Théorie des lignes portantes
La théorie des lignes portantes de Prandtl[1] est un modèle qui prédit la distribution de la portance sur une aile tri-dimensionnelle basée sur sa géométrie. Elle est aussi appelée théorie des ailes de Lanchester–Prandtl[2].
La théorie fut formulée indépendamment[3] par Frederick Lanchester en 1907[4], et par Ludwig Prandtl en 1918–1919[5] après avoir travaillé avec Albert Betz et Max Munk.
Dans ce modèle, le vortex perd de l'efficacité latéralement le long de l'aile car il est dévié par une nappe de vortex provenant de l'arrière de l'aile plutôt que de juste à partir des extrémités des ailes[6],[7].
La théorie s'applique particulièrement bien aux planeurs modernes et aux avions de transport de ligne qui ont de longues ailes effilées.
Introduction
Pour une aile tri-dimensionnelle finie, la portance linéique diffère d'un point de l'aile à un autre le long de l'aile. Elle ne correspond pas simplement à la portance estimée par le modèle bi-dimensionnel. En fait, la portance d'une section est fortement influencée par les portances des sections au voisinage.
Il est donc difficile (mais pas impossible) d'exprimer analytiquement le champ de portance qu'une aile de géométrie donnée va créer. La théorie des ailes portantes donne la distribution du vecteur portance (linéique) suivant la direction y de l'envergure de l'aile. La distribution L' de la portance linéique dépend de la forme de l'aile (longueur de la corde c(y) en une section y donnée, cambrure et torsion de l'aile), de la masse volumique de l'air ρ, de la vitesse de l'air à l'infini () et de l'angle d'attaque à l'infini .
Principe
La théorie des lignes portantes utilise la conception de circulation et le théorème de Kutta-Jukowski qui affirme que :
Ainsi, la détermination de la fonction de distribution de la portance linéique se ramène à la distribution de la circulation dans le sens de l'envergure, .
La modélisation (inconnue et à déterminer) de la portance linéique locale (aussi à déterminer) nous permet de tenir compte de l'influence d'une section sur les sections voisines. Dans cette perspective, tout changement de la portance linéique le long de l'envergure est équivalent à un changement de la circulation le long de l'envergure. D'après les théorèmes de Helmholtz, un vortex en forme de filament ne peut pas finir au milieu de nulle part et est donc soit une boucle fermée soit se prolonge jusqu'à l'infini. Ainsi, tout changement de la portance linéique peut être modélisé par un filament correspondant au vortex en forme de fer à cheval emporté par le flot à l'arrière de l'aile.
Ce vortex dévié dont la force est égale à la dérivée de la distribution de circulation (inconnue), , influence le flot à gauche et à droite de la section d'aile.
Cette influence latérale (flot ascendant au-delà de l'extrémité de l'aile et l'écoulement descendant en deçà) est la pierre angulaire de la théorie des lignes de portance. Ainsi, si la variation de la distribution de la portance linéique est connue pour une section donnée, il est possible de prédire comment cette section influence la portance sur ses voisines : la vitesse verticale induite w peut être quantifiée en utilisant la distribution de la vitesse à l'intérieur d'un vortex et en relation avec la variation de l'angle d'attaque effectif des sections voisines.
Formellement, la variation locale de l'angle d'attaque induit pour une section donnée peut être quantifiée comme étant la somme infinie (intégrale) des vitesses induites par les autres sections de l'aile. En retour, l'intégrale des vitesses induites sur chaque section de l'aile correspond à la portance totale désirée.
Ceci conduit à la résolution d'une équation intégro-différentielle du type où est exprimée seulement en fonction de la forme de l'aile, de la variation dans le sens de l'envergure de la circulation . La solution de ladite équation est une fonction , qui représente de manière précise la distribution de la circulation le long d'une aile en fonction de sa forme (géométrie).
Expression de la portance et de la circulation
Nomenclature
- est l'envergure de l'aile.
