Rebetiko

Le rebétiko (ρεμπέτικο) est une forme d’expression musicale et culturelle populaire de Grèce directement associée à la chanson et à la danse apparue dans les années 1920, à la suite de l'arrivée de vagues migratoires, principalement grecques, expulsées d'Asie mineure (la Grande catastrophe). En 2017, le rebetiko a été ajouté aux listes du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO[1].

Le rebétiko *

Un trio de « style smyrniote » en 1930 :
Róza Eskenázy au milieu.
Pays * Grèce
Liste Liste représentative
Année d’inscription 2017
* Descriptif officiel UNESCO

Des formes variées

Place Karaïskakis au Pirée ; le quartier homonyme situé autour, détruit à la fin des années 1930, fut l'un des hauts-lieux du rebetiko.

Le rebétiko est un terme qui, bien qu'il semble désigner un « genre musical », regroupe en réalité une multitude de formes musicales différentes, des rébétika de Constantinople du début du XXe siècle aux chansons « laïkó » de Vassilis Tsitsanis dans les années 1950. Le joueur, chanteur, compositeur de rebétiko est un rebétis (ο ρεμπέτης), au pluriel rebétès (οι ρεμπέτες), au féminin singulier la rebétissa (η ρεμπέτισσα), au féminin pluriel les rebétissès (οι ρεμπέτισσες). Le mot rebetiko apparaît sur les étiquettes des disques de 78 tours pour la première fois dans les années 1920 aux États-Unis[2].

Musiques rhizomatiques, empruntant à l'héritage musical de Constantinople et de Smyrne, des îles grecques et des musiques continentales, puis s'alimentant tout à la fois des musiques indiennes et latino-américaines, les rébétika ont connu un développement foisonnant tout au long du XXe siècle.

Le développement des rébétika au port du Pirée, dans la banlieue pauvre et désaffectée d'Athènes, fut la conséquence de la rencontre, dans les années 1920, des réfugiés d'Asie mineure et des émigrés de la Grèce des îles et du continent venant chercher à Athènes une vie meilleure que celle des campagnes. L'orientalité des uns et la pauvreté des autres ont vite fait de les exclure en marge des mœurs grecques du continent comme de la « bonne société » se dirigeant vers le modèle d'un « Occident imaginé ». Bientôt apparaissent des chansons faisant l'apologie du mode de vie « rébet », basé sur l'honneur, un mélange de bonté de cœur et de malice qui fait tout le personnage du « mangas », là où le marginal s'érige en modèle. Les chansons de hashisch se développent pour provoquer bientôt un débat éthique au retentissement national. Sous la dictature de Métaxas (années 1930), certains rebétika sont interdits de diffusion à la radio, les rébets sont victimes de persécution et les tékkés où l'on pouvait jouer et fumer le narguilé sont victimes d'actes de vandalisme.

Le statut national du rébétiko se joue alors dans un dialogue entre personnages de l'élite culturelle grecque par articles de journaux interposés[3]. Dans cette discussion historique sur le rébétiko se joue la question douloureuse de la politique culturelle d'une Grèce qui se dirige vers un modèle occidental considéré comme raisonnable et raisonné en refoulant une orientalité dénigrée.

C'est le cours historique du rebétiko qui résout ce conflit idéologique, puisque dans les années 1950, de musique mineure, le rébétiko devient musique majeure lorsque Vassílis Tsitsánis sortit son bouzouki non plus dans les tékkés du Pirée, mais dans les tavernes cossues d'Athènes. Doucement, le rébétiko se fait « laïko », à mesure qu'il se fait domestiquer, qu'il abandonne les apologies du haschisch et de l'alcool, de la plus-que-peine et de la vanité pour le thème prépondérant de l'amour et de la douleur de la séparation.

« Pour moi, c'est d'abord cela, le rebetiko : une atmosphère autant qu'un chant, des visages silencieux et marqués autant que des danses ou des cris, des odeurs mêlées de vin résiné, d'ouzo, de sciure fraîche sous les tables, de mégots refroidis »

 L'Été grec (1976), Jacques Lacarrière

Les danses associées sont principalement le zeimbekiko, le hasapiko (en), mais aussi le tsifteteli et le karsilamas (en).

