Référendum constitutionnel français de 1969

Le référendum sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » a eu lieu le 27 avril 1969. Le résultat négatif a conduit à la démission du président de la République Charles de Gaulle le lendemain. Ce référendum a été organisé conformément à l'article 11 de la Constitution.

Document présentant le projet de loi.

Référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation
Type d’élection Référendum
Corps électoral et résultats
Inscrits 29 392 390
Votants 23 552 611
80,13%
Votes exprimés 22 908 855
Votes blancs et nuls 643 756
Réforme du Sénat et régionalisation
Pour
47,59%
Contre
52,41%

Deux réformes, un projet de loi

Le général de Gaulle avait annoncé, dans son allocution du 24 mai 1968, la tenue, le mois suivant, d'un référendum sur la rénovation universitaire, sociale et économique qu'appelait selon lui la crise de Mai 68. Il en avait, dans son allocution du 30 mai, différé la date, sur la demande du Premier ministre Georges Pompidou, au profit d'élections législatives anticipées.

Après avoir été plusieurs fois reporté, le référendum est fixé au 27 avril 1969, sur la régionalisation et la réforme du Sénat.

Le projet politique

Dès son discours du 24 mai 1968, le général de Gaulle affirmait aux Français la « nécessité d'une mutation de la société française », qui devait se traduire par la « participation plus effective de chacun à la marche et au résultat de l'activité qui le concerne directement ». Les trois domaines évoqués sont l'université, l'entreprise et les régions, qui devraient pouvoir organiser, explique-t-il, « les activités industrielles et agricoles ». Si l'annonce d'un référendum pour le mois de juin 1968 n'a pas été suivie d'effet, cela sera le cas presque un an plus tard. Le thème de l'université ayant déjà été réglé par la politique gouvernementale, il ne figurera pas au programme du référendum. La participation dans l'entreprise n'y figurera pas, probablement considérée comme trop contestée[1].

En revanche, la fusion du Sénat et du Conseil économique et social correspond à la fois à la doctrine de la participation, pensée, selon Jacques Godfrain, comme « un système nouveau, une troisième voie entre le capitalisme et le communisme »[2], dans son volet institutionnel, et à la crainte qu'avait le général de Gaulle pour le jeu des partis.

La régionalisation visait, quant à elle, selon Godfrain, à « desserrer le carcan du centralisme bureaucratique »[2].

La régionalisation

Le titre Ier du projet constitutionnaliserait l'existence des régions comme collectivités territoriales[3],[4].

Leurs compétences seraient élargies, en matière d'équipements collectifs, de logement et d'urbanisme surtout. Pour exercer ses compétences, la région pourrait ester en justice, recourir à l'emprunt, passer des contrats, prendre des participations dans des sociétés d'économie mixte, créer, gérer ou concéder des établissements publics et conclure des conventions avec d'autres régions.

Les conseils régionaux seraient composés :

  • Aux trois cinquièmes, des députés élus dans la région et des conseillers régionaux territoriaux, élus par les conseils généraux (un par département, pour trois ans) et par les conseils municipaux ou leurs délégués (les autres, pour six ans) ;
  • Aux deux cinquièmes, des conseillers régionaux socio-professionnels, désignés par des organismes représentatifs, pour six ans.

Des dispositions particulières seraient prises pour la région parisienne, la Corse et les départements d'outre-mer.

L'autorité exécutive de la région reviendrait au préfet de région, qui préparerait et présenterait le projet de budget de la collectivité.

La réforme du Sénat

Le titre II du projet organiserait la fusion du Sénat et du Conseil économique et social en un nouveau Sénat exerçant une fonction consultative et ne disposant d'aucun pouvoir de blocage.

La nécessité d'une seconde chambre consultative représentant les collectivités territoriales et les organisations économiques, familiales, intellectuelles avait été énoncée par le général de Gaulle dans son discours de Bayeux le 16 juin 1946 et rappelée durant sa présidence et à plusieurs reprises, à Alain Peyrefitte notamment[5].

À propos du rôle du Sénat, les principaux changements proposés étaient, en résumé, les suivants :

  • l'intérim du président de la République serait exercé par le Premier ministre et non par le président du Sénat ;
  • la déclaration de guerre et la prorogation de l'état de siège seraient autorisées par l'Assemblée nationale ;
  • les sénateurs n'auraient plus l'initiative des lois, et n'émettraient que des avis ;
  • les projets et propositions de loi seraient présentés en premier lieu au Sénat, qui pourrait en proposer l'adoption, le rejet ou l'amendement, avant d'être soumis à l'Assemblée nationale ; après cela, le gouvernement ou l'Assemblée nationale pourraient les renvoyer au Sénat ;
  • les lois organiques seraient adoptées à la majorité absolue des députés ;
  • les sénateurs ne pourraient plus poser de questions au gouvernement ;
  • en ce qui concerne la Haute Cour de justice, seule la réunion des sénateurs représentant les collectivités territoriales jouerait un rôle (avec l'Assemblée nationale), et non le Sénat ;
  • les projets et propositions de révision constitutionnelle seraient adoptés à la majorité absolue des députés puis soumis au référendum ; cependant, les projets de révision pourraient être soumis à nouveau à l'Assemblée nationale, qui ne pourrait les ratifier qu'à la majorité des deux tiers de ses membres.

