Projet Mapping en RDC

Le Projet Mapping en RDC (officiellement Projet « Mapping » concernant les violations des droits de l’homme 1993-2003 en RDC), appelé couramment Rapport Mapping, est une mission d'enquête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme concernant les violences et crimes de guerre commis sur le territoire de la République démocratique du Congo sur une période de 10 ans allant de mars 1993 à juin 2003, englobant de fait la première guerre du Congo et la deuxième guerre du Congo. Les résultats du projet sont présentés sous la forme d'un rapport contenant un recensement des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, suivi d'une évaluation du fonctionnement du système judiciaire congolais, et enfin une série de recommandations en vue de traiter la question de l'impunité des criminels de guerre dans le pays, notamment au travers de la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle[1]. Le rapport du projet, publié en 2010, comporte 581 pages dans sa version française, et contient un inventaire de 617 violences et crimes avérés[2].

Le palais Wilson, à Genève, siège du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme.

Des fuites dans la presse, puis la publication du rapport, suscitent de vives réactions de la part de certains pays dont les forces armées sont incriminées dans le rapport, notamment le Burundi, le Rwanda, et l'Ouganda. Il s'ensuit de longues polémiques dans les médias et au sein de la communauté internationale[3],[4].

Bien que l'objectif premier du projet soit d'aider le nouveau gouvernement congolais à mettre fin aux violences endémiques sur son territoire, durant les années qui suivent la publication du rapport aucune des recommandations formulées n'est mise en place par le gouvernement congolais[5]. En décembre 2019, Tatiana Mukanire Bandalire lance avec le Mouvement national des survivant.e.s de violences sexuelles en RDC une pétition pour la mise en œuvre des recommandations du rapport du projet[6]. La même année, le gynécologue et prix Nobel de la paix Denis Mukwege plaide solennellement pour une telle mise en œuvre lors d'une allocution à l'Assemblée nationale française[7],[8].

Tatiana Mukanire Bandalire, coordinatrice nationale du Mouvement national des survivantes des violences sexuelles en RDC.
Denis Mukwege, gynécologue congolais et prix Nobel de la paix.

Contexte et déroulement

Dans les années 1996 et 1997, une première mission de l'ONU tente d'enquêter sur les crimes de guerre en RDC. Mais le contexte est difficile, avec la première guerre du Congo qui ravage le pays, et dont le futur vainqueur, Laurent-Désiré Kabila, n'accepte pas cette mission, certains éléments de sa force armée rebelle, l'AFDL, étant impliqués dans les violences. De plus le rapport d'enquête met en évidence des massacres de réfugiés Hutus rwandais en RDC, alors que la communauté internationale est encore sous le choc du génocide des Tutsis par les Hutus en 1994, ces derniers étant donc vus comme des coupables et non des victimes. Le rapport de l'équipe de Robert Gersony reste donc inachevé et sans suite[9].

À la fin de l'année 2005, trois fosses communes sont découvertes dans l'est de la RDC. Les temps ont changé, la gouvernance de l'ONU annonce au Conseil de sécurité son intention d'envoyer sur place une équipe d'enquêteurs. En mai 2007, le secrétaire général Ban Ki-moon approuve les objectifs et le mandat du projet, après avoir consulté les agences onusiennes concernées et le nouveau gouvernement congolais[2]. Joseph Kabila, président de la RDC récemment élu, donne son accord et promet que les enquêteurs n'auront aucune entrave[9].

Le projet Mapping en RDC débute officiellement le 17 juillet 2008, avec l'arrivée du directeur d'équipe à Kinshasa. La phase d'enquête dure d'octobre 2008 à mai 2009 et inclut 33 experts internationaux et congolais. Parmi les experts en droit international humanitaire et droits de l'homme, une vingtaine est déployé sur le terrain dans l'est du pays, pour recueillir documents et témoignages. Le rapport est soumis à la Haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Navi Pillay, en juin 2009, pour relecture et amendements. La version finale est rédigée en août 2010, et publiée le 1er octobre 2010[2].