Style micrasiate (Smyrnéïko) et style du Pirée

Deux courants principaux sont généralement distingués : le « style de Smyrne » (Smyrnéiko), et le « style du Pirée » (Pireotiko). Ces distinctions ne sont pas exclusives, certains musiciens pouvant s'illustrer dans les deux genres, mais elles marquent toutefois deux pôles bien distincts de l'orientation musicale de la création rébétique des années 1920-1930-1940.

Ce qui est appelé « style de Smyrne » est lié aux musiciens micrasiates (réfugiés d'Asie mineure), et devrait dès lors être plus justement appelé « style micrasiate », car l'appellation « style de Smyrne » masque l'importante participation des musiciens de Constantinople. Ce style se distingue par une plus grande diversité d'instrumentation (oud, violon, santouri ou kanonaki, etc.), la virtuosité des musiciens, des voix haut perchées. Prédominant dans les années 1920 et le début des années 1930, il s'est progressivement effacé au profit du style pireotiko.

Le style du Pirée est caractérisé par l'utilisation quasi-exclusive du bouzouki, du baglama et de la guitare, souvent exécuté par des musiciens à la technique plus rudimentaire, non professionnels, avec des voix plus graves. Le bouzouki prend ici le début de son essor pour devenir dans les années 1950 à la fois un instrument soliste virtuose et l'instrument le plus populaire de Grèce.

Histoire

Elias Petropoulos, l'un des plus grands spécialistes de ce style, a défini trois périodes dans l'histoire du rebetiko auxquelles s'ajoute l'exportation du style par les migrants grecs aux États-Unis.

De 1922 à 1932 : période où dominent les éléments de la musique de Smyrne

1922 est l'année où s'achève la guerre gréco-turque ; elle s'accompagne de l’échange des populations prévue par le traité de Lausanne, considérée par les Grecs comme la « Grande Catastrophe ». Beaucoup de Micrasiates s'installent dans les grandes villes de Grèce, apportant avec eux leurs traditions musicales.

Durant cette période, le rebétiko chante principalement l’amour ou des comportements défiant la loi (consommation de drogues). Au départ, l’influence smyrniote est telle qu’il est difficile de distinguer le rebétiko tragoúdi du Smyrneïko tragoudi.

Les musiciens représentatifs sont Róza Eskenázy, Ríta Abatzí, Stelios Perpiniadis ou Panayótis Toúndas...

1932-1942 : période classique

En 1932, circulent en Grèce les premiers enregistrements de rebétika de Markos Vamvakaris (Μάρκος Βαμβακάρης). Le style du Pirée devient de plus en plus influent.

En 1936, le dictateur Ioánnis Metaxás (Ιωάννης Μεταξάς) prend le pouvoir et met en place la censure. Par nécessité, la discographie s’adapte aux nouvelles règles et toutes les références aux drogues, tékédés, ainsi que les éléments jugés trop « orientaux », disparaissent peu à peu des enregistrements. Certains musiciens doivent quitter l'Attique et sont exilés dans les îles, en Épire, à Pylos. Malgré tout, les chansons sulfureuse sont toujours présentes jusqu’à l’invasion de la Grèce par les Allemands en 1941 ; avec l’occupation cessent tous les enregistrements.

1942-1952 : période de large diffusion

La principale personnalité du rebétiko à cette époque est Vassílis Tsitsánis (Βασίλης Τσιτσάνης), qui fait évoluer le style en l'occidentalisant progressivement. Après la libération de la Grèce, le rebétiko commence à se populariser et sort ainsi des bas-fonds de la société où il était limité jusqu’alors. Le bouzouki est modifié, électrifié, permettant à un style virtuose (illustré par Manólis Hiótis par exemple) de se développer, au prix d'un changement radical de l'esthétique de la musique.

Parallèlement les sujets des chansons évolue : ce sont désormais les chansons d’amour et les thèmes sociaux qui sont au goût du jour. De nouveaux rebetes font leur apparition, comme Sotiría Béllou (Σωτηρία Μπέλλου) et Maríka Nínou.

La plupart des spécialistes[Lesquels ?] considèrent que c’est dans les années 1950 que le rebétiko pur meurt et fait place au laïkó tragoudi (λαϊκό τραγούδι).

