchasser les transports clandestins et de mettre hors service les alambics de grande capacité qui étaient en dissidence, fonctionnant sans aucune déclaration.
Il se posait un grand problème de matériel, car l’administration ne fournissait rien, notamment pas de véhicules, mais, heureusement, ne lésinait pas trop sur les indemnités.
Je me procurais donc des voitures d’occasion, souvent par l’intermédiaire des Domaines, que nous remettions en état, revue technique automobile en main – par exemple des FORD puissantes, ou des DS, dans les années 1950.
Je me suis également fait livrer par les Domaines des postes de radio militaires (souvent provenant de chars allemands) émetteurs-récepteurs, qu’il fallait remettre en état de fonctionnement, mais qui nous rendaient de précieux services à une époque où ces procédés n’étaient pas de pratique courante.
Les résultats ont été très encourageants et mon service avait à son actif des records qui n’ont pas été battus, tels que la saisie de 2 camions de 4500 litres d’alcool, et le transport en lieu sûr (à Angers) d’une dizaine de gros alambics, car si on les laissait à proximité, il y avait des commandes de reprise.
En 1963 j’ai été chargé de mission pendant 6 mois dans la nouvelle ALGERIE pour participer à la réorganisation de la répression fiscale, qui n’existait plus depuis le départ de l’administration française.
En 1965, trop fatigué pour poursuivre une activité fort pénible, j’ai été nommé Receveur principal des impôts à ALENCON, et 3 ans plus tard Conservateur des Hypothèques à SAINT POL SUR TERNOISE (Pas de Calais), puis à DOMFRONT, puis à MORTAGNE, où j’ai terminé ma carrière en 1977, après 46 ans de service.
- AERONAUTIQUE
Dès que j’ai pu, j’ai repris mon activité, strictement privée, comme par le passé.
Je me suis surtout consacré à la voltige aérienne sur biplans STAMPE, dont j’ai possédé 2 exemplaires. J’ai acheté le second, hors service, pour le prix de 6 000 F, et j’ai mis 3 ans pour le reconditionner entièrement, de telle sorte que, lorsque je m’en suis séparé à la fin de mon activité, il en valait 60000. Je possède encore le matériel qui permet le réglage des cellules, opération très particulière, que j’effectuais fréquemment, avec l’accord du Bureau Veritas, chez des camarades parfois très éloignés.
Effectuant de nombreux stages de voltige, j’ai poursuivi cette activité jusqu’à l’âge de 70 ans, ayant obtenu à cette époque la médaille des « 50 ans de brevet » décernée par l’organisation des VIEILLES TIGES PIONNIERS DE L’AIR.
À 72 ans j’ai été victime d’un « HÉMATOME SOUS-DURAL » suivi de trépanation, qui me rend inapte à toute activité de ce genre. Mais cette activité, je l’avais arrêtée, volontairement, bien avant.
1994. Pierre Culioli meurt le à Mortagne-au-Perche (Centre hospitalier, 9 rue de Longny), à l’âge de 82 ans[6]. Il repose au cimetière de Gesvres (Mayenne).
État des services
- 19.10.37 : incorporation, 131e régiment d'infanterie
- 04.11.37 : école de Saint-Maixent
- 10.04.38 : promu sous-lieutenant, 24e Régiment de Tirailleurs Tunisiens
- 14.10.38 : renvoyé dans ses foyers
- 02.09.39 : parti aux armées
- 01.06.40 : fait prisonnier, interné à l'Oflag II.D
- 25.12.40 : rapatrié sanitaire
- 07.01.41 : démobilisé par le Centre de Marseille
- 01.01.41-31.12.41 : agent p. 1, réseau Buckmaster ADOLPHE
- 01.01.42-20.06.43 : agent p. 2, Cdt, réseau Buckmaster ADOLPHE
- 21.06.43 : arrestation
- 21.06.43-20.06.44 : déporté et blessé
- 21.06.44-15.11.45 : déporté
- 01.06.45 : promu capitaine de réserve
- 04.07.46 : démobilisé
- 29.07.59 : rayé des cadres.
Identités
- État civil : Pierre Urbain Culioli
- Comme résistant :
- Surnom[7] : Adolphe
- Pseudos : Pierre Leclair ; Brigandeau (mentionné par Jean Meunier)
Famille
- Son père : Don Joseph Culioli, originaire du village de Chera en Corse du sud (commune de Sotta) ; adjudant d’Infanterie Coloniale en retraite, engagé volontaire pour la durée de la guerre (14/18) ; gravement blessé lors des offensives de Champagne en , il refuse toute réforme et repart au combat ; meurt en 1922, à 53 ans.