Les sénateurs seraient élus ou désignés pour six ans, contre neuf à l'époque. Ils devraient être âgés d'au moins vingt-trois ans, contre trente-cinq à l'époque.

La composition du Sénat serait la suivante :

  • 173 sénateurs représentant les collectivités territoriales de métropole (160) et d'outre-mer (DOM : 7, TOM : 6), élus, les régions étant les circonscriptions électorales, par des grands électeurs (députés, conseillers régionaux territoriaux, conseillers généraux, délégués des conseils municipaux) pour 159 d'entre eux au scrutin proportionnel à la plus forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel et pour les 14 autres au scrutin majoritaire à deux tours ; cette partie du Sénat serait renouvelée par moitié tous les trois ans ;
  • 4 sénateurs représentant les Français établis hors de France, désignés par le Conseil supérieur des Français de l'étranger ;
  • 146 sénateurs représentant les activités économiques, sociales et culturelles, désignés par des organismes représentatifs, à raison de 42 pour les salariés, 30 pour les agriculteurs, 36 pour les entreprises, 10 pour les familles, 8 pour les professions libérales, 8 pour l'enseignement supérieur et la recherche et 12 pour les activités sociales et culturelles.

Scrutin

Prises de positions

De Gaulle annonce qu'en cas de rejet il quittera ses fonctions. L'opposition appelle à voter non. Toutefois, le président est également gêné dans son propre camp : en effet, en cas de démission, son ancien Premier ministre, Georges Pompidou a averti qu'il serait candidat, réduisant ainsi le spectre d'un vide politique laissé par De Gaulle. Son ancien ministre des Finances, Valéry Giscard d'Estaing, indique qu'il ne votera pas oui. Seule l'UDR fait campagne pour le oui. Le débat se porte ainsi très rapidement sur le maintien ou non du président au pouvoir au lieu des intérêts ou des inconvénients réels de la réforme.

Résultats

Le 27 avril 1969, le non l'emporte à 52,41 %. La question posée aux Français était la suivante : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat ? ». La participation est de 80,13 %[6].

Référendum français de 1969[7]
Choix Votes %
Pour 10 901 753 47,59
Contre 12 007 102 52,41
Votes valides 22 908 855 97,27
Votes blancs et invalides 643 756 2,73
Total 23 552 611 100
Abstentions 5 839 779 19,87
Inscrits/Participation 29 392 390 80,13

« Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat ? »

Oui :
10 901 753
(47,59 %)
Non :
12 007 102
(52,41 %)
Majorité absolue

Analyse du résultat

Plusieurs analystes déclarent que l'enjeu du référendum fut détourné par les électeurs, se concentrant sur le changement à la tête de l'exécutif[8]. Pierre Bilger le résume : « peu de Français étaient, sur le fond, opposés à la création des régions, qui ont d’ailleurs vu le jour par la suite, ni même à la rénovation du Sénat, dont la plupart se désintéressait en dépit de l'émotion des membres de cette institution. Le vote avait été beaucoup plus influencé par la situation politique. […] Une majorité d’entre eux entendait, par leur vote, provoquer le départ du Président de la République. »[9]

Selon Jacques Godfrain, la réforme du Sénat « apparaissait comme une concession à l'esprit révolutionnaire de mai 1968 ». « Georges Pompidou, qui par ailleurs fut mieux inspiré, n'y voyait que "soviets" ou "régime d'assemblées" ». La gauche « craignait de se voir privée de son fonds de commerce » avec la participation. « L'information publique qui fut faite n'en présenta qu'un tableau insipide. Il en résulta un flottement du public pour un texte jugé trop technique : mal présenté, il semblait manquer du souffle qui caractérisait généralement les initiatives gaulliennes »[2].

Selon Frédéric Bon, la droite craignait « de voir certaines assemblées dominées par la gauche et l'extrême gauche ». Au sujet de la régionalisation, Bon critique également la trop grande technicité du texte auquel « seule une mesure spectaculaire, comme l'élection des assemblées au suffrage universel, aurait pu […] donner le souffle qui lui a manqué »[1].

François Mauriac qualifie le référendum et le départ du général de Gaulle de « cas sans précédent de suicide en plein bonheur »[10].

Alain Peyrefitte dit dans son best-seller Le Mal français qu'en proposant en urgence la Constitution française du 4 octobre 1958, De Gaulle s'attaquait avec succès aux symptômes du mal ; avec le référendum il s'attaquait aux racines du mal.