- est la surface alaire
- est le coefficient de portance global
- est l'allongement
- est l'angle d'attaque eu égard le flot à l'infini
- est la vitesse air de l'aéronef (m/s)
- est le coefficient de traînée induite
- est le coefficient d'Oswald[Note 1]
Les variables suivantes dépendent de la position dans le sens de l'envergure y
- le coefficient de portance en 2 dimensions
- est la circulation circulation sur une section d'aile (m²/s)
- est la longueur de la corde à une position donnée
- est le changement local de l'angle d'attaque eu égard le vrillage de l'aile
- est l'angle d'attaque engendrant une portance nulle
- est le coefficient de proportionnalité définissant le coefficient de portance en fonction de l'angle d'attaque effectif.
- est le downwash (déflexion vers le bas)
Formulaire
On définit l'angle tel que :
La circulation en y s'exprime comme suit :
où les An sont solution de l'équation linéaire infinie suivante :
La portance s'exprime par :
La traînée induite s'exprime par :
Le coefficient de portance s'exprime comme suit :
où l'allongement vaut et S est l'aire de l'aile.
Le coefficient d'Oswald e est:
Le coefficient de traînée induite vaut[6],[7], ,[9] :
Si l'aile est symétrique, l'on a :
Dans le cas d'une aile elliptique, on a e = 1. La circulation est :
où C est la corde au milieu de l'aile.
Calculs détaillés
La preuve du formulaire supra est longue et pénible et est donnée dans la boîte déroulante infra.
Calcul des coefficients de portance et de trainée
Soit le changement de variable suivant :
et supposons que la solution de est une série de Fourier suivante :
On peut arbitrairement choisir A0 = 0.
On cherche à déterminer ces coefficients An[Note 2].
La section infinitésimale de largeur le long de l'envergure de l'aile apporte une portance linéique , il faut intégrer toutes les portances linéiques pour avoir la portance du profil. Pour le bout de profil infinitésimal de largeur , le Théorème de Kutta-Jukowski donne :
d'où
Idem pour la trainée induite sachant que :
- et
La littérature pour la portance et la traînée préfère utiliser des équations avec des coefficients adimensionnels. Les formules sont :
- et
avec
- et
On rappelle que . On ligne de sillage arrière est semi infinie et donc on applique la loi de Biot-Savart pour une tige (vortex) semi-infinie. En outre, le downwash engendré par un vortex de sillage en y0 est[10]:
et donc,
On dérive la fonction Γ et donc:
On a :
Donc,
Et donc,
Finalement,
Le downwash en y0 avec est donc :
Donc,
On utilise l'intégrale de Glauert
Et donc,
On remplace par et on rappelle que
- .
Donc,
On rappelle que
Donc,
Donc,
Donc,
Donc,
Si , l'intégrale est nulle. Donc,
Le premier terme est nul et donc,
Donc,
On rappelle que :
On substitue.
On écrit donc :
Donc,
On considère . On a :
On effectue un changement de variable pour et donc :
Et donc,
On note que :
Donc,
Finalement :
On substitue :
Donc,
On définit le coefficient d'Oswald
Donc,
On remplace A1 et donc :
Donc,
On a où c est la longueur de la corde moyenne. Donc,
On définit l'allongement . Et finalement on obtient la formule souvent postulée :
Dans le cas d'une aile rectangulaire, on a et l'allongement devient :
Quelle que soit la forme de l'aile, le coefficient de traînée inductive est proportionnel à .
Dans le cas d'une aile symétrique, on a :
et donc :
On a vu que :
On a :
On rappelle que et que et donc :
On obtient alors l'égalité :
Donc,
Donc,
Si n est pair, on doit avoir
Donx,
Résolution de l'équation de Prandtl
Soit l'angle d'attaque en ignorant le downwash. Soit l'angle du downwash. L'angle d'attaque effectif sera donc :
Le coefficient de portance en un point y est :
La portance linéique est :
Et aussi :
Donc,
Donc,
D'où une simplification :
On remplace Γ et ε et donc :
Et donc :
On obtient donc un système linéaire «infini» que l'on doit résoudre.