Le mapping

Définition

La technique du mapping (en anglais : mapping exercise) consiste à passer en revue, de façon méthodique et exhaustive, l'ensemble des données disponibles sur un sujet précis, en définissant au préalable des limites spatiales ou temporelles. Le but est de réussir à faire émerger une cohérence statistique ou des liens logiques entre les données, tout en éliminant tout biais. L'analyse et l'interprétation des résultats ne font pas partie du mapping en lui-même, mais peuvent être effectuées dans un second temps pour servir à prendre des mesures adaptées au problème[10],[11],[12].

Méthodologie

Le rapport de 581 pages (550 dans la version anglaise) dresse l'inventaire de 617 exactions violentes et graves, ayant eu cours en RDC sur la période définie (mars 1993 - juin 2003). Chacune de ces exactions est en violation flagrante avec le droit international et/ou les droits de l'homme universellement proclamés. Seules les violations les plus graves et renseignées par au moins deux sources différentes sont retenues. Les violations connues par une source unique ne sont pas incluses dans le rapport, quelle que soit leur gravité. Au total, plus de 1 500 documents écrits ont été recueillis et analysés, ce qui a permis de dresser la chronologie des principales violations province par province. Les enquêteurs ont ensuite rencontré 1 280 témoins, dans le but de confirmer, infirmer, ou préciser, les exactions recensées en premier lieu par l'analyse des documents[2].

Les 1 500 documents originaux ont été recueillis auprès de nombreuses sources différentes, dont le gouvernement congolais, des organisations de défense des droits de l'homme, des médias nationaux et internationaux, des associations religieuses, des ONG humanitaires et des associations de victimes. Dans un deuxième temps, des experts et d'autres personnes dignes d'intérêt ont été consultés pour affiner l'analyse de ces sources[2].

Mandat et objectifs

L'introduction du rapport rappelle que l'objet n'est pas « de se livrer à des enquêtes approfondies ou d’obtenir des preuves qui seraient admissibles comme telles devant un tribunal » mais de « fournir les éléments de base nécessaires pour formuler des hypothèses initiales d’enquête en donnant une idée de l’ampleur des violations, en établissant leurs caractéristiques et en identifiant les possibilités d’obtention de preuve. » Ceci dans le but « d'aider le nouveau gouvernement en le dotant des outils nécessaires pour gérer les processus post-conflit. »

Le projet, doté d'un budget de 3 millions de dollars, se voit assigner trois objectifs distincts et clairement définis :

  • Dresser l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003.
  • Évaluer les moyens et la capacité du système national de justice pour traiter de façon appropriée les violations des droits de l’homme.
  • Élaborer une série de recommandations pour aider le gouvernement de la RDC à identifier les mécanismes adéquats de justice transitionnelle permettant de traiter les cas de violations en matière de vérité, de justice, de réparation et de réforme, et en tenant compte des efforts déjà en cours de la part des autorités de la RDC.

L'objectif de l'enquête n'est donc pas d'attribuer des responsabilités individuelles aux violations qu'elle répertorie, mais d'en révéler l'ampleur et la gravité, ceci afin de briser les cycles de la violence et de l'impunité en RDC. Cependant, le rapport identifie, quand cela est possible, les groupes armés auxquels sont attribués chaque violation, ceci afin de pouvoir déterminer les suites légales à donner dans chaque situation. L'identité des personnes ayant commis les violations, lorsqu'elles sont connues, sont répertoriées dans une base de données restant confidentielle et transmise au HCDH. Dans le cas où, au moment de l'enquête Mapping, une personne coupable de violation serait déjà détenue par les forces de police ou condamnée pour crime, son identité est révélée. Les noms sont également révélés lorsque des responsables politiques sont impliqués ou ont appelé à commettre ces violences[13].