Le bouzouki, principal instrument des rebétika, a été largement adopté par les célèbres compositeurs grecs que sont Míkis Theodorákis (Μίκης Θεοδωράκης) et Mános Hadjidákis (Μάνος Χατζιδάκις).

Le rebétiko aux États-Unis

Les années suivant la « catastrophe d’Asie Mineure », mais également dès 1918, un grand nombre de Grecs ont émigré aux États-Unis, apportant avec eux le rebétiko et les traditions musicales de Smyrne. Déjà, au début du XXe siècle, des Smyrneïka tragoúdia et des chansons traditionnelles sont enregistrées par les grandes compagnies de disques américaines.

En 1919, les premières maisons de disques grecques sont fondées et il y a aux États-Unis, dès les années 1920, des enregistrements qu’on peut déjà qualifier de rebétika — avant même les premiers enregistrements grecs. On produit ces disques aux États-Unis jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

La renommée de certains rebétika américains a traversé les âges : Misirlou. La bande son du film Pulp Fiction, est une reprise du thème de la version gréco-américaine d'un rebétiko des années 1920.

Caractéristiques

Culture

Photo de street art d'un Koutsavakides (κουτσαβάκηδες) (Rembetiko) à Athènes

Le rebetiko est étroitement lié à la vie nocturne : ouzeri, taverna (taverne grecque) et centres de nuit.

Le rebetiko est aussi parfois lié à l'icône des mangas (grec : μάγκας, prononcé [ˈma(ŋ)ɡas]), qui signifie gars fort qui " a besoin de correction ", un groupe social de la contre-culture de la Grèce de l'époque de la Belle Époque (surtout des grands centres urbains : Athènes, Le Pirée et Thessalonique).

Mangas était une étiquette pour les hommes appartenant à la classe ouvrière, se comportant de manière particulièrement arrogante/présomptueuse, et s'habillant avec un vêtement très typique composé d'un chapeau en laine (kavouraki, καβουράκι), d'une veste (ils ne portaient généralement qu'une de ses manches), d'une ceinture serrée (utilisée comme étui à couteau), d'un pantalon à rayures et de chaussures pointues. D'autres caractéristiques de leur apparence étaient leur longue moustache, leurs chapelets de perles (κομπολόγια, sing. κομπολόι), et leur démarche molle maniérée idiosyncrasique (κουτσό βάδισμα). Un groupe social apparenté était les Koutsavakides (κουτσαβάκηδες, sing. κουτσαβάκης) ; les deux termes sont occasionnellement utilisés de manière interchangeable.

Instruments de musique

Les instruments principaux du rebétiko sont le bouzouki trichordo, le baglama (et d’autres instruments assimilés comme le tzouras) et la guitare. Sont aussi utilisés dans les rebétika, le violon, le santouri, le kanonaki, l'outi, l’accordéon, et d’autres instruments[4].

Les percussions sont peu présentes : selon les genres on utilise les zilia (semblables aux castagnettes), le defi, le toumbeleki. Sur les anciens enregistrements le son du verre, produit par le contact du komboloï (κομπολόι) et d’un verre, ou de deux verres entrechoqués est parfois entendu ; quelques mánghes (μάγκες) avaient pour habitude d’accompagner les musiciens de cette façon.

Thèmes

Comme plusieurs autres formes musicales subculturelles urbaines telles que le blues, le flamenco, le fado, le bal-musette et le tango, le rebetiko est né de circonstances urbaines particulières. Ses paroles reflètent souvent les réalités les plus dures du mode de vie d'une sous-culture marginalisée. On y trouve donc des thèmes tels que le crime, l'alcool, la drogue, la pauvreté, la prostitution et la violence, mais aussi une multitude de thèmes pertinents pour les Grecs de toute couche sociale : la mort, l'érotisme, l'exil, l'exotisme, la maladie, l'amour, le mariage, l'entremetteuse, la figure maternelle, la guerre, le travail et divers autres sujets quotidiens, heureux ou tristes.[5]

« La matrice du rebetika était la prison et le repaire de hash. C'est là que les premiers rebètes ont créé leurs chansons. Ils chantaient d'une voix calme, rauque, non forcée, l'un après l'autre, chaque chanteur ajoutant un couplet qui n'avait souvent aucun rapport avec le précédent, et une chanson durait souvent des heures. Il n'y avait pas de refrain, et la mélodie était simple et facile. Un rebetis accompagnait le chanteur avec un bouzouki ou un baglamas (une version plus petite du bouzouki, très portable, facile à fabriquer en prison et à cacher de la police), et peut-être qu'un autre, ému par la musique, se levait et dansait. Les premières chansons de rebetika, en particulier les chansons d'amour, étaient basées sur des chansons populaires grecques et sur les chansons des Grecs de Smyrne et de Constantinople. »

