Tréfileries et laminoirs du Havre

Les Tréfileries et Laminoirs du Havre (TLH) sont un complexe métallurgique créé au Havre par la Société Weiller et Cie à partir de 1896. Reposant sur les brevets de Lazare Weiller concernant l'utilisation industrielle de l'électricité, la société est à l'origine d'un vaste ensemble industriel, qui, au début du XXe siècle, comprend une douzaine d'usines en France (dont Castelsarrazin, Pont de Cheruy etc, voir plus bas) et contrôle plusieurs filiales à l'étranger. En 1962, la fusion avec la Compagnie française des métaux aboutit à la création de la société Tréfimétaux, qui entre par la suite dans le groupe Péchiney. Les activités de Tréfimétaux sont peu à peu réorganisées jusqu'à la fermeture définitive en 1983.

Ouvrier c. 1950

L'usine du Havre, couramment appelée « les Tréfils », a fortement marqué de son empreinte un des quartiers sud de la ville, notamment au travers de la politique paternaliste exercée par les dirigeants : construction d'une importante cité composée de logements à destination des ingénieurs, contremaîtres et ouvriers, mise en place de structures socioculturelles (pouponnière, stade et gymnase, cinéma). Sur l'avenue des tréfileries (voie privée) il est à noter que les villas en meulière des cadres étaient séparées des baraquements de bois des ouvriers par une barrière de couleur verte fermée à clef, (au niveau du lavoir commun de la cité ouvrière) de sorte que les "torchons ouvriers ne pouvaient pas contaminer les "serviettes" cadres. Parmi ces équipements, on notera la Cité des Polonais, ensemble de "bidons villes" bricolés dans les années 1920 pour loger trois cents Polonais recrutés par le biais de la Société générale d'immigration. À cette époque et jusque dans les années 1960 certains conseillaient, à tort, aux enfants des « Tréfils » d'éviter de traverser le quartier polonais. À tort, car les enfants des « tréfils » se retrouvaient avec les enfants de la Cité Polonaise tous les ans, dans les colonies de vacances TLH, à Neuchatel, Armeau, La Ferté-Fresnel ou Romeyer. Comme ce quartier polonais était dans le même axe que les villas des cadres dont le passage était interdit par la barrière, c'était tout un pan de ce quartier qui était bloqué.

Les origines : d'Angoulême au Havre

Au départ, on trouve la Société Lazare Weiller (créée en 1883), qui possède la tréfilerie d'Angoulême. Dans les années 1890, cette société opère un transfert de son activité vers le Havre présentant l'intérêt d'être le premier port d'importation des cuivres d'Amérique du Nord. Le choix de l'implantation se porte sur la commune de Graville ; d'après les registres de délibérations de la municipalité, Lazare Weiller, fondateur et principal actionnaire des Tréfileries, acquiert au début de 1895 les terrains situés entre la ligne de chemin de fer Le Havre-Paris et le nouveau canal de Tancarville. La nouvelle usine des Tréfileries est construite sur ce site en 1896. Les premiers ateliers sont construits boulevard Sadi Carnot, à proximité du port, ce qui doit aussi faciliter les exportations.

Les statuts de l'entreprise en 1897 décrivent ainsi l'activité : « la fabrication des alliages connus sous le nom de bronze phosphoreux, bronze siliceux et tous autres métaux et alliages ; celle des cuivres purs de toute nature… la transformation de ces matières en lingots, pièces mécaniques, moulures, barres, plaques, fils, etc. ».

Un groupe industriel

L'extension en France et à l'étranger

En 1901, la société devient les « Tréfileries et Laminoirs du Havre », à la suite de l'association de Lazare Weiller avec des banques françaises et suisses. Avec une politique de modernisation constante de l'appareil de production et, à partir de 1907, d'acquisition d'établissements ou de firmes, les Tréfileries et Laminoirs du Havre deviennent progressivement le centre d'un vaste ensemble industriel qui contrôle une douzaine d'usines en France : Rugles (Eure), Saint-Maurice (Val-de-Marne), Grenoble (Isère), Charleval et la Praz (Savoie), Dijon (Côte-d'Or), Montreuil-Belfroy (Maine-et-Loire), Darnetal (Seine-Maritime), Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Poissy (Yvelines), Pont-de-Chéruy (Isère)[1] et plusieurs filiales à l'étranger.

Dès l'entre-deux-guerres, le complexe industriel est organisé avec des spécialisations d'usines.

La création de Tréfimétaux et l'intervention de Péchiney

En 1962, l'entreprise fusionne avec la Compagnie française des métaux ; la nouvelle entité reçoit le nom de Tréfimétaux. En 1966, les départements sidérurgiques sont repris par la Société des Hauts-Fourneaux de la Chiers.

En 1967, Tréfimétaux entre dans le groupe Pechiney.