Période couverte

Mobutu Sese Seko, président de la RDC de 1965 à 1997.
Joseph Kabila, président de la RDC de 2001 à 2019.

Le projet Mapping couvre une période de dix ans, qui peut être subdivisée en quatre épisodes importants de l'histoire récente de la RDC :

  • Mars 1993- juin 1996 : La fin du règne de Mobutu, marquée par des violences internes et par la déstabilisation de l'est du pays (Kivu) à la suite du génocide des Tutsis au Rwanda. Le rapport répertorie 40 violations durant cette période.
  • Juillet 1996– juillet 1998 : La première guerre du Congo, et l'accession à la présidence de Laurent-Désiré Kabila. Le rapport répertorie 238 violations sur cette période.
  • Août 1998- janvier 2000 : La deuxième guerre du Congo, de ses débuts à la mort du président Laurent-Désiré Kabila. Le rapport répertorie 200 violations sur cette période.
  • Janvier 2001– juin 2003 : La fin de la deuxième guerre du Congo, avec un apaisement progressif du conflit armé jusqu'au cessez-le-feu. Le rapport répertorie 139 violations sur cette période.

Principales recommandations du rapport

Justice transitionnelle

Parmi les propositions pour mettre en place une justice transitionnelle, le rapport du projet Mapping recommande la création d'un mécanisme judiciaire mixte, constitué de personnes qualifiées, congolaises et internationales. Ce mécanisme a un rôle extraordinaire, le système judiciaire classique n'étant pas capable de traiter le très grand nombre de dossiers, estimé à plusieurs dizaines de milliers. Le rapport ne précise pas si un tel mécanisme doit être de nature nationale ou internationale, et ne précise ni sa forme ni sa fonction. Il indique que la forme exacte et le fonctionnement doivent être définie de manière concertée entre tous les acteurs, y compris les victimes. Le mécanisme mis en place doit faire appliquer le droit international, sans omettre la responsabilité des supérieurs hiérarchiques des coupables de violations, et exclure la compétence des tribunaux militaires en la matière. Le mécanisme doit avoir compétence à juger tous les coupables de violations, quel que soit leur nationalité, qu'ils soient civils ou militaires[14].

Droit à la vérité et réparations

Le rapport rappelle « le droit à la vérité » du peuple congolais concernant les crimes commis pendant ces années de guerre. Il recommande la création d'une commission non judiciaire, où les victimes pourraient s'exprimer librement, et qui pourrait aider à identifier les coupables ainsi que les responsabilités politiques, institutionnelles, et militaires[15].

Étant donné le très grand nombre de victimes, le rapport déclare qu'une approche globale et innovante est nécessaire en matière de réparation aux victimes, et que le gouvernement congolais doit être le premier à s'y investir. Le rapport pointe également la responsabilité des gouvernements étrangers dont les armées ont été impliquées dans les conflits, ainsi que celle des entreprises de droit privé, telles que les multinationales exploitant les ressources naturelles du Congo, et qui pourraient être amenés à payer des réparations en cas d'implication dans les violations répertoriées.

Réformes des secteurs de la justice et de la sécurité

Étant donné la faillite des institutions qui n'ont pu ni empêcher les violations du droit, ni poursuivre et condamné les coupables, le rapport souligne la nécessité et le caractère « crucial » de réformer celles-ci. Un « Comité mixte de suivi » a déjà été mis en place en RDC et promeut une vaste réforme législative (législation pénale), accompagnée d'un renforcement des moyens alloués au système judiciaire (déploiement de l'administration judiciaire dans les provinces, requalification des juges, etc). Une séparation plus nette des pouvoirs au sein de l'Etat est également souhaitable[16].

La recommandation la plus importe en matière de sécurité est celle d'« assainissement » des fonctionnaires de l'Etat. En effet, à la suite des accords de paix de 2003, de nombreux responsables de violations sont restés à leur poste, que ce soit dans l'administration, l'armée, la police, ou les services de sécurité. Démettre les responsables de leur fonction sert un double objectif : prévenir de nouvelles violations des droits de l'homme, et amener aux victimes un sentiment de justice[16].

