Surveiller et punir
Sous-titré Naissance de la prison, Surveiller et punir est un ouvrage majeur de Michel Foucault paru aux éditions Gallimard en février 1975. L'essai examine l'émergence historique de la prison, et avec elle d'une forme de rationalité politique dominante dans les sociétés occidentales depuis l'âge classique (fin du XVIIIe siècle) : la discipline.
Surveiller et punir | |
Auteur | Michel Foucault |
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Éditeur | Gallimard |
Date de parution | février 1975 |
Contexte
Lorsque Surveiller et Punir paraît en 1975, Michel Foucault est un intellectuel reconnu, qui jouit d'une position éminente à la fois dans le monde académique – il a été nommé professeur au Collège de France en 1970 – et médiatique où son avis est régulièrement sollicité par la presse nationale. Depuis le début des années 1970, son engagement politique s'est accru et Foucault entreprend dès 1972 de théoriser la position qu'il entend adopter à l'intersection du monde militant, du champ académique et de la sphère publique ; ce travail aboutit en 1976 à la formalisation du concept d' « intellectuel spécifique »[1].
La prison est son domaine d'intervention publique principal. À la suite de grèves de la faim de militants de la gauche prolétarienne pour obtenir le statut de prisonniers politiques, il fonde en 1971 avec Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet le Groupe d'information sur les prisons (GIP). L'association ambitionne, notamment à travers l'élaboration d'un questionnaire, de permettre à la voix des prisonniers et des personnels impliqués dans le système carcéral d'accéder à l'espace public[2]. En 1973, Foucault préface l'essai De la prison à la révolte de Serge Livrozet qui a mis sur pied le Comité d'action des prisonniers (CAP) « dont l'action prend le relais du GIP, dans une logique un peu différente »[3].
Sans être un ouvrage militant et sans aborder de manière directe l'actualité des prisons françaises, Surveiller et punir entre en résonance avec l'engagement de Foucault au moment de sa rédaction. « Que les punitions en général et que les prisons relèvent d'une technologie politique du corps, c'est peut-être moins l'histoire qui me l'a enseigné que le présent », peut-il ainsi affirmer en introduction[4]. Pour l'historienne Michelle Perrot, Surveiller et punir s'intègre à l'échelle de l'œuvre de Foucault dans un « cycle carcéral »[5], entamé avec Moi, Pierre Rivière...(1973) et conclu avec Le Désordre des familles (1982), écrit avec Arlette Farge.
Résumé
La disparition des exécutions publiques
L'essai étudie l'apparition historique de la prison sous sa forme moderne en commençant par constater la disparition de l'application en public de la peine de mort au profit d'exécutions cachées par le secret des murs. Selon l'auteur, cette évolution est révélatrice d'une révolution de la façon selon laquelle le pouvoir se manifeste au peuple.
En effet, le supplice était l’élément central dans la manifestation de la vérité de la culpabilité du condamné. L'essai s'ouvre ainsi en introduction sur le supplice de Damiens. Le caractère public du supplice, la symbolique des condamnations (poing coupé des parricides, langue percée des blasphémateurs) permettait la démonstration du pouvoir royal face au crime, qui en plus de sa victime immédiate, attaquait le souverain dans son pouvoir de faire les lois (crimen majestatis).
Mais, alors que le monarque absolu ne concevait son autorité que visible et terriblement effrayante pour les tiers assistant à son affirmation, le pouvoir moderne préfère entretenir un mystère inquiétant quant aux peines qu'il exécute. Il découvre que le peuple n'a pas besoin d'assister au châtiment des siens pour s'en tenir à ce qu'il souhaite qu'il s'en tienne. De plus ce peuple peut s'avérer dangereux quand il soutient le châtié et dans l'aspect carnaval des exécutions publiques.
Ceux qui ne respectent pas la loi ne se voient plus condamnés à une sanction physique qui restera sur leur corps comme un témoignage offert au vu et au su de tous. Ils ne sont plus non plus condamnés à une réparation directe de leurs fautes en plein jour. Les peines ont dorénavant une visée correctrice. La publicité de la peine ne vise plus tant à montrer la souffrance mais plutôt à réaffirmer l'actualité de la Loi. Il y eut un modèle réformateur et un modèle carcéral (dont l'objectif était plus de dresser les corps que de réinsérer l'individu). C'est le second qui l'a emporté.