Dans le cadre de l'évolution de Péchiney (qui devient PUK), des restructurations ont lieu. En 1981, Tréfimétaux cède ses activités aluminium à la société Thomson-Câbles. En 1983, l'usine du Havre est scindée entre plusieurs entreprises. En 1987, PUK cède ce qui reste de Tréfimétaux à la société italienne SMI SpA, devenue KME Group SpA.

TLH : une entreprise du Havre

L'établissement de Graville

Pendant la Première Guerre mondiale, à l'instar de Schneider, les TLH font le choix de la participation à l'effort de guerre et les ouvriers fabriquent obus, douilles, cartouches et balles.

De nouveaux ateliers sont construits en 1916. L'usine comporte des installations mécaniques nouvelles et est de grande capacité : fours, laminoirs automatiques, centrales vapeur et électrique de haute puissance, ateliers de transformation, le tout destiné à employer mille salariés et traiter au moins trente mille tonnes d'alliage par an.

Dans le cadre de l'organisation du groupe, l'usine-mère du Havre est spécialisée dans trois secteurs : affinage et transformation des cuivres et laitons, préparations des alliages de seconde fusion, et fabrication des petits produits courants (vis, pointes, etc.) et des produits intermédiaires destinés aux autres usines du groupe et à quelques clients privilégiés (gaines de câbles, contacteurs, carters pour générateurs).

Après la guerre 39-45, elle s'étend sur 47 ha, possède sa propre centrale électrique et emploie 2 300 salariés. Elle comprend en fait quatre sous-ensembles :

  • dans l'usine 1, on travaille uniquement le cuivre, le laiton, l'aluminium, pour fabriquer du fil ;
  • l'usine 2 est utilisée pour le travail de l'acier et produit entre autres des câbles de frein de bicyclettes, des câbles qui servent à haler les péniches ;
  • un atelier unique en France fabrique des aiguilles de peignage pour les usines de textile ;
  • un atelier de câblerie métallique est composé de 200 machines qui torsadent les fils d'acier petits et gros.

Au début des années 1980, l'établissement du Havre subit le contrecoup des restructurations de Péchiney et de sa filiale Tréfimétaux ; en 1983, ses structures de productions sont réparties entre trois sociétés : Tréfileries et câbleries Chiers-Chatillon-Gorcy (400 employés), Cuivres et Alliages (260 employés), Thomson-Câbles (180 employés). On peut considérer que l'usine cesse d'exister à cette date.

La politique paternaliste (citations)

  • Emmanuel Chadeau, Produire pour les électriciens, Les Tréfileries et Laminoirs du Havre de 1897 à 1930 (Cahiers histoire de l'aluminium, 1989 no 4)

« (...) en matière d'institutions sociales, l'entreprise semble avoir agi avec constance et détermination face à son environnement, dans le cadre d'une tradition nationale déjà bien ancrée au moment de sa fondation : construction de logement sociaux, caisse de retraites et de solidarité, subventions aux coopératives du personnel, école d'apprentissage. La politique sociale des TLH démarra à l'instigation de Weiller dès 1897, avec la création d'habitations à bon marché, d'une mutuelle et d'une coopérative de consommation dont il précisait que l'adhésion n'était "pas obligatoire". La politique du logement continua dans les années 1920, et fut alors amplifiée. En 1926, la société créa un régime complet d'assurances sociales. »

  • Claude Malon, Travailleurs étrangers et coloniaux au Havre, Migrants dans une ville portuaire : Le Havre (XVIe – XXIe siècle), sous la direction de John Barzman et Éric Saunier, publication des Universités de Rouen et du Havre, 2005

« La grande guerre laissa un lourd tribut au Havre. Avec les objectifs de satisfaction des besoins de défense et de production industrielle, a lieu un afflux de main d'œuvre coloniale ; les TLH participent entre autres au recrutement de travailleurs coloniaux. Deux formes principales de logements existent pour les travailleurs : la résidence "libre" en ville, le cantonnement en foyer. Les TLH proposent des logements dans des baraquements, le camp de Cinder-city est utilisé dans les années 1920, à la suite de l'armée anglaise, pour héberger les travailleurs marocains, algériens, sénégalais. »

  • Sylvie Barot, Des lieux de prédilections, Migrants dans une ville portuaire : Le Havre (XVIe – XXIe siècle), sous la direction de John Barzman et Éric Saunier, publication des Universités de Rouen et du Havre, 2005

« Ces recrutements extérieurs, d'abord très qualifiés, sont perpétués au tournant du XXe par Westinghouse, les Tréfileries, le Nickel, Westphalen-Lemaîre qui ne tardent pas à aller chercher leurs ouvriers plus loin, au-delà des mers, pour l'industrie de guerre à partir de 1915, pour la reconstruction et les Trente Glorieuses, quarante ans plus tard. L'élargissement des aires de recrutement s'accompagne d'une autre nouveauté, déjà initiée, bien que timidement, pour la population ouvrière stable : le logement collectif organisé par les entreprises, au plus près des lieux de production, dans une logique qui ne diffère guère de celle qui préside à l'organisation des camps militaires voisins. (...) Les Tréfileries vont plus loin, créant successivement une cité pour ses ouvriers musulmans avec un café maure et une boucherie hallal intégrées, puis pour les familles polonaises, avec crèche, cantine, et loisirs spécifiques. De quoi rester entre soi, à chaque fois. »