Principales violations recensées dans le rapport

Un rassemblement de femmes victimes de viol en RDC.

Paragraphe 38

Le rapport du projet Mapping met en lumière l'emploi généralisé, par toutes les forces armées présentes, d’enfants associés aux forces et groupes armés (EAFGA), plus communément appelés enfants soldats. Ces enfant subissent de très nombreuses violences : torture, viol, meurtre, traitements dégradant et cruel. Dans le cas avérées où des EAFGA ont commis des violations, le rapport précise qu'il faut d'abord identifier et poursuivre en justice leurs supérieurs hiérarchiques, militaires ou politiques[15].

Paragraphes 184, 185, 281, 286

Les cas de viols collectifs, y compris sur des mineures, sont nombreux dans le Nord-Kivu, Sud-Kivu et l'Ituri. Dans plusieurs cas recensés le nombre de victimes dépasse le millier. Les coupables sont divers groupes armés, congolais et étrangers, et rebelles. Dans la province de Maniema, les milices Mayi-Mayi ont commis de nombreux viols de masse, puis utilisé certaines victimes comme esclaves sexuelles dans leurs camps pendant plusieurs mois[15]. Les coupables étant conscient de bénéficier d'une totale impunité, les viols collectifs se généralisent et se systématisent lors de la première guerre du Congo[17].

Le rapport du projet Mapping a pu mettre évidence des faits non connus et non documentés jusqu'alors, en particulier les viol de femmes adultes et d'enfants réfugiés hutus entre 1996 et 1997[17].

Paragraphe 513

Les attaques systématiques, donnant lieu à des massacres de grande ampleur, à l'encontre de la communauté hutue, sont largement documentées dans la première partie du rapport. Le nombre de victimes est évalué à plusieurs dizaines de milliers, toutes nationalités confondues. Dans la grande majorité des cas répertoriés, il ne s'agit pas de victimes collatérales des combats, mais de civils ciblés intentionnellement par les forces armées de l'AFDL (forces rebelles de Laurent-Désiré Kabila, vainqueur de la première guerre du Congo), de l'APR (branche armée du FPR de Paul Kagame), et du FAB (armée régulière du Burundi). Les victimes sont souvent exécutées en masse, par centaines, à l'arme blanche[18].

Paragraphe 514

Les responsables des massacres cités au paragraphe précédent se défendent dans certains cas en invoquant la recherche de Hutus réfugiés et coupables du génocide de 1994 au Rwanda. Cependant la plupart des témoignages concordent pour dire que tous les Hutus étaient ciblés sans distinction de leur nationalité ou origine. De plus la majorité des victimes sont « des enfants, des femmes, des personnes âgées et des malades » ne représentant aucune menace pour les forces attaquantes. Les crimes commis à Rutshuru (30 octobre 1996) et Mugogo (18 novembre 1996), dans le Nord–Kivu, prouvent le ciblage spécifique des Hutus, considérant que les personnes ayant réussi à convaincre leurs agresseurs qu'elles appartenaient à un autre groupe ethnique ont été épargnées. De plus, il est établi que les forces armées de l'AFDL, de l'APR et du FAB, ont fait un usage systématique des barrages routiers, dans le Sud-Kivu, pour identifier les personnes d'origine hutue et les séparer du reste de la population[18].

Paragraphe 515

Camp de réfugiés rwandais en RDC, en 1994.