Une analyse des corrélations de vote par département révèle de fortes corrélations entre tous les référendums organisés par le général de Gaulle et son successeur Pompidou : « Si la "réponse" électorale est similaire lors de ces cinq consultations, on est tenté d’en déduire que la "question" posée était perçue comme identique ou, en d'autres termes, que ces cinq référendums avaient le même enjeu ». « Tous les votes "Oui" aux référendums de la séquence 1958-1972 sont très fortement corrélés au vote “de Gaulle” lors du second tour de la présidentielle de 1965 » et « le “Oui” au référendum d'avril 1969 est bien corrélé avec le vote Pompidou deux mois plus tard ». Les chercheurs en concluent que « la structure territoriale du vote “Oui” lors des six premiers référendums de la Ve République est identique à la structure territoriale d’un vote de droite lors du second tour d’une élection présidentielle »[11].

Conséquences

Prenant acte du résultat, de Gaulle démissionne le 28 avril 1969, à minuit dix, par un communiqué laconique depuis Colombey-les-Deux-Églises : « Je cesse d’exercer mes fonctions de président de la République. Cette décision prend effet aujourd’hui à midi ». Alain Poher, président du Sénat, assure l'intérim de la présidence de la République.

Le , le général part en Irlande pour éviter d'être impliqué dans sa propre succession.

Le séjour est préparé en grand secret par Xavier de La Chevalerie, son directeur de cabinet depuis janvier 1967. Le général passe treize jours dans la modestie du Heron Cove, au bord de la baie de Sneem, un peu en dehors du village. Le général est accompagné de Mme de Gaulle et de François Flohic. Ils sont arrivés en Irlande le par un vol du GLAM au départ de Saint-Dizier en Mystère 20 vers l'aérodrome de Cork, où ils sont arrivés vers 11 heures. Paul Fontenil, leur chauffeur, conduit une voiture de location[12],[13].

Puis ils partent deux semaines dans le Connemara, où il arrive le à Cashel House et où il vote par procuration ; ensuite, il revient à La Boisserie, où il s'enferme, pour écrire ses Mémoires d'espoir qui prendront la suite des Mémoires de guerre ; il y mène une existence retirée voire recluse[13]. Le 15 juin, Georges Pompidou est élu président de la République avec 58,2 % des voix.

Réformes ultérieures sur les mêmes thèmes

Les régions sont devenues des collectivités territoriales à la faveur de la loi Defferre de 1982. Toutefois, les conseils régionaux sont élus au suffrage universel direct et élisent l'exécutif régional. L'existence des régions est constitutionnelle depuis 2003.

Une partie des sénateurs est élue au scrutin proportionnel depuis 2000. Les sénateurs sont élus pour six ans depuis 2008, le Sénat est donc renouvelé par moitié tous les trois ans. L'âge minimal pour être élu à la chambre haute est de vingt-quatre ans depuis 2011.

Notes et références

  1. Frédéric Bon, « Le référendum du 27 avril 1969 : suicide politique ou nécessité stratégique? », Revue française de science politique, vol. 20, , p. 205–223 (DOI 10.3406/rfsp.1970.393222, lire en ligne, consulté le )
  2. « La participation, idée centrale de la pensée gaullienne », sur charles-de-gaulle.org (consulté le )
  3. M. Catlla, A. Bénéteau et L. Mallet, Les régions françaises au milieu du gué. Plaidoyer pour accéder à l'autre rive, préface de Michel Rocard, Paris, L'Harmattan,
  4. Ce statut de collectivité territoriale n'interviendra qu'en 1982. En 1956, les programmes d'action régionale avaient été créés, puis en 1960 les circonscriptions d'action régionale (voir l'article sur les régions pour plus de précisions).
  5. Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, t. 3, 2000, p. 612 à 616
  6. (de) Frankreich, 27. April 1969 : Regional- und Senatsreform Démocratie directe
  7. « En 1969, le référendum qui chasse de Gaulle de l'Elysée », sur L'Express avec l'AFP,
  8. « Référendum 2: Le précédent de 1969 », sur Le Blog de Pierre Bilger (consulté le )
  9. « Mauriac : « Cas sans précédent de suicide en plein bonheur. » », sur histoire-en-citations.fr (consulté le )
  10. Bernard Dolez, Annie Laurent et Laurence Morel, « Les référendums en France sous la Ve république. », Revue internationale de politique comparée, vol. 10, , p. 111–127 (ISSN 1370-0731, lire en ligne, consulté le )
  11. François Flohic, De Gaulle intime : Un aide de camp raconte, Archipel, , 160 p. (ISBN 978-2-8098-0442-3, lire en ligne), Le lendemain de l'arrivée, le dimanche 11, le curé de Sneem vient dire la messe à l'hôtel. Brave homme, très curé de campagne, le père Flavin n'hésitera pas à me dire, le jeudi suivant, que l'air marin du Kerry avait produit,en peu de temps, des ...
  12. Frédérique Neau-Dufour, Yvonne De Gaulle, Fayard, , 610 p. (ISBN 978-2-213-66087-5, lire en ligne), C'est Paul Fontenil qui pilote la voiture de louage et conduit le couple vers sa première destination, dans le Kerry, au sud-ouest de l'île. L'ambassadeur Emmanuel ... l'écart du village de Sneem dans baie de Kenmara. La crique où se dresse

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes et sources

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