« [en 1919] il faut citer un certain nombre de nouvelles institutions paternaliste. Les Tréfileries par exemple ont établi une crèche baptisée "La Pouponnière" en face de l'entrée de l'usine, afin que les mères qui y travaillent puissent allaiter bébé trois fois par jour. La direction présente comme une contribution au redressement de la population française. Division sexuelle des tâches oblige, pour les hommes, les Tréfileries construisent un stade de football près de l'usine en 1919. »

  • Jean Legoy, Cultures havraises : 1895-1961

« Les difficultés du sport ouvrier sont d'autant plus grandes que les patrons ont trouvé la réplique : le sport corporatif. Appliquant le conseil d'Henry Ford : "Faites faire du sport aux ouvriers. Pendant ce temps, ils ne penseront pas à l'organisation syndicale", le premier au Havre a appliquer ce principe a été Lazare Weiller, le fondateur des Tréfileries. En 1898, il patronne la création de l'Espérance, société de gymnastique, préparation militaire et fanfare. Cette société a 117 membres en 1913. Après la guerre de 1914, l'Espérance devient l'Union Sportive des Tréfileries, club omnisports dont les installations se trouvent boulevard Sadi Carnot. L'initiative de Lazare Weiller est suivie [...] En 1929, ces clubs sont réunis dans le groupe corporatif Havrais pour l'encouragement au sport dont le président est l'ingénieur Percepied (Tréfils). Ce nouveau groupement, qui dépose une demande de subvention, est l'objet d'une enquête de police. Dans son rapport le commissaire conclut : "Le groupe corporatif est donc organisé en 5 section à la tête desquelles se trouvent des personnes compétentes et de tout repos". [...] A la remise des coupes de la saison 37-38 en présence de Deschaseaux adjoint au maire, du directeur des tréfils et de plusieurs autres patrons, le président Persepiend déclare : "Le sport corporatif est bon pour le développement physique de l'individu mais aussi pour le rapprochement entre employeur et employé". »

  • Témoignage de M. et Mme Zmuda, anciens habitants de la cité.

« Les tréfils prenaient en charge les colonies de vacances. Elles fournissait un uniforme aux enfants, les filles en chemisier à carreaux et shorts gris. Les lieux de vacances sont La Ferté-Fresnel, Armeau, les Rousses. »

Le Quartier des tréfileries

En , Lazare Weiller rencontra le maire de Graville pour régler les problèmes de voirie concernant ses terrains « où devaient se construire les cités ouvrières créées par la Cie Weiller ». En 1904, il obtient l'autorisation d'ouvrir une voie faisant communiquer le boulevard Sadi Carnot avec la rue de la Vallée : cette voie, l'avenue des Tréfileries, accueille les maisons ouvrières, les maisons destinées aux cadres, ainsi que les diverses installations socioculturelles.

La maison du directeur, située 75 boulevard Jules-Durand, date du dernier quart du XIXe siècle. La société disposait vraisemblablement de logements supplémentaires pour la direction le long de ce même boulevard.

L'hôtel des ingénieurs est construit entre 1905 et 1910 pour Lazare Weiller. Elle est utilisée d'abord comme siège social de la société, puis pour recevoir le président directeur général des Tréfileries, et comme maison de réunion des ingénieurs de l'industrie métallurgique. Elle a été construite par les Compagnons de France. L'hôtel des ingénieurs possédait une annexe, de taille plus importante.

La construction de la cité ouvrière aurait commencé en 1916. Elle est constituée de plusieurs ensembles séparés par des murs : la cité française, constituée de baraquements en bois aménagés vers 1920 et d'un lavoir, l'hôtel des célibataires, qui hébergeait les immigrés Polonais, les maisons des contremaîtres, situés le long de la rue Amand Agasse, maisons jumelées construites dans les années 1920. La cité polonaise, construite entre 1922 et 1927 dans l'impasse Réal, est composée de 72 logements.

Les installations sportives de l'U.S.T. (Union Sportives des Tréfileries), la Salle des Sports (Gymnase LeBourvellec) et le terrain de football (Stade Marcel Royer), sont créées en 1922. La pouponnière était tenue par des infirmières et des sœurs. La salle des fêtes, bâtiment de 150 m2, servit après la guerre de cinéma, le "Cinétréfil". La cité comprenait en outre cantine, école polonaise, bibliothèque, coopérative de distribution, jardin de production.

Notes et références

  1. Source : CNRS/Université Lyon-II : .
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