Plusieurs violations recensées dans le rapport décrivent des faits et des circonstances pouvant être assimilés par la justice à la volonté de détruire au moins en partie le groupe ethnique hutu en RDC. Premièrement, l'ampleur des crimes et le grand nombre de victimes sont éloquents. Deuxièmement l'usage à grande échelle d'arme blanche, et le massacre systématique des survivants, incluant femmes et enfants, démontrent que ces nombreux morts ne peuvent être dus aux combats, au simple état de guerre, ou à des dommages collatéraux. Troisièmement, le caractère systématique des attaques contre les Hutus est notamment démontré par le fait qu'elles ont lieu à chaque endroit, sur l'ensemble du pays, où les forces de l'AFDL et de l'APR avaient identifié la présence de réfugiés. Enfin, dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, mais aussi dans le reste du pays, les massacres commencent en général par un piège délibéré de la part de l'AFDL ou de l'APR : demande de rassemblement sous le prétexte d'organiser le rapatriement des réfugiés rwandais, ou pour la population hutue de RDC sous le prétexte de présenter les nouvelles autorités de la région, ou encore sous le prétexte de distribution de nourriture. Les personnes venant aux rassemblements sont ensuite systématiquement tuées[18].

Ce genre de déroulé des faits est recensé dans la province du Nord-Kivu à Musekera, Rutshuru et Kiringa (octobre 1996), Mugogo et Kabaraza (novembre 1996), Hombo, Katoyi, Kausa, Kifuruka, Kinigi, Musenge, Mutiko et Nyakariba (décembre 1996), Kibumba et Kabizo (avril 1997) et Mushangwe (août 1997); dans la province du Sud-Kivu à Rushima et Luberizi (octobre 1996), Cotonco et Chimanga (novembre 1996) et Mpwe (février 1997) et sur la route Shabunda-Kigulube (février-avril 1997); dans la Province orientale à Kisangani and Bengamisa (mai et juin 1997); à Maniema et Kalima (mars 1997) et dans la province d'Équateur à Boende (avril 1997)[15].

Paragraphe 516

Plusieurs massacres de civils concernent en grande majorité des femmes et des enfants. De plus, aucun effort n'est fait pour distinguer les Hutus ex-membres des FAR et des milices Interahamwe (principales responsables du génocide des Tutsis de 1994 au Rwanda) de la population civile, qu'elle soit congolaise (autochtones) ou rwandaise (réfugiés). Cette tendance à ne faire aucune distinction au sein de la population hutue se manifeste notamment lors de « discours de sensibilisation » donnés par les forces de l'AFDL et de l'APR en plusieurs endroits. Ces discours mettent en avant le fait que toute personne hutue présente au Congo est forcément coupable de génocide, les « vrais » réfugiés étant déjà rentrés au Rwanda. Ces discours appellent aussi la population locale du Nord-Kivu à traquer, tuer, ou aider à tuer, toutes les personnes hutues rwandaises, lesquelles sont appelés de façon dénigrante « cochons »[18].

Ce genre de massacres est recensé dans le rapport à Kibumba (octobre 1996), Mugunga et Osso (novembre 1996), Hombo et Biriko (décembre 1996) dans la province du Nord-Kivu; à Kashusha et Shanje (novembre 1996) dans la province du Sud-Kivu; à Tingi-Tingi et Lubutu (mars 1997) dans la province du Maniema; à Boende (avril 1997) dans la province d'Équateur[15].

Paragraphe 517

Le 13 mai 1997, les massacres de Mbandaka et Wendji, dans la province d'Équateur, à plus de 2000 km de la frontière rwandaise, semblent constituer la dernière étape de la traque des réfugiés hutus commencée en octobre 1996. Au milieu des réfugiés se trouvent des miliciens en fuite des FAR et Interahamwe, lesquels sont désarmés dès leur arrivée par la police locale. En dépit de toute considération, les forces de l'AFDL et de l'APR ouvrent le feu sur des centaines de réfugiés hutus sans défense[18].

Paragraphe 518

Les caractères systématiques et étendus des attaques décrites dans le rapport, qui ciblent un très grand nombre de réfugiés hutus rwandais et de civils hutus congolais, constituent des éléments accablants, s'ils venaient à être prouvés au sens juridique du terme, définissant des « crimes de génocide ». Les actes de certains membres des forces de l'AFDL et de l'APR pourraient ainsi constituer un élément permettant de définir l'existence d'un plan de génocide contre les Hutus, mais ne serait en aucun cas être suffisant en lui-même. D'autres éléments sont nécessaires afin de caractériser l'intention de génocide[18].

