Suzanne Césaire
Suzanne Roussi, dite Suzanne Césaire, née le au lieu-dit Poterie aux Trois-Îlets en Martinique et morte le dans les Yvelines, est une écrivaine martiniquaise et l'épouse d'Aimé Césaire et la mère d'Ina Césaire.
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Décès |
(à 50 ans) Yvelines |
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Négritude, Afro-Surrealism (en), surréalisme |
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Biographie
Enfance
Fille d'une institutrice, Flore William et d'un employé d'usine sucrière, Benoit Roussi, Suzanne est étudiante à l'École normale supérieure en 1936.
Rencontre avec Aimé Césaire
Suzanne Césaire fait ses études à Toulouse et à Paris puis rencontre le jeune Aimé Césaire, avec qui elle travaille à la rédaction de la revue L’Etudiant noir. Ils se marient le . Ils auront six enfants. En 1938, à la fin de ses études, elle retourne en Martinique et enseigne au lycée Victor-Schœlcher à Fort-de-France.
Les Césaire rentrent aux Antilles en 1939, ils sont tous deux professeurs au lycée Schœlcher à Fort-de-France. Aimé Césaire vient de publier Cahier d'un retour au pays natal dans la revue Volonté. A Paris, ils ont connu l’effervescence de la Négritude, point de ralliement des intellectuels noirs venus d’Afrique et d’Amérique. C’est alors que l’amiral Robert, et Sorin en Guadeloupe, contre l’avis des représentants politiques locaux, se rallient à Pétain et, suppléés par le renfort de la marine militaire, placent les Martiniquais sous l’autorité policière de Vichy. Nombre d’Antillais choisissent la dissidence, rejoignant par la mer la France libre. D’autres résistent sur place. C’est ainsi que les Césaire fondent, avec quelques amis et collègues, René Ménil, Aristide Maugée et Lucie Thésée, une revue qui prend pour nom Tropiques, nom à la bénignité exotique, en accord avec le régionalisme bon enfant que les autorités coloniales et pétainistes attendent de leur « ancienne colonie ».
Après-guerre
En 1945, les Césaire s'installent au Petit-Clamart dans les Hauts-de-Seine, puis retournent en Martinique en 1949. Aimé Césaire démissionne alors du Parti communiste français. En 1955, Suzanne Césaire écrit une pièce de théâtre, Aurore de la liberté, et revient en France où elle enseigne en tant que professeur de Lettres au collège Étienne, à Sèvres, puis au lycée technique de la même commune. Elle se sépare d'Aimé Césaire en avril 1963[1]. Elle meurt d'un cancer du cerveau.
Œuvre
Les premiers essais de 1941 traitent des influences européennes, notamment celles de l’ethnologue allemand Leo Frobenius et du surréaliste André Breton. Dès son quatrième article « Misère d’une poésie », publié en 1942, Suzanne Césaire établit les fondations d’une nouvelle littérature d’identité martiniquaise, fortement distincte de la perspective qu’offre l’ancien continent sur les îles. Par la suite, dans Malaise d’une civilisation, elle avertit les Martiniquais des dangers de l’assimilation et conseille à ses lecteurs de reconnaître « toutes les forces vives mêlées sur cette terre où la race est le résultat du brassage le plus continu ». Suzanne Césaire rappelle aussi la dette du mouvement surréaliste envers ses pratiquants extra-hexagonaux dans son essai 1943 : Le Surréalisme et nous, qui s’approprie le surréalisme comme arme de choix d’une poésie martiniquaise. Dans ses écrits, Suzanne Césaire prévoit une Caraïbe multiethnique et dynamique, une vision qui culmine dans son dernier essai, Le Grand Camouflage. Celui-ci examine les origines historiques, sociologiques, et économiques d’une Martinique multiple et invite ses lecteurs à inventer une littérature nouvelle[2].