Elias Petropoulos[6]

La thématique des rebétika tragoúdia est liée, surtout dans les plus anciens enregistrements, au monde des bas-fonds: consommation de drogue, principalement le hachich, prison, prostitution, déracinement, thèmes anti-policier et anti-bourgeoisie, maladie (notamment la tuberculose), satire politique, jeu, amour malheureux[7]. À partir de 1937 et de la mise en place de la censure, on trouve de plus en plus de chansons d’amour, ou des thèmes sociaux, mais avec un vocabulaire moins cru et moins direct, plus évasif.

Exemples de chansons :

  • Hashich : Soura kai mastoura
  • Tuberculose : Mana mou dioxe tous yatrous
  • Politique : O Markos ypourgos
  • Prison : Yedi Koule, Sto Medresé ston plátano
  • Satire de la bourgeoisie : Osi echoune polla lefta
  • Jeu : To flitzani tou Yanni

Modes et rythmes

La musique obéit généralement au système modal oriental, adapté le plus souvent au tempérament occidental (sans quarts de ton). Les différents modes sont appelés drómi routes »).

Liste non exhaustive des plus grands noms du style

Les musiciens étant souvent aussi compositeurs, auteurs, et inversement, le classement est surtout indicatif de leur activité la plus représentative.

Chanteurs et chanteuses

  • Vaggelis Sofroniou
  • Andonis Dalgas
  • Stélios Perpiniádis ou Stellákis (Στέλιος Περπινιάδης)
  • Stratos Pagioumtzis (en) (Στράτος Παγιουμτζής)

Instrumentistes

Compositeurs, auteurs

Divers

  • Yórgos Bátis (Γιώργος Μπάτης)
  • Apostolos Ηatzichristos (el) (Απόστολος Χατζηχρήστος)
  • Loukas Daralas (Λουκάς Νταράλας)
  • Michalis Genitsaris (en) (Μιχάλης Γενίτσαρης)
  • Dimitris Gogos (el) (Δημήτρης Γκόγκος (Μπαγιαντέρας))
  • Vangelis Papazoglou (el) (Βαγγέλης Παπάζογλου)
  • Christos Syrpos (el) (Χρήστος Σύρπος (Χρηστάκης))
  • Giovan Tsaous (Γιοβάν Τσαούς)
  • Prodromos Tsaousakis (Πρόδρομος Τσαουσάκης)
  • Vassílis Tsitsánis (Βασίλης Τσιτσάνης)
  • Markos Vamvakaris (Μάρκος Βαμβακάρης)
  • Antonios Katinaris (Αντώνιος Κατινάρης)

Notes et références

  1. « UNESCO - Le rebétiko », sur ich.unesco.org (consulté le )
  2. Ole L. Smith, The chronology of Rebetiko – a reconsideration of the evidence, in Byzantine and Modern Greek Studies, 15:1, 1991, p. 321-323
  3. Ces articles sont disponibles dans le livre de Gail Holst : Dromos gia to rembetiko, dans sa version grecque. Voir toutefois : Aux sources du Rebetiko, ed. Nuits rouges, 2001.
  4. « Le Rebetico, la musique des bas fonds dans la Grèce des années 20 », sur France Musique (consulté le )
  5. (en) Yiannis Zaimakis, « https://web.archive.org/web/20110629170722/http://www.music.ucsb.edu/projects/musicandpolitics/archive/2010-1/zaimakis.pdf », sur www.music.ucsb.edu (consulté le )
  6. (en) Elias Petropoulos, Preface to: Rembetika, Songs from the Old Greek Underworld, with essays by Markos Dragoumis, Ted Petrides and Elias Petropoulos., Athéne, Komboloi, , 13–14 p.
  7. Last Night in Orient- LNO, « Rebético et bouzouki chantent la Grèce », sur Last Night in Orient (consulté le )

Annexes

Filmographie

Bibliographie

Liens externes

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