Paragraphes 519 à 521

Le fait que dans certains cas, uniquement les hommes sont ciblés, ou que des groupes d'individus hutus sont autorisés à se déplacer et quitter le pays, ne saurait disculper l'ensemble des forces armées incriminées et leurs dirigeants de l'intention de détruire la communauté hutue. Les conduites, paroles, et ordres, de certains dirigeants des forces de l'AFDL et de l'APR dont les soldats ont commis des violences et des crimes, sont autant d'éléments pouvant prouver la volonté de ces dirigeants de détruire au moins en partie la communauté hutue, c'est-à-dire de commettre un génocide. C'est à un tribunal compétent de trancher sur ce point spécifique[18].

Paragraphe 1143

Le rapport se conclut sur l'urgence des réformes à mener en RDC dans le domaine de la justice et des services de sécurité, considérant l'impunité des personnes coupables de violations des droits de l'homme et du droit humanitaire international, ainsi que la répétition de ces violations. Les membres de l'équipe du projet Mapping ont constaté eux-mêmes la peur des victimes face à l'absence de justice et de possibles nouveaux crimes[15].

Qualification de génocide

Certains acteurs et observateurs réclament la qualification de génocide pour les massacres commis à l'encontre de la communauté hutue lors de la première guerre du Congo[4],[5]. Le rapport conclut que : « Il est important qu’une enquête judiciaire complète soit ouverte, afin de faire la lumière sur les incidents rapportés qui se sont déroulés sur le territoire de la RDC en 1996 et 1997. Seul une pareille enquête suivie d’une décision judiciaire sera en mesure de déterminer si ces incidents constituent des crimes de génocide. » (paragraphe 522[15])

Le rapport précise par ailleurs que la question de la qualification des nombreux actes de violences commis contre les Hutus a amené de très nombreuses réactions et commentaires, et reste à ce jour non résolue. Il ajoute que le caractère systématique et « de masse » des attaques recensées constitue une preuve évidente, si confirmée par un tribunal compétent, de « crime de génocide ». Cependant, d'autres éléments, comme le fait dans certains cas d'épargner les femmes et les enfants, ou l'autorisation des réfugiés hutus de retourner au Rwanda peu avant les massacres, plaident contre le qualificatif de génocide[4].

Fuites avant publication

Peu avant la publication officielle, le journal français Le Monde publie le 26 août 2010 des extraits du rapport Mapping, et porte de graves accusations à l'encontre des gouvernements et armées de plusieurs pays de la région, notamment ceux du Congo, du Rwanda, du Burundi, et de l'Ouganda. Les accusations de « crimes contre l'humanité, crimes de guerre, voire de génocide », créent de vives réactions. La polémique la plus violente concerne le Rwanda, dont les forces armées et ses alliés burundais et congolais, se voient accusées de violations des droits de l'homme et de crimes à l'encontre de la population hutue, notamment de réfugiés rwandais se trouvant au Congo. Face à l'indignation du gouvernement rwandais, les instances de l'ONU craignent que celui-ci arrête sa participation aux opérations de maintien de la paix en Afrique, pour lesquelles il fournit des contingents. Les journalistes du Monde expliquent leur décision par la peur que la version finale du rapport soit édulcorée, notamment que le terme de « génocide », trop polémique, soit supprimé[19],[20],[21],[22].

Accueil et réactions

Paul Kagame, président du Rwanda depuis 2000.

Le gouvernement congolais de Joseph Kabila accueille favorablement le rapport Mapping. Dans un communiqué il se dit « consterné devant cette horreur indicible et étendue des crimes que le peuple congolais a endurés » et se dit prêt à mettre en œuvre les recommandations en matière de réforme de la justice et à juger tous les coupables. La société civile congolaise accueille très favorablement le rapport. Plus de 200 ONG congolaises publient ensemble un communiqué appelant à mettre en œuvre le plus rapidement possible les mécanismes de justice transitionnelle[3].