Cas d'une aile elliptique
On considère maintenant une aile elliptique où :
Comme l'on a:
On en déduit que
Donc,
On rappelle que . Donc,
Donc,
On revient ausystème linéaire infini. On a:
Et donc :
Et donc :
On constate immédiatement que pour , on a : An = 0
Et donc :
En outre, le coefficient d'Oswald vaut l'unité et donc l'on a :
L'aire de l'ellipse est .
Donc l'allongement est :
On obtient donc :
En outre,
Et donc la distribution de circulation est :
Et donc :
Déflexion des ailerons
L'effet des ailerons peut être pris en compte en ajustant la valeur de α0. Si les ailerons sont asymétriques, la valeur de α0 est différente pour chaque côté.
Approximations en pratique
On peut en pratique écrire que :
où
- est le coefficient de portance;
- est l'allongement; et
- est l'angle d'attaque.
On remarque que cette équation devient l'équation donnée dans la théorie des profils minces lorsque l'allongement [11].
Annexe : Calcul de l'intégrale de Glauert
On considère la fonction
On veut calculer l'intégrale . Strictement parlant, une telle intégrale n'a pas de sens. Toutefois, on va utiliser le théorème des résidus. On pose On définit :
On a donc:
Lorsque r = 0 , on a:
On considère le contour C constitué du cercle de rayon unité. On a:
où e(r) tend vers 0 lorsque r tend vers 0. Le résidu de cette fonction en z₀ + e(r) est
On a:
On effectue un développement limité et l'on obtient donc :
Donc,
On a :
Donc :
Donc :
On « simplifie » le dénominateur et donc :
En combinant, on obtient donc :
On considère la partie imaginaire de cette identité et donc :
Donc,
La limite du deuxième terme tend vers 0. On a donc:
Donc,
On « simplifie » (cette opération est discutable) :
La fonction cosinus est paire et donc:
Limites de la théorie
La théorie des profils minces n'entre pas en ligne de compte :
- Fluide compressible
- Viscosité
- Ailes d'allongement réduit
- Écoulement instable
Notes et références
Notes
- Le coefficient d'Oswald est ignoré dans l'ouvrage de l'US Navy .
- Attention, il ne faut pas confondre ces ici en trois dimensions avec ceux en deux dimensions. Bien que la littérature utilise la même notation, ils sont différents.
Références
- (en) Anderson, John D., Fundamental of aerodynamics, McGraw-Hill, Boston, , 1106 p. (ISBN 0-07-237335-0), p. 360
- (en) Houghton, E. L. et Carpenter, P.W., Aerodynamics for Engineering Students, Butterworth Heinmann, , 5e éd., 590 p. (ISBN 0-7506-5111-3)
- (en) Theodore von Kármán, Aerodynamics : Selected Topics in the Light of their Historical Development, Cornell University Press (reproduced by Dover in 2004), , 203 p. (ISBN 0-486-43485-0, lire en ligne)
- Lanchester, Frederick W., Aerodynamics, (lire en ligne)
- (de) Ludwig Prandtl, Tragflügeltheorie,
- (en) Ira H. Abbott, et Von Doenhoff, Albert E., Theory of Wing Sections Section 1.4, Dover, 693 p.
- (en) Clancy, L.J., Aerodynamics Section 8.11, John Wiley & Sons, , 1re éd., 610 p. (ISBN 978-0-470-15837-1)
- (en) Frank Irving, The Paths of Soaring Flight, Imperial College Press, , 131 p. (ISBN 978-1-86094-055-2), p. 12
- (en)« Prandtl Lifting Line Theory (for 3-D wings) » (consulté le )
- (en) « Lift Coefficient & Thin Airfoil Theory » (consulté le )
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