- Sa mère : Charlotte née Morin.
- Son grand-père : sous Napoléon III, il se distingue dans le métier des armes ; entré dans la Marine en 1855, il s’illustre la même année durant les combats de Crimée, puis au Mexique en 1864.
- Sa femme : Ginette Dutems.
- Son beau-père : René Dutems, maire de Mer, propriétaire à Boisrenard.
- Ses beaux-frères : Jean et Guy Dutems.
Reconnaissance
Pierre Culioli a reçu les distinctions suivantes :
- Grande-Bretagne : King's Medal for Courage in the Cause of Freedom
- France : Croix du Combattant volontaire ; Croix de guerre 1939-1945 avec palme et étoile d'argent[8] ; Médaille de la France Libre ; Médaille des Évadés[9] ; Médaille de la Déportation et de l'Internement pour faits de Résistance ; Légion d'honneur, Médaille de la Résistance[10].
Annexes
Notes
- À Gross Born.
- Les sources divergent sur :
- le lieu du parachutage : Boisrenard (près de Chambord) ou Vendôme ;
- la présence ou non d'un comité de réception ; et s'il y a eu comité, la présence en son sein de Pierre Culioli, d'Yvonne Rudellat et d'Andrée Borrel.
- Source : Yves Chauveau-Veauvy.
- Yves Chauveau-Veauvy, p. 69, donne des précisions sur la composition du comité de réception : « Le 16 juin, Pierre Chassagne, Roger Couffrant et André Brasseur, ont assuré l'accueil, dans la prairie de Châtillon-Meusnes, de deux officiers canadiens [...] qui devaient tout d'abord contacter le major Suttill et Armel Guerne à Paris. »
- Karl Langer, un Autrichien d’une quarantaine d’années, marié à une Française, « extrêmement correct » déclarera-t-il, « et je n’ai jamais entendu dire qu’il ait fait de mal à qui que ce soit ».
- Source : état-civil de Montagne-au-Perche.
- Il ne s'agit pas à proprement parler d'un nom de guerre (ou field name) SOE, ni d'un nom de code opérationnel. En effet, tout en travaillant sous l'autorité de Francis Suttill, chef du réseau Prosper-PHYSICIAN, Pierre Culioli ne disposait pas d'un réseau officiel du SOE.
- JO du 6.11.1941
- JO du 25.02.1949.
- JO du 13.07.1947.
Sources et liens externes
- Fiche Pierre Culioli, avec photographie sur le site Special Forces Roll of Honour.
- Charles Le Brun, Réseau Adolphe. Pierre Culioli, bouc émissaire de l’Intelligence Service ?, in 39/45 Magazine, no 219, , p. 23-33.
- Autobiographie de Pierre Culioli (manuscrit), Musée de la Résistance, de la Déportation et de la Libération, 1, place de la Grève, 41000, Blois.
- Michael R. D. Foot, Des Anglais dans la Résistance. Le Service Secret Britannique d'Action (SOE) en France 1940-1944, annot. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Tallandier, 2008, (ISBN 978-2-84734-329-8). Traduction en français par Rachel Bouyssou de (en) SOE in France. An account of the Work of the British Special Operations Executive in France, 1940-1944, London, Her Majesty's Stationery Office, 1966, 1968 ; Whitehall History Publishing, in association with Frank Cass, 2004. Ce livre présente la version officielle britannique de l’histoire du SOE en France. Une référence essentielle sur le sujet du SOE en France.
- Paul Guillaume :
- La Résistance en Sologne, 251 pages, Orléans, J. Loddé, sans date (probablement 1946). Voir p. 21-29 : ch. II, Les Groupes de résistance du War-Office, Pierre et Jacqueline.
- La Sologne au temps de l'héroïsme et de la trahison, Orléans, Imprimerie nouvelle, 1950, 394 p. Voir p. 29-153 : ch. III, Naissance et croissance du réseau ADOLPHE ; ch. IV, La Mort du réseau Prosper ; ch. V, La Dispersion du réseau ADOLPHE ; ch. VI, Épilogue à l'histoire du réseau ADOLPHE, l'affaire.
- Au temps de l'héroïsme et de la trahison, Librairie Loddé, 1978, 358 p. Voir p. 78-94 : ch. V, Le Réseau Buckmaster (1942-1943).
- Yves Chauveau-Veauvy
- Réseau de résistance « ADOLPHE » en Loir et Cher, édité par l'auteur, imprimé par Sologne Graphic, ;
- Réseaux de Résistance SOE. Sologne, Berry, Rives de Loire, collection « Témoignages et Récits », Alan Sutton, 2012, (ISBN 978--2-8138-0462-4).
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