Le gouvernement du Burundi rejette les conclusions du rapport Mapping par un communiqué le 20 septembre 2010. Il dément toute implication de ses forces armées dans les crimes recensées par le rapport, et « demande avec insistance de retirer le Burundi de la liste des Etats tiers qui ont été impliqués dans ces violations. [23]»

Le gouvernement ougandais rejette également le rapport par un communiqué le 24 septembre, l'assimilant à une collection de rumeurs acquises par une méthodologie et des sources biaisées, et n'hésite pas à le qualifier comme étant « du plus mauvais goût ». Le communiqué se termine ainsi : « L'Ouganda rejette l'entièreté de cette version du rapport et demande à ce qu'elle ne soit pas diffusée.[24] »

Le gouvernement du Rwanda réagit officiellement le 30 septembre par un communiqué de 30 pages. Il déclare notamment que « le rapport Mapping prépublié ne s'intéresse qu'à une fraction d'une histoire complexe, et ignore des informations accessibles publiquement qui contredisent ses conclusions. Le lecteur se voit proposer un récit partial, et ne se voit fournit aucun contexte permettant de comprendre qui sont chacun des protagonistes rwandais, et comment ils se sont trouvés dans les forêts congolaises de 1994 à 2003. » Le communiqué déclare également : « Il est immoral et inacceptable que l'Organisation des Nations Unies, qui a échoué a empêcher le génocide au Rwanda ainsi que la crise des réfugiés qui s'ensuivit, causes directes de tant de souffrances au Congo et au Rwanda, accuse maintenant l'armée qui a stoppé le génocide d'avoir commis des atrocités en République Démocratique du Congo. » « Il est avéré que l'intervention du Rwanda en RDC était une question de survie et la conséquence directe de la gestion irresponsable et sans égard des camps de réfugiés par l'ONU et la communauté internationale après le génocide. » La conclusion est la suivante : « Le gouvernement du Rwanda rejette catégoriquement ce rapport.[25],[17] »

Les ONG internationales de défense des droits de l'homme accueillent favorablement le rapport, comme Amnesty International qui appelle à la mise en application des mécanisme de justice transitionnelle[26], ou Human Rights Watch qui salue le travail effectué[3].

Mise en œuvre des recommandations

Plus de dix ans après la publication du rapport Mapping, et malgré l'accueil initial favorable de celui-ci par le gouvernement congolais, ni les recommandations de réformes de la justice en RDC, ni les recommandations de mécanismes de justice transitionnelle n'ont été mises en œuvre[27],[9]. En 2019, la congolaise Tatiana Mukanire Bandalire, à la tête du Mouvement national des survivantes de violences sexuelles en RDC, lance une pétition réclamant la mise en œuvre de ces recommandations[7],[28]. Peu après, le gynécologue congolais et prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, plaide lui aussi pour une mise en œuvre rapide d'une justice transitionnelle lors d'un discours à l'Assemblée nationale française[7]. En 2022, alors que la guerre du Kivu ne semble pas devoir se terminer, une grande partie de la société civile congolaise est toujours mobilisée pour réclamer la fin de l'impunité et la mise en œuvre d'une justice transitionnelle, condition jugée essentielle pour briser le cycle de violences en RDC[29],[30]. Suivant cette non mise en œuvre et l'absence de poursuite vis-à-vis des forces armées étrangères ayant commis les violations, un sentiment anti-rwandais se développe dans la société civile congolaise[31],[32].

De plus, une partie de ces mêmes acteurs de la société civile congolaise, actant l'immobilisme de leur gouvernement, réclament la création d'un tribunal pénal international pour la RDC, afin de juger les coupables de crimes de guerre identifiés par le projet Mapping[8],[30].