Les Césaire et la revue Tropiques
Le titre choisi, Tropiques, met en avant le rapport que cette parole nouvelle entretient avec son lieu d’ancrage, sa tropicalité très végétale que l’on retrouve dans les écrits de Suzanne Césaire, avant même la question historique. Tropiques évoque un paysage à l’image de la forêt d’Absalon qui révolutionnera l’imaginaire de ses visiteurs : Breton, Masson, ainsi que Wifredo Lam qui produira, à la suite de son séjour martiniquais, son chef-d’œuvre La Jungle. Suzanne Césaire évoque magnifiquement le saisissement des poètes : « les balisiers d’Absalon saignent sur les gouffres et la beauté du paysage tropical monte à la tête des poètes qui passent. A travers les réseaux mouvants des palmes ils voient l’incendie antillais rouler sur la Caraïbe qui est une tranquille mer de lave. » (p. 93) Ravissement d’un paysage où le réel se heurte à l’irréel, qui emporte aux frontières du possible et du concevable.
Dans son étymologie grecque, « tropique » désigne le changement, et plus particulièrement le changement des saisons ou la révolution du soleil, mouvement cyclique essentiel à la constitution de l’imaginaire antillais promu par Suzanne Césaire. Enfin, « tropique » réfère également au trope, à la métaphore, et souligne la place essentielle de la poésie dans la révolution de la langue, de la pensée et de l’imaginaire. Titre poétique et programmatique, Tropiques annonce par lui-même la teneur des articles rédigés par Suzanne Césaire.
Ces derniers, malgré les intervalles qui fragmentent leur publication, font apparaître une pensée continue, toujours en construction, revenant sur elle-même. La poésie d’abord y affleure, puis jaillit, comme par un mouvement éruptif incontrôlable. Si les premiers articles prennent la forme du compte-rendu (Frobenius puis Alain), l’écriture se meut peu à peu en dialogue (de connivence avec Breton, de rupture avec la poésie « doudou »), puis s’érige, dans les trois derniers articles, en pensée, en poésie libre, syncrétique, puissante et tropicale. Parole d’abord prudente et masquée, mais qui ne peut retenir le cri impatient et lucide de sa propre révolution, voyant clair dans le grand camouflage du monde et de son île[3].
Combat contre la censure
La censure tombera le , la revue sera jugée soudainement « révolutionnaire, raciale et sectaire ». Mais cette censure sera de courte durée puisque la Martinique se libère au mois de juillet de la même année et rejoint la France libre. Suzanne Césaire répondra à la lettre de censure sans même juger utile de se justifier, acceptant toutes les épithètes et concluant : « n’attendez de nous ni plaidoyer, ni vaines récriminations, ni discussion même. Nous ne parlons pas le même langage » (p. 14).
Pour les contributeurs de la revue, l’enjeu réside justement dans le langage, dans la capacité de la littérature à révolutionner un langage faussement universel, exclusif et pétri de lieux communs donnant voix à l’impérialisme, au colonialisme et au nazisme. Il faut, par la parole, reconquérir l’identité antillaise, affirmer sa culture, non pour se réfugier dans un entre-soi coupé du reste du monde, mais pour proposer autre chose à ce monde. Dans l’article qui ouvre le premier numéro de la revue, Aimé Césaire déclare ainsi : « l’Europe, y compris la France, n’a qu’une formule de civilisation concevable, c’est la civilisation occidentale. Et nous en voyons, nous, le pitoyable échec. Il faut que nous affirmions notre civilisation, il faut la manifester, il faut créer quelque chose, et ça pourra aider à la renaissance d’un monde nouveau. » On remarquera que Césaire utilise l’expression « formule de civilisation ». Il ne s’agit pas d’opposer ou de fonder une autre forme de civilisation dans une perspective essentialiste, mais de contrecarrer un modèle, un système de pensée, en formulant autrement la civilisation.
Suzanne Césaire reprend cette même injonction, cette nécessité d’une réflexion profondément martiniquaise pour qu’elle soit universelle : « Il est maintenant urgent de se connaître soi-même, d’oser s’avouer ce qu’on est, d’oser se demander ce qu’on veut être. Ici aussi, des hommes naissent, vivent et meurent. Ici aussi, se joue le drame entier. « Il est temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme. » » (p. 40). Faisant sien un des vers du Cahier d'un retour au pays natal, elle affirme haut et fort le rôle à la fois combatif et fondateur de Tropiques : la revue sera un terreau culturel à même d'ouvrir une réflexion, une littérature, un art enracinés et libres, indépendants et ouverts au monde[3].