« Le châtiment est passé d’un art des sensations insupportables à une économie des droits suspendus »[6]
Le surgissement d'un regard culpabilisateur
Désormais, les hors-la-loi sont simplement privés de leur liberté. Cela ne signifie pas pour autant un confinement des coupables dans des oubliettes ou au fond de quelque bagne. C'est plutôt le pouvoir qui disparaît derrière une architecture carcérale nouvelle capable de contraindre les captifs sans que le geôlier et l'autorité qu'il incarne aient à se manifester directement par quelque coup de fouet ou autres.
Rêve de Jeremy Bentham, le panoptique s'impose. Les prisons sont désormais construites selon des plans circulaires permettant au surveillant situé dans une tour centrale d'observer sans jamais être vu, les silhouettes des détenus se détachant à contre-jour sur des fenêtres extérieures via d'autres fenêtres donnant sur une cour intérieure.
Cette architecture permet éventuellement de se passer complètement de surveillant, le seul sentiment d'être observé étant susceptible d'obtenir des captifs une forme d'obéissance. Ainsi, en plus de n'être pas coûteux d'un point de vue économique, la prison moderne est d'abord une entreprise de culpabilisation travaillant les consciences individuelles à travers un regard tout-puissant.
La prison passe alors d'une fonction punitive à une visée « normalisatrice », visant indirectement par les corps l'« âme » des détenus qu'il s'agit de redresser[7]. L'institution carcérale et à travers elle la justice moderne détient par là même des pouvoirs d'une ampleur inédite jusqu'ici, le pouvoir n'étant désormais plus concevable selon Foucault sans la relation qu'il entretient avec la connaissance de l'individu. Loin de contribuer à l'« émancipation » de l'Humanité, idéal hérité des Lumières, la Société moderne s'apparente de plus en plus à de la surveillance organisée.
Le contrôle à distance des trafics et de la délinquance
La prison moderne est également un monde comptable. Il produit des chiffres et construit des tableaux dans lesquels les cellules sont tout autant des cases tracées sur le papier que des pièces dans lesquelles sont visibles les prisonniers. Les parois les séparant les unes des autres sont suffisamment solides pour que cessent tous ces petits trafics qui hier rendaient impossible le contrôle strict des coupables sanctionnés.
La mise en place de ce système carcéral a plusieurs conséquences. La première, c'est l'apparition de la délinquance, forme de criminalité moderne préférable à l'ancienne en ce sens qu'elle est le fait d'individus déjà connus, fichés et travaillés par l'autorité et donc peu susceptibles d'une récidive beaucoup plus grave (Colonie pénitentiaire de Mettray).
Mais aussi, ce dispositif rend perceptible un renversement essentiel : alors qu'à travers le supplice il s'agissait pour le pouvoir d'être visible du plus grand nombre, avec le panoptisme la problématique s'inverse. Comment faire en sorte que le plus grand nombre soit visible du plus petit nombre. Foucault introduit ainsi à une problématique autour de la police et d'un quadrillage de la population sur le modèle de la surveillance au temps de la peste. Le mal social est conçu sur le modèle de l'épidémie.
Le panoptisme et le redressement des morales
Le succès de ce système aidant, la seconde conséquence de sa mise en place est son adoption par d'autres institutions que la seule prison, à commencer par l'atelier, où quelques contremaîtres suffisent désormais à contrôler des centaines de travailleurs : ils déambulent à présent dans des allées rectilignes d'où ils dominent les employés assis à une table individuelle et tous visibles de loin. On retrouve également des méthodes carcérales dans les écoles, les pensionnats ou les casernes, où les lits sont peu à peu alignés, les emplois du temps plus stricts, l'exercice et la répétition valorisés.
Le redressement des corps humains auquel ces institutions procèdent chacune à leur façon conduit selon Michel Foucault au redressement des morales, chacun devenant son propre censeur une fois qu'il y a été corrigé par un concours d'organismes, tout au long de sa vie.
Par un fort maillage social, avec au centre la prison, ce n'est plus le souverain qui est isolé, mais bien l'individu.
Références
- Daniel Mouchard, « Intellectuel spécifique », Dictionnaire des mouvements sociaux, Presses de Sciences Po, 2009, p. 307.
- Michelle Perrot, « La leçon des ténèbres. Michel Foucault et la prison », in Les Ombres de l'histoire. Crime et châtiment au XIXè siècle. Flammarion, Paris, 2001, p. 31
- Perrot (2001), p. 34.
- Cité par Perrot (2001), p. 28.
- Perrot (2001), p. 27.
- Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 18.
- Illustration par gravure figurant dans l'ouvrage
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- « [Numéro thématique] Michel Foucault : Surveiller et punir : la prison vingt ans après », Sociétés & Représentations, no 3, (lire en ligne), 448 p.
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