Le 16 août 2022, le gouvernement congolais présente un avant-projet de loi « fixant les principes fondamentaux relatifs à la protection des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et autres crimes commis en RDC » et entérine la création d'un « fonds de réparation des victimes des violences sexuelles et autres crimes en RDC (FONAREV) ». La réparation se fera dans un premier temps sur la base du rapport Mapping[33].

Références

  1. http://www.ohchr.org/Documents/Countries/ZR/Fiche1_projet_mapping_FINAL.pdf Note d'information sur le projet Mapping, consulté le 18 mars 2012
  2. « HCDH | RDC: Projet « Mapping » concernant les violations des droits de l’homme 1993-2003 », sur OHCHR (consulté le )
  3. « RD Congo: Questions et réponses sur le rapport Mapping », sur Human Rights Watch, (consulté le )
  4. « UN releases Congo genocide report », sur www.telegraph.co.uk, (consulté le )
  5. « Dix ans après sa publication, le rapport sur les crimes de guerre en RDC reste lettre morte », sur Franceinfo, (consulté le )
  6. « Signez la pétition demandant aux Nations Unies de lever l'embargo sur la base de données des présumés auteurs des crimes documentés dans le Rapport Mapping », sur Debout Congolaises, (consulté le )
  7. Justin Mwamba, « RDC: A Bukavu, les survivantes des violences sexuelles plaident pour l’application des recommandations du rapport Mapping », sur Actualite.cd, (consulté le )
  8. « Guerres du Congo : après 27 ans de crimes, l'indispensable lutte contre l'impunité en RDC », sur TV5MONDE, (consulté le )
  9. « RDC: dix ans après sa publication, l’autopsie du rapport Mapping », sur RFI, (consulté le )
  10. (en) Dictionnaire Collins, « Mapping exercise », sur collinsdictionary.com (consulté le )
  11. « mapping exercise », sur TheFreeDictionary.com (consulté le )
  12. (en) Diane Cooper, « What is a “mapping study?” », J. Med Libr Assoc., 104(1):76-8, (DOI 10.3163/1536-5050.104.1.013, lire en ligne)
  13. (en) « DR Congo: Q & A on the United Nations Human Rights Mapping Report », sur Human Rights Watch, (consulté le )
  14. (en) Amnesty International, THE TIME FOR JUSTICE IS NOW : NEW STRATEGY NEEDED IN THE DEMOCRATIC REPUBLIC OF THE CONGO, Londres, , 80 p. (lire en ligne)
  15. Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, , 581 p. (lire en ligne)
  16. Haut-Commissariat de Nations Unies au droit de l'homme, Ficher d'information 8, Rapport Mapping des Nations Unies, Options de justice transitionnelle, 3 p. (lire en ligne)
  17. « RD Congo: Questions et réponses sur le rapport Mapping », sur Human Rights Watch, (consulté le )
  18. (en-GB) « UN DR Congo 'genocide' draft report - key excerpts », BBC News, (lire en ligne, consulté le )
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  20. (en) « UN Upset by Premature Leak of DRC Report », sur VOA (consulté le )
  21. « L'acte d'accusation de dix ans de crimes au Congo RDC », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
  22. « L'ONU ne veut pas laisser impunis dix ans de massacre au Congo RDC », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
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  29. « Nord-Kivu : Congo Peace Network condamne la reprise des violences | adiac-congo.com : toute l'actualité du Bassin du Congo », sur www.adiac-congo.com (consulté le )
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  32. « RDC : pourquoi la société civile congolaise est excédée par le Rwanda », sur TV5MONDE, (consulté le )
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Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

  • Site officiel du HCR Présentation de "RDC: Projet « Mapping » concernant les violations des droits de l’homme 1993-2003"
  • Rapport en ligne Rapport Mapping en français (format pdf)
  • Document en ligne Fiche d'information 8, Rapport Mapping: Options de justice transitionnelle (format pdf)
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