Le Grand Camouflage
Dans un texte intitulé Le grand camouflage, Suzanne Césaire démasque cette hypocrisie généralisée de tout un peuple qui « camoufle » depuis des siècles ses vraies aspirations et ses tendances profondes, pour endosser l’idéal du petit fonctionnaire européen ; ainsi nombreux sont ceux qui se renient dans l’espoir aussi vain que dérisoire de devenir autres Et celui qui s’aventure le plus loin dans cette voie, débouche sur une impasse : « il ne peut plus accepter sa négritude, il ne peut pas se blanchir ». Mais Suzanne prévoit bien que ce camouflage prendra fin, « au son nocturne du tambour d’Afrique dans ces cœurs insulaires » et qu’il en jaillira la Révolution[4].
Articles parus dans la revue Tropiques
- Leo Frobenius et le problème des civilisations,
- Alain et l'esthétique,
- André Breton, poète,
- Misère d'une poésie,
- Malaise d'une civilisation,
- 1943 : le surréalisme et nous,
- Le Grand camouflage, 1945
- Aurore de la liberté, 1955, pièce de théâtre, adaptation libre de la nouvelle Youma de Lafcadio Hearn (texte perdu)
Livres
- Suzanne Césaire : le grand camouflage. Écrits de dissidence (1941-1945), Daniel Maximin. Le Seuil, Paris, 2009
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Musée
A l’occasion de la parution du Grand Camouflage (Seuil, 2009), sous la direction de Daniel Maximin, le musée Dapper des arts de l’Afrique, des Caraïbes et de leurs diasporas, a rendu hommage à l’écrivaine Suzanne Césaire[5] (1915-1966)
Théâtre
Fontaine solaire, une pièce de théâtre qui rend hommage à Suzanne Césaire. L’année 2015 était l’année du centenaire de Suzanne Césaire, intellectuelle et écrivaine martiniquaise, une des plus grandes figures de sa génération avec son époux, Aimé Césaire.
Dans les dures années de la dissidence de Martinique de 1941 à 1945, elle anima avec eux la revue Tropiques qui joua un rôle majeur dans l’émergence des Antilles contemporaines.
L’œuvre de Suzanne Césaire, réduite en quantité, est importante dans son contenu, car s’y trouvent traitées et éclairées les grandes questions qui traversent l’histoire contemporaine des Antilles, du point de vue littéraire, culturel, politique et identitaire. Suzanne Césaire symbolise une écriture féminine qui aura une place majeure aux Antilles. Retournée trop vite dans l’ombre après sa disparition précoce, il importe de raviver sa lumière et de faire revivre sa pensée et sa personnalité à travers cette création[6].
Annexes
Bibliographie
- Georgiana Colvile, Scandaleusement d'elles : trente-quatre femmes surréalistes, Jean-Michel Place, Paris, 1999, pages 74 et suivantes
- Anny-Dominique Curtius, Suzanne Césaire. Archéologie littéraire et artistique d'une mémoire empêchée, Paris, éditions Karthala, 2001, 396 pages.
Notes et références
- Natalie Levisalles, « Suzanne l’aimée de Césaire », sur Libération, (consulté le ).
- « Suzanne Césaire », sur Île en île, (consulté le ).
- Gabrielle Saïd, « Suzanne Césaire, la poésie en partage », sur DIACRITIK, (consulté le ).
- Lilyan Kesteloot, « Le grand camouflage », sur Africultures, (consulté le ).
- « Hommage à Suzanne Césaire, au musée Dapper, à Paris », sur Paperblog (consulté le ).
- Elisa Casson, « Suzanne Césaire, fontaine solaire : un pièce de théâtre qui rend hommage à Suzanne Césaire », sur Black Movies Entertainment (consulté le ).
Liens externes
- Ressource relative à la littérature :
- Lettre à Suzanne : Exposition collective • Hommage à l'occasion du centenaire de Suzanne Roussi-Césaire • Octobre 2015, Tropiques Atrium, Scène Nationale, Martinique
- Tanella Boni, « Femmes en Négritude : Paulette Nardal et Suzanne Césaire », 2014
- Il était une fois Suzanne Césaire…, sur le site Femmes au-delà des mers
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